Témoignage du vécu de la prise en charge d’un patient atteint de Sclérose Latérale Amyotrophique et de son entourage

Témoignage du vécu de la prise en charge d’un patient atteint de Sclérose Latérale Amyotrophique et de son entourage

© MASSON Rev Neurol (Paris) 2006 ; 162 : Hors série 2, 4S209-4S214 4S209 Conférence de consensus Texte des experts Témoignage du vécu de la prise e...

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Conférence de consensus Texte des experts Témoignage du vécu de la prise en charge d’un patient atteint de Sclérose Latérale Amyotrophique et de son entourage M. Fussellier* ARS, Avenue de la République, Paris.

RÉSUMÉ La Sclérose Latérale Amyotrophique frappe le plus souvent des individus en pleine activité, sportifs, hyperactifs. La maladie vient télescoper une vie, en modifier tous les repères personnels et familiaux. Elle impose une vigilante et constante présence tant l’évolution conduit le malade vers un emmurement total, avec très souvent une lucidité préservée voire exacerbée. Les handicaps s’enchaînent sans répit, les correctifs plus ou moins performants se succèdent : canne, déambulateur, fauteuil, lève-malade, synthèse vocale, gastrostomie, puis fin de vie ou trachéotomie. Les correctifs « mécaniques » ne suffisent pas. Les aides humaines infirmière, kinésithérapeute, orthophoniste, auxiliaire de vie sont indispensables pour la vie quotidienne. Leur recrutement est difficile, la performance pas toujours au rendez-vous. Les aides financières, administratives, pour modifier l’habitat devenu inaccessible, pour aménager le véhicule permettant les déplacements ou pour financer une présence d’accompagnement, imposent des démarches multiples et tenaces. L’engagement de l’aidant confine à l’épuisement en raison d’une vigilance indispensable même la nuit ! Malade et famille sont face à la déchéance de ce patient lucide culpabilisant devant la charge qu’il représente, au désir qu’il a que cela finisse. L’ARS, avec ses bénévoles hospitaliers et de proximité apporte un réel soulagement à ces familles en détresse.

Mots-clés : Vivre avec une SLA.

SUMMARY Caring for a patient with amyotrophic lateral sclerosis: the patient’s and the caregiver’s experience. M. Fussellier, Rev Neurol (Paris) 2006; 162: Hors série 2, 4S209-4S214 ALS usually affects highly active, working, sportive individuals. The disease has a devastating impact on the patient’s personal life and family ties. Indeed, the disease requires constant attention from the carer for its rapidly progressive nature leads the patient to a complete state of isolation without affecting his/her intellect. For the patient days, are numbered, for the carer, time is limited. The carer must cope with a number of medical, administrative and financial difficulties. These include belated diagnosis with its disastrous consequences on medication, lack of response from the decision-making services, home-improvements or car-fitting. All this requires amazing tenacity from the carer. All the more so as the progress of handicap is relentless and the patient is bound to use different forms of support, walking-stick, zimmer, wheel-chair, hoist, speech synthesis, gastrostomy, tracheotomy or palliative care, which turn out to be more or less effective. But mechanical devices are not enough. Assistance by a nurse, a physiotherapist, a speech therapist and/or a nursing auxiliary is necessary. There are not enough of these assistants and the result cannot be guaranteed, but their role is essential in home care. The carer’s investment can be terribly consuming. The burden of 24h care wears out the carer whose days and nights are being regulated by the disease. Not to mention lonely patients with no means of support who find themselves confronted with inevitable daunting problems Institutions providing either temporary or permanent care for ALS patients are scarce. As the condition worsens steadily, the patient suffers sheer desperation and guilt feelings and resents being a burden for family yet would rather stay with them. ARS volunteers who collaborate with medical teams can provide much help. The carer’s burden should be greatly lightened too by the newly-installed tutorial system : patients’ files will be followed up by one single person after the center’s social worker has drawn them up. Medical and home volunteers cooperate to give the patient the feeling that far from being abandoned or ostracized by society, he/she is constantly being given care.

Keywords: Living with ALS.

* Présidente ARS (Association pour la Recherche sur la Sclérose Latérale Amyotrophique et autres maladies du motoneurone). Tirés à part : M. FUSSELLIER, ARS, 75, Avenue de la République, 75011 Paris.

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« Toutes les tragédies que l’on peut imaginer reviennent à une seule et unique tragédie : l’écoulement du temps » SIMONE WEIL

doute encore inconsciemment, que le chemin de la fin s’amorce. Le dernier tour du sablier…

Long pour l’enfant ou l’adolescent, la sensation d’écoulement du temps s’accélère progressivement avec l’avancement en âge. Le malade atteint de Sclérose Latérale Amyotrophique (SLA), lui, a l’impression d’une poussée brutale… Le sablier du temps de la vie n’aurait plus qu’une dernière rotation ! Dans sa tête, se mêlent en effet l’envie de sortir d’un cauchemar avec le rêve d’un retour en arrière, d’un « avant la maladie », la volonté de croire à la maîtrise des scientifiques sur une maladie qui n’a l’air de rien et le souhait d’en finir vite. Il pressent déjà les séquelles progressives de la SLA qui vous fabrique à petites doses comme un cercueil vivant ! Entre l’arrêt du sablier, pour, au moins, bloquer l’évolution de la maladie, et son accélération, pour se libérer de l’insupportable, la boussole temps du malade oscille. Mais la tragédie, selon les mots de Simone Weil, devient, jour après jour, plus prégnante avec cet écoulement du temps rapide et lent, mobilisant en fait tout l’espace du patient.

ACCUMULATION DES HANDICAPS

EN PLEINE VITALITÉ R. aime le sport, le ski, surtout, en compétition. Hyperactif, il pratique aussi d’autres sports, y compris les poids et haltères. Musculature imposante, R. regorge d’énergie qu’il doit absolument dépenser… Mais, subitement, des chutes viennent perturber sa pratique. Il insiste pour rester concurrentiel face à un fils de 20 ans, qui commence à lui donner du fil à retordre. Il a sa petite fierté et ne veut pas encore se laisser dépasser. Mais R. fatigue, les crampes se multiplient. Son généraliste lui prescrit vitamines, fortifiants divers et arrêt de travail. Cela ne s’arrange pas. Il se rend pour un diagnostic précis, dans un service de neurologie performant. Le couperet tombe : Sclérose Latérale Amyotrophique ! Horreur ! Mais R. n’est pas homme à se laisser abattre. Il instaure le débat avec le médecin avec de multiples questions… Les symptômes ? Les handicaps, lesquels, quand, comment ? Les traitements ? La guérison ? Combien de temps ? Les problèmes respiratoires ? La fin ? Brûlantes questions, surtout les dernières ? Le praticien tente de répondre… avec, parfois, quelques propos dilatoires ou évasifs… « Il y a des solutions ; nous les verrons en son temps ». R. écoute, prêt à suivre les conseils de l’éminent spécialiste au regard si humain, en qui il investit toute sa confiance. Malgré tout, dans sa tête, résonne une petite voix : « Et si le médecin s’était trompé : L’erreur n’est-elle pas humaine ? Mais le retour à la maison est plein d’une charge émotionnelle lourde. R. sait bien, au fond de lui-même, sans

Les symptômes témoins de l’avancée de la maladie s’annoncent comme des confirmations successives. La canne s’avère très vite un auxiliaire insuffisant. Le déambulateur, quelque temps plus tard, également. Les chutes répétées nécessitent de faire appel aux pompiers avec transferts aux urgences pour quelques points de suture, çà et là. Pour R., toujours courageux, en l’espace de quelques mois, l’évolution est impressionnante. Le voilà désormais en fauteuil roulant… Trois mois après le diagnostic, il faut retourner en service spécialisé… Le déplacement en train mobilise toutes les énergies de R. et de son entourage. Il faut arriver une heure à l’avance. La gare ne dispose pas d’un ascenseur pour accéder aux quais. Il faut pister les employés qui ont perdu, bien que prévenus, l’élévateur qu’il faut aller récupérer sur un autre quai. Stress et tension ont déjà fait leur apparition bien plus tôt car il a fallu s’occuper de R., pour la toilette, pour l’habillement, pour le petit-déjeuner. Compte tenu de la perspective de la rude journée qui s’annonçait, cela ne s’est pas bien passé. R. n’a rien pu avaler ni boire… Il faudra profiter de la durée du voyage en train, pour faire un nouvel essai d’alimentation. Entre le lever et l’arrivée dans le service, cinq heures se sont écoulées. R. est exténué. Pourtant il fera face aux prises de sang et examens divers. Pour le bilan essentiel de la valeur de capacité vitale (CV), R. s’applique à serrer ses lèvres sans parvenir à assurer l’étanchéité parfaite autour de l’embout. Cet élément permettra de dédramatiser le résultat qui indique une baisse spectaculaire de la CV et dont R. connaît bien la signification ! Après le bilan, les prescriptions s’enchaînent : Orthophoniste, kinésithérapeute, infirmière, médicaments symptomatiques, Puis R. effectue le difficile retour au domicile. Il mettra plusieurs jours à se remettre de cette exténuante journée.

JOURNÉE DE VIE AVEC LA SLA La journée s’organise autour de la maladie. Pire que l’entraînement du grand sportif, la journée est découpée en tranches très précises, quasiment minutées. L’horloge du temps qui s’écoule, impose et ordonne une série de gestes et d’actes dans une mobilisation quasi incessante. • 6 h 30. Passage infirmier : lever avec éventuellement « débranchement » de la sonde de gastrostomie et suppression de la ventilation. L’accompagnant est là pour assister le professionnel afin que s’établisse autant que possible une relation de confiance, importante pour la réalisation de soins indispensables : Bouche, peau, cuir chevelu, passage aux toilettes avec les épisodes si fréquents de constipation qui nécessitent de temps à autre l’administration de médi-

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caments spécifiques dont les effets — parfois excessifs — ne se produiront que quelques heures plus tard. La présence humaine s’impose en continu. Lit médicalisé, lève-malade toujours encombrant apportent une aide relative. Il faut être prudent dans tous les actes de mobilisation. Déplace-t-on le malade sans risque, a-t-on douceur et patience suffisantes pour permettre que se réalisent normalement toutes les fonctions du matin ? Chacun d’entre nous à ses qualités et ses défauts. Et d’un jour à l’autre, cela peut varier. On a vu une infirmière gifler un patient pourtant docile, reconnaissant, mais sans doute, ce jour-là, plus lent et contracté qu’à l’accoutumée ! D’où la nécessité impérative de la supervision de l’aidant, dans une démarche participative de soutien et non de simple contrôle ! • 8 heures. L’heure du petit-déjeuner. Il faut mobiliser toute son attention. Ni radio, ni télévision, capables de perturber ce moment difficile, d’extrême concentration. S’impose alors le choix des nutriments avec une texture adaptée et des liquides à bonne température. L’administration des médicaments demande des préparations minutieuses : solubilisés, écrasés, injectés dans la nutrition entérale si une gastrotomie a été installée et si la nature du médicament permet son administration par cette voie. Selon le choix horaire séquentiel, ou continu, de la nutrition par sonde, le malade sera branché. • 9 h 30. En fonction des saisons, des activités sont possibles et seront choisies selon les souhaits du patient. Au préalable, il faudra installer la synthèse vocale, mise en charge pendant la nuit, ranger après un nettoyage minutieux — s’il s’agit d’une pompe péristaltique poussant le mélange en container réfrigéré — les matériels nécessaires à la gastrostomie. Les poches prêtes à l’emploi sont d’un maniement plus simple, mais moins souple. Si le choix d’une sortie a été fait, il faut habiller le patient avec des vêtements confortables, amples qu’il a fallu transformer grâce à des attaches velcro pour faciliter l’habillage, éviter les torsions douloureuses des muscles affaiblis. En cas de choix télévision, il faut aider à la sélection de la chaîne, ajuster les lunettes après les avoir nettoyées. Pour la lecture, l’installation du « tourne-pages » s’avère une opération lourde, il faut être un lecteur acharné pour supporter les contraintes du tourne-pages, sorte « d’usine à gaz » rebutante pour le lecteur moyen. L’ordinateur quant à lui nécessite l’installation des annexes d’aide à la manipulation. Dans tous les cas, il faut demeurer attentif au « J’ai chaud, j’ai froid » avec les corrections qui s’imposent. De même, pour « cela me gratte » ou pour un insecte ou une mouche qui se pose sur le visage. • 12 h 30. Paradoxal et pourtant bien réel, le temps du repas fait monter l’angoisse. La maladie oblige, avec son évolution, à vivre avec des jambes qui ne fonctionnent plus, avec des gestes d’abord incertains puis inexistants… On parvient à en faire, malgré tout, bon gré, mal gré, son affaire. Mais l’abominable angoisse des repas n’a pas d’équivalent. Celui-ci représente un temps particulièrement redoutable ; éprouvant et délabrant avec la crainte perma-

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nente de l’incontrôlable fausse route et son corollaire l’étouffement. Le malade prend désespérément conscience, de la charge qu’il représente, de sa fatigue, tandis que dans le même temps, l’entourage mesure son incompétence et ses échecs en dépit de trésors d’ingéniosité. Et le regard en dit long sur cette souffrance et ce sentiment de culpabilité devant tant de dépendance ! Chaque repas met en relief l’impuissance devant la progression inexorable de la maladie où hier était mieux qu’aujourd’hui et probablement mieux que demain. La gastrostomie s’impose progressivement. On en repousse l’échéance le plus possible comme pour ralentir ce sablier de la vie qui n’a de cesse de se vider. Car accepter la gastrostomie, c’est descendre une marche supplémentaire sans possibilité de retour en arrière. Et puis il faut s’y adapter et équilibrer les dosages. Quand on y parvient enfin, tout redevient normal. L’équilibre entre calories et fibres réalisé, on met au point la périodicité des apports en accord avec le patient et les conseils techniques du praticien. Il s’agira soit d’un apport lent, unique durant la nuit laissant dans la journée une relative impression de liberté avec encore la possibilité de l’aliment-plaisir lors du repas familial, soit de l’installation d’un apport séquentiel plus physiologique durant la journée. • 14 heures. La sieste s’impose avec toute l’attention à apporter au déplacement du corps, du fauteuil au lit, grâce au lève-malade ou par manœuvre manuelle de pivotement. • 15 heures. Passage du kinésithérapeute. Temps de soulagement, de bien-être pour le malade. Encore faut-il avoir rencontré le praticien idéal, c’est-à-dire celui qui saisit exactement ce qu’il peut apporter au patient dans un registre inhabituel de la pratique de sa discipline — pas si simple d’autant qu’il sait qu’il n’aura pas de résultat — Pourtant, s’il parvient à mettre sa compétence au service du malade dans ce contexte particulier, il sera extrêmement aidant. • 16 heures. Vrai temps de répit loin des séquences de soins. La présence d’un proche, aimant, sera précieuse pour susciter l’engagement du malade dans une activité compatible avec son handicap. Il est essentiel que ce dernier ne soit pas infantilisé par l’entourage familial et amical. Il doit pouvoir trouver, au sein de son milieu de vie une activité utile, précisément, à la vie de la famille C’est dans ce sens qu’il faut s’engager pour valoriser une vie qui a tendance à s’étirer dans la tristesse et l’angoisse. C’est un temps familial dense pour le malade qui doit s’en nourrir pour retrouver des énergies lui permettant de s’inscrire dans un futur encore possible. C’est le temps de la vitalité qui s’accomplit. • 18 heures. Très vite c’est le retour à la réalité obsédante des soins, avec le passage de l’orthophoniste. Sa compétence et sa technicité professionnelles s’adaptent généralement aisément à la typologie des malades atteints de SLA. • 19 heures. Repas. • 20 heures. Passage infirmier. Toilette, pyjama, éventuellement branchement de l’alimentation par gastrotomie, préparation des médicaments qui passeront éventuellement par la sonde.

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• 22 heures. Coucher grâce au lève-malade, qui sera aussitôt mis en charge ainsi que la synthèse vocale et le fauteuil. Mise en place éventuellement de la ventilation et vérification des paramètres requis. Surveillance de l’alimentation et son déroulement selon un écoulement raisonnable. • 00h/02 heures/04 heures/06 heures. Mobilisation du malade dans son lit.

LES ÉTAPES DÉCISIVES Arrive le redoutable moment des perturbations de l’expression orale. Il nécessite de l’entourage, une extrême patience, une extrême attention pour capter le moindre mouvement de lèvres, s’habituer à quelques « vagissements » d’abord signifiants puis de moins en moins repérables. Ils déclenchent l’agacement et la révolte du malade avec l’immense tristesse dans un regard si riche, si expressif, bien au-delà de ce qu’on peut imaginer, capable de résumer tout à coup une multitude d’événements intérieurs, mieux peut-être qu’avec les moyens habituels d’évocation des sentiments et des besoins. Le regard du malade atteint de SLA est très spécial. Son expressivité est exacerbée comme si, à l’image de l’aveugle, il extériorisait des capacités nouvelles en communication. Ce malade sait aussi lire dans vos pensées ! La vie s’écoule ainsi lente, stupide, avec ses moments de désespoir, ou de rebondissement sur le handicap dans une frénésie de gestion d’actions pour mener à bien une démarche qui tient à cœur. Faire fi de la maladie, se considérant un instant guéri, puisque conservant l’autorité et la gestion de sa vie personnelle, oubliant même parfois l’affect qui le lie à celle ou celui qui l’aide, est sans doute un moment bénéfique pour l’imaginaire. Le simple fait de vivre et d’accomplir l’incontournable devient d’une telle complexité que, peut-être le patient estil amené à réorganiser son mental pour gommer ce qui est inutile ou secondaire par rapport à la simple action de vie. Les neurologues ont sans doute une autre interprétation de ce remaniement relativement fréquent. Arrive ensuite le redoutable moment des troubles respiratoires et l’implacable choix de la trachéotomie. Le clinicien y joue un rôle primordial dans la manière dont il présente les éléments, avec la nécessité d’intégrer, outre le problème médical strict, les données familiales, économiques, sociales, psychologiques. Le malade est confronté à lui-même. A-t-il vraiment envie de vivre cette expérience ? Son mental pourra-t-il supporter ce degré ultime de dépendance ? L’autre membre du couple pourra-t-il assumer ce supplément de charge ? En aura-t-il les moyens physiques ? Pourra-t-il réaliser sans répulsion certains gestes d’aspiration endotrachéales indispensables, de jour comme de nuit ne nécessitant pas, au demeurant, de compétences particulières ?

En outre, la déficience des structures d’aide oblige à une suppléance assumée financièrement à titre privé ce qui fait de la trachéotomie presque une affaire de nantis. Ces éléments sont dissuasifs et pèsent lourds sur un engagement qu’il faut de plus considérer comme définitif. Et si l’aidant tombe malade, quelles solutions ? En cas de refus de la trachéotomie, quelles ressources devant une situation d’étouffement si ce n’est le SAMU diligenté, mais non concerné dans la durée, pour une pratique radicale mais aussi définitive. C’est alors que le lien de confiance avec le neurologue du centre référent prend toute sa dimension devant une décision où l’immédiat conditionne le futur qu’il faut nécessairement intégrer, face au patient et face à l’entourage.

LA COURSE AUX SOIGNANTS COMPÉTENTS Voilà l’esquisse du portrait type du malade atteint de SLA. Une enveloppe corporelle pétrifiée, un intellect souvent intact, une capacité démultipliée de capter les sentiments et les pensées non formulés de ceux qui l’entourent. Cela explique l’ampleur des grands enjeux. Mais il ne faut pas pour autant sous-estimer l’ensemble des problèmes connexes, bien concrets à traiter. Ainsi la recherche de personnels soignants compétents et dévoués va-t-elle être essentielle. Ce n’est pas une mince entreprise surtout si on est loin d’une ville. On est aussi très surpris par la différence de qualité d’approche du patient, lorsqu’il est au centre et lorsqu’il s’en remet aux professionnels libéraux au domicile. Au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, les besoins en nursing se font de plus en plus pressants et la charge pour l’aidant de plus en plus importante : – physiquement car il faut mobiliser le patient. Et même en appliquant les techniques enseignées du pivotement, il arrive un moment où l’effort devient important pour la colonne vertébrale. L’aidant ne ressort jamais indemne de cette expérience au strict plan de sa santé. Il arrive aussi que le patient refuse l’emploi du lève-malade qui, d’ailleurs, n’est pas toujours utilisable en raison de la configuration de l’habitat ; – moralement avec ce sentiment d’impuissance devant la dégradation, largement entretenu par l’inévitable fatigue, qui va croissante au fil des semaines, des mois et des années ; – sentimentalement avec cette culpabilisation de n’avoir pas pu encore obtenir les soutiens et les aides légitimes auxquels il est possible de prétendre ; L’hospitalisation à domicile (HAD) peut prendre en charge le patient au domicile dans la stricte application des soins et interventions corporelles. Malheureusement, l’HAD fonctionne bien dans un certain nombre de grandes villes et leur périphérie proche. En campagne et dans les villes moyennes, cette solution ne fonctionne pas. Le pouvoir politique, il y a quelques années, a prôné le développement de l’HAD mais cela n’a pas été suivi d’effets spectaculaires. Depuis le 1er juillet 2005 des aides complémentaires sont possibles selon certaines conditions d’application.

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Les infirmières de ville, soumises à des quotas, répondent bien souvent par la négative, la charge étant lourde. De plus, leurs déplacements n’étant que modestement remboursés, la prise en charge d’un malade atteint de SLA n’est pas très attractive pour elles, surtout si ces déplacements sont longs. Cela reste donc une organisation particulièrement difficile à mettre en place loin des grandes villes. Certaines tâches pourraient être déléguées aux aidessoignantes. Le problème se complexifie au niveau de l’infirmière entre l’accomplissement de tâches nobles — vraies raisons de leur métier — et la réalisation de tâches annexes qu’il ne convient pourtant pas de confier à une autre catégorie socio-professionnelle. D’où difficultés là encore ! Pour ce qui est de l’intervention des para-médicaux les problèmes de recherche de praticiens — kinésithérapeute et orthophoniste — sont identiques et sont corrélés à l’éloignement. La typologie du patient atteint de SLA est telle, que ce dernier saura très vite reconnaître si les gestes pratiqués sont la simple contrepartie d’un montant de prestation ou la vraie recherche d’un apport de bien-être et d’apaisement. Supposons enfin que les problèmes infirmiers et paramédicaux soient réglés avec deux rotations d’infirmières par jour, une visite quotidienne du kinésithérapeute et un passage de l’orthophoniste, deux fois par semaine (schéma quasiment idéal) une question essentielle demeure. Que devient pendant la journée ce malade seul, installé devant son ordinateur, sa lecture avec tourne-pages, la télévision diffusant des programmes peu engageants, ou corrects si on a pris le soin d’une sélection par magnétoscope. Imaginons-le, seul, avec des lunettes qui glissent sur le nez, une subite variation de température, un insecte imprévu qui se pose sur ce corps inerte, quelques besoins qui s’annoncent impérieux… Le malade devra attendre le passage programmé en fin d’après-midi de tel ou tel, sans pouvoir remédier à quoique ce soit. La présence permanente d’un aidant est absolue nécessité.

MULTIPLES ENJEUX SANS RÉPONSES Un malade atteint de SLA impose des charges lourdes aux familles, et non par une simple présence active à ses côtés. En effet les familles sont confrontées à une multitude de problèmes tout à la fois sociaux, financiers, médicaux et affectifs. Cela va de rebutantes démarches aux appels sans réponses. Cela passe aussi par des attentes interminables où personne ne prend conscience des réalités, aux refus purs et simples accompagnés de sourires compatissants avec la fameuse formule « On n’a pas que cela à faire ! ». Pourtant on ne vient solliciter auprès de ces structures que la simple application de la mission qui leur est confiée consistant à mettre leurs compétences au service des handicapés ! On se heurte souvent aux limites infranchissables d’une technocratie administrative, sans le moindre regard humain qui ne cherche pas à faire de différence entre un malade atteint de SLA et n’importe quel individu qui entreprend une démarche administrative. Pourtant ces instances ont été largement

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informées des caractéristiques de la maladie ! On se heurte en permanence aux non-réponses : téléphone muet, absence du responsable du dossier en vacances, en RTT, en garde d’enfants le mercredi etc… On découvre l’existence de pièces manquantes au dossier sans que cela n’ait jamais été signalé, on s’aperçoit d’une erreur d’enregistrement informatique qui, bien que signalée, n’a jamais été corrigée et qui de ce fait entrave la progression du dossier avec des réunions de décisions qui ont lieu toutes les 6 semaines et… pour lui 36 mois de médiane de vie !!! Et si le patient est seul, sans ressource, que faire ? Si on est sans appui, sans relation, avec, en général, une discrétion et fierté qui forcent l’admiration, que fait-on ? Les plus démunis sont souvent les plus résignés. On en finit par conclure que la SLA — pour être vécue dignement — est une maladie pour riches, ce qui est sans doute vrai pour bien d’autres pathologies ! La vie du malade atteint de SLA suppose une organisation particulière du domicile : les escaliers sont à supprimer du parcours, salle de bains et toilettes sont à repenser. Il faut envisager des travaux parfois importants au financement problématique, sans oublier le nécessaire accord des copropriétaires pour créer un plan incliné, modifier une ouverture etc. On se frotte alors à l’égoïsme des autres qui, pourtant, inéluctablement, seront eux aussi dépendants un jour ou l’autre dans leur vie… Car nous sommes tous des handicapés en puissance ! Il faut aussi se méfier des conseils de « technicienscatalogues » pour privilégier des aménagements marqués au coin du bon sens, tenant compte de la configuration des lieux, des besoins du malade, de l’avenir. Et puis, il y a les déplacements jusqu’au lieu de travail quand c’est encore possible en début de maladie. Il faudra convaincre un patron ou directeur des ressources humaines, des nécessités d’aménagement d’horaire, de poste de travail, de niveau de responsabilité. Cela s’avère plus facile dans les administrations ou les grandes sociétés que dans les PME Les trajets vers les commerces, sources de contacts si nécessaires, passent par les indispensables parkings aménagés, l’adaptation du véhicule, et toujours la mobilisation de l’entourage pour qui plus rien n’est simple. Car il faut que la vie continue, comme avant, le plus longtemps possible.

LA VIE FAMILIALE À SAUVEGARDER La noria d’intervenants en présence de l’aidant est indispensable. Car il faut savoir réagir en leur absence toujours possible et aussi être là, si nécessaire, pour aider au bon déroulement des différentes interventions ! Mais ce défilé permanent de professionnels de santé reste difficile à supporter chez soi. Le maintien des repères d’une vie familiale et privée est également nécessaire. Il faut aussi, autant que possible, maintenir les sorties : restaurants, théâtre, vacances avec toutes les difficultés que cela comporte… Prévoir la location d’un lève-malade sur

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place, la présence des pompiers pour accéder à la salle de spectacle en étage sans ascenseur, s’enquérir de l’accès à un site quelconque… Alors quel temps personnel reste-t-il à l’aidant ? Il a des journées totalement minutées où chaque incident, même un simple appel téléphonique, est terriblement perturbateur. L’omniprésence est de règle en même temps que s’installe l’épuisement. Les nuits, du fait de leur morcellement, sont peu réparatrices. Le sommeil est souvent mauvais et rare. Pourtant la fatigue est là, bien présente, mais s’y ajoute la peur de sombrer dans un sommeil profond capable d’anéantir la vigilance. Il s’avère même impossible de bénéficier d’échappatoire pour un instant de distraction. Si la parenthèse de distraction se présente — parce que le patient est entouré et en lieu sûr — il sera impossible de profiter de la séance de cinéma avec ses acteurs préférés car l’endormissement immédiat et profond aura vite raison de l’intérêt à l’histoire ! Les amis ? Ils se découragent vite de la rencontre avec le malade car ils ne savent pas toujours quel comportement adopter. Les invitations s’estompent. Les déplacements deviennent de plus en plus difficiles. Un seul remède : inviter. Ceci veut dire intégrer dans le timing de la journée, la préparation d’un repas même sommaire ! Il faut néanmoins s’efforcer de fédérer les amis. Quelle dose d’amour faut-il à cette mère, à ce conjoint pour assumer tout cela ! Il faudrait aussi parler d’abnégation, une abnégation qui s’inscrit dans la durée et qui conduit jusqu’à l’épuisement des énergies. Là encore, le regard sur le temps prend une orientation douloureuse à la limite parfois du supportable. Mais on est là dans la meilleure des configurations quand l’amour transcende le réel avec cette interrogation lancinante du « si cela s’aggrave quelle sera ma réaction, où sont mes limites ? » Mais l’amour n’est pas toujours au rendez-vous et les limites sont vite atteintes. La maladie peut être l’occasion de faire ressurgir un contentieux vieux de plusieurs années au sein du couple, de révéler des parents qui n’ont pas envie de s’investir à plein-temps, considérant qu’ils ont déjà assez donné ou qu’ils ne sont plus en capacité. Ceci se traduit parfois par un questionnement du genre « il y en a encore pour combien de temps ? » Une telle phrase n’est jamais anodine, elle est le reflet de l’épuisement, l’envie d’une autre vie, la convoitise d’un probable héritage, à ce niveau tout est possible ! Et les uns et les autres, parents ou conjoint, dans ce cas peuvent souhaiter ardemment un placement définitif en institution. Mais les structures d’accueil de ce type sont quasiment introuvables. L’accompagnement d’un malade atteint de SLA est extrêmement exigeant. Il faut assurer avec patience tous les correctifs à apporter à des gestes maladroits qu’on croyait encore pouvoir faire, aux petites manies cristallisées et devenues irritantes. C’est une usure du quotidien ! Il ne faut pas jeter la pierre à tel conjoint qui se donne corps et âme et qui, un jour, a envie d’autre chose, face à ce corps aimé qu’il ne reconnaît plus. Et qui n’a pas « craqué » une fois parce qu’il a trop donné, trop fait et que sa survie personnelle est mena-

cée… Il faudrait pour les familles, des structures d’accueil transitoires pour qu’elles puissent bénéficier d’un peu de répit. Mais elles sont redoutablement difficiles à trouver. Il faut aussi souligner que les malades refusent parfois le placement en établissement de répit pour de multiples raisons, entre autres craintes de l’éloignement le privant de visites et peur de l’abandon. Le conjoint argumente quelquefois sur ce même registre à savoir la rareté des possibles visites à son patient, mais au fond de lui, ne se cache-t-il pas aussi l’étrange et confus sentiment de ne rien perdre de ce temps qui s’égrène trop vite ! Ceci montre l’extrême complexité de la personnalité de ces patients entraînant l’autre dans une tourmente affective et fusionnelle particulièrement difficile à assumer.

DES SOLUTIONS POURTANT ! La multitude des enjeux d’une véritable prise en charge d’un malade atteint de SLA ne trouve pas à l’heure actuelle de solutions totalement satisfaisantes. Pourtant beaucoup de points font en permanence l’objet d’améliorations : Au niveau prise en charge médicale et para-médicale où la création des centres référents se traduit par un véritable progrès avec la présence dans l’équipe soignante de bénévoles de santé capables de complémenter réellement les actes purement techniques. Au niveau administratif où, grâce au tutorat social mis en place à l’ARS, le suivi des dossiers s’effectue plus simplement, le patient n’ayant qu’un interlocuteur lequel est en prise directe avec le secteur social du centre, responsable des demandes engagées. Au niveau financier, à ce niveau il n’existe pas d’organisme unique réglant les problèmes. Une multitude de petites aides peuvent être glanées ça et là avec l’aide de l’association. L’ARS au sein même des Centres apporte d’ores et déjà des avancées considérables en termes de mieux-être des patients. Ils savent désormais très vite — même s’ils n’y ont pas recours immédiatement — que l’association pour eux, est un recours immédiat, un relais essentiel. Au travers des bénévoles de Centres et de Proximité, les malades se sentent écoutés et compris dans leur globalité, respectés comme individus citoyens. Même sans technicité particulière, ils disposent à travers eux de relais essentiels pour « débrouiller » une multitude de situations nouvelles auxquelles ils sont ou vont être confrontés. Ils comprennent que ces bénévoles sont à leur disposition pour les informer, les rassurer, les accompagner tout au long de cet exténuant parcours. Ils savent que ceux-ci sauront entreprendre toutes actions pour que la société se mette à leur service et pour sauvegarder leur dignité à vivre. L’enquête auprès des patients et des familles confirme sans réserve qu’en quelques années l’ARS a su se mettre à leur service, en s’efforçant d’être au plus près d’eux dans la réponse à leurs attentes.

M. FUSSELLIER