Revue du Rhumatisme 76 (2009) 98–101
Fait clinique
Syndrome de la traversée thoracobrachiale dû à une anomalie vasculaire comprimant le plexus brachial supérieur夽 Anomalous vasculature as direct cause of upper brachial plexus thoracic outlet syndrome George D. Chloros ∗ , Nicholas Crosby , Peter Apel , Zhongyu Li Department of Orthopaedic Surgery, Wake Forest University School of Medicine, Medical Center Boulevard, Winston-Salem, NC 27157, États-Unis Accepté le 7 mars 2008 Disponible sur Internet le 3 décembre 2008
Résumé Les étiologies vasculaires directement à l’origine d’un syndrome de la traversée thoracobrachiale (STTB) sont exceptionnelles en dehors des vaisseaux sous-claviers. Nous rapportons un cas unique d’une artère anormale, accompagnée de sa veine, comme étant la cause directe d’une compression du plexus brachial supérieur entraînant un STTB. Tous les symptômes ont guéri après un traitement chirurgical ayant comporté une ligature et une résection des vaisseaux anormaux. Cette observation montre que, même si les étiologies vasculaires du STTB sont tout à fait rares, elles doivent être envisagées parmi les causes possibles de ce syndrome. © 2008 Publi´e par Elsevier Masson SAS pour la Société Française de Rhumatologie. Mots clés : Syndrome de la traversée thoracobrachiale ; Anomalie vasculaire Keywords: Thoracic; Outlet; Syndrome; Vascular; Anomaly
1. Introduction Le terme de syndrome de la traversée thoracobrachiale (STTB ; thoracic outlet syndrome) a été utilisé pour la première fois par Peet et al. en 1956 [1] pour désigner une symptomatologie liée à une compression mécanique entraînant un rétrécissement des espaces par lesquels les principaux nerfs et vaisseaux passent dans le défilé cervico-thoracobrachial [2]. En dehors des anomalies des vaisseaux sous-claviers [3], les autres causes vasculaires pouvant être directement à l’origine d’une compression du plexus brachial et entraîner un STTB ont été très rarement rapportées [4]. Nous rapportons le cas d’une jeune patiente ayant une neuropathie du plexus brachial supérieur due à un STTB et liée à une 夽
Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc¸aise de cet article, mais sa référence anglaise dans le même volume de Joint Bone Spine (doi : 10.1016/j.jbspin.2008.03.005). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (G. D. Chloros).
compression du tronc primaire supérieur par une artère anormale accompagnée de sa veine. À notre connaissance, il s’agit d’un cas exceptionnel anglaise. Le patient a été informé que les données concernant son cas seraient soumises pour publication. 2. Observation Une femme âgée de 20 ans consultait dans notre centre avec pour principal symptôme une faiblesse du membre supérieur droit. Il n’y avait pas d’antécédent traumatique. La symptomatologie évoluait depuis trois ans et avait débuté par une faiblesse de l’épaule droite, d’apparition progressive, et du coude droit associée à une fatigabilité du membre supérieur droit par rapport au côté gauche. La patiente souffrait de douleurs sourdes et constantes de l’épaule avec des épisodes aigus faits de douleurs en coup de poignard. Les douleurs, absentes la nuit, étaient exacerbées par les travaux manuels et les activités physiques. Les traitements conservateurs, notamment les traitements physiques, n’avaient pas eu d’effet sur les symptômes.
1169-8330/$ – see front matter © 2008 Publi´e par Elsevier Masson SAS pour la Société Française de Rhumatologie. doi:10.1016/j.rhum.2008.03.007
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À l’examen physique, on mettait en évidence une amyotrophie modérée de la ceinture scapulaire sans décollement de l’omoplate. Il n’y avait ni refroidissement, ni cyanose de la main homolatérale. La palpation de la région cervicale ne trouvait ni induration, ni masse, ni adénopathie et l’examen thyroïdien était normal. Les pouls radial et cubital étaient présents à 2+ de manière bilatérale, le temps de remplissage capillaire était inférieur à trois secondes et il n’y avait pas d’œdème. La mobilité active de l’épaule était limitée à 80◦ en abduction et 90◦ en élévation antérieure. La force musculaire a été évaluée en utilisant l’échelle du Medical Research Council (MRC) : les muscles de la coiffe de rotateurs 3/5, le deltoïde 3/5, les biceps 3+/5, les triceps 4/5, les fléchisseurs et les extenseurs du poignet et des doigts 4/5. Les muscles intrinsèques de la main, le grand pectoral et le grand dorsal avaient une force musculaire normale. On notait une hypoesthésie superficielle limitée au territoire C5/C6. La manœuvre de Tinel de la région susclaviculaire déclenchait des paresthésies. Les manœuvres de Wright, d’Adson et le test de Ross étaient normaux. Le reste de l’examen neurologique était normal. Les examens biologiques usuels étaient normaux. Il n’y avait pas d’anomalie osseuse ou des parties molles sur les radiographies standard. Il n’a pas été réalisé d’angiographie. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) de l’épaule droite montrait une coiffe des rotateurs intacte et des parties molles normales. L’électromyogramme avec mesure des vitesses de conduction était en faveur d’une neuropathie du plexus brachial supérieur (tronc primaire supérieur). Compte tenu de l’aggravation de la symptomatologie, de la diminution de la force musculaire et de l’absence de réponse aux traitements conservateurs, le plexus brachial était exploré chirurgicalement. Il était réalisé une voie d’abord sus-claviculaire habituelle de 8 cm permettant d’exposer le plexus brachial. À la partie supérieure du champ opératoire, à environ 3 cm au-dessus de la clavicule, on découvrait une artère de 3 mm de diamètre, associée à sa veine de 4 mm de diamètre. Ces vaisseaux anormaux passaient au-dessus du tronc primaire supérieur du plexus brachial entraînant un phénomène de compression (Fig. 1A). Le chirurgien supputa que ces vaisseaux pouvaient représenter une variante anatomique de l’artère cervicale transverse et de sa veine, du fait de la relative proximité avec leur siège anatomique habituel (environ 1 cm au-dessus du bord supérieur de la clavicule) et de l’absence de ces vaisseaux à leur siège habituel. Pour limiter des procédures non indispensables, la dissection proximale du tronc thyrocervical ne fut pas réalisée pour confirmer cette hypothèse. Les structures vasculaires anormales furent isolées puis ligaturées (Fig. 1B). Il existait un épaississement des nerfs, particulièrement marqué pour le tronc primaire supérieur. On effectuait alors une neurolyse des racines C5 et C6, des troncs primaires supérieur et moyen et du nerf sus-scapulaire droit. La stimulation peropératoire et le recueil des potentiels évoqués somesthésiques étaient effectués, fournissant des potentiels évoqués soutenus pour le nerf sus-scapulaire et pour tous les troncs du plexus brachial. La cicatrice était alors refermée autour d’un drain. En postopératoire, le soulagement des symptômes fut immédiat. La patiente sortait le lendemain de la chirurgie avec pour
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Fig. 1. Vues peropératoires montrant : A. L’artère et la veine anormales responsables de la compression nerveuse en passant au-dessus du plexus brachial supérieur (partie supérieure du champ opératoire). B. Libération et ligature des vaisseaux anormaux responsables de la compression. TPS : tronc primaire supérieur. MOH : muscle omohyoïdien (sectionné et mis de côté).
recommandation d’atteindre une mobilité normale de l’épaule avec une limitation temporaire de soulèvement à 9 kg. Lors de l’évaluation effectuée neuf mois après la chirurgie, les douleurs avaient disparu et les mobilités de l’épaule et du rachis cervical étaient normales. Il n’y avait pas d’amyotrophie, la force musculaire du membre supérieur était normale et la récupération neurovasculaire était complète. 3. Discussion S’il existe plusieurs étiologies congénitales prédisposant ou entraînant directement un STTB, il s’agit dans la grande majorité des cas d’éléments anormaux musculosquelettiques [2,5], alors que les étiologies vasculaires sont très rares [4,6,7]. À notre connaissance, il n’a pas été rapporté
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d’artère anormale accompagnée de sa veine entraînant un STTB. Le STTB est un diagnostic clinique qui est secondaire à la compression du plexus brachial ou des vaisseaux sous-claviers dans n’importe laquelle de ces trois régions : • le défilé intercostoscalénique ; • le canal costoclaviculaire ; • le tunnel sous-pectoral (espace sous-coracoïdien) [8]. Parmi les étiologies habituelles de compression du plexus brachial, on trouve les anomalies des côtes cervicales, l’hypertrophie du muscle scalène antérieur, les anomalies ligamentaires, les changements positionnels qui modifient les rapports anatomiques normaux, ainsi qu’une large variété de causes traumatiques [8]. Il est fréquent qu’un traumatisme ou des microtraumatismes répétés décompense un STTB chez des patients ayant une prédisposition anatomique qui diminue le défilé thoraco-cervicobrachial [2,8]. Dans notre observation, les signes cliniques étaient en faveur d’une neuropathie par compression du plexus brachial supérieur, ce qui n’est le cas que chez 3 à 12 % des patients souffrant d’un STTB [9]. Les examens d’imagerie ne mettaient pas en évidence de cause et l’hypothèse d’une pathologie de la coiffe des rotateurs de l’épaule était écartée par l’IRM. Le diagnostic a donc été porté sur les signes cliniques et électriques. Une angiographie préopératoire aurait pu fournir des informations supplémentaires, mais limitées, quant à la cause anatomique. Mais elle ne fut pas réalisée dans la mesure où une étiologie vasculaire directement à l’origine de la compression nerveuse du STTB n’avait pas été suspectée. L’exploration chirurgicale fut nécessaire pour déterminer l’étiologie de la compression du tronc primaire supérieur du plexus brachial. Lors de l’évaluation finale, la récupération complète des fonctions neurologiques était une confirmation de l’étiologie vasculaire de la compression. Les patients ayant une neuropathie par compression du plexus brachial supérieur (C5, C6 et/ou C7) ont des anomalies anatomiques distinctes de ceux ayant une neuropathie du plexus brachial inférieur. Brantigan et Ross [2,10] ont décrit sept types d’anomalies congénitales susceptibles d’entraîner une compression des troncs primaires supérieur et moyen du plexus brachial. Ces anomalies sont des anomalies de la structure et/ou du siège du muscle scalène (types 1–4), la présence de bandes fibromusculaires passant au-dessus des racines C5 et C6 (type 5), l’existence d’un muscle accessoire scalenus minimus (type 6) ou la présence d’un auvent fibromusculaire reliant les muscles scalènes antérieur et moyen (type 7). Il n’était pas fait mention d’anomalies vasculaires anatomiques pouvant être la cause directe d’un STTB. Chez notre patiente, il existait une cause unique de neuropathie du plexus brachial supérieur, liée à une compression directe par une anomalie vasculaire et responsable d’un STTB. La compression des structures nerveuses par l’artère anormale et sa veine était responsable d’une fibrose et d’un épaississement de la gaine nerveuse. Nous ne savons pas avec certitude
si ces vaisseaux représentent des variations de l’artère cervicale transverse et de sa veine. Le siège de l’artère cervicale transverse est très variable, avec six variantes anatomiques communément admises dans la littérature [11]. Dans les descriptions générales, elle provient du tronc thyrocervical, parcourt transversalement la région cervicale parallèlement à l’artère supraclaviculaire à environ 1 cm au-dessus du bord supérieur de la clavicule. Chez notre patiente, les vaisseaux anormaux étaient situés 3 cm au-dessus du bord supérieur de la clavicule et aucun vaisseau n’était mis en évidence au siège habituel de l’artère cervicale transverse. La dissection n’a pas été poursuivie vers le tronc thyrocervical, ce qui aurait pu confirmer la nature des vaisseaux, et ce, pour éviter un geste chirurgical non indispensable. En conséquence, nous émettons l’hypothèse que la cause de la compression était probablement une variante rare de l’artère et de la veine cervicale transverse. La ligature puis la résection de ces vaisseaux anomaux et compressifs, associée à une neurolyse du plexus brachial, a permis une évolution clinique favorable confirmant l’étiologie du STTB. Les causes vasculaires directes du STTB sont rares en dehors des vaisseaux sous-claviers [3,4]. À notre connaissance, il n’a pas été rapporté d’observation d’un STTB dû à une compression par une artère anormale et sa veine. Duthel et al. [6] ont rapporté un cas où une artère vertébrale ectasique entraînait un agrandissement du foramen transverse en C5/C6 et C6/C7 et une compression de la racine C6 avec pour conséquence une névralgie cervicobrachiale. Une foraminotomie partielle associée à une dissection avec séparation de la racine nerveuse C6 par rapport à l’artère vertébrale, suivie d’une reconstruction, a permis une guérison complète des symptômes. Gabriel et al. [4] ont rapporté deux cas de compression du plexus brachial par un anévrisme veineux. Un cas a été traité par ligature et exérèse de l’anomalie, tandis que dans l’autre cas il fut réalisé une cautérisation électrique pour rétrécir l’élargissement veineux. Dans les deux cas, le traitement permit une guérison complète. Tubbs et al. [7] ont rapporté un cas observé à l’autopsie où il existait une côte cervicale mais aussi une artère scapulaire descendante qui comprimait la racine T1 ; ils ont émis l’hypothèse que certaines côtes cervicales symptomatiques puissent avoir un facteur supplémentaire de compression par une artère scapulaire descendante quand elle naît de la troisième partie de l’artère sous-clavière.
Références [1] Peet RM, Henriksen JD, Anderson TP, et al. Thoracic-outlet syndrome: evaluation of a therapeutic exercise program. Proc Staff Meet Mayo Clin 1956;31:281–7. [2] Brantigan CO, Roos DB. Etiology of neurogenic thoracic outlet syndrome. Hand Clin 2004;20:17–22. [3] Ozcakar L, Kaymak B, Turan S, et al. Thoracic outlet syndrome, Paget–Schroetter syndrome and aberrant subclavian artery in a young man. Joint Bone Spine 2006;73:469–71. [4] Gabriel EM, Friedman AH. Brachial plexus compression by venous aneurysms. Case illustration. J Neurosurg 1997;86:311. [5] Wiesler ER, Chloros GD, Xu NM, et al. A rare cause of thoracic outlet syndrome. Arch Orthop Trauma Surg 2008;128:33–5.
G. D. Chloros et al. / Revue du Rhumatisme 76 (2009) 98–101 [6] Duthel R, Tudor C, Motuo-Fotso MJ, et al. Cervical root compression by a loop of the vertebral artery: case report. Neurosurgery 1994;35:140–2. [7] Tubbs RS, Tyler-Kabara EC, Salter EG, et al. Additional vascular compression of the brachial plexus in a cadaver with a cervical rib: case illustration. Surg Radiol Anat 2006;28:112–3. [8] Atasoy E. Thoracic outlet syndrome: anatomy. Hand Clin 2004;20:7–14.
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