Annales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, 756—758
DOCUMENT ICONOGRAPHIQUE
Syndrome des « grosses mains » des toxicomanes. Lymphoedème chronique et toxicomanie intraveineuse au long cours Puffy hand syndrome due to drug addiction. Chronic Lymphoedema and long-term intravenous drug addiction R. Messikh a,b, F. Pelletier a, N. Bizouard a, F. Aubin a,b, P. Humbert a,∗,b a
Service de dermatologie, CHU Saint-Jacques, 2, place Saint-Jacques, 25030 Besanc¸on cedex, France b Inserm U645, université de Franche-Comté, France Rec ¸u le 13 janvier 2009 ; accepté le 3 avril 2009 Disponible sur Internet le 4 juin 2009
Observation no 1 Une femme âgée de 30 ans était hospitalisée pour un lymphœdème chronique des deux mains (Fig. 1). Dans ses antécédents, on notait une phlébite du membre inférieur droit, une anorexie mentale et une intoxication intraveineuse à l’héroïne en octobre 1997 pendant trois ans, substituée ensuite par la buprénorphine (Subutex® ). Ces œdèmes des mains avaient débuté trois ans après sa toxicomanie, d’abord intermittents puis permanents. Quatre ans plus tard, ces œdèmes s’étaient aggravés et avaient augmenté de volume. L’examen clinique retrouvait un œdème des deux mains associé à des lésions érythématocroûteuses et des lésions de grattage provoquées par son chat. Cet œdème était rouge, de consistance peu élastique et prenait peu le godet. Par ailleurs, on notait un phénomène de Raynaud, des adénopathies épitrochléennes et axillaires gauches. Le reste de l’examen clinique était sans particularité. La lymphoscintigraphie des membres supérieurs
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (R. Messikh).
0151-9638/$ — see front matter © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.annder.2009.04.016
montrait un obstacle minime au niveau des lymphatiques. La sérologie des bartonelloses était positive. La patiente a rec ¸u une biantibiothérapie (ceftriaxone : Rocephine® et ofloxacine : Oflocet® ) associée à des soins locaux (antiseptiques) et à un drainage lymphatique par kinésithérapie.
Observation no 2 Une patiente âgée de 31 ans, sans profession, était hospitalisée pour des œdèmes des mains (Fig. 2). Dans ses antécédents, on notait une toxicomanie intraveineuse à l’héroïne pendant trois ans, substituée par la buprénorphine (Subutex® ), compliquée d’une hépatite virale C. Les symptômes ont débuté six ans après le début de la toxicomanie, par un œdème discret de la main gauche, puis de la main droite. Depuis un an, ces œdèmes s’étaient aggravés, réalisant l’aspect actuel. L’examen clinique retrouvait des œdèmes des mains, plus importants à droite, s’étendant aux avant-bras, blancs, ne prenant pas le godet avec des lésions cicatricielles pigmentées, punctiformes sur le dos des mains, secondaires aux injections de drogues. Le reste de l’examen clinique était sans anomalie. La
Syndrome des « grosses mains » des toxicomanes
Figure 1.
Figure 2.
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Aspect morphologique des mains de la première patiente.
Œdème bilatéral des mains chez la seconde patiente.
lymphoscintigraphie objectivait un obstacle au niveau du réseau lymphatique de la main droite et un retard de migration du radiopharmaceutique à gauche. La patiente a commencé le port de gants de contention élastique.
initialement intermittents, devenant après quelques mois permanents. Ils touchent les mains, parfois les avant-bras [4]. Plusieurs mécanismes physiopathologiques peuvent être incriminés : insuffisance veineuse, insuffisance lymphatique, effet toxique des produits utilisés en toxicomanie. Abeles [3] a émis l’hypothèse que ces œdèmes survenaient suite à l’insuffisance veineuse séquellaire des thromboses veineuses répétées, d’infections récurrentes, voire des traumatismes répétés des veines. D’autres auteurs ont émis l’hypothèse d’une insuffisance lymphatique associée ou non à l’atteinte veineuse. Simmonet et al. [5] ont confirmé cette étiologie dans une publication portant sur trois malades atteints de puffy syndrome. La lymphoscintigraphie montrait une insuffisance fonctionnelle du système lymphatique. Chez notre première patiente, les étiologies infectieuse et lymphatique ont été discutées. L’hypothèse d’un lymphœdème factice (traumatismes répétés) a aussi été évoquée sur un terrain psychologique particulier (anorexie mentale).
Tableau 1 Complications cutanées de la toxicomanie intraveineuse.
Commentaires
Aiguës
Nous rapportons deux nouveaux cas de puffy hand syndrome chez deux patientes toxicomanes par voie intraveineuse. La fréquence de cette complication est estimée entre 7 à 16 % des malades toxicomanes par voie intraveineuse [1,2]. En fait, les complications cutanées suite à des toxicomanies intraveineuses de drogues sont nombreuses et peuvent être fatales. Elles sont soit locales ou générales, aiguës ou retardées (Tableau 1). Le syndrome des grosses mains des toxicomanes a été décrit pour la première fois par Abeles en 1965 [3]. Il s’agissait d’œdèmes bilatéraux des deux mains, mous, gardant modérément le godet, survenant suite à une toxicomanie intraveineuse au long cours chez certains patients détenus d’un centre pénitentiaire de New York. Ce syndrome se caractérise par la survenue d’œdèmes
Réactions d’hypersensibilité Abcès cutanés (staphylocoque doré, streptocoque B hémolytique du groupe A et autres streptocoques) Fasciite nécrosante Lymphangite Pseudo-anévrisme et thrombophlébite Endocardite, septicémie, ostéoarthrite Candidose systémique
Chroniques
Lymphœdème Panniculite, nodules Sclérose cutanée Phénomène de Raynaud et ischémie périphérique Insuffisance veineuse chronique Ulcère nécrotique Hyperpigmentation au site d’injection
758 La majorité des toxicomanes utilisent de l’héroïne. Les sites d’injection sont représentés par les veines du pli du coude puis celles des avant bras et des mains voire dos du pied [1,6]. L’héroïne est le plus souvent utilisée mélangée avec des produits dont la quinine, le mannitol, la farine, le talc [6,7], etc. Drinker et al. ont démontré le rôle destructeur de la quinine sur un réseau lymphatique suite à des injections extravasculaires chez des animaux provoquant ainsi des lymphœdèmes [8]. Certains toxicomanes utilisent la buprénorphine [5], traitement substitutif en injection intraveineuse, contribuant ainsi à la pérennisation du lymphœdème suite à l’obstruction du réseau lymphatique par ces particules mal solubilisées. Enfin, le froid [5] semble jouer un rôle aggravant du lymphœdème mais il s’agit d’un phénomène non déclenchant. Au plan thérapeutique, la réalisation de bandages peu élastiques suivie de compression élastique paraît efficace. Arrault et al. ont souligné l’intérêt du traitement symptomatique par des bandes multicouches dans deux observations [9].
R. Messikh et al.
Références [1] Vollm DI. Skin lesions in drug addicts. Br Med J 1970;2:647—50. [2] Ryan JJ, Hoopes JE, Jabaley ME. Drug injection injuries of the hands and forearms in addiction. Plast Reconstr Surg 1974;53:445—51. [3] Abeles H. Puff-hand sign of drug addiction. N Engl J Med 1965;273:1167. [4] Neviaser RJ, Butterfield WC, Wieche DR. The puffy hand of drug addiction: a study of the pathogenesis. J Bone Joint Surg Am 1972;54:629—33. [5] Simonnet N, Marcantoni N, Simonnet L, Griffon C, Chakfe N, Wetheimer J, Stephan D. Volumineux œdèmes des mains chez des patients toxicomanes intraveineux au long cours. J Mal Vasc 2004;29:201—4. [6] Louria DB, Hensle T, Rose J. The major medical complications of heroin addiction. Ann Intern Med 1967;67:1—22. [7] Del Giudice P. Cutaneous complications of intravenous drug abuse. Br J Dermatol 2004;150:1—10. [8] Homans J, Drinker CK, Field M. Elephantiasis and the clinical implications of its experimental reproduction in animals. Am J Physiol 1934;108:509—20. [9] Arrault M, Vignes S. Syndrome des grosses mains des toxicomanes : intérêt des bandages peu élastiques. Ann Dermatol Venereol 2006;133:769—72.