Un diagnostic tiré par les cheveux…

Un diagnostic tiré par les cheveux…

Available online at www.sciencedirect.com SCliENC E[C~DIRmCTe ELSEVIER la revue de m6decine interne La revue de m6decineinterne 26 (2005) $223-$225...

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Available online at www.sciencedirect.com

SCliENC E[C~DIRmCTe ELSEVIER

la revue de m6decine interne

La revue de m6decineinterne 26 (2005) $223-$225 www.elsevier.com/locate/revmed

Communication

Un diagnostic tir6 par les cheveux... N. Tieuli6, P.-Y. Jeandel, P. Heudier, S. Roth, F. Sanderson, E. Rosenthal, J.-G. Fuzibet Service de mddecine interne, h6pital Archet I, CHU Nice, BP 3079, 151, route Saint-Antoine-de-Ginesti~re, 06202 Nice cedex 3, France

Expert-consultant" S. Rivi~re

Service de mddecine interne A, hOpital Saint-F.loi, 2, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France

1. Les faits cliniques Une femme de 56 ans est hospitalis6e pour des ced~mes de la face, r6cidivants. Elle est fran~aise, employ6e de magasin, maride et mbre de deux enfants. Ses ant6c6dents sont marqu6s par une hypothyroidie d'Hashimoto et la d6couverte d'une gammapathie monoclonale IgG lambda connue depuis 10 ans, de signification ind6termin6e. Sa mbre est suivie pour une polyarthrite rhumatoYde. Elle a voyag6 par le pass6 en Asie et en Afrique. Elle est hospitalisde en raison de l'apparition d'un oed6me p6riorbitaire et palp6bral droit, survenu cinq jours auparavant et ne c6dant pas h une corticoth6rapie orale. Depuis cinq ans, elle a ddj~t consult6 h de multiples reprises dans divers h6pitaux pour des eed~mes r6currents du visage, dont l'apparition rapidement progressive sur 24 heures est toujours pr6c6d6e de myalgies fessibres. Ces ~edbmes touchent la face de fa~on 61ective, et sont devenus p6riorbitaires depuis quelques mois. Aucun facteur d6clenchant n'a 6t6 retrouv6. Les <~durent cinq jours. La patiente est asymptomatique en dehors des crises. L'examen clinique montre un ~ed~me blanc, sensible, p6riorbitaire, ne prenant pas le godet, associ6 h un chdmosis de l'~eil droit. On note une douteur ~ la mobilisation oculaire, sans baisse de l'acuit6 visuelle ni c6phal6e. La TA est 120/70 mmHg et la temp6rature h 37 °C. Le reste de l'examen clinique est normal. A l'entr6e, le bilan biologique est le suivant : leucocytes 9,7.109/1 dont polynucl6aires neutrophiles 2,9.109/1, lyre© 2005 Elsevier SAS. Tous droitsr6serv6s.

phocytes 2,5.109/1, polynucl6aires 6osinophiles 0,1.109/1, h6moglobine 9,1 mmol/1, h6matocrite 43 %, plaquettes 296.109/1, Na+ 141 mmol/1, K+ 3,6 mmol/1, C1- 107 mmol/1, protid6mie '54 g/l, calc6mie 2,35 mmol/1, LDH 230 U/l, cr6atinin6mie 52 ~tmol/1, VS 25/50, Prot6ine r6active C 12 mg/1. Une TDM des orbites r6alis6e 48 h avant son admission retrouvait un oed~me de l'ensemble des muscles p6riorbitaires droits, sans formation tumorale r6trobulbaire ou intraoculaire visible. Le diagnostic nous tendait les bras...

2. Quel est votre diagnostic ?

Une femme de 56 ans ayant voyag6 en Asie et en Afrique est atteinte d'une hypothyro'fdie d'Hashimoto et d'une MGUS IgGX. Depuis cinq ans, elle a un angicedeme recidivant du visage, sans facteur d~clenchant, disparaissant en cinq jours. Le dernier ~pisode est p~riorbitaire, unilat6ral, s'accompagne d'un chemosis et r~siste & une corticoth6rapie orale. Elle a une numeration normale, la protid6mie est basse, 54 g/I. La CRP n'est que tr~s discr~tement ~lev~e. La TDM des orbites montre, semble-t-il, un ced~me des muscles p6rioculaires. Nous ne connaissons pas son traitement.

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II faut expliquer la s~miologie des cinq derni~res annees et discuter ce nouvel 6pisode qui pourrait ~tre totalement 6tranger aux pr6c~dents. 1) ~ d e m e s recurrents du visage, hypothyro'fdie, gammapathie IgG [1]. Une origine cardiaque, hepatique ou r6nale est exclue compte tenu du caractere Iocalis6 et r6solutif rapidement. Une cause toxique ou allergique ne peut ~tre totalement elimin~e mais ne peut ~tre discut6e sans ~lement compl~mentaire [2]. Le caract~re r6cidivant et regressif exclut la plupart des micro-organismes. Compte tenu de son sejour en Afrique, on peut toutefois ~voquer la Ioase dont les oed~mes de Calabar peuvent preceder de plusieurs annees le diagnostic, tl n'y a pas d'616ments pour une vascularite. La normalite de la num6ration fait eliminer les syndromes myeloprolif6ratifs. Le s y n d r o m e de M e l k e r s s o n - R o s e n t h a l s'accompagnerait de paralysies faciales. L'ced~me angioneurotique (OA) pourrait exptiquer le tableau mais I'atteinte periorbitaire est exceptionnelle [3]. L'association avec les dysthyro'fdies est classique [4-6] mais aussi avec les gammapathies dans les OA acquis de type I. Si nous retenons le diagnostic d'angioed~mes associ6s b, la thyro'fdite, pour ~tre tir6 par les cheveux, le dernier episode oed6mateux dolt ~tre diff6rent. 2) £Ed~me p6riorbitaire unilat6ral, ch6mosis, ced~me des muscles p6rioculaires. Le caractere unilateral doit faire 6voquer en priorit~ une cause locale. II n'y a pas d'argument anamnestique pour une cause traumatique, toxique, bact~rienne, virale ou tumorale. La trichinose donne un tableau plus bruyant. L'echinococcose se verrait au scanner et la cysticercose est de diagnostic difficile. La myosite orbitaire idiopathique s'accompagne d'une diplopie [7]. On peut discuter une thrombose du sinus caverneux passee inapergue au scanner, satellite d'une hemopathie avec gammapathie monoclonale voire amylose. Beaucoup plus amusant serait le diagnostic de Ioase qui r6v~le sa pr6sence par I'atteinte conjonctivale avec r6action oed~mateuse. Le diagnostic est 6vident sous la conjonctive o0 il y a comme un cheveu.

R6f6rences [1] [2] [3]

[4]

[5]

[6]

HustonDP, Bressler RB. Urticaria and angiodema. Clin Allergy 1992 ; 76 : 805-39. Marcus S. Ocular angicedema. Clinical Eye Vision Care 1999 ; 11 : 169-73. Agostoni A, Cicardi M. Hereditary and acquired C1 inhibitor deficiency : biological and clinical characteristics in 235 patients. Medicine 1992 ; 71 : 206-15. Muhlemann MF, Macrae KD, Smith AM, Beck P, Hine I, Hedge U, et al. Hereditary angiodema and thyroid autoimmunity J Clin Pathol 1987 ; 40 : 518-23. Peltz S, Barchuk W, Oppenheimer J, Druce H, Bielory L. Chronic angio-edema of tongue associated with anaemia and Hashimoto's thyroiditis. Clinical and Experimental Dermatology 1995 ; 20 : 351-2. Leznoff A, Sussman GL. Syndrome of idiopathic chronic urticaria and angioedema with thyroid autoimmunity : a study of 90 patients. J Allergy Clin Immuno11989 ; 84 : 66-71.

[7]

Le Gal G, Ansart S, Boumediene A, Tonnelier JM, Tily-Gentric A, Le Pennec Y. Myosite orbitaire idiopathique. Rev Med Int 2001 ; 22 : 189-93.

3. D6marche diagnostique Du fait de l'anciennet6 des crises, de leur fr6quence et la normalit6 des examens biologiques, on 61iminait ddj5 les causes les plus frdquentes d'cedbme : le syndrome n6phrotique, l'insuffisance h6patique, les lymphoed6mes, les lymphomes non hodgkiniens, les pathologies thyroidiennes et parasitaires. L ' a b s e n c e d'antdc6dents familiaux et un dosage normal du C l q inhibiteur 61iminaient l'hypothbse d'un oedbme angioneurotique h6r6ditaire. Une cause acquise d'~edbme angioneurotique 6tait 6galement 61imin6e par les explorations biologiques. On reprenait alors l'interrogatoire, l'esprit aiguis6 par l'existence de cette gammapathie monoclonale qui accompagnait le tableau. En questionnant la patiente, on reconstituait une suite de crises de plus en plus rapprochdes : apparition d'une asthdnie associ6e ~ des douleurs fessibres, qui pr6c6daient de 48 heures la survenue des oed~mes. La dur6e des crises 6tait de cinq jours, avec ou sans traitement. L ' e x a m e n clinique des oed~mes faciaux r6v61ait leur particularit6 : blancs, durs, douloureux, non inflammatoires et compressifs. On notait l'absence de foyer infectieux locor6gional et l'absence de paralysie faciale et de langue fissur6e, faisant r6cuser le diagnostic de syndrome de MelkersonRosenthal. Enfin, la comparaison d'un bilan biologique rdalis6 dans l'inter-crise ~tcelui r6alis6 pendant la crise apportait la solution, en mettant en 6vidence une h6moconcentration paradoxale. L'association de l'anamn~se, de la prdsentation clinique et des anomalies biologiques permettait de poser le diagnostic de syndrome de fuite capillaire.

4. Discussion Le syndrome de fuite capillaire ou syndrome de Clarkson [1] a 6t6 individualis6 en 1960. II s'agit d'une maladie orpheline (moins de 100 c as r6pertori6s en Europe). I1 se manifeste par des 6pisodes r6cidivants et toujours stdrdotypds d'oedbmes localis6s ou g6n6ralis6s, blancs et durs [2]. Les formes g6n6rales sont les plus fr6quentes, entra~nant une hypotension r6fractaire puis une surcharge vol6mique brutale, responsable d'un taux de mortalit6 6lev6 [3]. Les formes localis6es sont les plus rares et les plus difficiles ?~diag n o s t i q u e r . Le t a b l e a u clinique, la p r 6 s e n c e d ' u n e h6moconcentration paradoxale au cours des crises associ6e l'existence d'une gammapathie monoclonale de type MGUS, doivent faire suspecter le diagnostic [ 1-3]. La physiopathologie exacte est mal connue : le r61e de la gamma-

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R~f6rences

pas connu. L e t r a i t e m e n t est, l?a encore, n o n d6fini. L e s anti-oed6ma-

[1]

teux, les diur6tiques, les cortico~'des, la t e r b u t a l i n e , la th6op h y l l i n e , le d a n a z o l , s o n t i n e f f i c a c e s [ 2 - 4 ] . L e s i m m u n o g l o bulines

humaines

polyvalentes

pourraient

[2]

atre une

p o s s i b i l i t 6 t h d r a p e u t i q u e , p a r m 6 c a n i s m e d e <
[3]

a v e c la g a m m a p a t h i e r n o n o c l o n a l e . C e t r a i t e m e n t a 6t6 efficace chez notre patiente mais cela reste ~ prouver chez un plus g r a n d n o m b r e d e patients.

[4]

Clarkson B, Thomson D, Horwith M, Luckey H. Cyclical edema and shock due to increased capillary permeability. Am J Med 1960 ; 29 : 193-216. Airaghi L, Montori D, Santambrogio L, Miadonna A, Tedeschi A. Chronic systemic capillary leak syndrome. Report of a case and review of the literatue. J Intern Med 2000 ; 247 : 731-5. Amoura Z, Papo T, Ninet J, Hatron PY, Guillanmie J, Piette AM, et al. Systemic capillary leak syndrome : report on 13 patients with special focus on course and treatment. Am J Med 1997 ; 103 : 514-9. Teelucksingh S, Padfield PL, Edwards CR. Systemic capillary leak syndrome. Q J Med 1990 ; 75 : 515-24.