Comment je prends en charge une céphalée chez l’enfant

Comment je prends en charge une céphalée chez l’enfant

Pratique Neurologique – FMC 2015;6:197–206 Pour la pratique Comment je prends en charge une céphalée chez l'enfant How I manage headache in children...

2MB Sizes 1 Downloads 185 Views

Pratique Neurologique – FMC 2015;6:197–206

Pour la pratique

Comment je prends en charge une céphalée chez l'enfant How I manage headache in children J.-C. Cuvellier

Département de pédiatrie, service de neuropédiatrie, faculté de médecine de Lille, hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille, rue du Professeur-Émile-Laine, 59037 Lille cedex, France

RÉSUMÉ Les céphalées sont très fréquentes chez l'enfant, en particulier à l'adolescence, et peuvent révéler de nombreuses étiologies. Le diagnostic repose sur un interrogatoire soigneux suivi d'un examen neurologique et somatique méthodique. Celui-ci s'assurera que la motricité est symétrique et sera centré sur l'examen du fond d'œil, de l'oculomotricité, de la coordination et des réflexes ostéo-tendineux. La connaissance des étiologies les plus courantes en fonction du profil temporel des céphalées (aiguës, aiguës récurrentes, chroniques progressives, chroniques non progressives et mixtes) permet d'aboutir au diagnostic dans la majorité des cas. Les étiologies graves sont rares et sont essentiellement représentées par les tumeurs cérébrales et l'hypertension intracrânienne idiopathique. Une imagerie s'impose en cas de céphalées chroniques progressives et/ou d'anomalie de l'examen neurologique. La majorité des céphalées pédiatriques sont des céphalées primaires : céphalées de type-tension, migraine et céphalées chroniques quotidiennes. Leur diagnostic est facilité par l'utilisation des critères diagnostiques de l'ICHD-3 bêta, qui, en dehors de la migraine sans aura, ne différent pas en pédiatrie de ceux de l'adulte. Une approche pragmatique et raisonnée des céphalées de l'enfant est le meilleur garant d'efficacité et de bénéfice pour le patient et les parents.

MOTS CLÉS Céphalées primaires Migraine Enfant Adolescent

KEYWORDS Primary headache Migraine Child Adolescent

© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.

SUMMARY Headache is a common complaint in childhood and becomes more common and increased in frequency during adolescence. To determine the cause of a child's headache, the evaluation begins with a thorough headache history, which will lead to the diagnosis in an overwhelming majority of headache situations. The first step is to identify the temporal pattern of the headache—acute, acute-recurrent, chronic-progressive, chronic-non-progressive, or mixed. The next step is a physical and neurologic examination focusing on the optic disc, eye movements, motor asymmetry, coordination, and reflexes. Neuroimaging is not routinely warranted in the evaluation of childhood headache and should be reserved for use in children with chronic-progressive patterns or abnormalities on neurologic examination. Headache is most often caused by primary entities, such as migraine or tension-type, and chronic daily headache, but secondary causes, such as brain tumors and idiopathic intracranial hypertension should not be missed. The diagnosis of primary headache disorders, such as migraine and tension-type, rests principally on clinical criteria set forth by the International Headache Society (IHS). Having a practical and rational approach to the evaluation of headache in children can make the experience more efficient and effective, helping the provider and the parent feel more at ease. © 2015 Published by Elsevier Masson SAS.

Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.praneu.2015.07.002 © 2015 Publié par Elsevier Masson SAS. 197

Pour la pratique ABRÉVIATIONS CCQ céphalées chroniques quotidiennes CTT céphalées de type-tension HTIC hypertension intracrânienne ICHD-II The International Classification of Headache Disorders, cranial neuralgia and facial pain, 2nd edition ICHD-3 beta The International Classification of Headache Disorders, 3rd edition beta version IRM imagerie par résonance magnétique PC périmètre crânien Les céphalées constituent un motif de consultation fréquent en pédiatrie même si la proportion des patients qui consultent, en l'absence d'étude de population, est probablement faible par rapport à la prévalence des céphalées dans la population générale (54,4 et 58,4 % selon deux méta-analyses récentes [1,2]). Celle-ci pour des raisons incomprises a augmenté significativement au cours des 3 dernières décennies. C'est notamment le cas en Chine où la prévalence pédiatrique des céphalées a explosé dans les régions qui se sont urbanisées rapidement alors qu'elle est restée stable dans celles qui sont restées rurales [3].

L'INTERROGATOIRE – ACTE I Considérations générales Il constitue la plus grande partie de la consultation et c'est souvent à son terme que se dégage le diagnostic ou du moins une orientation diagnostique. À la différence de l'adulte, l'interrogatoire pour céphalées se démarque en pédiatrie pour deux raisons : c'est le plus souvent un interrogatoire à 2 (parfois plus) interlocuteurs (patient et parent[s]) ; il est conditionné par le niveau de développement psychoaffectif de l'enfant. La première est une source de difficulté mais aussi de richesse. Enfant et parent peuvent apporter des informations complémentaires : le vécu, nécessairement subjectif de la céphalée, pour l'enfant, des signes objectifs, visibles (pâleur, signes végétatifs) mais aussi le retentissement fonctionnel (par exemple, une estimation indirecte de la durée de l'épisode céphalalgique quand l'enfant est incapable de donner la réponse) pour l'observateur extérieur que constitue le parent. Des réponses contradictoires, opposées, voire conflictuelles peuvent émerger à cette occasion, jetant un éclairage sur les relations interfamiliales et par suite constituant un indice dans la démarche diagnostique. La capacité d'autoanalyse de symptômes subjectifs, de surcroît désagréables, plus ou moins récents, est à confronter aux compétences cognitives et psychoaffectives de l'enfant/adolescent. Il n'existe probablement pas de meilleure illustration de ce point que l'analyse des paramètres temporels. Imposer à l'enfant, lors de la consultation, de décrire a posteriori un ou plusieurs épisodes douloureux, plus ou moins récents, de durée plus ou moins prolongée, comportant des similitudes mais aussi des différences, voire une succession de plusieurs symptômes (la restitution d'une aura migraineuse comprenant différents types d'auras est à cet égard paradigmatique !) dépasse habituellement de loin ses capacités cognitives et psychiques. Les informations fournies par de « vieux » adolescents, a priori dotés de capacités cognitives supérieures, ne sont pas nécessairement plus précises ni même toujours cohérentes. Interviennent souvent des facteurs psychogènes propres

198

J-C Cuvellier

à l'adolescence : l'adolescent ne se sent pas concerné, pas impliqué, ce n'est pas le jour de lui poser ces questions, il ne souhaite pas parler devant les parents de certaines choses qui l'ont inquiété, etc. C'est dire le doigté dont doit faire preuve celui qui conduit l'interrogatoire qui, tout en essayant de garder le fil de la consultation, doit écouter les différentes parties, sans suggérer (ni à l'une ni à l'autre), éviter de poser des questions. . . stupides (eu égard au niveau de développement de l'enfant) mais savoir mettre tout le monde à l'aise. Il est bon de rappeler à cette occasion les principes qui gouvernent la consultation chez l'adolescent, c'est-à-dire savoir le respecter, le mettre en confiance par une approche empathique, voire susciter ses confidences sans tomber dans la facilité d'une proximité déplacée, décoder les indices fournis par les relations interpersonnelles et savoir-faire sortir au besoin le ou les parents (et au moment opportun), même si l'adolescent, mal à l'aise en présence de ses parents, n'en dit pas nécessairement davantage une fois en tête-à-tête. C'est plus la maturité affective qui compte que l'âge légal. À l'inverse, certains viennent parfois seuls et la relation avec un adolescent du sexe opposé peut être déstabilisante chez un praticien non préparé à cette situation (laisser la porte semi-ouverte pendant l'examen). S'il importe de savoir garder la distance adéquate, la ligne de démarcation est parfois ténue. Feeling et tuning sont requis de la part du consultant ! Inutile de dire qu'il n'existe pas de recette miracle ni que le succès est au rendez-vous à chaque consultation. Il importe aussi, au-delà du motif présent de la consultation, d'anticiper un éventuel suivi, a fortiori s'il risque d'être prolongé et émaillé de difficultés (par exemple, en cas de céphalées chroniques quotidiennes), afin de susciter dès le premier contact l'accroche de l'adolescent. Mon habitude est d'adresser environ un mois avant la date de consultation prévue un questionnaire de 8 pages que l'enfant et les parents doivent remplir. Le questionnaire comporte un agenda, étalonné sur un mois où il est demandé de noter durée, intensité et prises médicamenteuses. Son caractère prospectif met à profit la possible survenue de céphalées entre la date d'envoi du questionnaire et le jour de la consultation. Les difficultés initiales des parents à répondre au questionnaire acutiseront leurs capacités observationnelles, leur permettant d'analyser en temps réel les épisodes céphalalgiques. Ceci évite, le jour de la consultation, de prendre à brûle-pourpoint l'enfant, soudain confronté à l'épreuve évoquée plus haut et sommé d'avoir suffisamment d'esprit de synthèse pour dégager les caractéristiques communes (et les différences) des divers épisodes céphalalgiques, sans compter les parents qui, non rarement, vont le presser de : « le docteur t'a demandé de dire à quoi ressemblait ton mal de tête, dépêche-toi de lui répondre » ou se montrent suggestifs quand j'avais moi-même soigneusement évité de le faire : « alors, ça fait boum-boum ou ça serre ? ». Rien de tel pour garantir un mutisme ou une réponse bredouillante ! Si l'intérêt du questionnaire est indiscutable, il faut faire attention à ne pas le considérer comme absolu, mais comme un point de départ de l'interrogatoire lors de la consultation. Je me contenterai d'un exemple éclairant tiré de ma pratique. Récapitulant les principales informations notées dans le questionnaire, les choses avaient pris le tour qui suit : « ainsi tes maux de tête se situent au niveau du front. . . ». Premier « n'importe quoi ! » d'une voix à la limite de l'audible, accompagné d'une moue de circonstance, de la part de l'adolescent, affalé sur son siège, placé à dessein en arrière de celui de sa mère. Mon rapport de la typologie, intensité et durée des céphalées ayant tous produit une réaction similaire, j'attends le

Comment je prends en charge une céphalée chez l'enfant

Pour la pratique

Figure 1. Classification de Rothner.

quatrième « n'importe quoi ! » pour en demander la raison et m'entendre répondre : « mes maux de tête ne ressemblent pas du tout à ce que vous dites », et là, la mère, d'une voix mal assurée de dire : « en fait, docteur, c'est moi qui ai rempli, seule, votre questionnaire sans lui en parler. . . ». Ne disais-je pas que les relations interpersonnelles peuvent apporter un éclairage sur les relations interfamiliales ?. . .

Stratégie de l'interrogatoire Les premières questions de la consultation visent à cerner le patron temporel, ce qui a deux intérêts : le patron temporel est en soi une indication des principales étiologies à envisager et il va structurer l'interrogatoire en fonction de celles-ci. Cinq cas de figures sont possibles (classification de Rothner [4], Fig. 1) :  céphalées aiguës, « inhabituelles », c'est-à-dire unique et premier épisode céphalalgique chez un enfant qui n'a jamais eu de céphalées ou épisode céphalalgique très différent des céphalées antérieures ;  céphalées aiguës récurrentes, c'est-à-dire épisodes céphalalgiques de durée limitée dans le temps, entrecoupés d'un retour à une absence de céphalées dans l'intervalle ;  céphalées chroniques (c'est-à-dire d'une durée supérieure à 6 semaines) progressives, définies par une aggravation en fréquence et/ou en intensité des céphalées au cours de la période considérée ;  céphalées chroniques non progressives, fréquence et intensité des céphalées restant à peu près stables ;  céphalées mixtes, qui correspondent le plus souvent à des céphalées aiguës récurrentes (acutisations) sur un fond douloureux permanent. On peut subdiviser la suite de l'interrogatoire en trois parties, qui seront adaptées au profil temporel des céphalées et donc aux étiologies envisagées (Fig. 2) : la période céphalalgique, l'état de l'enfant dans l'intervalle des céphalées, l'évolution temporelle des céphalées depuis leur début. Parallèlement aux questions visant à préciser la sémiologie des céphalées, l'interrogatoire cherchera des signes d'alerte susceptibles de faire craindre des céphalées secondaires : ce sont les red flags (« drapeaux rouges ») des auteurs anglo-saxons (Tableau I).

en coup de poignard. . .), l'intensité (évaluée par une échelle analogique ou par le retentissement sur les activités en cours, comme la nécessité de s'allonger), la durée et la fréquence des céphalées, les symptômes d'accompagnement tels que signes digestifs (nausées, vomissements), aura (visuelle, sensitive, langagière), photo-, phono- et/ou osmophobie (déduites du comportement), abattement ou agitation, et signes neurovégétatifs (larmoiement, rhinorrhée, modification de la coloration cutanée du visage). Il est également utile de s'enquérir de l'horaire et des circonstances de survenue, des signes extérieurs visibles pendant la céphalée. Il importe de ne pas suggérer, de laisser l'enfant s'exprimer avec sa propre terminologie, et de ne poser des questions plus directives qu'après avoir épuisé le discours spontané de l'enfant et/ou des parents. Les variations de ces différents paramètres au cours d'un même accès ou d'un accès à l'autre seront précisées. Il faut être attentif à ceux qui auront une incidence sur l'attitude thérapeutique, comme, par exemple le moment de survenue des vomissements au cours d'une crise de migraine. Les choses se compliquent quand il y a plusieurs types de céphalées chez le même enfant, là aussi pour des raisons cognitives, ce qui peut conduire à un dialogue Beckettien entre le pédiatre (qui aura variablement perçu qu'il y avait deux types de céphalées) et l'enfant dont les réponses concernent indifféremment l'un ou l'autre. Il est évidemment nécessaire de caractériser chaque type de céphalée et leurs relations temporelles. Il arrive même de découvrir un troisième type de céphalées au moment où la consultation se termine !

L'évolution temporelle des céphalées Elle concerne non seulement la période récente : horaire de survenue – en particulier nocturne, facteurs déclenchants, d'aggravation ou d'amélioration (effort physique, toux, sommeil, position. . .), signes annonciateurs (prodromes), mais aussi toute la dynamique évolutive des céphalées depuis leur apparition initiale (date et modalités de début, évolution des caractéristiques des céphalées).

L'état de l'enfant dans l'intervalle des céphalées La période céphalalgique On fera préciser la localisation (localisée, diffuse, variable, présence d'irradiations. . .), la typologie (pressive, pulsatile,

Il s'agit de rechercher des symptômes intervallaires associés aux céphalées, pouvant faire craindre des céphalées secondaires, et d'apprécier le retentissement fonctionnel. Bien

199

J-C Cuvellier

Pour la pratique

Figure 2. Diagnostic étiologique en fonction du patron temporel des céphalées. Addendum à la Fig. 2 : *mais aussi : vasculaire (malformation artério-veineuse, thrombose, hémorragie sous arachnoïdienne, hématome intraparenchymateux. . .) ; traumatique (avec ou sans hématome ou hémorragie) ; médicamenteuse (corticoïdes, méthylphénidate, contraceptifs. . .) ; intoxication (monoxyde de carbone, plomb) ; toxicomanie (cocaïne, amphétamine, ecstasy. . .) ; HTA ; malformation congénitale (Dandy-Walker, kyste arachnoïdien, hygrome. . .) ; tumeur cérébrale ; hydrocéphalie ; dysfonctionnement de valve de dérivation ventriculo-péritonéale ; HTIC idiopathique ; postcritique ; post-ponction lombaire ; hypoxie ; syndrome Mitochondrial Encephalomyopathy, Lactic Acidosis, and Stroke-like episodes (MELAS) ; premier épisode de céphalées aiguës récurrentes.

Tableau I. Drapeaux rouges. À l'interrogatoire

À l'examen

Céphalée : s'aggravant la nuit, ou au petit matin (provoquant le réveil du patient) ; Augmentation rapide du PC Anomalie du schème de marche et/ou de aggravation progressive en fréquence et/ou en intensité ; survenue à la toux l'examen neurologique ou à l'effort ou à la position penchée en avant ; âge  3 ans ; pire céphalée ; Souffle à l'auscultation du crâne modification du caractère des céphalées : aura atypique Crises épileptiques, en particulier focales

Trouble visuels : strabisme et/ou autre trouble de l'oculomotricité d'apparition récente ; # acuité visuelle sans trouble de réfraction ; œdème papillaire

Maladresse d'apparition récente

Latérocolis/torticolis

Troubles du comportement

Signes évocateurs d'une atteinte hypothalamohypophysaire, diabète insipide

Baisse des résultats scolaires

Neurofibromatose de type 1

Nausées ou vomissements matinaux, persistant ou augmentant en fréquence Signes endocriniens ou auxologiques (accélération ou infléchissement statural/pondéral) Multiples symptômes Antécédents familiaux de tumeur cérébrale Crainte parentale PC : périmètre crânien.

200

Comment je prends en charge une céphalée chez l'enfant

évidemment c'est le contexte qui dictera la prééminence à accorder à l'un ou l'autre de ces points. On recherchera des douleurs abdominales récurrentes, des signes d'hypertension intracrânienne (HTIC), des modifications auxologiques ou endocriniennes, une baisse des résultats scolaires, avec une attention particulière, chez l'adolescent, à des modifications du caractère ou de la personnalité, du sommeil, de la diététique ou des activités physiques et sportives, à une comorbidité anxieuse ou dépressive, et aux relations avec les parents. C'est en cas de céphalées chroniques quotidiennes (CCQ) que le retentissement fonctionnel doit être tout particulièrement analysé. Il peut être mesuré en termes d'absentéisme scolaire, de troubles du sommeil, de perturbations des relations amicales, de réduction des activités extrascolaires et de loisirs. Néanmoins, il faut avoir à l'esprit que des difficultés scolaires, un isolement social et des troubles du sommeil peuvent aussi être des stigmates de dépression. Le retentissement fonctionnel peut être apprécié par le PedMIDAS, qui prend en compte les jours perdus d'école, les activités domestiques, et la socialisation, mais dont il n'existe pas à ce jour de traduction française [5]. Les conflits intrafamiliaux (séparation parentale), les soucis quotidiens (maladie d'un grandsparents, chagrin sentimental), la consommation d'alcool et de stupéfiants sont d'autres points à aborder, de même que la diététique, l'emploi du temps (scolaire et extrascolaire), et le sommeil. On s'intéressera à la façon dont le patient et la famille se comportent face à la douleur (relations parents– enfant, mécanismes de compensation). Le patient tire-t-il des bénéfices secondaires des céphalées ? Dans ce contexte, il faut être attentif à des symptômes anxieux et/ ou dépressifs, mais aussi rechercher des idées suicidaires. Si on suspecte une composante psychogène, une évaluation par un pédopsychiatre est quelquefois judicieuse, à condition que celui-ci soit sensibilisé et habitué à l'évaluation des céphalées chez l'enfant et l'adolescent. On se trouve parfois confronté à une authentique comorbidité psychiatrique. La recherche des comorbidités associées fait partie de la stratégie de prise en charge des céphalées, notamment chez l'adolescent. On fera préciser les antécédents personnels (syndromes épisodiques susceptibles d'être associés à la migraine, auxquels ont été rattachés récemment les coliques du nourrisson, comorbidités comme une cinétose ou un somnambulisme, antécédents de traumatisme, pathologie chronique, prise médicamenteuse et son indication). Les antécédents familiaux de céphalées sont rarement contributifs. Je suis surpris de constater le nombre élevé de parents souffrant eux-mêmes de céphalées, qui n'ont pas consulté et/ou qui ont de prétendues « migraines ». J'en suis récemment venu à faire un bref interrogatoire afin d'obtenir la description des céphalées parentales. Il faut s'enquérir en détail des traitements essayés par l'enfant pour soulager les céphalées (nature, posologie, efficacité, effets indésirables éventuels, existence d'un abus d'antalgiques), ainsi que des traitements en cours pour d'autres motifs que les céphalées (anti-acnéiques, cyclines, œstro-progestatifs. . .).

L'EXAMEN Il est souhaitable d'avoir une orientation diagnostique à l'issue de l'interrogatoire car elle guide les points de l'examen qui

Pour la pratique réclament une attention particulière. Comme lors de l'interrogatoire, l'un des objectifs de l'examen est la recherche de drapeaux rouges (Tableau I). L'examen neurologique est influencé par l'âge, qui dicte à la fois la norme (en particulier pour le tonus) mais aussi la méthodologie à adopter, conditionnée par la participation de l'enfant. Regarder est irremplaçable, particulièrement quand l'enfant ne se sent pas examiné (entrée/sortie de la salle d'examen). L'enfant de moins de 3 ans est paradigmatique des difficultés rencontrées : l'interrogatoire est essentiellement parental, l'examen difficile (surtout pour un néophyte). L'examen doit être conduit en vertu de la règle qui veut que les manœuvres les moins désagréables soient faites initialement, en allant progressivement vers celles qui le sont moins ; l'objectif est de ne pas déclencher de pleurs, car une fois initiées, il est rare qu'elles cessent avant la fin de la consultation, et l'examen du tonus, des réflexes ostéo-tendineux dans ces conditions devient impossible ! La diplomatie est de mise, il faut savoir reculer quand on voit qu'on s'approche du point de non-retour, pour revenir à l'attaque ensuite. En conséquence, l'examen n'est pas conduit selon la procédure classique, d'où une difficulté supplémentaire pour le médecin qui doit garder le fil pour ne rien oublier et remettre mentalement les données en ordre ensuite. Dans certains cas, il faut savoir ne pas insister et proposer une seconde consultation quelques jours plus tard. Chez le nourrisson, on soulignera l'intérêt des manœuvres de suspension, antérieure – « plongeon » – et latérale – « parachute », qui ne nécessitent pas sa collaboration. Elles doivent être symétriques. L'obsession est de ne pas rater un processus expansif (tumeur cérébrale, malformation artério-veineuse hématome sous-dural. . .). Il est utile de se souvenir que les tumeurs de l'enfant sont le plus souvent situées au niveau de la fosse postérieure, d'où l'attention qui doit être portée à la recherche d'un syndrome cérébelleux et/ou d'une atteinte des paires crâniennes, et que la moitié d'entre elles surviennent avant 4 ans. L'adolescence suscite d'autres difficultés. L'examen n'est pas nécessairement plus facile que chez le nourrisson (manque d'entrain, adolescent qui se renferme dans sa cuirasse, pusillanimité. . .). C'est aussi la tranche d'âge où les problèmes de santé sont les moins prévalents, et, alors que l'examinateur doit parfois se faire violence pour surmonter les écueils précédents, la facilité est de tomber dans la routine, en étant persuadé que l'examen sera selon toute vraisemblance normal et/ou qu'il s'agit d'une pathologie fonctionnelle. Il faut savoir n'être que plus rigoureux dans ces circonstances et redoubler d'effort et d'objectivité face à l'agacement que suscitent certains adolescents, d'autant qu'à cet âge un processus expansif peut se présenter de façon atypique et piégeuse (baisse des résultats scolaires, symptomatologie d'allure psychiatrique chez une adolescente démonstrative qui pourra alors être trop facilement taxée d'« hystérique »). Les études menées au Royaume-Uni par Sophie Wilne sont instructives qui s'efforcent de répertorier les pièges (et les mauvaises habitudes des médecins qui s'y laissent prendre. . .) [6,7]. Un médecin averti en vaut deux ! C'est le lieu de souligner l'attention qui doit être portée à un parent inquiet, parfois à juste titre. Chez le grand enfant et l'adolescent, l'étude du schème de marche est irremplaçable tant par les informations qu'elle apporte que par son « rendement » temporel dans une consultation chargée. On accordera une attention particulière à la symétrie et à la coordination (+++), mais aussi à l'examen des paires

201

J-C Cuvellier

Pour la pratique Tableau II. Indications d'imagerie. Anomalie de l'examen neurologique Modification du caractère des céphalées Signes d'HTIC (céphalées matinales entraînant le réveil, vomissements matinaux, œdème papillaire, augmentation du PC. . .) Trouble visuel et/ou de l'oculomotricité Vomissements persistant ou augmentant en fréquence Signes évocateurs d'une atteinte hypothalamo-hypophysaire Retard ou infléchissement statural Neurofibromatose de type 1 HTIC : hypertension intracrânienne ; PC : périmètre crânien.

crâniennes, de l'oculomotricité, des fonctions supérieures, sans oublier le fond d'œil, l'auscultation du crâne chez le jeune enfant et la recherche d'un syndrome méningé en cas de céphalées aiguës (Tableaux I et II). L'examen somatique comprend la mesure du poids, de la taille, du périmètre crânien (PC) (y compris chez les plus grands) et la reconstitution des courbes correspondantes, la mesure de la température et de la tension artérielle, à confronter aux normes pédiatriques, l'observation du revêtement cutané (à la recherche d'un syndrome hémorragique ou d'un syndrome neuro-cutané), de la tête et du cou (thyromégalie), la recherche de stigmates de traumatisme craniocervical, d'une raideur ou d'une limitation de la mobilité de la nuque, d'une douleur à la percussion des épineuses, d'une sensibilité péricrânienne, et la palpation des points sinusiens. La manœuvre de Mueller (l'enfant se pince le nez, compte jusqu'à 3, et tousse) est positive quand l'augmentation transitoire de pression intrasinusienne qu'elle provoque augmente l'intensité de la céphalée. L'examen stomatologique recherche des caries dentaires, une limitation ou une douleur à l'ouverture de la bouche, une sensibilité ou une douleur à la palpation de l'articulation temporomandibulaire (bouche ouverte puis fermée), du ménisque latéral, des muscles masséter, temporal et ptérygoïdien. On s'intéressera à la dynamique pubertaire. Noter la différence entre le pouls et la tension artérielle en position assise et debout. Si dans la majorité des cas, à l'issue de l'examen, on se trouve en présence de céphalées primaires, diagnostic évoqué dès la fin de l'interrogatoire qui se trouve confirmé par l'absence de drapeau rouge et la normalité de l'examen clinique, la première question à laquelle il faut répondre, est : y a-t-il des arguments à prescrire des examens complémentaires, notamment une imagerie à la recherche d'une tumeur cérébrale ? Des considérations épidémiologiques montrent que la probabilité est faible : l'incidence des tumeurs cérébrales est de 3 à 4/ 100 000/an tandis que la prévalence des céphalées nécessitant un avis médical est de 54,4 à 58,4 % chez les moins de 15 ans [1,2,8]. Si jusqu'à 2/3 des tumeurs cérébrales sont révélées par des céphalées, il est extrêmement rare qu'une tumeur cérébrale se présente par des céphalées isolées, sans drapeau rouge et sans anomalie de l'examen. Même dans les très rares cas où il en est ainsi, cela dure exceptionnellement plus de quelques semaines. Le Tableau II indique les paramètres sur lesquels l'attention doit tout particulièrement se

202

porter. Des drapeaux rouges à l'interrogatoire et/ou l'examen clinique (Tableau I), sont des indications impératives. Le jeune âge est aussi une indication formelle d'imagerie, même si les auteurs ne s'accordent pas sur la limite supérieure d'âge (de 3 à 6 ans). Je dirais qu'en pareil cas la décision finale sera conditionnée par la qualité de l'interrogatoire et de l'examen clinique. La crainte d'un processus expansif conduit à prescrire une imagerie et à en discuter les modalités. Les avantages de la tomodensitométrie cérébrale sont une durée d'examen plus courte et la nécessité moins fréquente d'une sédation, mais elle a comme inconvénients d'être irradiante et comme limite la présence d'artefacts osseux en particulier en fosse postérieure. La supériorité de l'imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale provient d'une meilleure résolution, notamment en fosse postérieure, et de l'absence d'irradiation, mais elle impose souvent une sédation et les délais d'obtention sont plus longs. Dans les situations où on évoque la possibilité d'une tumeur cérébrale, l'imagerie redressera parfois le diagnostic en montrant une malformation artério-veineuse, un hématome sous-dural ou un abcès cérébral, par exemple. Elle est normale dans la seconde situation où des examens paraclinique sont nécessaires, c'est-à-dire l'HTIC idiopathique. S'il faut y penser en cas de photopsies, chez une adolescente en surcharge pondérale, prenant des médicaments connus pour la provoquer (contraceptifs, cyclines, anti-acnéiques, etc.), la présentation est parfois atypique (l'œdème papillaire peut même manquer) d'où la nécessité d'avoir un index de suspicion bas. Le diagnostic sera porté par le fond d'œil, l'étude du champ visuel, la pression d'ouverture du LCR et la normalité de l'IRM cérébrale [9].

L'INTERROGATOIRE – ACTE II Le diagnostic évoqué à l'issue de l'interrogatoire et de l'examen motive souvent une reprise de l'interrogatoire afin d'éclaircir certains points avant d'énoncer les conclusions diagnostiques. La majorité des céphalées pédiatriques sont des céphalées primaires. Les céphalées de type-tension (CTT) sont les plus fréquentes en population générale, la migraine en consultation hospitalière. Le diagnostic des premières fait appel aux critères de l'ICHD-3 bêta, non modifiés (c'est-à-dire par rapport à ceux employés chez l'adulte) [10]. Pour la migraine, seuls ceux de migraine sans aura font l'objet de modifications, par le biais de notes, relativement aux critères adultes. Celles-ci ne rendent qu'imparfaitement compte, à mon avis, des particularités de la migraine sans aura du jeune enfant : crises plus courtes que chez l'adulte, céphalée de localisation plus souvent frontale que temporale, plus souvent bilatérale qu'unilatérale (donc typiquement bifrontale dans 2/3 des cas) (Annexe 1, vignette clinique 1). Toutefois, si les critères de l'ICHD (ceci concerne l'ICHD-II car à ma connaissance aucune étude utilisant ceux de l'ICHD-3 bêta n'a été publiée à ce jour) sont très sensibles (plus de 90 %), leur spécificité n'est que d'environ 85 % [11]. Les 15 % restant correspondent en pratique à 3 situations : la première est évidente, due à la non-satisfaction du critère A, c'est-à-dire à un nombre de crises  4, qui ne doit pas empêcher de mettre en place les mesures thérapeutiques adéquates. Des crises brèves, de moins de 2 heures, correspondent au deuxième cas. L'ICHD-II était moins restrictive puisqu'elle plaçait le seuil à 1 heure, sous réserve que

Pour la pratique

Comment je prends en charge une céphalée chez l'enfant

cet item soit validé par la tenue prospective d'un agenda. Certains enfants ont même des crises de migraine sans aura plus courtes, par exemple de 30 min, en particulier au début d'installation d'une migraine ; on voit non rarement les crises s'allonger avec le temps pour rentrer dans le cadre classique. Rappelons que, selon l'ICHD-3 bêta, la durée de crise est établie à partir des crises non traitées ou pour lesquelles le traitement de crise s'est soldé par un échec. Si l'enfant s'endort céphalalgique et se réveille guéri, l'ICHD-3 bêta considère que la fin de la crise correspond à l'heure du réveil. Enfin, en l'absence de signes digestifs, certains enfants n'ont qu'une photophobie ou une phonophobie, mais pas les deux, et dans ces situations, outre la présence d'une osmophobie, c'est l'analyse d'autres variables qui permet de trancher : abattement, irritabilité, pâleur, analyse des facteurs déclenchants, voire des prodromes (les plus fréquents sont : modifications du visage, fatigue et irritabilité [12]), et à un moindre degré, l'existence d'antécédents familiaux de migraine. Chez les très jeunes enfants, incapables de verbaliser leurs symptômes, la survenue paroxystique des symptômes et leur intensité, jointe à des signes digestifs, une pâleur ou des vertiges sont autant de signes auxquels les parents seront d'autant plus attentifs qu'ils sont euxmêmes migraineux. Au fur et à mesure que le patient se rapproche de l'adolescence, la sémiologie se modifie pour se rapprocher de celle de l'adulte (localisation temporale, hémicrânie à bascule). L'aura la plus fréquente est visuelle, se manifestant par des distorsions, une vision floue ou trouble. Typiquement, les éléments surajoutés sont dans un dégradé de gris (du blanc au noir), sous forme de segments de droites, de lignes brisées, fixes par rapport au champ visuel. Scotome, hallucinations ou vision monoculaire sont plus rares. La chronologie (aura puis céphalée) est moins souvent respectée que chez l'adulte (succession inverse ou chevauchement). La bizarrerie des signes visuels peut égarer le clinicien, réalisant le « syndrome d'Alice au Pays des Merveilles ». L'aura visuelle est parfois isolée. Les auras sensitives (paresthésies, hypoesthésie, sensation d'engourdissement ou de piqûre, localisées à la face et/ou à un membre, migratrices) et/ou langagières (manque du mot, paraphasies voire aphasie transitoire) surviennent rarement sans aura visuelle associée. Des auras auditives peuvent également survenir (sifflement bourdonnement, hallucinations auditives). Les

critères de l'ICHD-3 bêta se caractérisent par des exigences temporelles strictes et ne différent pas entre enfant et adulte, faisant que les enfants atteints de migraine avec aura vérifient moins souvent les critères de l'ICHD-3 bêta que ceux atteints de migraine sans aura [10] (Annexe 1, vignette clinique 2). Les formes plus rares de migraine (migraine avec aura du tronc cérébral, migraine hémiplégique sporadique ou familiale, migraine aiguë confusionnelle) ne sont pas exceptionnelles, notamment à l'adolescence, mais le diagnostic est rarement posé, par méconnaissance des médecins qui évoquent souvent en pareil cas nombres de diagnostics alternatifs improbables et prescrivent un nombre tout aussi considérable d'examens paracliniques ! Les syndromes périodiques de l'enfance sont aussi rarement diagnostiqués, faute d'avoir consulté le spécialiste adéquat : le nourrisson atteint de torticolis paroxystique bénin ou de vertige paroxystique bénin consulte aux urgences pédiatriques, la migraine abdominale en gastro-entérologie pédiatrique, le syndrome des vomissements cycliques en gastro-entérologie pédiatrique ou en maladies métaboliques (Annexe 1, vignette clinique 3). Le diagnostic repose sur la connaissance des maladies, leur symptomatologie classique et la démarche paraclinique, qui est essentiellement une exclusion des diagnostics différentiels (Tableau III). Poser le diagnostic est néanmoins important à titre de réassurance des parents (torticolis paroxystique bénin, vertige paroxystique bénin) ou de prélude à une prise en charge thérapeutique déterminante (migraine abdominale, syndrome des vomissements cycliques). La consultation pour CCQ est très différente. Si le diagnostic, évoqué dès les premiers échanges (« j'ai mal tout le temps », « tous les jours »), est en général porté en quelques minutes, par l'application de la définition (15 jours mensuels de céphalées pendant au moins 3 mois), il est indispensable d'obtenir un agenda de crises (Fig. 3), que l'adolescent apportera à la consultation suivante, afin de le confirmer formellement et d'authentifier un abus d'antalgiques. Les antalgiques simples, comme le paracétamol, à tort considéré comme « inoffensif », sont fréquemment en cause. Dans mon expérience, l'abus d'antalgiques est majoritairement le fait d'une prescription médicale [13]. La consommation excessive de caféine, sous forme de sodas à base de cola, peut aussi contribuer aux CCQ. Une grande partie de l'interrogatoire sera consacrée à explorer le contexte et les comorbidités. Les CCQ

Tableau III. Syndromes épisodiques susceptibles d'être associés à la migraine. Syndrome

Âge moyen de survenue (extrêmes)

Clinique

Durée moyenne des épisodes (extrêmes)

Torticolis paroxystique bénin

5 mois (0,25–30 mois)

Torticolis, ataxie, irritabilité, pâleur, vomissements

4,5 jours (< 1–30 jours)

Vertige paroxystique bénin

3 ans (5 mois–8 ans)

Vertiges, ataxie, pâleur, vomissements

10 min (quelques secondes–72 h)

Migraine abdominale

7 ans (nourrisson–adulte)

Douleurs abdominales périombilicales, pâleur, léthargie

4h (1–72 h)

Syndrome des vomissements cycliques

5 ans (6 jours–73 ans)

Nausées sévères, vomissements++, pâleur, léthargie

24 h (2 h–10 jours)

203

Pour la pratique

J-C Cuvellier

Figure 3. Agenda de céphalées démontrant des céphalées chroniques quotidiennes associées à un abus d'antalgiques chez une adolescente. I : intensité ; S : sévère ; M : modérée ; Ibu : Ibuprofène ; Imi : Imigrane® (Sumatriptan spray nasal).

secondaires sont rares et leur recherche, par la demande des examens paracliniques appropriés, est rarement nécessaire. L'angiographie par résonance magnétique se discute en cas d'antécédents familiaux d'anévrisme, de nette aggravation par l'activité physique, d'antécédents de traumatisme crânien ou cervical notable, afin d'éliminer une possible dissection carotidienne, en particulier au début des CCQ. Il est parfois utile de demander un avis stomatologique ou une tomodensitométrie des sinus. Dans des cas sélectionnés, on envisagera un tilt-test, une ponction lombaire, voire un bilan

204

sanguin (bilan thyroïdien, anticorps antinucléaires s'il existe d'autres signes que les céphalées, compatibles avec un lupus, sérologie du virus Epstein-Barr ou de la maladie de Lyme en cas de céphalées quotidiennes nouvelles persistantes). Dans la migraine chronique, la phase de transformation est plus courte que chez l'adulte. Ceci souligne la nécessité d'anticiper dans les cas de céphalées fréquentes, où l'adolescent ne vérifie pas encore le critère formel des 15 jours mensuels de céphalées requis. Mieux vaut prévenir que guérir d'autant qu'ici la guérison est habituellement un

Pour la pratique

Comment je prends en charge une céphalée chez l'enfant

long chemin émaillé d'épines et la prise en charge thérapeutique multifactorielle rarement rapidement efficace. En termes de répartition, la part des céphalées quotidiennes nouvelles persistantes est un peu plus élevée qu'elle ne l'est chez l'adulte (25 %) [14]. Rares chez l'adulte, les céphalées trigémino-vasculaires sont exceptionnelles en pédiatrie, où on ne dispose même pas de données de prévalence. Elles ont en commun une douleur extrêmement intense, en coup de poignard, localisée au territoire du trijumeau, associée à des signes végétatifs locaux de même topographie. Les différences portent sur la durée des crises douloureuses, le nombre de crises par jour et la sensibilité aux traitements. Les moins rares chez l'enfant sont l'algie vasculaire de la face, l'hémicranie paroxystique et la SUNCT [14]. Les autres céphalées primaires sont rares en pédiatrie, à l'exception des céphalées quotidiennes nouvelles persistantes, évoquées au paragraphe précédent, et des céphalées primaires en coup de poignard [14,15]. En ce qui concerne les céphalées secondaires, les causes ophtalmologiques, ORL, stomatologiques, cervicales et rachidiennes sont très rarement rencontrées en pratique hospitalière. La coïncidence de deux problématiques de santé fréquentes chez l'enfant conduit à des diagnostics par excès. Par exemple, la prévalence des troubles de réfraction est de 20 à 25 % chez l'enfant. Une anomalie de transparence des sinus sur une radiographie est rencontrée jusque chez 60 % des enfants normaux et n'est pas synonyme de sinusite. Il importe de respecter le critère C, (ICHD-3 bêta, groupe 11, p. 759–69 [10]) qui permet d'établir le lien de causalité entre céphalées et cause supposée : toutes deux doivent débuter selon une relation temporelle étroite ; les céphalées doivent disparaître rapidement à la suite du traitement efficace de la cause [16]. Restent les situations où la description, souvent imprécise et floue, n'évoque aucune étiologie connue. Nombre d'indices disséminés dans les lignes qui précédent (comportement de l'enfant et/ou des parents, présentation des symptômes, attitude lors de l'examen, ensemble qui ne correspond pas à une entité connue) doivent soulever la possibilité d'une origine psychogène (Annexe 1, vignette clinique 4).

CONCLUSION Il n'est parfois pas possible de conclure à l'issue d'une seule consultation. En pareil cas, on proposera une deuxième consultation peu de temps après de façon à ce que les choses se décantent. Certains enfants, en difficulté pour verbaliser leur céphalées, sont parfois capables de s'exprimer par un dessin [17]. La tenue d'un agenda de crises dans l'intervalle sera encouragée. Idéalement le but d'une 1re consultation est de parvenir à un diagnostic ou du moins d'en tracer les contours, d'avoir une bonne accroche avec le patient, et/ou son ou ses parents. Quand Lewis et al. [18] ont demandé à l'enfant et aux parents ce qu'ils attendaient d'une consultation pour céphalées, trois réponses se dégageaient majoritairement : obtenir un diagnostic étiologique, avoir un traitement efficace, et être rassuré après que toute cause grave ait été éliminée. Mais bien sûr, ceci n'est possible qu'après la proposer une attitude thérapeutique et ceci sort du cadre du propos de cet article !

Points essentiels  Les céphalées concernent plus de la moitié des moins de 15 ans. L'interrogatoire est le pivot du diagnostic et l'essentiel de la consultation lui sera consacré.  Les causes graves sont rares et doivent ne pas échapper à une démarche méthodologique rigoureuse, centrée sur la recherche de drapeaux rouges, tant à l'interrogatoire qu'à l'examen clinique. Celle-ci sera adaptée à l'âge et diffère notablement entre les deux extrêmes : nourrisson, chez qui l'interrogatoire est exclusivement parental et l'examen « subi » par le nourrisson, adolescent, où l'approche diagnostique sera conditionnée par le fonctionnement propre à cette période de la vie et la connaissance du « monde de l'adolescent ».  Les deux diagnostics à ne pas manquer : hémorragie méningée et processus expansif.  L'imagerie doit être systématique chez les enfants de moins de 3 ans. Plus de 98 % des enfants atteints de tumeur cérébrale ont un examen neurologique anormal.  La grande majorité des céphalées de l'enfant et de l'adolescent sont des céphalées primaires, au premier rang desquelles les céphalées de type-tension.  La version bêta de la troisième édition de la classification de l'International Headache Society (ICHD3 beta) est d'une aide précieuse au diagnostic. La crise de migraine sans aura se différencie de celle de l'adulte par une durée plus courte et une localisation bifrontale de la céphalée.  Le diagnostic de céphalées chroniques quotidiennes sera confirmé par la tenue d'un agenda de crises, qui colligera les jours de céphalées et les prises d'antalgiques.  Céphalées psychogènes et comorbidité psychogène de céphalées primaires sont rencontrées fréquemment en pratique. La coexistence de céphalées et d'une cause extracérébrale n'implique pas nécessairement un lien de causalité entre la seconde et la première.

Déclaration d'intérêts L'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

ANNEXE 1.

MATÉRIEL COMPLÉMENTAIRE

Le matériel complémentaire (Annexe 1) accompagnant la version en ligne de cet article est disponible sur http://www. sciencedirect.com et doi:10.1016/j.praneu.2015.07.002.

RÉFÉRENCES [1] Abu-Arafeh I, Razak S, Sivaraman B, Graham C. Prevalence of headache and migraine in children and adolescents: a systematic review of population-based studies. Dev Med Child Neurol 2010;52:1088–97.

205

Pour la pratique [2] Wöber-Bingöl C. Epidemiology of migraine and headache in children and adolescents. Curr Pain Headache Rep 2013;17 (6):341. [3] Anttila P, Metsähonkala L, Sillanpää M. Long-term trends in the incidence of headache in Finnish schoolchildren. Pediatrics 2006;117:e1197–201. [4] Rothner AD. The evaluation of headaches in children and adolescents. Semin Pediatr Neurol 1995;2:109–18. [5] Hershey AD, Powers SW, Vockell AL, LeCates S, Kabbouche MA, Maynard MK. PedMIDAS: development of a questionnaire to assess disability of migraines in children. Neurology 2001; 57:2034–9. [6] Wilne S, Collier J, Kennedy C, Koller K, Grundy R, Walker D. Presentation of childhood CNS tumours: a systematic review and meta-analysis. Lancet Oncol 2007;8:685–95. [7] Wilne S, Koller K, Collier J, Kennedy C, Grundy R, Walker D. The diagnosis of brain tumours in children: a guideline to assist healthcare professionals in the assessment of children who may have a brain tumour. Arch Dis Child 2010;95:534–9. [8] Hayashi N, Kidokoro H, Miyajima Y, Fukazawa T, Natsume J, Kubota T, et al. How do the clinical features of brain tumours in childhood progress before diagnosis? Brain Dev 2010;32(8): 636–41. [9] Rogers DL. A review of pediatric idiopathic intracranial hypertension. Pediatr Clin North Am 2014;61:579–90.

206

J-C Cuvellier

[10] Headache Classification Subcommittee of the International Headache Society. The International Classification of Headache Disorders, 3rd edition beta version. Cephalalgia 2013;33:629–808. [11] Headache Classification Committee. The international classification of headache disorders, cranial neuralgia and facial pain, 2nd edition. Cephalalgia 2004;24(Suppl. 1):1–160. [12] Cuvellier JC, Mars A, Vallée L. The prevalence of premonitory symptoms in pediatric migraine: a questionnaire study in 103 children and adolescents. Cephalalgia 2009;29:1197–201. [13] Cuvellier JC, Nasser H, Vallée L. Medication overuse headache in school-aged children: more common than expected. Headache 2013;53:387–8. [14] Cuvellier JC. Céphalées et migraines de l'enfant. EMC Pediatr 2013;8(2):1–12 [Article 4-094-A-10]. [15] Lewis DW, Gozzo YF, Avner MT. The "other'' primary headaches in children and adolescents. Pediatr Neurol 2005;33:303–13. [16] Abu-Arafeh I. Craniofacial pain headache attributed to diseases of the paranasal sinuses, the eyes, the teeth and the jaws. In: Childhood headache2nd ed. London: Ishaq Abu-Arefeh Ed./Mac Keith Press; 2013. [17] Stafstrom CE, Goldenholz SR, Dulli DA. Serial headache drawings by children with migraine: correlation with clinical headache status. J Child Neurol 2005;20:809–13. [18] Lewis DW, Middlebrook MT, Mehallick L, Rouch TM. Pediatric headaches: what do the children want? Headache 1996;36:224–30.