Cas cliniques Thrombose me´sente´rique et aortique aigue¨ lie´e a` un de´ficit en antithrombine : une incidence rare Domenico Calcaterra,1 Je´re´mie T. Martin,2 Antoine M. Ferneini,3 Ralph W. De Natale,3 Iowa City, IA et New Haven, CT, Etats-Unis
L’antithrombine est un inhibiteur efficace de la cascade de la coagulation exerc¸ant ses effets primaires sur les facteurs active´s X, IX et II. C’est le me´canisme par lequel l’he´parine et l’he´parine de bas poids mole´culaire exercent l’anti-coagulation. Le de´ficit en antithrombine se pre´sente comme un e´tat d’hypercoagulation, et peut avoir comme conse´quence une thrombose veineuse profonde inexplique´e, une thrombose arte´rielle et un embole syste´mique.
OBSERVATION Un homme Afro-ame´ricain de 24 ans s’est pre´sente´ au service des urgences se plaignant de douleur pe´ri-ombilicale, nause´e, et vomissement se´ve`res, dans les suites d’une partie de football pendant laquelle il avait rec¸u un coup dans le dos. A l’admission, il e´tait diaphore´tique mais non ` l’examen physique, il pre´sentait une douleur fe´brile. A e´pigastrique et sous-costale droite. Il n’avait aucun ante´ce´dent me´dical ou chirurgical significatif. Il rapportait que sa me`re e´tait de´ce´de´e jeune suivant une « infection digestive » et des ope´rations multiples. Les examens biologiques e´taient significatifs avec une hyperleucocytose a` 15800 / ml, un he´matocrite a` 50%, et une fonction re´nale normale. Le scanner a` l’admission e´tait compatible avec un infarctus du rein droit (Fig. 1). Durant la nuit, il commenc¸ait a` se plaindre d’une aggravation de la douleur abdominale et son examen physique e´tait de´te´riore´. Un nouveau scanner indiquait, en plus de l’infarctus re´nal droit pre´existent, une prise de contraste
DOI of original article: 10.1016/j.avsg.2009.07.028. 1 Universite´ de l’Iowa, Carver College of Medicine, Iowa City, IA, USA. 2
Hoˆpital Saint Raphael, New Haven, CT, USA. Hoˆpital Saint Raphael -Yale/ Hoˆpital de New Haven, New Haven, CT, USA. 3
Correspondance : Domenico Calcaterra, MD, PhD, Department of Cardiothoracic Surgery, University of Iowa, Carver College of Medicine, Iowa City, IA 52242, USA, E-mail:
[email protected] Ann Vasc Surg 2010; 24: 415.e5-415.e7 DOI: 10.1016/j.acvfr.2010.09.023 Ó Annals of Vascular Surgery Inc. E´dite´ par ELSEVIER MASSON SAS
dans des anses greˆles e´paissies (Figs. 2 et 3). En outre, un thrombus de l’arte`re me´sente´rique supe´rieure (AMS) e´tait note´. Le patient a e´te´ transporte´ en urgence en salle d’ope´ration. Une laparotomie exploratrice avec embolectomie et angioplastie par un patch de l’AMS a e´te´ effectue´e. En perope´ratoire, la pre´sence d’un embole dans l’AMS a` approximativement 1cm de sa racine e´tait confirme´e. L’embolectomie a e´te´ exe´cute´e avec succe`s avec un bon flux distal palpable. Cependant, un segment de 10 a` 15 cm d’intestin greˆle proximal apparaissait a` risque de le´sions ische´miques. Le patient a e´te´ transfe´re´ intube´ a` l’unite´ de soins intensifs (USI) en vue d’une laparotomie de « deuxie`me-look ». Au « deuxie`me-look », les intestins semblaient viables en de´pit de la pre´sence d’un e´paississement palpable. L’e´chocardiographie transesophagienne (ETO) perope´ratoire e´tait re´alise´e, et la pre´sence d’un grand, thrombus fixe et adhe´rant de l’aorte thoracique descendante e´tait diagnostique´ (Fig. 4). L’abdomen e´tait ferme´ et le patient est retourne´ en USI. Une anti-coagulation efficace par de l’he´parine intraveineuse e´tait de´bute´e mais, en de´pit des doses croissantes d’he´parine, le temps de thromboplastine partiel active´ (TTPa) demeurait inefficace. Un de´ficit en antithrombine (AT) e´tait conside´re´ comme la cause la plus probable et, tout en attendant les re´sultats finaux des premie`res analyses de sang, le patient a rec¸u une transfusion de plasma frais congele´ (2 unite´s, deux fois par jour) en plus de l’he´parine intraveineuse. Le TTPa a rapidement atteint des niveaux the´rapeutiques. Les analyses de facteur de coagulation se sont re´ve´le´es dans des limites normales, excepte´ l’AT-III, qui e´tait a` 65% de la normale (valeurs normales, 80% a` 120%). Le diagnostic e´tant confirme´, le patient a e´te´ mis sous warfarine et sous transfusion de
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Fig. 1. Scanner a` l’admission montrant un infarctus du rein droit. plasma frais congele´ (PFC) deux fois par jour en plus de l’injection the´rapeutique d’he´parine. Une fois que l’INR e´tait en zone the´rapeutique, l’he´parine et les PFC ont e´te´ arreˆte´s, et le patient est sorti pour son domicile. Quatre semaines plus tard, il a e´te´ re´admis avec une douleur abdominale et des nause´es postprandiales. Le scanner de l’intestin greˆle re´alise´ pendant cette admission indiquait un segment ste´nose´ correspondant au segment e´paissi pre´ce´demment. A` la laparotomie, une courte re´section intestinale a e´te´ re´alise´e et l’ETO perope´ratoire montrait la re´solution du thrombus aortique.
DISCUSSION Un e´pisode thrombotique lie´ a` un de´ficit en AT a e´te´ de´crit la premie`re fois en 1965 par Egeberg1 en Norve`ge. Depuis lors, des cas de thrombus aortique aigu lie´ a` un de´ficit en AT ont e´te´ rapporte´s,2 mais leur incidence reste limite´e. Le de´ficit en AT, en prote´ines C et S, la pre´sence du facteur V de Leiden (plus fre´quent), l’hyperhomocystinurie, et un taux e´leve´ de facteur VIII sont les causes (conge´nitales) primaires les plus fre´quentes d’hypercoagulation. Le de´ficit en AT est autosomique dominant et devrait eˆtre suspecte´ devant n’importe quel jeune patient pre´sentant des ante´ce´dents familiaux de thrombose. Les individus homozygotes se pre´sentent souvent toˆt dans l’enfance, alors que les he´te´rozygotes peuvent ne pas se pre´senter avant la deuxie`me ou troisie`me de´cennie de leur vie. L’embolie arte´rielle pe´riphe´rique est secondaire a` une origine cardiaque, une origine occlusive infra-re´nale, ou a` une maladie ane´vrismale dans la grande majorite´ de cas. Plus rarement, l’aorte thoracique non ane´vrysmale est une source possible de thrombose aortique et
Annales de chirurgie vasculaire
Fig. 2. Deuxie`me scanner montrant le thrombus de l’arte`re me´sente´rique supe´rieure et l’intestin greˆle e´paissi.
d’embolie, habituellement sur de´ge´ne´ration de plaque athe´romateuse.3 L’incidence d’une thrombose aortique chez un jeune patient avec une aorte saine est un e´ve´nement rare cause´ par un e´tat d’hypercoagulation primaire ou secondaire existant. Le diagnostic est plus facilement suspecte´ devant l’examen physique et les ante´ce´dents familiaux. L’angioscanner et l’ETO sont des outils indispensables pour confirmer le diagnostic.3 Tout jeune patient pre´sentant une maladie thrombembolique arte´rielle devrait subir un test de de´pistage thrombophilique pour e´liminer un e´tat d’hypercoagulation et des investigations biologiques devraient eˆtre re´alise´es avant le de´but de l’anti-coagulation. L’algorithme de cette prise en charge a` re´cemment e´te´ de´cale´ de la chirurgie vers la me´decine, et la re´solution du thrombus aortique est obtenue dans la grande majorite´ des cas avec une anti-coagulation efficace. La chirurgie est indique´e dans les cas de malperfusion, d’embolie re´cidivante, et de thrombus flottant,3,4 qui est associe´ a` un plus gros risque d’e´ve`nements emboliques.5 Dans les cas de de´ficit en AT, les patients sont insensible a` l’he´parinothe´rapie jusqu’a` l’administration de PFC ou de concentre´ en antithrombine pour remplacer l’AT propre du patient.6,7 En outre, une forme de d’antithrombine recombinante humaine est en cours d’e´valuation.7 La warfarine est employe´e pour l’anti-coagulation chronique dans toutes les conditions hypercoagulations et s’est ave´re´e efficace pour la re´solution des thrombus parie´taux aortiques.8 De
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repre´senter une alternative a` l’anti-coagulation de ces patients, en attendant que la warfarine atteigne son effet the´rapeutique.
CONCLUSION La possibilite´ d’un de´ficit en AT ou a` tout autre e´tat d’hypercoagulation devrait eˆtre e´voque´s devant un jeune patient pre´sentant une thrombose et/ou une embolie arte´rielle aigue. L’absence d’identification et de traitement efficace de cette e´tiologie peut mener a` des e´pisodes thrombotiques re´cidivants avec un risque e´leve´ de de´ce`s et d’invalidite´ se´ve`re. RE´FE´RENCES Fig. 3. Deuxie`me scanner montrant le thrombus de l’arte`re me´sente´rique supe´rieure et l’intestin greˆle e´paissi.
Fig. 4. Echocardiographie transesophagienne montrant un thrombus parie´tal aortique.
nouveaux agents pharmacologiques, tels que les inhibiteurs directs de la thrombine,9 pourraient
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