Lettres à la rédaction
Défaillance cardiaque compliquant une endocardite infectieuse à Erysipelothrix rusiopathiae Cardiac failure complicating infective endocarditis due to Erysipelothrix rusiopathiae
Observation Une patiente de 69 ans, originaire du Congo et sans antécédent particulier, a été hospitalisée dans notre service de réanimation pour une défaillance hémodynamique associée à une insuffisance rénale aiguë. Cette patiente était hospitalisée depuis trois semaines au CHU de Brazzaville pour une insuffisance cardiaque subaiguë fébrile, traitée par l’association de digitaliques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion et diurétiques de l’anse. Au cours de cette hospitalisation, une endocardite infectieuse avait été suspectée et traitée de manière probabiliste par oxacilline et gentamicine. Après trois jours d’hospitalisation dans le service de médecine interne de notre hôpital, la patiente devait être transférée en réanimation en raison d’une instabilité hémodynamique. À l’admission en réanimation, cette patiente avait une altération de l’état général, avec une perte de poids de 10 kg en un mois et une asthénie importante, une arthrite temporomandibulaire et un souffle diastolique au foyer aortique. Un remplissage vasculaire a permis de corriger l’hypotension artérielle initiale. Le diagnostic d’insuffisance cardiaque était attesté par l’existence sur les échocardiographies transthoracique et transoesophagienne d’une insuffisance aortique de grade 3 et de végétations de 10 et 15 mm aux dépens des valves aortiques, avec un diastasis de la valve aortique estimé à 7 mm (figure 1). Une insuffisance rénale aiguë associée était diagnostiquée par la conjonction d’une oligoanurie, d’une créatininémie de 314 mmol/L, d’une urémie de 20 mmol/L, et d’une clairance de la créatininémie estimée à 11 mL/min selon la formule de
tome 41 > n82 > février 2012
Figure 1 Échocardiographie transoesophagienne montrant une valve aortique bicuspide avec trois végétations OG : oreillette gauche ; VG : ventricule gauche ; V : végétation ; AO : aorte.
Cockroft, sans obstacle sur les voies urinaires à l’échographie. Le diagnostic d’endocardite infectieuse à Erysipelothrix rusiopathiae a été affirmé par l’isolement de ce germe sur les hémocultures, confirmé par une PCR sur la séquence 16S rDNA. L’interrogatoire de la patiente a trouvé un contage par des chiens domestiques au contact d’élevages porcins ou par consommation de viande porcine. L’antibiothérapie initiale par oxacilline et gentamicine, prescrite au Congo, a été alors remplacée selon les résultats de l’antibiogramme par l’association d’amoxicilline et de lévofloxacine. Ce traitement a dû être modifié après 48 heures avec un relais de l’amoxicilline par la ceftriaxone en raison d’une infection urinaire concomitante par Klebsiella pneumoniae, résistante à la pénicilline A, mais sensible aux céphalosporines. Après stabilisation de l’hémodynamique et prise en charge de l’insuffisance rénale aiguë par épuration extra-rénale, la patiente a bénéficié en urgence d’un remplacement valvulaire aortique par bioprothèse. L’examen anatomocytopathologique de la valve aortique a confirmé la présence de bactéries Gram positif, mais les prélèvements réalisés sur cette valve après dix jours d’antibiothérapie efficace sont restés stériles. Après six semaines d’antibiothérapie intraveineuse par ceftriaxone et lévofloxacine, l’évolution était favorable avec une récupération des fonctions cardiaque et rénale. Discussion Erysipelothrix rusiopathiae est un germe ubiquitaire, saprophyte ou pathogène dans de nombreuses espèces animales vertébrées ou invertébrées. Le porc domestique en est le réservoir majeur. Le bacille n’est pas détruit par la saumure, le salage, la fumaison, ni la congélation ; il peut survivre des mois dans l’environnement ou les produits animaux. Son
207
Erysipelothrix rusiopathiae ou bacille du rouget du porc est un petit bacille Gram positif, de la famille des Corynebacteriaceae. Ce germe ubiquitaire responsable de zoonoses est rarement impliqué chez l’Homme : la contamination humaine est essentiellement professionnelle. Les lésions cutanées sont les manifestations les plus fréquentes ; des atteintes septicémiques et endocarditiques peuvent également être observées, mais sont exceptionnelles [1–3]. Nous rapportons le cas d’une patiente sans valvulopathie, ni terrain associés, qui a développé une endocardite infectieuse à Erysipelothrix rusiopathiae, compliquée par une insuffisance cardiaque aiguë nécessitant un remplacement valvulaire aortique.
Lettres a` la re´daction
208
caractère pathogène pour l’homme a été démontré par Rosenbach en 1884. La contamination humaine est dans 89 % des cas professionnelle, l’infection survenant en principe chez des patients au contact d’animaux infectés. L’inoculation du germe est habituellement cutanée, par le biais de plaies, le plus souvent des mains ; une rare contamination digestive a été rapportée. Le mode de contamination peut ne pas être établi avec certitude, surtout pour les formes septicémiques sans atteinte cutanée [1–3]. L’interrogatoire de notre patiente a retrouvé un contact indirect avec des porcs. Aucune lésion cutanée n’a été observée chez elle, mais celle-ci a été examinée par notre équipe à plus de trois semaines du début des symptômes : une contamination cutanée ne peut donc être exclue. Cependant, la consommation fréquente de viande porcine peut également être incriminée, bien que ce mode de contamination soit exceptionnel. L’aspect clinique habituel de l’infection à Erysipelothrix rusiopathiae est la forme cutanée localisée. Connue sous le nom d’érysipéloïde de Baker et Rosenbach, elle réalise une dermite inflammatoire au site de la plaie ; une extension régionale peut être observée dans les 48 heures, mais les signes généraux sont discrets ou inexistants, et la régression se fait spontanément en deux à quatre semaines [1,2]. Une forme cutanée généralisée, avec des signes généraux plus marqués, peut également se voir. La forme septicémique en revanche est rare ; celle-ci est dans 90 % des cas associée à une endocardite, le plus souvent subaiguë, qui occasionne des lésions extensives des valves natives, avec une prédilection pour la valve aortique [2,3]. Une valvulopathie sous-jacente n’est retrouvée que dans 43 % des cas [3,4]. Une soixantaine de cas seulement d’endocardite à Erysipelothrix rusiopathiae ont été rapportés à ce jour [4,5]. Des lésions cutanées sont observées dans 36 % de ces endocardites [2] : comme pour deux tiers des patients dans notre observation, aucune manifestation cutanée n’a pu être observée. Des arthrites septiques associées une forme cutanée ou septicémique d’infection à Erysipelothrix rusiopathiae ont été décrites : il s’agit exclusivement de monoarthrites chroniques de grosses articulations, le plus souvent le genou [6]. Une arthrite temporomandibulaire a été observée chez notre patiente. Cette localisation n’avait à notre connaissance jamais été rapportée ; toutefois l’absence de prélèvement bactériologique sur le liquide articulaire ne permet pas d’imputer de manière formelle l’arthrite à Erysipelothrix rusiopathiae. Le caractère possiblement opportuniste des infections graves et généralisées est évoqué en raison de la fréquence de l’existence d’un facteur prédisposant. Outre le diabète et la malnutrition, le facteur de risque le plus souvent associé est l’éthylisme, retrouvé chez 33 % des patients [1,2]. Il est intéressant de souligner que notre observation ne trouve, ni consommation d’alcool, ni immunodépression chez notre patiente, ce qui peut laisser supposer un contage important.
L’endocardite à Erysipelothrix rusiopathiae a une morbidité et une mortalité supérieures à celles des autres germes pathogènes responsables d’endocardite. La mortalité moyenne des endocardites est de 20 %, celle de l’endocardite à Erysipelothrix rusiopathiae est de 38 % [2,7]. Des tableaux de glomérulonéphrite, méningite ou choc septique compliquant des septicémies à Erysipelothrix rusiopathiae ont été rapportés. Les complications cardiovasculaires sont représentées par l’anévrisme mycotique, la perforation de valve, l’abcès myocardique : elles aboutissent à une insuffisance cardiaque dans 80 % des cas [3,8]. Un remplacement valvulaire est nécessaire dans 36 % des cas [7]. Il est indiqué en cas de défaillance cardiaque évolutive, d’embols récurrents, de végétations volumineuses ou de bactériémie persistante malgré l’antibiothérapie. Erysipelothrix rusiopathiae est sensible aux bêtalactamines, à la pénicilline G en particulier, en revanche il possède une résistance naturelle à la vancomycine et aux aminosides. Or l’antibiothérapie probabiliste recommandée pour une endocardite infectieuse sur valve native repose sur l’association d’aminosides et de pénicilline A et inhibiteur des b-lactamases [9,10]. Il est donc important d’évoquer et d’isoler précocement Erysipelothrix rusiopathiae est la pénicilline ; une antibiothérapie intraveineuse prolongée de quatre à six semaines est recommandée en cas d’endocardite [1,2]. Après une antibiothérapie initiale par amoxicilline et levofloxacine, adaptée à l’antibiogramme de l’Erysipelothrix rusiopathiae isolé sur les hémocultures, notre patiente a bénéficié de six semaines d’antibiothérapie intraveineuse par lévofloxacine et ceftriaxone. Ce traitement atypique était justifié par une infection concomitante à Klebsiella pneumoniae résistante à la pénicilline. En raison de son profil de résistance naturelle aux aminosides, qui sont recommandés en association avec la pénicilline A et les inhibiteurs de b-lactamases comme antibiothérapie probabiliste pour les endocardites infectieuses sur valve native, il faut savoir évoquer précocement Erysipelothrix rusiopathiae, à l’aide d’un interrogatoire bien mené, devant une endocardite infectieuse survenant chez un patient exposé à ce germe de part son terrain ou son activité professionnelle, afin d’éviter tout retard thérapeutique d’autant plus préjudiciable que ce germe a une morbidité supérieure aux autres. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Références [1]
[2]
[3]
Bricaire F. Infection à « Erysipelothrix rhusiopathiae ». Encycl Med Chir (Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Maladies infectieuses, 8-017-S-10, 2001, 3 p. Brooke CJ, Riley TV. Erysipelothrix rhusiopathiae: bacteriology, epidemiology and clinical manifestations of an occupational pathogen. J Med Microbiol 1999;48:789-99. Wang Q, Chang BJ, Riley TV. Erysipelothrix rhusiopathiae. Vet Microbiol 2010;140:405-17.
tome 41 > n82 > février 2012
Anne Le Noël1, Stéphane de Rudnicki1, Anne Chrisment1, François Trueba2, Stéphane Mérat1 1 Hôpital d’instruction des Armées-du-Val-de-Grâce, département d’anesthésie-réanimation, 75005 Paris, France 2 Hôpital d’instruction des Armées-du-Val-de-Grâce, département de microbiologie, 75005 Paris, France
Correspondance : Anne Le Noël, hôpital d’instruction des Armées-du-Val-de-Grâce, département d’anesthésie-réanimation, 75005 Paris, France.
[email protected] Reçu le 11 février 2011 Accepté le 5 juillet 2011 Disponible sur internet le : 1 septembre 2011
ß 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. doi: 10.1016/j.lpm.2011.07.005
Kyste arachnoïdien géant : une cause rare de compression médullaire Giant arachnoid cyst revealed by a spinal cord compression Le kyste arachnoïdien extradural spinal encore appelé poche « arachnoïdienne » est une affection rare qui représente moins
tome 41 > n82 > février 2012
de 1 % des tumeurs rachidiennes [1]. Sa pathogénie reste encore méconnue. Il est généralement asymptomatique. Le tableau de compression nerveuse a été rarement décrit dans la littérature. Nous rapportons une nouvelle observation de kyste arachnoïdien extradural spinal révélé par un syndrome de compression médullaire. Observation Une patiente âgée de 30 ans a consulté pour un trouble de la marche évoluant depuis trois semaines sans troubles vésicosphinctériens associés ni altération de l’état général. L’examen a trouvé au niveau du rachis lombaire une exagération de la lordose lombaire sans syndrome rachidien ni radiculaire associés. Le reste de l’examen ostéoarticulaire était sans anomalies. L’examen neurologique a montré une marche avec un fauchage à gauche, un niveau sensitif en regard de T9 avec une diminution de la sensibilité thermoalgique et une paraparésie spastique associée à un syndrome pyramidal avec un signe de Babinski bilatéral, mais sans signes d’atteinte sus-médullaire. On n’a pas noté de troubles vésico-sphinctériens. La biologie n’a pas montré de syndrome inflammatoire. La radiographie du rachis lombaire a montré un signe de « Scalopping » en regard de T12-L1. L’IRM a mis en évidence un processus kystique intraspinal, extradural qui s’étendait de T9 à L1 en hyposignal T1 et hypersignal T2 sans prise de contraste avec une extension transforaminale et compression médullaire (figure 1). L’exploration peropératoire a objectivé un kyste arachnoïdien qui s’étend jusqu’au niveau de la racine L1. La patiente a eu une laminectomie de T10 à L1 avec marsupialisation du kyste. L’évolution en postopératoire immédiate était favorable avec régression des douleurs et récupération complète du déficit neurologique. Quatre mois après, devant la réapparition d’une paraparésie spastique des deux membres inférieurs, une IRM médullaire de contrôle réalisée, a montré une récidive du kyste arachnoïdien intracanalaire s’étendant de T10 à L2 avec fistulisation en sous-cutané à travers un pertuis à la hauteur de L1. La patiente a eu une reprise chirurgicale avec fermeture du pertuis duremérien. L’évolution était marquée par la stabilité de l’examen neurologique après un recul de 12 mois et récupération progressive du déficit neurologique des deux membres inférieurs avec possibilité de marche sans aide.
Lettres à la rédaction
Umana E. Erysipelothrix rhusiopathiae: an unusual pathogen of infective endocarditis. Int J Cardiol 2003;88:297-9. [5] Ibrahim M, Ramiro L, Pilar G, Rafael M. Mitro-aortic infective endocarditis produced by Erysipelothrix rhusiopathiae: case report and review of the literature. J Heart Valve Dis 2005;14:320-4. [6] Hocqueloux L, Poisson D, Sunder S, Guilbert S, Prazuck T. Septic arthritis caused by Erysipelothrix rhusiopathiae. J Clin Microbiol 2009;48:333-5. [7] Gorby G, Peacock J. Erysipelothrix rhusiopathiae endocarditis: microbiologic, epidemiologic and clinical features of an occupational disease. Rev Infect Dis 1988;10:317-25. [8] Yamamoto Y, Shioshita K, Takazono T, Seki M, Izumikawa K, Kakeya H et al. An autopsy case of Erysipelothrix rhusiopathiae endocarditis. Intern Med 2008;47:1437-40. [9] Baddour LM, Wilson WR, Bayer AS, Fowler VGJr, Bolger AF, Levison ME et al. Infective endocarditis: diagnosis, antimicrobial therapy, and management of complications: a statement for healthcare professionals from the Committee on Rheumatic Fever, Endocarditis, and Kawasaki Disease, Council on Cardiovascular Disease in the Young, and the Councils on Clinical Cardiology, Stroke, and Cardiovascular Surgery and Anesthesia, American Heart Association: endorsed by the Infectious Diseases Society of America. Circulation 2005;111:e394-434. [10] Habib G, Hoen B, Tornos P, Thuny F, Prendergast B, Vilacosta I et al. Guidelines on the prevention, diagnosis, and treatment of infective endocarditis (new version 2009): the task force on the prevention, diagnosis, and treatment of infective endocarditis of the European Society of Cardiology (ESC). Endorsed by the European Society of Clinical Microbiology and Infectious Diseases (ESCMID) and the International Society of Chemotherapy (ISC) for infection and cancer. Eur Heart J 2009;30:2369-413.
Discussion Le kyste arachnoïdien extradural spinal est une affection bénigne relativement rare [1]. Sa topographie est essentiellement dorsale, s’étendant sur plusieurs vertèbres [2]. La localisation cervicale ou lombosacrée est exceptionnelle [3]. Le kyste arachnoïdien extradural spinal est habituellement de siège postérieur ou postérolatéral, cependant, une extension à travers un trou de conjugaison peut quelquefois être notée comme c’était le cas de notre patiente [4]. Les deux sexes peuvent être touchés, mais une prédominance masculine a été rapportée à la seconde décade de la vie [3]. L’étiopathogénie
209
[4]