Œsophagite à éosinophiles : une cause rare de dysphagie

Œsophagite à éosinophiles : une cause rare de dysphagie

La Revue de médecine interne 31 (2010) e4–e6 Cas clinique Œsophagite à éosinophiles : une cause rare de dysphagie Eosinophilic esophagitis: A rare c...

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La Revue de médecine interne 31 (2010) e4–e6

Cas clinique

Œsophagite à éosinophiles : une cause rare de dysphagie Eosinophilic esophagitis: A rare cause of dysphagia D. Billot a,∗ , M. Pernin a , C. Pillot a , C. Bredin a , P. Hoeffler b , B. Graffin c , P. Rey a a

Service des maladies digestives, hôpital d’instruction des armées Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 90001, 57077 Metz cedex 3, France Centre de pathologie, BP 30558, 57009 Metz cedex 1, France c Service de médecine interne et maladies infectieuses et tropicales, hôpital d’instruction des armées Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 90001, 57077 Metz cedex 3, France b

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Disponible sur Internet le 1 juin 2010 Mots clés : Adulte jeune Allergie Impaction alimentaire Œsophagite à éosinophiles

r é s u m é L’œsophagite à éosinophiles est une entité émergente méconnue, dont l’incidence croît parallèlement aux maladies allergiques. Un homme âgé de 29 ans, avait depuis quatre ans des épisodes de dysphagie haute itératifs et paroxystiques. La triade « allergie, jeune âge et impaction de corps étrangers » associée à une dysphagie chronique est quasi pathognomonique d’une œsophagite à éosinophiles. Les lésions œsophagiennes endoscopiques variées doivent inciter à la réalisation de biopsies œsophagiennes systématiques. La mise en évidence d’un infiltrat éosinophilique avec un compte de polynucléaires éosinophiles dépassant 15 éléments par champ à fort grossissement (×400) établit un diagnostic de certitude. Le traitement fait appel en première intention aux corticoïdes topiques locaux et à l’éviction d’une origine allergique quand elle est identifiée et possible. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t Keywords: Young adult Allergic disorders Food impaction Eosinophilic esophagitis

Eosinophilic esophagitis is an unrecognized and emerging entity. Its incidence increases with allergic disorders. A 29-year-old man presented with a 4-year history of intermittent and paroxysmal dysphagia. The triad including allergy, young age, and impaction of foreign bodies, combined with a chronic dysphagia is almost pathognomonic of eosinophilic esophagitis. Endoscopic esophageal features can be diverse, so systematic esophageal biopsies are required. Diagnosis is established with the demonstration of an eosinophilic infiltrate with a cell count exceeding 15 eosinophils per high power field (×400). First line therapy includes swallowed topical corticosteroids and removal of an allergic cause, when it could be identified. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction L’œsophagite à éosinophiles est devenue une maladie émergente et fait objet de nombreuses et récentes publications [1,2]. En 2006, un groupe international d’experts la définissait comme « plus de 15 polynucléaires éosinophiles intraépithéliaux par champ au fort grossissement, associée à des symptômes œsophagiens et résistante aux inhibiteurs de la pompe à protons à pleine, voire double dose » [3]. Si son incidence croît parallèlement aux maladies allergiques, sa physiopathologie reste largement méconnue. À partir d’une observation, nous rappelons ses principales caracté-

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Billot).

ristiques, dont la présentation clinique dominée par une dysphagie chronique et la triade « allergie, adulte jeune et impaction de corps étrangers » est très évocatrice du diagnostic. 2. Observation Un homme âgé de 29 ans avait depuis quatre ans des épisodes de dysphagie haute itératifs et paroxystiques. Il n’avait aucun antécédent médicochirurgical spécifique en dehors d’une notion non documentée d’allergie au latex et au talc. La dysphagie survenait après une prise alimentaire et s’était accompagnée en trois ans, et à quatre reprises, d’une impaction alimentaire avec aphagie et hypersialorrhée justifiant une extraction endoscopique sous anesthésie générale. L’examen clinique et un bilan biologique standard étaient à chaque fois normaux. L’endoscopie œsophagienne retrou-

0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2009.12.017

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vait un corps étranger alimentaire en amont d’un aspect rétréci de la lumière œsophagienne du tiers moyen de l’œsophage, au-dessus de la crosse aortique n’imprimant pas d’empreinte anormale. Le corps de l’œsophage avait un aspect en pile d’assiette sans autre anomalie. Lors de la quatrième hospitalisation, un scanner cervicothoracique avec ingestion barytée montrait une disposition annelée et isolée de l’œsophage moyen. La manométrie œsophagienne n’identifiait pas de troubles moteurs. Le patient était ensuite perdu de vue avant de se représenter en août 2008 pour une cinquième impaction de corps étranger alimentaire œsophagien. L’endoscopie, après extraction des résidus alimentaires toujours impactés dans le tiers moyen, mettait en évidence une muqueuse œsophagienne érythémateuse et congestive, d’aspect pseudotrachéal avec des dépôts blanchâtres superficiels. L’examen gastroduodénal était normal. Des biopsies étagées de l’œsophage montraient un infiltrat de plus de 70 polynucléaires éosinophiles intraépithéliaux par champ au fort grossissement (×400) qui faisait retenir le diagnostic d’œsophagite à éosinophiles. Une corticothérapie topique par budésonide (200 ␮g, deux bouffées par jour) était débutée pour une durée initiale de six semaines. Le patient demeurait asymptomatique après trois mois de suivi. L’enquête allergologique n’identifiait pas d’anomalie significative. 3. Discussion Longtemps considérée comme une maladie rare, l’œsophagite à éosinophiles connaît un regain d’intérêt en raison d’une augmentation de sa prévalence dans les pays industrialisés, de 0,1 % en 2001 à 1,9 % en 2005 aux États-Unis [1–5]. Elle affecte principalement les enfants et les adultes jeunes de sexe masculin (sex-ratio à 3). La physiopathologie, mal connue, fait état d’une réponse immunitaire à des allergènes exogènes, peut être alimentaires [3,4]. Il en résulte une infiltration de la muqueuse œsophagienne par des cellules exprimant l’interleukine 5 (IL-5) et une hypersécrétion de tumor necrosis alpha (TNF␣) par les cellules de l’épithélium pavimenteux œsophagien [6–8]. Ce mécanisme, associé à la présence accrue de cellules T et de mastocytes [3,6], serait en faveur d’une réaction allergique de type TH 2 [4,7,8]. De plus, le rôle possible de la mutation du gène CCL26 codant pour la protéine éotaxine-3 est discuté par plusieurs études [8,9]. Le diagnostic est évoqué devant la triade clinique « adulte jeune, terrain allergique et épisodes d’impaction alimentaire » associée souvent à une dysphagie chronique intermittente [3]. La dysphagie, bien que prolongée, ne s’accompagne habituellement pas d’un retentissement sur l’état général [1]. Souvent révélée lors de l’ingestion d’aliments solides, elle peut occasionner une simple gêne jusqu’à une occlusion complète contraignant parfois le patient à des changements d’habitudes alimentaires (éviction de certains aliments, allongement du temps de mastication). Cependant, les plaintes fonctionnelles peuvent être diverses et multiples, particulièrement chez les enfants. Un pyrosis, des troubles dyspepsiques, une douleur abdominale, des vomissements peuvent être retrouvés. Chez les enfants, la symptomatologie mime souvent un reflux gastro-œsophagien et peut s’accompagner d’un retard de croissance [7]. L’examen clinique est pratiquement toujours normal. Biologiquement, l’hyperéosinophilie sanguine, souvent mineure (environ deux fois la normale), est inconstante, de 10 à 50 % chez les adultes et de 10 à 20 % chez les enfants. Les immunoglobulines E sont élevées chez 70 % des patients [2]. L’interrogatoire trouve dans plus de la moitié des cas un terrain atopique (asthme, rhinoconjonctivite allergique, notion d’allergie alimentaire ou médicamenteuse). La présentation clinique pouvant être atypique, la conduite à tenir reste la même que celle devant toute dysphagie. Après un interrogatoire précis, l’endoscopie est l’examen paraclinique de première intention à proposer pour dépister les anomalies macroscopiques. Les aspects lésionnels endoscopiques observés dans les œsopha-

Tableau 1 Diagnostics différentiels l’épithélium œsophagien.

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d’une

éosinophilie

de

Reflux gastro-œsophagien Œsophagite à éosinophiles Gastro-entérite à éosinophiles Maladie de Crohn Connectivite Syndrome hyperéosinophilique Infection Réaction d’hypersensibilité à un médicament

gites à éosinophiles sont extrêmement variés et peu spécifiques [10]. Les anomalies les plus fréquentes à type de sillons rougeâtres longitudinaux et de dépôts blanchâtres plans ou bombés (spots) mimant une candidose œsophagienne ne sont retrouvées dans un cas sur deux [2]. Un œsophage annelé pseudotrachéal, une fragilité à la biopsie (signe du papier crêpe) ou un aspect mimant une œsophagite disséquante sont possibles. Dans plus de la moitié des cas, l’œsophage est macroscopiquement normal aussi bien chez l’enfant que l’adulte. Les examens de seconde intention, manométrie œsophagienne et transit baryté de l’œsophage, sont peu contributifs. Conduit par un anatomopathologiste averti du diagnostic évoqué, l’examen histologique des biopsies œsophagiennes étagées prélevées en zones saines et lésées permet le diagnostic d’œsophagite à éosinophiles. Celui-ci est validé par la mise en évidence d’une hyperéosinophilie intraépithéliale diffuse, dont le compte est supérieur à 15 éosinophiles par champ au fort grossissement [1–4]. À l’état normal, la muqueuse malpighienne œsophagienne, à la différence du tractus gastro-intestinal, est dépourvue de polynucléaires éosinophiles [11]. Une infiltration éosinophilique est possible dans d’autres affections mais habituellement avec une moindre densité (< 10 éléments par champ à fort grossissement). Elle amène alors à évoquer les principaux diagnostics différentiels suivants : reflux gastro-œsophagien, infection (candidose, Herpès virus), allergie médicamenteuse, et plus rarement une gastroentérite à éosinophiles, une localisation œsophagienne d’une maladie de Crohn, une connectivite et le syndrome hyperéosinophilique [3,11] (Tableau 1). Quel que soit l’intensité de la dysphagie, il est nécessaire d’introduire un traitement afin de prévenir les impactions alimentaires obstructives et les possibles séquelles d’une infiltration éosinophilique chronique [2,12]. En première intention, le traitement repose sur une corticothérapie topique déglutie comme, par exemple, le propionate de fluticasone à la posologie de 880 à 1780 ␮g/j en deux à quatre prises pendant six semaines [3]. Des modalités de prise spécifique doivent être respectées : ingestion de la dose délivrée dans la bouche par pulvérisation ou aspiration, pas de rinc¸age de la cavité buccale ni boisson ou prise alimentaire dans les 30 minutes suivant la prise médicamenteuse. L’efficacité, souvent transitoire, nécessite parfois un relais par une corticothérapie générale de durée variable, voire l’introduction d’un traitement immunosuppresseur (azathioprine, mépolizumab), dans les formes les plus sévères. Une dilatation œsophagienne peut être une alternative efficace, mais n’est envisagée qu’en dernier recours en raison d’un risque perforatif [13,14]. L’intérêt d’un bilan allergologique et l’éviction des aliments responsables ont montré leur efficacité chez les enfants [3]. Le diagnostic d’œsophagite à éosinophiles est histologique et doit être évoqué devant la triade clinique « allergie, jeune âge et impaction de corps étrangers ». La réalisation des biopsies œsophagiennes doit être systématique, même en présence de lésions endoscopiques minimes, voire absentes. Son traitement repose avant tout sur une corticothérapie topique ingérée ou per os, qui permet l’amélioration de la symptomatologie et le traitement de l’inflammation. Cependant, les modalités thérapeutiques restent mal codifiées, notamment par un manque de recul et une connaissance physiopathologique imprécise.

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Conflit d’intérêt Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt. Références [1] Kapel RC, Miller JK, Torres C, Aksoy S, Lash R, Katzka DA. Eosinophilic esophagitis: a prevalent disease in the United States that affects all age groups. Gastroenterology 2008;134:1316–21. [2] Straumann A, Salvettib M, Schoepferc A. Œsophagite à éosinophiles. Une maladie dont l’importance est en croissance rapide. Forum Med Suisse 2008;8:724–8. [3] Furuta GT, Liacouras C, Collins MH, Gupta S, Justinich C, Putnam P, et al. Eosinophilic esophagitis in children and adults: a systematic review and consensus recommendations for diagnosis and treatment. Gastroenterology 2007;133:1342–63. [4] Rothenberg ME, Mishra A, Collins MH, Putnam PE. Pathogenesis and clinical features of eosinophilic esophagitis. J Allergy Clin Immunol 2001;108:891–4. [5] Arora AS, Yamazaki K. Eosinophilic esophagitis: asthma of the esophagus? Clin Gastroenterol Hepatol 2004;2:523–30. [6] Straumann A, Bauer M, Fischer B, Blaser K, Simon HU. Idiopathic eosinophilic esophagitis is associated with a TH2 - type allergic inflammatory response. J Allergy Clin Immunol 2001;108:954–61.

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