Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique (2010) 96, 191—198
MÉMOIRE ORIGINAL
Terrible triade du coude : description et prise en charge夽 Terrible triad injury of the elbow: How to improve outcomes? B. Chemama , N. Bonnevialle , O. Peter , P. Mansat ∗, P. Bonnevialle Service d’orthopédie-traumatologie, urgences-main, CHU de Toulouse—Purpan, place du Dr-Baylac, 31059, Toulouse, France Acceptation définitive le : 18 novembre 2009
MOTS CLÉS Coude ; Luxation ; Tête radiale ; Coronoïde
Résumé Introduction. — La triade malheureuse du coude (TMC) associe une luxation du coude, une fracture de la tête radiale et du processus coronoïde. L’objectif de l’étude était de valider notre prise en charge thérapeutique. Patients et méthode. — Vingt-trois TMC chez 22 patients, 15 hommes et sept femmes d’âge moyen 46 ans ont été prises en charge. Une ostéosynthèse de la tête radiale a été effectuée dans 13 cas et une arthroplastie dans quatre. Le processus coronoïde a été ostéosynthésé dans dix cas. Tous les arrachements ligamentaires ont été réparés soit 19 latéraux et six médiaux. Résultats. — Treize patients (14 coudes) ont pu être revus avec un recul moyen de 63 mois, quatre patients au recul moyen de 11 mois et minimum six mois et cinq patients ont été totalement perdus de vue. Tous les patients avaient un coude stable et 90 % étaient peu ou pas douloureux. L’arc d’extension-flexion s’étendait de 18 à 127◦ et l’arc de pronosupination était de 134◦ . Le score de la Mayo pour le coude était de 87 points. Un seul patient présentait de l’arthrose et tous avaient un coude centré sur les radiographies. Les plus mauvais résultats correspondaient aux fractures Mason 3 de la tête radiale. Discussion et conclusion. — Le principe du traitement repose sur deux points principaux : restaurer les structures osseuses stabilisatrices (tête radiale et processus coronoïde) et réparer le ligament collatéral latéral. Un abord médial semble indiquer en cas d’instabilité persistante postérolatérale après réparation du ligament collatéral latéral ou en cas d’un fragment volumineux du processus coronoïde à synthéser. Le fixateur externe n’est indiqué en urgence qu’en cas d’instabilité persistante après reconstruction des éléments osseux et ligamentaires. Type d’étude. — Type IV : étude rétrospective. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
DOI de l’article original : 10.1016/j.otsr.2009.11.009. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Orthopaedics & Traumatology: Surgery & Research, en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P. Mansat). 夽
1877-0517/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rcot.2010.02.008
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Introduction La luxation postérolatérale du coude représente l’épisode d’instabilité aiguë le plus fréquent et fait suite à un traumatisme en valgus du coude, supination de l’avant-bras, et compression axiale [1,2]. Ce traumatisme va induire une lésion du complexe ligamentaire collatéral radial, qui va s’étendre vers la capsule, pour atteindre le compartiment ligamentaire collatéral ulnaire [2]. Le traitement en urgence conditionne la qualité du résultat final [1]. Les luxations complexes du coude associent aux lésions ligamentaires, des fractures de la tête radiale, du processus coronoïde, de l’olécrâne ou des épicondyles [3]. Le terme de « terrible triade » utilisé par Hotchkiss pour le coude associe à la luxation du coude, des fractures de la tête radiale et du processus coronoïde [4]. Le risque d’instabilité persistante ou d’arthrose semble particulièrement élevé. L’objectif principal, devant ce type de lésions, est la restauration de ces éléments osseux de la stabilité du coude, pour convertir une luxation complexe, en une luxation simple. Cependant, la reconnaissance de ces lésions est difficile et leurs prises en charge en urgence vont conditionner le pronostic final [5]. Si les principes de ce traitement ont été bien précisés par McKee et al. [6] et Ring et al. [7], peu de séries cliniques ont été rapportées dans la littérature. Le but de notre travail est de rapporter notre expérience concernant la gestion de cette forme clinique pour préciser les éléments diagnostiques et thérapeutiques, et évaluer la qualité des résultats.
Patients et méthodes Patients Sur une période de dix ans, entre 1996 et 2006, 22 patients présentant une luxation du coude associée à une fracture de la tête radiale et du processus coronoïde ont été identifiés, et leur résultat clinique a été évalué rétrospectivement. Il s’agissait de 15 hommes et de sept femmes, de 46 ans de moyenne d’âge au moment du traumatisme (extrêmes, 26 et 75 ans). Un patient présentait une atteinte bilatérale, soit un total de 23 terribles triades évaluées. Le traumatisme initial était survenu dans le cadre d’un accident de la voie publique pour sept, à la suite d’une chute de vélo pour cinq, d’une chute d’un lieu élevé pour quatre, d’un accident de sport pour trois et d’une chute d’origine mécanique pour trois patients. Tous les patients ont été évalués en urgence. Toutes les luxations étaient fermées et aucune complication vasculonerveuse n’était notée. Le bilan initial comportait une radiographie du coude de face et de profil pour préciser les lésions osseuses associées à la luxation. Dans tous les cas, il s’agissait d’une luxation postérolatérale du coude associée à une fracture de la tête radiale et du processus coronoïde. Les fractures de la tête radiale étaient classées selon la classification de Mason modifiée par Johnston [8] : • type 1 : fracture strictement non déplacée ; • type 2 : fracture déplacée non comminutive ; • type 3 : fracture comminutive.
B. Chemama et al. Dans notre série, il existait deux fractures de type 1, neuf fractures de type 2, dix fractures de type 3 et deux fractures du col du radius. Les fractures du processus coronoïde ont été classées selon la classification de Regan et Morrey [9] qui distingue trois types différents de fracture : • type 1 : fracture de la pointe ; • type 2 : fracture inférieure à 50 % de la hauteur du processus coronoïde ; • type 3 : fracture supérieure ou égale à 50 % de la hauteur du processus coronoïde. Selon cette classification, il existait 16 fractures de type 1 et sept fractures de type 2. Il n’existait pas de fracture de type 3. (Fig. 1 et 2).
Technique chirurgicale Tous les patients ont été opérés en urgence, après réduction de la luxation au bloc opératoire sous anesthésie et contrôle par amplificateur de brillance, puis la stabilité était évaluée. Dans tous les cas, un abord latéral a été effectué passant dans l’intervalle de Kocher, entre les muscles extenseurs ulnaires du carpe et anconé. Dans neuf cas, cette voie latérale était associée à une voie médiale, permettant un accès plus facile au processus coronoïde et dans le même temps au ligament collatéral ulnaire. Enfin, dans deux cas, une voie antérieure transbrachiale selon Ameur et al. [10] a été utilisée en association, pour la synthèse du processus coronoïde. Aucun abord postérieur n’a été effectué. L’exploration chirurgicale a permis de constater une lésion constante du plan ligamentaire radial, désinséré de l’humérus dans tous les cas. Sur les neuf coudes abordés par voie médiale, le ligament collatéral ulnaire était lésé dans six cas. La tête radiale a été ostéosynthésée dans 13 cas correspondant à sept fractures de type 2, quatre fractures de type 3 et les deux fractures du col. La synthèse a été effectuée par des vis mini-fragments de 2,0 mm de diamètre dans tous les cas, sauf les deux fractures du col du radius qui ont été synthésées par deux mini-plaques en T. Pour quatre fractures de type 3 non reconstructibles, une prothèse de tête radiale GUEPAR (Depuy) modulaire et bipolaire a été utilisée dans trois cas, et une prothèse monobloc métallique type Swanson dans un cas (Wright Medical). Enfin, dans quatre cas de fracture de type 3, une résection de tête radiale a été effectuée. Deux résections étaient partielles (< 30 %) et deux étaient totales. Les deux résections totales ont induit une instabilité huméro-ulnaire majeure qui a nécessité la mise en place d’une broche de stabilisation huméro-ulnaire. Concernant le processus coronoïde, dix fractures de type 1 ont été négligées. Pour dix autres patients, une ostéosynthèse a été réalisée, par voie latérale dans trois cas, par voie médiale dans cinq cas et par voie antérieure dans deux cas. Pour cinq patients, la fracture était de type 1, et la synthèse a consisté en un lac ¸age transosseux appuyé sur l’olécrâne dans trois cas (voie latérale une fois, voie médiale deux fois), et une réinsertion par ancre dans deux cas (voie latérale une fois, voie médiale
Terrible triade du coude
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Figures 1—2 Luxation postérolatérale du coude avec fracture de la tête radiale (type 2) et du processus coronoïde (type 2) de profil (Fig. 1) et de face (Fig. 2).
une fois). Pour cinq autres patients, la fracture était de type 2 et une ostéosynthèse par vissage antérograde antéropostérieur a été pratiquée quatre fois (voie latérale une fois, voie médiale une fois, voie antérieure une fois), et une plaque console antéromédiale a été utilisée une fois par voie médiale. Enfin, une résection du fragment de coronoïde a été effectuée dans trois cas (un type 1 et deux types 2). (Fig. 3). Tous les ligaments collatéraux radiaux et ulnaires lésés ont bénéficié d’une réparation par suture transosseuse selon la technique d’Osborne et Cotterill [11], ou par ancres résorbables. (Tableau 1).
Prise en charge post-opératoire Le coude était immobilisé par une orthèse statique maintenant le coude à 90◦ de flexion, pendant 15 jours. En cas de suture isolée du ligament collatéral radial, l’avant-bras était positionné en pronation. En cas de suture associée du ligament collatéral ulnaire, l’avant-bras était immobilisé en position neutre. Au bout de 15 jours, une orthèse articulée était mise en place permettant de débuter la rééducation en flexion-extension et en pronosupination, tout en limitant volontairement l’extension à 30◦ pendant quatre semaines. Passé ce délai, l’orthèse était définitivement retirée. La
Figure 3 Résultats radiographiques à un an, après réduction sanglante de la luxation du coude, ostéosynthèse de la tête radiale et réfection du plan ligamentaire radial par un abord chirurgical latéral, et ostéosynthèse du processus coronoïde et réfection du plan ligamentaire ulnaire par un abord chirurgical médial.
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Tableau 1 Âge
Présentation de la série de patients revus. Sexe
Recul (mois)
Trauma
Fr TR
Fr CR
Abord
Traitement
Traitement
TR
CR
MEPS
Ext-Flex
P/S
(en degrè)
(en degrè)
Rév
Arthrose
1
47
M
94
Chute lieu élevé
3
1
Lat
Prothèse
Orthopédique
85
−35/140
50/30
1b
1b
2
39
M
75
AVP 4R
2
1
Lat et méd
Vis
Lac ¸age
85
−10/130
80/80
0a
0a
3
48
M
72
AVP (vélo)
1
2
Méd et lat
Orthopédique
Plaque
100
0/140
80/80
0a
0a
4
46
M
120
Chute
2
2
Lat et méd
Résection
85
−20/130
80/80
0a
0a
5
50
M
105
Chute
2
1
Lat
Orthopédique
85
−30/135
80/80
0a
0a
6
52
F
24
Chute lieu élevé
3
1
Lat
Résection partielle Résection partielle Prothèse
Orthopédique
95
−35/120
85/50
0a
0a
7
40
M
70
AVP 2R
3
2
Lat et ant
Broche
Vis
90
−25/120
60/60
0a
0a
8
30
M
52
AVP 4R
2
1
Lat et méd
Vis
Suture par ancres
100
−5/135
80/60
0a
0a
9
30
M
52
AVP 4R
3
1
Lat
Prothèse
Orthopédique
85
−15/125
70/50
0a
0a
10
40
M
33
Chute lieu élevé
4
2
Lat
Plaque + Vis
Vis
0/140
80/80
0a
0a
11
26
M
19
AVP 4R
3
1
Lat
Vis
Orthopédique
85
−10/150
50/50
0a
0a
12
29
M
14
Sport
3
1
Lat
Prothèse
75
−50/90
50/30
0a
0a
13
41
F
24
Chute
3
1
Lat
0/130
80/80
0a
0a
14
44
M
5
Chute lieu élevé
2
1
Lat
Résection partielle + Vis Vis
Orthopédique + Fix Ext (3 sem) uture par ancres
−35/115
80/60
1b
0a
Orthopédique
100
100 85
M : masculin ; F : féminin ; Fr TR : fracture de tête radiale selon Mason/Johnston [8] ; Fr CR : fracture processus coronoïde selon Regan et Morrey [9] ; Lat : latéral ; Méd : médial ; Ant : antérieur ; MEPS : Mayo elbow performance score [12] ; P/S : pronation/supination ; Rév : révision. a 0 : pas d’arthrose. b 1 : arthrose.
B. Chemama et al.
Terrible triade du coude
Figure 4 Luxation postérieure du coude avec fracture de la tête radiale (type 3) et du processus coronoïde (type 1).
195 et réinsertion du ligament collatéral latéral. La coronoïde était de type 1 et avait été ignorée. La voie d’abord était latérale isolée. Cette instabilité persistante a nécessité une reprise chirurgicale à un mois par une voie d’abord médiale permettant de constater une désinsertion du ligament collatéral ulnaire qui a été réparé ; en protection, un fixateur externe a été mis en place en fin d’intervention. Un patient a présenté une complication tardive : il s’agissait d’un homme de 47 ans avec une fracture de type 3 de la tête radiale et de type 1 de la coronoïde. Une prothèse de tête radiale type Swanson métallique avait alors été mise en place par abord latéral. Six mois plus tard, la prothèse a dû être retirée pour douleurs importantes sur la colonne latérale. Une arthrolyse antérieure a été associée à cette ablation prothétique. Six mois plus tard, un conflit ulnocarpien est apparu, par inversion de l’index radio-ulnaire distal, nécessitant la réalisation d’une ostéotomie d’accourcissement de l’ulna.
Résultats globaux mobilisation précoce en flexion-extension était débutée dès le 15e jour, de préférence en actif, pour recruter les muscles stabilisateurs dynamiques de l’articulation. Cette mobilisation était effectuée l’avant-bras en pronation pour protéger les structures ligamentaires latérales. Les mouvements de pronation et supination était également autorisés en actif le coude en flexion à 90◦ . Jusqu’à la sixième semaine, l’extension maximale était limitée, pour éviter la position luxante, le patient n’étant autorisé d’aller que jusqu’à 30 ou 60◦ en fonction de l’évaluation de la stabilité du coude après réduction. Après la période de cicatrisation, les amplitudes maximales étaient travaillées toujours en actif aidées par des exercices de posture. Un programme de renforcement musculaire était ensuite effectué à partir du troisième mois post-traumatique pour renforcer le rôle stabilisateur des muscles périarticulaires.
Méthode d’évaluation Treize patients (14 coudes) ont pu être revus à la consultation au recul moyen de 63 mois (extrêmes, 15 et 128 mois) et ont été évalués cliniquement et radiographiquement. Quatre autres patients ont été évalués par téléphone au recul moyen de 11 mois (extrêmes, six et 18 mois) et ont envoyé leur bilan radiographique. Cinq autres patients ont été perdus de vue. Les patients ont été évalués sur le plan clinique selon le score de la Mayo Clinic pour le coude, évaluant la douleur, la mobilité, la stabilité et la fonction [12]. Un bilan radiographique du coude, avec un cliché de face et un cliché de profil était également effectué au dernier recul.
Le score Mayo Clinic pour le coude, évalué chez 13 patients (14 coudes), était de 87 points en moyenne avec des extrêmes allant de 75 à 100 points. Il s’agissait de quatre résultats excellents et dix bons.
Résultats cliniques Onze patients n’avaient aucune douleur et sept des douleurs minimes. Aucun n’avait de douleurs sévères. La flexion moyenne obtenue au recul était de 127◦ avec des extrêmes allant de 90 à 140◦ . L’extension moyenne retrouvée était déficitaire de 18◦ avec des extrêmes allant de 0 à 80◦ de déficit. La pronation moyenne était de 70◦ (extrêmes, 30 et 85◦ ) et la supination de 64◦ (extrêmes, 30 et 80◦ ). Les plus mauvais résultats, concernant la pronosupination, correspondaient aux fractures de tête radiale de type 3 avec un arc de mobilité moyen de 60◦ en pronation et 50◦ en supination. Tous les coudes étaient stables en flexion-extension et en varus-valgus.
Résultats radiographiques
Résultats
Une radiographie du coude de face et de profil a été systématiquement réalisée chez les patients revus ou évalués par téléphone (18 coudes). Tous les coudes étaient centrés sur les incidences radiographiques (Fig. 4 et 5). Seul un patient présentait de l’arthrose huméro-ulnaire. Il s’agissait du patient ayant présenté un conflit ulnocarpien dans les suites de l’ablation de la prothèse de tête radiale. Huit ans après le traumatisme, il se plaignait de douleurs antérieures et médiales. La radiographie confirmait un pincement de l’interligne huméro-ulnaire.
Complications
Discussion
Une seule complication immédiate a été retrouvée : il s’agissait d’un patient de 44 ans qui a présenté une instabilité persistante, dans le plan sagittal et frontal, après ostéosynthèse d’une fracture de type 2 de la tête radiale
La terrible triade du coude a été individualisée en tant qu’entité clinique par Hochkiss en 1996 [4]. Il s’agit d’une atteinte rare, ne représentant que 10 % des fractures de la tête radiale dans l’étude épidémiologique de van Riet et
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B. Chemama et al.
Figure 5 Résultats radiographiques à quatre ans de face (A), de profil (B) et sur une incidence oblique à 45◦ (C) ; la tête radiale a été remplacée par une prothèse et la fracture du processus coronoïde a été négligée.
Morrey [13]. Dans la série multicentrique du GEEC 2008, Pierrart et al. rapportent une incidence de 26 cas sur 229 luxations du coude (11 %) [14]. Cette association lésionnelle pose un problème diagnostique et thérapeutique. Une luxation complexe du coude doit être considérée comme une terrible triade jusqu’à preuve du contraire, car une méconnaissance de cette forme clinique aura des conséquences majeures sur la fonction ultérieure du coude. Un bilan tomodensitométrique doit être la règle après réduction de la luxation pour évaluer les différentes lésions osseuses et planifier la prise en charge thérapeutique [1,5,7,15]. Le traitement est chirurgical et il n’y a pas de place pour le traitement orthopédique compte tenu de la grande instabilité de cette forme clinique. Le principe du traitement repose sur deux points principaux : restaurer les structures osseuses stabilisatrices (tête radiale et processus coronoïde) et réparer le ligament collatéral radial [3,6,7,15]. Les premières séries publiées sur les luxations du coude associées à des fractures ne concernent initialement que les fractures de la tête radiale [9,16,17]. Après réduction de la luxation, de nombreux auteurs recommandent l’excision complète de la tête radiale en urgence. Cependant, Broberg et Morrey [16], ainsi que Josefsson et al. [17], soulignent le risque d’instabilité et d’arthrose avec cette attitude systématique. Dans la littérature franc ¸aise, Heim [18] rapporte les résultats de l’expérience suisse sur la prise en charge des fractures autour du coude : l’arthrose sévère et l’instabilité en valgus représentent les complications principales des terribles triades après résection simple de la tête radiale. Plus récemment, Ring et al. [7] en 2002 ont publié les résultats d’une série de 11 patients présentant une terrible triade du coude, revus avec un recul moyen de sept ans. Pour quatre patients, une résection complète de la tête radiale a été réalisée et le ligament collatéral latéral n’a pas été réparé chez trois patients. Sur les 11 patients, cinq ont présenté une instabilité récidivante, dont quatre après une résection de la tête radiale. Sept patients ont développé une arthrose huméro-ulnaire au recul. Les auteurs préconisent la reconstruction systématique de la tête radiale, du processus coronoïde et du plan ligamentaire latéral pour limiter les complications. Dans notre série, quatre têtes radiales ont été réséquées : deux résections partielles emportant moins
de 30 % de la surface articulaire, sans conséquence pour la stabilité et deux résections totales ayant entraîné une instabilité peropératoire majeure nécessitant une stabilisation complémentaire par brochage huméro-ulnaire. Ainsi, il semble bien admis que les fractures de tête radiale de type 2 et dans les limites du possible les fractures de type 3 doivent être conservées et bénéficier d’une ostéosynthèse dans les terribles triades. Les fractures non déplacées de type 1 peuvent être négligées. En revanche, les fractures de type 3 non reconstructibles doivent être remplacées par une prothèse de tête radiale pour reconstruire la colonne de stabilité latérale comme l’ont péconisée plusieurs auteurs [19—22]. Le processus coronoïde est l’élément clé de la stabilité de l’articulation huméro-ulnaire. D’après les travaux de Morrey et An [23], 50 % de la hauteur du processus coronoïde est nécessaire pour assurer la stabilité sagittale huméro-ulnaire. Dans les terribles triades, la majorité des fractures du processus coronoïde sont de type 1 comme le confirment les séries de Doornberg et al. [24] et Pierrart et al. [14]. Ces fractures peuvent être négligées, même si certains auteurs préconisent une réinsertion capsulaire par ancre en excisant ou non le fragment de pointe, ou un lac ¸age rétrograde appuyé sur l’olécrâne. Les fractures de type 2 et 3 nécessitent une ostéosynthèse stable par vis ou plaque. Cette synthèse peut être effectuée par voie latérale après résection de la tête radiale, par voie médiale ou par voie antérieure. Armstrong [5] et Ring et al. [7] préconisent un abord cutané unique postérieur permettant d’aborder la colonne latérale et la colonne médiale. Dans notre série, dix fractures de type 1 ont été ignorées et cinq ont été fixées par lac ¸age ou ancres. Deux fractures de type 2 ont été vissées par voie médiale, deux autres par voie antérieure et une dernière par voie latérale. Dans la série du GEEC 2008 [14], 13 des 14 fractures de type 1 ont été négligées, de même que les deux fractures de type 2. Seule une fracture de type 1 a été suturée et deux de type 3 ont été vissées. Osborne et Cotterill [11] ont été les premiers à décrire la technique de réinsertion du plan ligamentaire latéral du coude dans les instabilités. Dans leur série, McKee et al. [25] retrouvent une désinsertion du complexe ligamentaire radial dans 100 % des cas, ce que confirme notre étude. Amstrong
Terrible triade du coude [5] constate également la fréquence de cette lésion ligamentaire et préconise une suture du ligament par des points transosseux. Ce ligament étant isométrique, il est nécessaire de réaliser une réinsertion soigneuse au niveau du centre de rotation du coude, situé au centre de l’épicondyle latéral, pour éviter toute instabilité en varus ou postérolatérale [26]. L’abord systématique du plan ligamentaire ulnaire reste un sujet de controverse. Pugh et al. [15] ont récemment publié les résultats de la prise en charge de 36 terribles triades. Une voie latérale isolée a été utilisée dans 26 cas. Le processus coronoïde a été ostéosynthésé en premier, par lac ¸age pour les types 1 et par vissage rétrograde pour les types 2 et 3. La tête radiale a été ostéosynthésée dans 16 cas et une prothèse a été mise en place dans 20 cas. Après la réparation du plan ligamentaire latéral, la stabilité du coude a été testée dans le secteur de flexion-extension. S’il n’existait pas d’instabilité, un abord médial n’était pas effectué. En cas d’instabilité, un abord médial était effectué pour réparer le plan ligamentaire et un fixateur externe était mis en place dans certains cas. Les auteurs préconisent l’abord systématique par voie latérale, la synthèse du processus coronoïde et l’ostéosynthèse ou le remplacement de la tête radiale. La décision de réaliser un abord médial n’est prise qu’en cas d’instabilité sagittale persistante après réparation des structures osseuses et du ligament collatéral radial. Une instabilité isolée frontale, en valgus, n’est pas pour les auteurs, une indication de réparation systématique du ligament collatéral médial dans la mesure où le coude reste stable en flexion-extension. Il en est de même pour Amstrong [5]. Dans notre série, sur les neuf coudes abordés par voie médiale, six présentaient une lésion du ligament collatéral ulnaire. Dans tous les cas, la décision d’aborder le plan médial a été prise devant la persistance d’une instabilité en flexion-extension et/ou d’une grande instabilité en valgus après réparation des structures latérales : la tête radiale et le ligament collatéral radial. L’objectif est d’obtenir une stabilité sagittale dans un arc de mobilité s’étendant de 30 à 130◦ de flexion. Si l’instabilité persiste malgré la réparation du plan ligamentaire médial, la mise en place d’un fixateur externe du coude s’impose. Cobb et Morrey [27] puis McKee et al. [28] ont souligné l’intérêt de l’utilisation du fixateur externe dans le traitement des traumatismes complexes du coude. Plus récemment, Zeiders et Patel [29] intègrent le fixateur externe dans un arbre décisionnel lorsqu’après réparation des structures ligamentaires et osseuses, la stabilité n’est pas suffisante pour permettre une mobilisation complète. Il s’agit classiquement de fixateurs externes articulés, centrés sur le centre de rotation du coude. Les différents auteurs soulignent l’intérêt d’assurer la stabilité du coude tout en permettant de protéger les ostéosynthèses et les réparations ligamentaires. Le fixateur permet une mobilisation précoce dans un secteur protégé pour limiter le risque de raideur secondaire [14,29—31]. Le fixateur externe est également utilisé dans les reprises chirurgicales pour le traitement des instabilités persistantes, comme cela a été le cas dans notre série. Dans notre série, il existait deux cas d’instabilité après résection de la tête radiale qui ont nécessité un brochage huméro-ulnaire provisoire de stabilisation avec des résultats décevants sur la mobilité articulaire post-opératoire.
197 Un autre patient a présenté une instabilité persistante, dans le plan sagittal et frontal, après ostéosynthèse d’une fracture de type 2 de la tête radiale, réinsertion du ligament collatéral latéral. La fracture du processus coronoïde avait été ignorée. Cette instabilité persistante a nécessité une reprise chirurgicale par une voie d’abord médiale permettant de constater une désinsertion du ligament collatéral ulnaire qui a été réparé et un fixateur externe a été mis en place. La luxation du coude associée à une fracture de la tête radiale et du processus coronoïde, ou terrible triade, représente un traumatisme complexe du coude dont la prise en charge entraîne des résultats qui peuvent être aléatoires. Ring et al. [7] en 2002 analysaient le résultat du traitement de 11 patients. Sept coudes se reluxaient sous plâtre, après simple réduction. Cinq, dont quatre avec une résection de la tête radiale, se reluxaient après le traitement chirurgical. Au recul, trois sur 11 patients étaient considérés comme un échec thérapeutique. Sur les huit patients restants, évalués à sept ans de recul moyen, l’arc de mobilité en flexionextension était de 92◦ avec un arc de rotation de 126◦ . Le score de la Mayo Clinic atteignait 76 points. Le résultat était jugé non satisfaisant dans sept cas sur 11. En 2004, Pugh et al. [15] publiaient les résultats du traitement de 36 terribles triades avec une prise en charge plus codifiée. Au recul de trois ans, le score de la Mayo Clinic atteignait 88 points, avec un arc de mobilité s’étendant de 19◦ de déficit d’extension à 131◦ de flexion. L’arc de pronosupination atteignait 136◦ . Il existait huit (22 %) complications dont quatre cas de raideur, un cas d’instabilité postérolatérale et deux cas de synostose radio-ulnaire proximale. Une arthrose huméroulnaire était présente dans 17 % des cas. Le taux de résultats satisfaisants atteignait 78 %. Dans la série du GEEC 2008, Pierrart et al. [14] rapportaient 14 résultats satisfaisants et quatre résultats insuffisants. Le score de la Mayo Clinic était de 78 points. La flexion moyenne était de 135◦ , tandis que le déficit moyen d’extension était de 20◦ . Quatre-vingtneuf pour cent des patients avaient une pronation normale et 78 % une supination normale. Au recul, un patient sur 17 présentait un coude non centré, un autre présentait une pseudarthrose de la tête radiale et six une pseudarthrose du processus coronoïde. Une arthrose était présente chez neuf des 17 patients évalués. Il existait cinq complications précoces (deux luxations huméro-radiales de prothèse, deux désunions cutanées, une luxation huméro-ulnaire) et trois complications tardives (une synostose radio-ulnaire proximale, une souffrance du nerf ulnaire, et une souffrance cutanée).
Conclusion La terrible triade du coude est la forme la plus complexe des luxations, car elle associe aux lésions ligamentaires, une fracture de la tête radiale et du processus coronoïde. Une luxation complexe du coude doit être considérée comme une terrible triade jusqu’à preuve du contraire, car une méconnaissance de cette forme clinique aura des conséquences majeures sur la fonction ultérieure du coude. Un bilan tomodensitométrique doit être la règle après réduction de la luxation pour évaluer les différentes lésions osseuses. Le principe du traitement repose sur deux points principaux :
198 restaurer les structures osseuses stabilisatrices (tête radiale et processus coronoïde) et réparer le ligament collatéral radial. La résection isolée de la tête radiale est à proscrire en raison de son mauvais pronostic à court et long termes et un remplacement arthroplastique doit être effectué si la tête radiale n’est pas reconstructible par une ostéosynthèse fiable. Un abord médial est indiqué en cas d’instabilité persistante postérolatérale après réparation du ligament collatéral radial ou en cas d’un fragment volumineux du processus coronoïde à synthéser. Le fixateur externe est indiqué en urgence en cas d’instabilité persistante après reconstruction des éléments osseux et ligamentaires. Il permet de stabiliser l’articulation, de protéger les réparations et permettre une mobilisation précoce. Cependant, certains auteurs préconisent l’utilisation systématique du fixateur externe, car il permet de maintenir le coude en position de réduction et de débuter une mobilisation précoce dans un secteur protégé tout en protégeant la cicatrisation des structures ligamentaires et la consolidation des différentes fractures.
Conflit d’intérêt Aucun.
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