Un cas de mucormycose rhinosinusienne

Un cas de mucormycose rhinosinusienne

Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2010) 127, 28—30 CAS CLINIQUE Un cas de mucormycose rhinosinusienne O...

477KB Sizes 50 Downloads 156 Views

Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2010) 127, 28—30

CAS CLINIQUE

Un cas de mucormycose rhinosinusienne O. Mimouni , C.-L. Curto , J.-B. Danvin , J.-M. Thomassin , P. Dessi ∗ Service d’ORL et de chirurgie cervicofaciale, hôpital Adulte-La-Timone, 1, boulevard Jean-Moulin, 13005 Marseille, France

MOTS CLÉS Mucormycose, Traitement endoscopique, Posaconazole

Résumé Objectif. — Présenter et discuter du cas d’un patient diabétique admis pour coma acidocétosique avec une tuméfaction du canthus interne due à une mucormycose. Cas clinique. — Un homme de 38 ans, diabétique, a été hospitalisé pour coma acidocétosique avec altération de l’état général. L’examen clinique révélait une tuméfaction canthale interne droite et une rhinorrhée mucopurulente. L’examen endoscopique ORL montrait des sphacèles dans les méats moyens. Le scanner sinusien objectivait un processus infectieux infiltratif et ostéolytique ethmoïdal bilatéral. Une ethmoïdectomie bilatérale était réalisée en urgence par voie endoscopique. Devant le diagnostic de mucormycose, un traitement par amphotéricine B liposomale était débuté. Après un mois de traitement intraveineux, un relais par posaconazole était instauré. Le patient était revu tous les mois. Devant l’absence de reprise évolutive, le traitement antifongique était arrêté après huit mois. Discussion et conclusion. — La mucormycose est une des infections fongiques les plus rapidement fatales. Le scanner du massif facial et cérébral est l’examen essentiel. Il est toujours anormal dans une mucormycose rhinosinusienne. La prise en charge thérapeutique urgente et multidisciplinaire doit comprendre : le traitement du diabète, un débridement chirurgical rapide, et un traitement antifongique efficace. L’antifongique de référence est l’amphotéricine B à dose d’emblée maximale (3 à 5 mg/kg par jour). Le posaconazole est disponible sur le marché européen depuis juillet 2005 et a été utilisée avec succès chez notre patient. © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

Introduction La mucormycose est une des infections fongiques les plus rapidement fatales chez l’homme. Elle survient chez

DOI de l’article original : 10.1016/j.anorl.2010.02.007. Ne pas utiliser pour citation la référence franc ¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Dessi). 1879-7261/$ – see front matter © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.aforl.2010.02.007

le sujet diabétique en coma acidocétosique ou en cas d’immunodépression profonde. Son expression clinique la plus caractéristique est l’atteinte rhino-orbitocérébrale. Notre observation nous permet de rappeler les problèmes posés par cette affection sur les plans diagnostique et thérapeutique.

Cas clinique Un homme, de 38 ans, a été hospitalisé pour coma acidocétosique. Vingt jours plus tard, après stabilisation de

Un cas de mucormycose rhinosinusienne

Figure 1 Scanner en coupe axiale. Opacités ethmoïdales bilatérales, lyse de la lame papyracée droite et de l’os lacrymal, ostéite de l’os propre du nez à droite.

son diabète, est apparue une tuméfaction inflammatoire et douloureuse de l’hémiface droite avec altération de l’état général et rhinorrhée mucopurulente bilatérale sans fièvre. Les examens biologiques réalisés ont retrouvé un syndrome inflammatoire biologique (hyperleucocytose à 15G /l, CRP à 12 mg/l). Le scanner du massif facial a révélé une sinusite ethmoïdale droite motivant le transfert en service d’ORL. L’endoscopie des fosses nasales a retrouvé des filaments blanchâtres diffus bilatéraux (biopsiés) avec aspect sphacélique des méats moyens. Le scanner de contrôle à 48 heures a mis en évidence un processus infectieux infiltratif et ostéolytique (opacités ethmoïdales bilatérales, et à droite, lyse de la lame papyracée, de l’os lacrymal et ostéite de l’os propre du nez) (Fig. 1). Une IRM cérébrale et des sinus a confirmé l’absence des lésions au niveau de l’encéphale. Devant la suspicion de mucormycose, une chirurgie endonasale a été réalisée sans attendre le résultat de la biopsie préopératoire consistant en une ethmoïdectomie et une méatotomie moyenne droites, une ethmoïdectomie antérieure gauche avec des prélèvements anatomopathologiques, bactériologiques et mycologiques. L’examen direct a objectivé des filaments mycéliens de grande taille, en papier froissé, associé à des phénomènes de nécrose ischémique signant le diagnostic de mucormycose. Un traitement par amphotéricine B liposomale intraveineuse (3 mg/kg par jour) a été débuté. L’évolution a été favorable dès la première semaine avec disparition des douleurs et régression de l’œdème hémifacial. Après un mois de traitement intraveineux, un relais par posaconazole per os (400 mg matin et soir) a été instauré. À deux mois, lors d’une nouvelle hospitalisation pour surveillance, la symptomatologie clinique avait disparu mais le scanner sinusien retrouvait des images lytiques persistantes de la base du crâne, de la lame papyracée de l’ethmoïde et de l’os lacrymal droit (Fig. 2). Les prélèvements endonasaux confirmaient l’absence d’agent mycotique, le patient n’a donc pas bénéficié d’une chirurgie radicale supplémentaire. Il a été revu tous les mois pendant un an (Fig. 3).

29

Figure 2 Scanner en coupe axiale. Images lytiques de la base du crâne, de la lame papyracée de l’ethmoïde et de l’os lacrymal droit.

Le traitement antifongique fut arrêté au bout de huit mois.

Discussion Sur le plan épidémiologique, les facteurs prédisposant au développement d’une mucormycose sont l’acidocétose (diabétique ou d’insuffisance rénale) et l’immunodépression (transplantation d’organe, infection par le VIH, corticothérapie, traitement par déféroxamine, neutropénies prolongées) [1—3]. De rares cas ont été décrits chez des patients sans déficit immunitaire patent [4]. Les mucormycoses rhinosinusiennes sont les plus fréquentes (39 %), suivies par les atteintes pulmonaires (24 %), cutanée (19 %), cérébrales (9 %), du tractus gastro-intestinal (7 %), autres

Figure 3 Scanner en coupe axiale. Remaniements postopératoire du labyrinthe ethmoïdal. Déhiscence de la partie antérieure du toit de l’ethmoïde.

30 sites (6 %) et les formes disséminées (6 %) [5]. La porte d’entrée est le plus souvent respiratoire par inhalation de spores ; rarement, la contamination se fait par voie digestive ou inoculation percutanée. La contamination interhumaine n’a jamais été rapportée [6]. La fréquence des mucormycoses est en augmentation : elle se situe au troisième rang des infections fongiques profondes opportunistes en 2006 après les candidoses et les aspergilloses [3,5,7]. Elle est due à un agent fongique ubiquitaire (sols, moisissures de pain, fumier, végétaux en décomposition) appartenant à l’ordre des mucorales [1]. Plus le délai diagnostique est long, moins bonne est la survie [5]. Le scanner du massif facial et cérébral est l’examen essentiel et toujours anormal dans une mucormycose rhinocérébrale [1,8]. Les signes radiologiques les plus retrouvés sont une ostéolyse, un épaississement nodulaire de la muqueuse des sinus, une absence de niveau liquidien dans le sinus [1]. Les autres zones atteintes sont : la paroi latérale des fosses nasales, le septum, le sinus maxillaire, le palais et l’orbite [1,3]. Il précise l’extension des lésions vers l’orbite et l’encéphale. L’IRM évalue mieux l’invasion vasculaire (thrombose du sinus caverneux ou de la carotide interne) et l’envahissement cérébral. Elle permettrait de dépister une atteinte cérébrale avant l’apparition des signes cliniques [4]. Non traitée, une mucormycose est le plus souvent fatale [1—3,5,7]. Malgré un traitement précoce, la guérison n’est obtenue que dans 40 % des cas [5]. La prise en charge comprend : le traitement des facteurs prédisposants, un débridement chirurgical rapide (un des facteurs de mauvais pronostic est le retard de prise en charge avec un délai supérieur à six jours [5]). Parmi les options thérapeutiques, une résection même partielle des tissus nécrotiques et/ou infectés est préférable à l’abstention chirurgicale et une chirurgie combinée à un traitement antifongique est toujours plus efficace qu’un antifongique seul [3,5] (la chirurgie endonasale fonctionnelle partielle réalisée chez notre patient ne peut pas être considérée comme une recommandation avec un niveau élevée d’évidence). L’antifongique de référence est l’amphotéricine B à dose d’emblée maximale malgré les effets secondaires immédiats (fièvre, hypotension, vomissement) et la néphrotoxicité [3,5,7]. La tolérance clinique et biologique de l’amphotéricine B est meilleure dans les formulations lipidiques : amphotéricine B liposomale (Ambisome® ), en dispersion colloïdale (Amphocil® ), en complexe lipidique (Abelcet® ), qui ont l’inconvénient de n’être administrables que par voie intraveineuse. Malgré une activité in vitro prouvée contre les mucorales, l’itraconazole est considéré comme un choix thérapeutique inapproprié en 2007 [3]. Le posaconazole est disponible sur le marché

O. Mimouni et al. depuis juillet 2005 [9—10]. Il a été utilisé avec succès, sous forme orale, chez notre patient. La caspofungine semble potentialiser l’action de l’amphotéricine B [10] ; des études sont en cours pour en évaluer l’efficacité. L’oxygénothérapie hyperbare serait un apport utile dans les cas se détériorant malgré le traitement médicochirurgical [3].

Conclusion La prise en charge des patients atteints de mucormycose doit être urgente et multidisciplinaire. L’Ambisome® doit être prescrit à forte posologie (3 à 5 mg/kg) pendant un mois avec une chirurgie précoce et un relais par posaconazole (800 mg/j). Il n’existe pas de consensus quant à la durée totale de traitement, celle-ci variant selon l’évolution clinique des patients.

Conflit d’intérêt Les auteurs n’ont pas transmis de conflit d’intérêt.

Références [1] Klossek JM, Serrano E. Les mycoses en ORL. Rapp Soc Fr Otorhinolaryngol Chir Face Cou 2003:96—105. [2] Battikh R, Labbene I, Ben Abdelhafidh N, Bahri M, Jbali A, Louzir B, et al. Rhinofacial mucormycosis: 3 cases. Med Mal Infect 2003;33:427—30. [3] Herbrecht R et Chabasse D., Zygomycoses (I) : généralités et mucormycoses. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris). Maladies Infectieuses. 8-614-B-10, 1999. 8 p. [4] Sarwat H, Naseem S, Iftikhar A, Iftekhar S, Rasheed J. Rhinocerebral invasive mycosis: occurrence in immunocompetent individuals. Eur J Radiol 1995;20:151—5. [5] Bouza E, Munoz P, Guinea J. Mucormycosis: an emerging disease? Clin Microbiol Infect 2006;12(suppl. 7):7—23. [6] Topiazian RG, Goldberg MH. Oral and maxillofacial infections. Philadelphia, PA: Saunders; 1994. pp. 412—7. [7] Brown J. Zygomycosis: an emerging fungal infection. Am J Health Syst Pharm 2005;24:2593—6. [8] Ketency I, Unlü Y, Sentürk M, Tuncer E. Indolent mucormycosis of the sphenoid sinus. Otolaryngol Head Neck Surg 2005;132:341—2. [9] Rutar T, Cockerham KP. Periorbital zygomycosis (mucormycosis) treated with posaconazole. Am J Ophtalmol 2006;142: 187—8. [10] Notheis G, Tarani L, Costantino F, Jansson A, Rosenecker J, Friederici D, et al. Posaconazole for treatment of refractory invasive fungal disease. Mycoses 2006;49(Suppl. 1): 37—41.