Chronique de jurisprudence

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Médecine & Droit 58 (2003) 36–41 www.elsevier.com/locate/meddro Responsabilité civile Chronique de jurisprudence R. Bellayer-Le Coquil * Doctorante ...

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Médecine & Droit 58 (2003) 36–41 www.elsevier.com/locate/meddro

Responsabilité civile

Chronique de jurisprudence R. Bellayer-Le Coquil * Doctorante à la faculté de droit de Tours, rattachée au Centre de recherche juridique de l’Ouest (CRJO), France

Mots clés : Responsabilité du fait d’autrui de l’établissement de soins ; Responsabilité du médecin salarié ; Obligation d’assurance de l’établissement de soins ; Obligation d’information ; Préjudice moral résultant du défaut d’information ; Contamination par le VHC ; Transfusion sanguine

1. Introduction Nous nous proposons de profiter de cette chronique d’actualité pour confronter quelques décisions jurisprudentielles récentes avec les dispositions de la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. À cet égard, un arrêt de la 1re Chambre civile de la Cour de Cassation du 9 avril 2002 nous paraît particulièrement intéressant [1]. En l’espèce, la responsabilité personnelle d’un médecin salarié d’un établissement de soins privé a été retenue en même temps que la responsabilité contractuelle de son employeur. Si cette dernière mérite l’approbation et se situe dans la lignée de la jurisprudence contemporaine, elle-même consacrée par la loi nouvelle (Paragraphe 2), la première mérite, en revanche, quelques observations tant elle paraît singulière (Paragraphe 3). En outre, cette décision apparaît relativement sévère à l’égard du médecin dans la mesure où elle lui refuse la garantie de sa condamnation par l’assureur de son employeur, alors que le texte législatif prévoit le contraire (Paragraphe 4). 2. La confirmation de la responsabilité contractuelle de l’établissement de soins privé du fait du médecin salarié La possibilité de mettre à la charge d’un établissement de soins privé une responsabilité contractuelle du fait d’autrui et plus spécialement du fait du médecin salarié, n’est pas nouvelle. La nature contractuelle de cette responsabilité est issue d’un arrêt — déjà ancien — de la Cour de Cassation qui a * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Bellayer-Lellayer-Le Coquil). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 1 0 . 1 0 1 6 / S 1 2 4 6 - 7 3 9 1 ( 0 3 ) 0 0 0 1 1 - 3

« découvert » un contrat liant les cliniques à leurs patients, qualifié par la jurisprudence postérieure de «contrat d’hospitalisation et de soins » [2]. Par ce contrat, la clinique s’engage à fournir les moyens humains et matériels nécessaires à l’intervention chirurgicale. C’est donc sur ce fondement qu’elle est tenue de répondre des personnes auxquelles elle a délégué l’exécution de son obligation. Cette position a été adoptée par un arrêt du 4 juin 1991 mis, pour la 1re fois, la responsabilité contractuelle de la clinique pour des soins délivrés par un médecin salarié [3]. La jurisprudence postérieure est venue préciser la portée de cette responsabilité contractuelle du fait d’autrui. Elle a tout d’abord considéré que cette responsabilité n’était pas exclue du fait de l’indépendance professionnelle du médecin dans l’exercice de son art (reconnue par l’article 5 du Code de déontologie médicale), celle-ci n’étant pas « incompatible avec l’état de subordination qui résulte d’un contrat de louage de services » [4]. La haute juridiction est allée encore plus loin pour retenir la responsabilité contractuelle du fait d’autrui de la clinique en semblant admettre, dans un arrêt de principe, qu’un rapport de commettant à préposé pouvait exister entre la clinique et les médecins qui y exerçaient au titre d’un contrat de travail [5]. Elle a ainsi décidé qu’en vertu du contrat d’hospitalisation et de soins le liant au patient, l’établissement de santé privé est responsable des fautes commises tant par lui-même que par ses substitués ou ses préposés qui ont causé un préjudice à ce patient. Néanmoins, la Cour subordonnait cette responsabilité à la qualité de salarié du médecin fautif. L’arrêt du 9 avril 2002, en retenant la responsabilité de la clinique sur le terrain contractuel, vient donc confirmer cette construction jurisprudentielle et l’on ne peut que s’en féliciter. D’une part, se faisant, il participe à « une tendance générale du droit privé au développement des responsabilités du fait d’autrui, dans un but d’accroissement de la solvabilité

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du débiteur d’indemnité et de report de poids des dommages et intérêts sur l’entreprise créatrice du risque » [6]. Or, un établissement de soins privé peut très bien être assimilé à une « entreprise créatrice du risque », soit au travers de l’idée d’une faute dans le choix de ses salariés ou dans leur encadrement, soit dans celle du risque-profit (l’entreprise profitant de l’activité du salarié devant en assumer les risques). D’autre part, la solution ainsi retenue apparaît en adéquation avec celle du droit administratif. La Cour de Cassation se fonde d’ailleurs sur la nature contractuelle de la responsabilité de la clinique pour confirmer la responsabilité personnelle du médecin fautif. 3. La responsabilité personnelle du médecin ou le refus de lui octroyer l’immunité du préposé Il convient d’observer tout d’abord que, contrairement à ce que nous enseigne l’arrêt Mercier [7], la responsabilité personnelle du médecin salarié, en raison de son comportement fautif, ne peut être recherchée que sur le terrain délictuel. Il s’agit là d’une solution que nous devons à l’arrêt précité du 4 juin 1991, aux termes duquel, lorsque le médecin fautif est salarié de l’établissement de soins, le contrat médical est exclusivement conclu entre ce dernier et le patient. Sous réserve que le choix de l’établissement de soins par le patient ait été subordonné à la présence de tel médecin salarié, l’absence de lien contractuel entre ces derniers paraît logique dans la mesure où le médecin salarié ne fait qu’exécuter son contrat de travail en accomplissant ses prestations médicales (étant observé, en ce sans, que la rémunération « à l’acte » est versée à la clinique et non au médecin salarié). Néanmoins, dans l’affaire qui nous intéresse, le médecin fautif avait invoqué, en sa qualité de salarié, l’immunité du préposé dégagée par l’arrêt Costedoat [8–10], pour pouvoir exercer un recours en garantie contre la clinique. Aux termes de cette jurisprudence, « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ». Or, même si la faute du médecin a bien été commise dans le cadre de ses fonctions, la Cour a refusé de lui octroyer l’immunité dont bénéficie le préposé. Pour tenter de comprendre cette décision, il convient de s’interroger, comme l’a fait avant nous le professeur C. Radé [11], d’une part sur la justification d’une telle immunité et d’autre part sur la raison de la différence de traitement entre le médecin salarié et le préposé. L’idée sous-jacente qui semble prévaloir quant à l’immunité accordée au préposé est que le fait dommageable qui lui est reproché pourrait « avoir été commis par n’importe quel autre salarié placé dans le même état de subordination » [11]. Cette faute serait donc excusable de la part du préposé, la victime pouvant se retourner (que ce soit sur le fondement délictuel — article 1384 alinéa 5 du Code civil — ou contractuel — article 1147 du Code civil) contre l’employeur de celui-ci, en tant que garant de tels agissements. Cette immu-

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nité repose donc essentiellement sur le caractère de la faute commise. À cet égard, même si la nature de la faute exclusive de l’immunité du préposé n’a pas été clairement définie par la jurisprudence postérieure à l’arrêt Costedoat, certaines précisions ont été apportées. Ainsi, l’arrêt Cousin refuse l’immunité au préposé qui a intentionnellement commis une infraction pénale [12]. Plus généralement, on peut déduire des termes de l’arrêt Costedoat que l’immunité du préposé serait écartée (et donc sa responsabilité retenue) dès lors qu’il aurait commis une faute extérieure à sa mission ; autrement dit, une faute personnelle. S’agissant du domaine particulier de la responsabilité médicale, l’arrêt du 9 avril 2002 semble entériner la tendance jurisprudentielle à retenir systématiquement la qualification de faute personnelle en raison du principe d’indépendance professionnelle des médecins dans l’exercice de leur art [13,14]. Or, certaines réserves peuvent être apportées à cette tendance. En effet, on peut constater que l’indépendance professionnelle dont bénéficient les médecins ne leur est pas particulière : il en va ainsi pour tous les salariés hautement qualifiés qui disposent de compétences techniques supérieures à leur employeur et qui ne voient leur responsabilité personnelle engagée qu’exceptionnellement. Par ailleurs, une distinction entre la qualité de salarié du médecin et celle de préposé semble être opérée par la décision du 9 avril 2002. En d’autres termes, l’indépendance professionnelle du médecin salarié empêcherait de lui reconnaître la qualité de préposé. Or, la jurisprudence a déjà admis que cette indépendance n’empêchait pas le lien de subordination entre le médecin salarié et l’établissement de soins privé [4]. Il s’agit alors d’une conception large de la notion de subordination, tenant d’avantage de la part de l’employeur à la fixation d’objectifs que le salarié doit respecter qu’à un réel pouvoir de surveillance sur ce dernier (en ce sens, [11]). Le refus d’accorder l’immunité du préposé au médecin salarié apparaît donc pour le moins sévère. Il l’est d’autant plus qu’il place ce dernier dans une situation complètement singulière, tant par rapport au droit commun de la responsabilité, qu’à l’égard du médecin exerçant dans un hôpital public (celui-ci n’engageant sa responsabilité personnelle qu’en cas de faute personnelle détachable du service). Cette sévérité s’avère problématique si l’on considère l’hypothèse (qui n’est pas rarissime) où la victime exerce son action civile devant une juridiction répressive, laquelle ne se prononce que sur le fondement délictuel (sauf application de l’article 470-1 du Code de procédure pénale, à la suite de la relaxe du prévenu). En effet, dans ce cas, la responsabilité de la clinique ne serait plus recherchée en sa qualité de cocontractant de la victime, mais en tant que commettant du médecin salarié, c’est-à-dire sur le fondement de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil.

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La solution de la Cour de Cassation qui consiste à justifier le refus d’accorder l’immunité du préposé au médecin salarié par la nature contractuelle de la responsabilité du fait d’autrui de la clinique (c’est-à-dire en sa qualité de cocontractant de la victime et non en tant que commettant du médecin) ne pourrait donc plus s’appliquer. Pour conclure, il nous semble qu’une interrogation subsiste à la lecture de l’arrêt du 9 avril 2002 : si d’un côté, l’indépendance professionnelle du médecin ne fait pas obstacle à ce que son employeur réponde de son comportement fautif générateur d’un dommage, pourquoi cette seule indépendance justifierait-elle que l’on retienne systématiquement sa responsabilité personnelle ? Cette interrogation se transforme en une certaine réserve dès lors que la Cour, dans cet arrêt, a rejeté la demande de recours en garantie du médecin salarié non seulement contre son employeur, mais également contre l’assureur de celui-ci.

4. Le refus critiquable du recours en garantie du médecin salarié contre l’assureur de son employeur La haute juridiction a considéré, en l’espèce, qu’il s’agissait de deux polices d’assurances (souscrites l’une par la clinique, l’autre par le médecin) subsidiaires et non cumulatives, en raison d’un défaut d’intérêt. La haute juridiction a retenu le défaut d’intérêt pour exclure la qualification d’assurances cumulatives (et par-là même, l’application des dispositions de l’article L.121-4 du Code des assurances), qui prête à discussion, alors qu’elle aurait pu, plus simplement, relever l’absence d’identité de souscripteur, comme l’avait déjà fait un arrêt du 21 novembre 2000 [15]. La position de la Cour de Cassation peut surprendre dans la mesure où elle vient confirmer un arrêt de sa 1re Chambre civile du 25 mai 1992, qui n’avait pas été suivi par la jurisprudence postérieure [16]. Par ailleurs, cette solution apparaît critiquable au regard de la logique qui semble prévaloir en matière d’assurance, mais surtout parce qu’elle vient contredire directement les dispositions du nouvel article L.1142-2 du Code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002. S’agissant de la 1re critique, rappelons que l’article L.12112, alinéa 3 du Code des assurances exclut le recours de l’assureur d’un employeur à l’encontre de ses préposés, sauf lorsqu’ils ont commis un acte de malveillance. Il est vrai que la Cour devait statuer sur la situation inverse : le recours du salarié contre l’assureur de son employeur. Néanmoins, si le préposé est protégé dans un sens, pourquoi ne le serait-il pas dans l’autre ? En outre et surtout, la loi du 4 mars 2002 vient compléter le livre II du Code de la santé publique par un titre V relatif à « L’assurance de responsabilité civile médicale » dont le chapitre Ier concerne « l’obligation de s’assurer ». Ainsi, aux termes du nouvel article L.1142-2 dudit Code :

« [...] les établissements de santé [...] sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d’être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d’atteintes à la personne, survenant dans le cadre de cette activité de prévention, de diagnostic ou de soins ». Le 3e alinéa de ce texte vient préciser cette obligation en disposant que : « l’assurance des établissements, services et organismes mentionnés au 1er alinéa couvre leurs salariés agissant dans la limite de la mission qui leur a été impartie, même si ceux-ci disposent d’une indépendance dans l’exercice de leur art médical ». Bien que ces nouvelles dispositions ne pouvaient s’appliquer directement à l’espèce (la loi n’étant pas encore entrée en vigueur), elles interdisent désormais le rejet du recours en garantie du médecin salarié de la clinique contre l’assureur de celle-ci. En effet, l’indépendance professionnelle des médecins salariés ne peut justifier un tel refus, selon le législateur lui-même ! Il reste à espérer que la jurisprudence postérieure sera moins sévère à l’égard du médecin salarié dans un souci d’harmonisation avec la situation des autres préposés ou des médecins exerçant dans le secteur public, mais également dans celui du respect des récentes dispositions légales. Si la loi du 4 mars 2002 vient éclairer une jurisprudence parfois confuse, notamment quant à l’obligation d’assurance de l’établissement de soins, on peut, en revanche, regretter son silence ou son manque de précision dans d’autres domaines. Il en est ainsi, par exemple, de la nature du préjudice indemnisable sur le fondement du manquement à l’obligation d’information médicale (Paragraphe 5) ou encore de l’appréciation du lien de causalité entre une contamination par le virus de l’hépatite C et une transfusion sanguine (Paragraphe 6).

5. Le silence de la loi du 4 mars 2002 sur la nature du préjudice indemnisable en cas de manquement par le médecin à son obligation d’information La volonté du législateur, en instaurant la loi du 4 mars 2002, a été de favoriser l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux. Dans cette optique, ce texte crée un nouveau mécanisme d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes ou des affections nosocomiales, reposant sur la solidarité nationale. Pour autant, l’Office national chargé de cette indemnisation (ONI) ne peut intervenir que subsidiairement, dans les hypothèses où la responsabilité des établissements et des professionnels de santé ne peut être recherchée selon les règles de la responsabilité civile. Ces règles ont cependant toujours vocation à s’appliquer.

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À cet égard, la nouvelle loi consacre pour l’essentiel la jurisprudence antérieure, tout en renforçant le principe d’une responsabilité personnelle du médecin fondée sur la faute. En effet, selon l’article L.1142-1 alinéa 1er du code de la santé publique : « hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé [...] ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ». Or, en cas de comportement irréprochable du médecin (c’est-à-dire en l’absence de faute technique de sa part), les victimes ont parfois tendance à fonder leur action, en vue de l’indemnisation de leur préjudice, sur le fondement du manquement à l’obligation d’information à laquelle est tenu le professionnel de santé. Cependant, tant la jurisprudence que la doctrine ont mis en avant le problème du lien de causalité entre le préjudice invoqué par la victime (c’est-à-dire la réalisation d’un risque que présentait l’acte médical subi) et la faute du médecin (correspondant alors en l’absence d’information sur ce risque), faisant apparaître par-là même la nécessité de déterminer la nature du préjudice indemnisable sur ce fondement. Rappelons au préalable que l’obligation d’information incombant au médecin se justifie principalement par son devoir de recueillir un consentement libre et éclairé du patient à l’acte ou au traitement proposé. Il s’agit dès lors de respecter l’autonomie de la volonté du malade. Plus concrètement, l’obligation d’information a pour objet de permettre au patient de choisir d’accepter ou de refuser une intervention, en connaissance de cause. Dans cette optique, la jurisprudence a élaboré une obligation d’information médicale très « rigoureuse ». Là encore, la loi Kouchner semble entériner les acquis jurisprudentiels en prévoyant, dans le nouvel article L.1111-2 du Code de la santé publique, que : « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé ». Il y est précisé que : « cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ». Les limites à ce devoir d’informer ont également été reprises : urgence, impossibilité, refus du patient d’être informé ou encore gravité du diagnostic ou du pronostic, sous réserve que ce soit dans l’intérêt du patient. Néanmoins, si la tendance est de renforcer l’obligation d’information médicale dans son étendue, ce mouvement est

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contrebalancé par certains tempéraments jurisprudentiels concernant sa portée. En effet, la sanction du manquement à ce devoir semble parfois limitée. Tout d’abord, l’indemnisation du dommage corporel subi par le malade semble exclue sur ce fondement, un tel dommage résultant nécessairement, en plus du défaut d’information, d’un dysfonctionnement technique, qu’il s’agisse ou non d’une faute de la part du médecin [17]. Cette exclusion semble implicitement confirmée par la loi du 4 mars 2002, puisqu’elle ne vise dans l’article L.1142-1, I du Code de la santé publique que la faute technique pour engager la responsabilité de l’établissement ou du professionnel de santé. En réalité, la jurisprudence (depuis un arrêt de la première chambre civile de la Cour de Cassation du 7 février 1990 : [18]) et la doctrine sont majoritairement d’accord pour faire résulter du défaut d’information une perte de chance pour le patient de refuser l’opération qu’il a subie et par là même la réalisation du risque. Deux arrêts du 8 juillet 1997 sont venus, par la suite, préciser que cette perte de chance de se soustraire au risque subi constituait un préjudice distinct des atteintes corporelles subies par la victime et qu’elle ne représentait qu’une fraction du préjudice total [19]. Néanmoins, cette connexion entre le défaut d’information — la faute — et la perte d’une chance — le préjudice — semble relativement remise en cause par une jurisprudence récente et l’on ne peut que déplorer le silence de la nouvelle loi sur cette question. En effet, il apparaît, dans le dernier état de la jurisprudence — tant civile qu’administrative — que la nécessité de l’opération envisagée ne dispense pas le médecin de son obligation d’information sur la gravité du risque [20] et qu’il est : « de l’offıce du juge de rechercher, en prenant en considération l’état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins ou de ces risques, les effets qu’aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou à son refus » [21]. Ainsi, sans remettre en cause l’obligation d’information dont elle constate le manquement, cette jurisprudence exclut la possibilité d’une indemnisation pour la victime dans la mesure où, même si elle avait été informée des conséquences possibles de l’acte médical, elle n’aurait pas pu raisonnablement refuser de s’y exposer, ne justifiant alors d’aucun préjudice indemnisable [22]. Si les magistrats semblent nier l’existence d’un préjudice consistant en la perte d’une chance lorsque l’acte médical s’avère nécessaire, n’existe-t-il pas pour autant un préjudice moral lié au défaut d’information ? En effet, en n’informant pas correctement le patient sur la gravité du risque de l’opération envisagée, le médecin ne lui a pas permis de se prépa-

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rer, tant psychologiquement que matériellement (changement de situation professionnelle, adaptation du domicile...), à l’éventualité de la réalisation dudit risque. À cet égard, l’analyse du professeur S. Porchy [23], selon laquelle cette privation de la faculté de se préparer constituerait un préjudice réparable emporte notre adhésion. Ainsi, il s’agirait de sanctionner le défaut d’information en ce qu’il porte atteinte à l’autonomie de la volonté du patient, indépendamment de l’atteinte corporelle qu’il a pu subir. Cette sanction du non respect de l’autonomie de la volonté du patient apparaît d’autant plus justifiée au regard du nouvel article L.1111-4 du Code de la santé publique, en vertu duquel la loi du 4 mars 2002 ne permet plus au médecin d’outrepasser la volonté du patient même en cas d’urgence vitale (contrairement à ce qu’avait pu décider le Conseil d’État le 26 octobre 2001 [24]). En effet, par ces dispositions la loi semble vouloir accorder une valeur absolue au principe de l’autonomie de la volonté du malade. S’il est regrettable que la loi n’ait pas résolu la question du préjudice indemnisable pour manquement à son obligation d’information par le médecin, il convient également de remarquer une certaine imprécision du législateur, faisant craindre le retour à une rigueur jurisprudentielle quant à l’appréciation du lien de causalité en matière de contamination post-transfusionnelle par le virus de l’hépatite C. 6. Le retour à une certaine rigueur d’appréciation du lien de causalité en matière de contamination post-transfusionnelle par le VHC suggéré par la loi du 4 mars 2002 ? Les victimes de contaminations post-transfusionnelles sont généralement confrontées à des difficultés de preuve pour obtenir une réparation de leur préjudice. Si l’indemnisation des transfusés contaminés par le virus du sida a été facilitée par la loi du 31 décembre 1991 (art. 47-1, IV), celle concernant les victimes de contamination par le virus de l’hépatite C reste soumise aux règles du droit commun de la responsabilité civile. Néanmoins, sans les faire bénéficier de la présomption légale de causalité qui profite aux premiers, la jurisprudence a allégé la charge de la preuve qui incombe aux secondes. En effet, il résulte de trois arrêts du 9 mai et 17 juillet 2001 [25,26], que : « lorsqu’une personne démontre, d’une part, que la contamination virale dont elle est atteinte est survenue à la suite de transfusions sanguines, d’autre part, qu’elle ne présente aucun mode de contamination qui lui soit propre, il appartient au centre de transfusion sanguine, dont la responsabilité est recherchée, de prouver que les produits sanguins qu’il a fournis étaient exempts de vices ». La Cour procède ainsi à une répartition de la charge de la preuve entre la victime qui invoque la contamination et le centre de transfusion fournisseur du produit.

Le demandeur doit établir que la maladie est apparue après une transfusion. Cette preuve ne pose généralement pas de problème. Il doit en outre rapporter l’absence de mode de contamination qui lui serait propre. À cet égard, les juges se réfèrent principalement à une éventuelle toxicomanie ou à un comportement sexuel à risques. En l’absence de ces faits, les magistrats ont tendance à admettre relativement « facilement » la présomption de causalité entre la contamination et la transfusion [27]. Le centre de transfusion sanguine ne peut alors plus se libérer qu’en prouvant l’innocuité des produits fournis (solution reprise dans un arrêt de la 1re Chambre civile de la Cour de Cassation du 10 juillet 2002 : [28]). Ainsi, même si la jurisprudence ne procède pas à un véritable renversement de la charge de la preuve, c’est-à-dire à une présomption totale de causalité, elle facilite la tâche probatoire de la victime contaminée par le VHC, en se contentant d’une preuve négative par exclusion. Cette position jurisprudentielle apparaît opportune, tant par la fin qu’elle entend satisfaire que par son alignement avec la jurisprudence administrative [29]. Or, à la lecture de l’article 102 de la nouvelle loi du 4 mars 2002, cette situation à l’avantage de la victime ne risque-telle pas d’être remise en cause ? Ce texte, relatif à l’« Indemnisation en cas de contamination par le virus de l’hépatite C », dispose que : « en cas de contestation relative à l’imputabilité d’une contamination par le virus de l’hépatite C antérieure à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu des ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n’est pas à l’origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n’ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ». Ainsi, même si le législateur fait profiter le doute à la victime de la contamination, l’on pourrait craindre que les termes généraux employés permettent une interprétation plus rigoureuse que celle qui prévaut actuellement en jurisprudence. En effet, en prévoyant que : « le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang », n’envisage-t-il pas une preuve positive, plutôt qu’une preuve indirecte par « exclusion » ?

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Ouvrages reçus Responsabilité du médecin : mode d’emploi C. Paley-Vincent Droit Médical Pratique ; Paris : Masson, mai 2002, 275 p., 37 Q. Les responsabilités civiles, administratives, pénales et disciplinaires des professionnels de santé sont examinées de manière claire et accessible à un non-juriste. De nombreuses jurisprudences sont présentées et expliquées. Le grand intérêt de cet ouvrage réside dans sa rédaction postérieure à la promulgation de la loi du 4 mars 2002 qui a modifié de nombreux aspects du droit de la responsabilité. Les procédures devant les commissions d’indemnisation et de conciliation sont ainsi détaillées. Un ouvrage à recommander. Responsabilité médicale - droit des malades A. Castelletta Paris : Dalloz, avril 2002, 302 p., 66 Q. À jour de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits du malade et à la qualité du système de santé, cet ouvrage analyse les bases de la responsabilité contractuelle depuis l’arrêt Mercier de 1936 ainsi qu’une jurisprudence abondante. 1. Le droit des patients : droits de la personne, droit des usagers ; 2. Les devoirs des professionnels de santé : obligation de soins, secret médical, loi sur la bioéthique, devoir d’information ; 3. La responsabilité des professionnels de santé : la faute de technique médicale, la notion de faute, la responsabilité des professionnels de santé ; 4. La réparation des risques sanitaires : la responsabilité médicale et l’indemnisation du risque médical, l’indemnisation des risques sanitaires ; 5. La responsabilité des établissements de santé publics et privés ; 6. L’indemnisation des victimes : l’assurance de responsabilité civile médicale, l’indemnisation, le recours des tierspayeurs.

Bien qu’il semble peu probable que la clémence jurisprudentielle à l’égard des victimes de contamination par le VHC (notamment au regard de la présomption de causalité qui profite aux transfusés contaminés par le VIH) disparaisse, cette imprécision reste regrettable en ce qu’elle laisse une certaine latitude d’interprétation aux juges du fond, ellemême créatrice d’hétérogénéité et d’inégalité. Références [1] [2]

Anon. Bull civ 2002;I:88. Anon. Cass civ, 6 mars 1945, Clinique Sainte Croix. Dalloz; 1945. p. 217. [3] Savatier J. Note sur Cass, 1re civ, 4 juin 1991, JCP éd G 1991;II:21 730. [4] Jourdain P. Observations sur Cass, crim, 5 mars 1992. RTD civ 1993:137. [5] Sargos P. Rapport sur Cass, 1re civ, 26 mai 1999, Soc Clinique Victor Pauchet de Butler c/. Reitzaum. JCP 1999;II:10–112. [6] Porchy-Simon S. Regard critique sur la responsabilité civile de l’établissement de santé privé du fait du médecin, Mélanges Lambert, 3. Dalloz; 2002. p. 362. [7] Concl. Matter, rapp. Josserand, n. E. P., (Jur.) sur Cass civ, 20 mai 1936. Dalloz; 1936. p. 88. [8] concl. Kessous, n. Billiau sur Cass ass plén, 25 février 2000. JCP 2000;II:10 295. [9] Viney G. Observations sur Cass, ass plén, 25 février 2000. JCP 2000;I(16):241. [10] Jourdain P. Observations sur Cass, ass plén, 25 février 2000. RTD civ 2000:582.

[11] Radé C. Il faut sauver la jurisprudence Costedoat ! [chr.]. Resp civ et assur 2002;13. [12] Billiau. Note sur Cass ass plén, 14 décembre 2001. JCP 2002;II: 10–026. [13] Jourdain P. Observations sur Cass, 1re civ, 30 octobre 1995. RTD civ 1995:636. [14] rade de A. Note sur T. Confl., 14 février 2000. Petites Affiches 26 avril 2001;83:10. [15] Kullmann J. Note sur Cass, 1re civ, 21 novembre 2000. RGDA 2000: 1052. [16] Beauchard J. Note sur Cass, 1re civ, 25 mai 1992. RGAT 1992:601. [17] Lambert-Faivre Y. De la poursuite à la contribution : quelques arcanes de la causalité, [chr.]. Dalloz; 1992. p. 311. [18] Anon. Cass., 1re civ., 7 février 1990. Bull civ 1990;I(9). [19] Sargos P. Rapport sur Cass, 1re civ., 8 juillet 1997. JCP 1997;II: 22–921. [20] Barbiéri JF. Note sur Cass, 1re civ., 18 juillet 2000. Petites Affiches 3 novembre 2000;220:10. [21] Anon. Cass., 1re civ., 20 juin 2000. IR 2000:198. [22] Anon. CA Toulouse, 18 mars 2002. Juris-Data 2002;174(545). [23] Porchy-Simon S. Lien causal, préjudices réparables et non-respect de la volonté du patient, [chr.]. Dalloz; 1998. p. 379. [24] Moreau J. Note sur la décision du Conseil d’État le 26 octobre 2001. JCP 2002;II:10–025. [25] Sargos P. Rapport sur Cass., 1re civ., 9 mai 2001. Dalloz; 2001. p. 2149. [26] Anon. 2 arrêts, Cass., 1re civ., 17 juillet 2001. Bull civ 2001;I(234). [27] Anon. CA Toulouse, 14 janvier 2002. Juris-Data n° 180023. [28] Anon. Cass., 1er civ., 10 juillet 2002. Juris-Data n° 015152. [29] Anon. CE, 15 janvier 2001, IR. Dalloz; 2001. p. 597.