Histoire de la controverse sur les anévrysmes miliaires de Charcot et Bouchard

Histoire de la controverse sur les anévrysmes miliaires de Charcot et Bouchard

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Bibliothèque idéale Histoire de la controverse sur les anévrysmes miliaires de Charcot et Bouchard

Formation Post-Universitaire

F. Dubas Adresse : Service de Neurologie, CHU d’Angers, 4, rue Larrey, 49033 Angers Cedex 1. Tirés à part : F. DUBAS, à l’adresse ci-dessus.

La rupture d’un micro anévrysme « de Charcot et Bouchard », en tant que mécanisme de constitution des hémorragies cérébrales profondes liées à l’hypertension artérielle chronique ou à l’âge, fait partie du « fond culturel » de la neurologie. C’est un de ces faits considérés comme acquis, transmis de génération en génération et très souvent cités dans la littérature. Pourtant, ces micro anévrysmes ont été, depuis leur description en 1868 jusqu’à nos jours, l’objet d’une vive controverse dont l’histoire mérite d’être retracée car elle est probablement mal connue, bien que souvent évoquée. Cette longue controverse illustre bien au moins deux idées relatives à l’histoire de la médecine qui, pour aussi banales qu’elles puissent paraître, n’en sont pas moins riches d’enseignement : 1) la description « princeps » d’un fait est souvent en partie exacte et en partie inexacte, et la suite s’avère généralement plus complexe ; 2) les faits dépendent des méthodes utilisées pour les observer et les interpréter. Après avoir cité les paragraphes les plus importants du travail de Charcot et Bouchard, après avoir analysé les principaux articles ayant alimenté la controverse, nous proposerons que celle-ci prenne fin, en disant pourquoi et comment.

L’article princeps Le volumineux article de Charcot et Bouchard paraît en 1868, sous l’intitulé de « Nouvelles recherches sur la pathogénie de l’hémorragie cérébrale », dans les

Archives de Physiologie Normale et Pathologique, en trois sections (Arch Physiol Norm Pathol, 1868;1 :110-127, 643-665, 725-734). Les deux dernières sections correspondent principalement à la description anatomoclinique de 84 observations d’hémorragie cérébrale. Les extraits suivants sont issus de la première section, celle qui comporte la synthèse du travail. « C’est aux hémorragies cérébrales proprement dites que nous voulons restreindre cette étude. Leur pathogénie, on peut le dire, était confuse ; les causes les plus nombreuses, les plus variées avaient été invoquées pour expliquer la rupture vasculaire qui produit l’épanchement sanguin dans le cerveau. Ces causes supposées peuvent être ramenées à trois chefs : 1° La tension exagérée du sang dans les vaisseaux de l’encéphale ; 2° La diminution de consistance du tissu cérébral préalablement altéré qui ne fournit plus alors qu’un appui insuffisant aux vaisseaux ; 3° La diminution de résistance des vaisseaux consécutive à une altération de leurs parois. On peut faire rentrer dans ces trois groupes toutes les causes imaginées pour expliquer la production de l’hémorragie cérébrale […]. Nous citerons en particulier l’influence de l’hypertrophie du ventricule gauche du cœur ; l’exagération de la tension du sang, consécutive à l’atrophie rénale ou à la sclérose diffuse du système artériel ; les ramollissements hémorragipares ; la fragilité des petits vaisseaux, résultant de leur dégénération graisseuse […]. En opposition avec cette étiologie pour le moins contestable, nous avons indiqué une lésion pathogénique nouvelle […]. Cette lésion consiste en une altération du système artériel du cer-

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veau, avec production d’anévrysmes sur les artérioles intracérébrales. Ces anévrysmes, qui existent le plus souvent en grand nombre dans le cerveau des individus qui succombent à l’apoplexie sanguine, qui se développent lentement, successivement, précèdent l’attaque d’un temps variable, souvent fort long, et enfin, en se rompant sous l’influence de quelque cause occasionnelle, ils déterminent l’épanchement qui va former le foyer apoplectique. À ces anévrysmes nous avons donné le nom d’anévrysmes miliaires. […] Ce fut le 15 mars 1866, qu’étudiant le foyer d’une apoplexie sanguine récente, et l’ayant détergé avec soin, nous pûmes constater sur les parois deux petites masses globulaires, sphériques, suspendues chacune à un filament vasculaire. C’était deux petits anévrysmes, dont l’un s’était rompu, et l’on voyait à travers la fissure, le contenu cruorique qui, avant l’isolement artificiel que nous avions produit, devait être en continuité avec la masse du caillot apoplectique. Ce fait pouvait bien être exceptionnel ; mais […] de nouveaux cas d’hémorragie cérébrale se présentèrent et le cerveau renfermait toujours des anévrysmes miliaires. […] Observant dans un hôpital de vieillards, nous n’avions encore rencontré l’hémorragie que chez des individus âgés. […] Cette circonstance nous imposait une certaine réserve. Nous dûmes nous borner à cette affirmation : c’est que l’hémorragie sénile résulte de la rupture d’anévrysmes miliaires. […] Mais, depuis, des faits nombreux ont été rassemblés ; plusieurs observateurs ont contrôlé et confirmé nos observations, et constamment les anévrysmes ont été rencontrés,

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non plus seulement dans l’hémorragie sénile, mais dans l’hémorragie des adultes et même des jeunes gens. Nous croyons donc être aujourd’hui en droit d’affirmer que d’une façon générale, l’hémorragie cérébrale résulte de la rupture d’anévrysmes miliaires ; que la véritable lésion hémorragipare, c’est la production de ces anévrysmes. […] Est-ce à dire que, pour nous, toutes les hémorragies cérébrales, sans exception, devront reconnaître pour cause la rupture d’un anévrysme ? Pareille exagération n’est jamais entrée dans notre pensée. Mais à côté de ces cas exceptionnels où l’hémorragie survient comme symptôme ou comme complication d’une autre maladie [Charcot cite les hématomes traumatiques, les infarctus hémorragiques, les thromboses veineuses cérébrales, les troubles de la coagulation], il existe d’autres hémorragies, de beaucoup les plus fréquentes, qui ont leur indépendance, leur physionomie propre, leurs lésions spéciales, et qui toutes résultent de la rupture d’anévrysmes miliaires. […] C’est ce qu’on pourrait appeler la maladie hémorragie cérébrale. […] On pourrait penser que ces anévrysmes sont une lésion, sinon constante, au moins très fréquente dans la vieillesse ; qu’ils sont le résultat d’une altération sénile des vaisseaux de l’encéphale, au même titre que l’athérome ; de telle façon qu’ils pourraient n’exister que comme pure coïncidence dans le cerveau des individus qui succombent à l’hémorragie cérébrale. Cette hypothèse se trouverait déjà infirmée par ce fait que, lorsqu’on se donne la peine de chercher les anévrysmes miliaires dans les parois d’un foyer récent, on les y trouve toujours et qu’on les y voit rompus et remplis par un caillot en continuité avec celui de l’épanchement. Mais nous pouvons ajouter que, à partir de la vingtième année, nous les avons rencontrés à toute les périodes de l’âge adulte ; et seulement alors chez des individus qui succombaient à l’hémorragie cérébrale ; tandis que dans la vieillesse, s’ils sont constants dans les cerveaux qui renferment des foyers sanguins récents ou anciens, ils sont très rares chez les individus qui ne présentent aucune lésion des centres nerveux, ou plutôt chez ceux où l’on ne découvre pas des traces d’hémorragie. Nous les y avons rencontrés cependant ; ils préparaient une hémorragie

qui, bien qu’imminente, ne s’était pas effectuée. […] Il est remarquable que cette fréquence des anévrysmes miliaires, suivant les âges, est à peu près en rapport avec ce qu’on sait de la fréquence de l’hémorragie cérébrale aux différentes périodes de l’existence. […] Il suffit de jeter les yeux sur les relevés de Rochoux et de M. Durand-Fardel, pour se convaincre que l’hémorragie cérébrale, presque nulle avant 20 ans, est très rare jusqu’à 40 ; que, à partir de cet âge, elle devient fréquente, et que la proportion dont on ignore les termes est cependant graduellement croissante. […] Mais on remarquera peut-être aussi que les anévrysmes miliaires […] ne font que se confirmer à la loi du développement de l’athérome artériel ; […] Ces deux altérations différentes ne s’excluent pas, elles ne sont pas antagonistes, elles peuvent coïncider, et coïncident fréquemment. […] Touts deux résultent d’une artérite ; mais tandis que l’athérome est le produit d’une endartérite, les anévrysmes miliaires se produisent comme complication d’une périartérite. […] Cette artérite qui conduit à la formation des anévrysmes est diffuse ; elle ne se rencontre pas seulement sur l’artériole qui porte une dilatation miliaire ; elle est étendue à tout le système des petits vaisseaux intra cérébraux. […] Les altérations les plus considérables siègent sur les parties les plus extérieures, […] ce qui justifie ce nom de périartérite. Cette lésion s’observe sur les artérioles de tout calibre qui sont dans l’épaisseur de la substance cérébrale. […] L’adventice peut présenter deux états différents. C’est tantôt un simple épaississement donnant quelquefois à cette membrane, une épaisseur égale à la dimension du calibre vasculaire. [...] Tantôt l’altération de l’adventice, et c’est le cas le plus fréquent, peut consister exclusivement en une multiplication des noyaux conjonctifs. […] En rapport avec cette altération des parties les plus superficielles de l’artère, on observe une altération de la tunique musculeuse, tantôt généralisée, tantôt limitée à certains points. Cette altération de la musculeuse consiste en une altération des fibres transversales, sans substitution graisseuse, d’où résulte la raréfaction des stries transversales et leur écartement ; dans certains points, leur disparition complète. […] Si l’adventice n’est pas épaisse et fibreuse, le vaisseau se dilate de

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façon ampullaire au niveau des points où l’atrophie de la tunique musculaire est notable. C’est là l’origine des anévrysmes miliaires. […] Telle est cette périartérite scléreuse qui prépare et accompagne les anévrysmes miliaires intra cérébraux. Nous l’avons toujours rencontrée à des degrés divers, en même temps que les anévrysmes, chez des sujets qui présentaient des foyers récents ou anciens d’hémorragie ; elle existait toujours dans les cerveaux qui, sans présenter aucune trace d’hémorragie, renfermaient cependant des anévrysmes ; enfin, dans quelques cas, nous l’avons constatée dans des sujets qui n’avaient pas de foyers d’hémorragie et chez lesquels également nous n’avons pas pu découvrir d’anévrysmes. Quelquesunes de ces dilatations nous avaient-elles échappé ; ou plutôt ne s’agissait-il pas là de cerveaux voués à l’hémorragie, mais où cette hémorragie, loin d’être imminente, n’était pas encore annoncée par le développement d’anévrysmes qui, sans doute, se seraient formés ultérieurement ? […] Nous devons aborder maintenant l’étude des anévrysmes miliaires. […] Tous ces anévrysmes sont visibles à l’œil nu ; ils apparaissent comme de petits grains globuleux, dont le diamètre varie de deux dixièmes de millimètre à un millimètre et même quelquefois un peu plus, appendus à un vaisseau également visible à l’œil nu ; une simple loupe suffira du moins, pour le distinguer nettement ; le diamètre du vaisseau peut varier de 1/3 de millimètre à 1/4 de millimètre. […] Nous avons rencontré ces anévrysmes dans presque toutes les parties de l’encéphale ; mais ils ne sont pas uniformément répandus partout ; ils ont leurs organes de prédilection. Les couches optiques (le thalamus), les corps striés (le striatum), les circonvolutions, la protubérance, le cervelet, le centre ovale, les pédoncules cérébelleux moyens, les pédoncules cérébraux, le bulbe, sont par ordre de fréquence décroissante les diverses parties où nous les avons rencontrés. Cette distribution n’est-elle pas encore un argument en faveur du rôle pathogénique que nous leur attribuons ? Sur 86 hémorragies observées par M. Durand-Fardel, l’épanchement s’était opéré primitivement dans les corps striés ou les couches optiques, 50 fois ; dans le centre ovale, ou au voisinage des circonvolutions, 27 fois ; dans la protubérance, 5 fois ;

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dans le cervelet, 4 fois. […] Le nombre des anévrysmes est très variable, mais il ne peut pas être apprécié d’une manière exacte, les coupes de l’encéphale ne pouvant pas être assez multipliées pour qu’un bon nombre n’ait pas pu échapper aux recherches. Il nous est arrivé, malgré le soin le plus minutieux, de n’en découvrir que deux ou trois ; le plus souvent on en trouve un nombre beaucoup plus considérable : quelquefois même on en compte des centaines dans un même cerveau. […] Quand on dépouille de ses membranes un cerveau qui contient des anévrysmes, il arrive fréquemment qu’on les aperçoit tout d’abord à la surface des circonvolutions ou dans les sillons qui les séparent. […] Quand on se propose de rechercher les anévrysmes qui doivent se trouver sur les parois des foyers récents, il faut d’abord déterger la cavité, enlever une grande partie du caillot ; mais pour cela, il ne convient ni d’emporter le sang avec le dos d’un scalpel, ni de le chasser par la percussion d’un filet d’eau ou par le lavage avec un pinceau. Ces divers moyens qui ont été employés déjà pour la recherche d’un vaisseau rupturé où l’on pensait trouver la source de l’hémorragie sont tous défectueux. Le procédé qui nous a paru fournir les meilleurs résultats est le suivant. Après avoir ouvert largement le foyer et laissé tomber du caillot ce qui s’en échappe naturellement, on place l’encéphale dans de l’eau qu’on renouvelle fréquemment, sans secousse, en inclinant seulement le vase de temps à autre, de manière à détacher par parcelles le caillot encore adhérent aux parois. Au bout d’un temps variable, on finit par isoler ainsi un assez grand nombre de petites masses cruoriques qui flottent à la surface du foyer, mais qui y restent attachées par des filaments vasculaires. C’est sur ces petites masses que l’examen microscopique doit porter. On en examinera un grand nombre avant de trouver enfin un anévrysme. La plupart ne sont que des fragments du caillot bouchant à la façon d’un capuchon des vaisseaux rupturés ; mais on finit par en trouver quelques-unes, dans lesquelles, en suivant le vaisseau à travers la masse fibrineuse, on le voit se dilater tout à coup en forme d’ampoule sphérique contenant encore du sang à son intérieur, mais fendue sur une partie de son pourtour. […] Quand on a isolé un anévrysme à l’état d’intégrité et

Fig. 1 : Schéma de l’article princeps de Charcot et Bouchard, 1868.

qu’on l’étudie à un plus fort grossissement, on voit que sa paroi se continue sans ligne de démarcation avec les tuniques du vaisseau qui s’y rend et de celui qui en émerge ; mais ces tuniques ne sont plus distinctes les unes des autres. La musculeuse, qui faisait défaut sur l’artériole, à une distance plus ou moins grande en deçà et au-delà de l’anévrysme, manque absolument sur ce dernier, de sorte que l’adventice est au contact de la membrane interne. […] Telle est la constitution des anévrysmes miliaires. Ces dilatations ampullaires, ou quelquefois seulement fusiformes, se font généralement aux dépens de toute la périphérie du vaisseau ; d’autres fois, elles sont latérales et n’interrompent pas complètement le calibre de l’artère. Ces expansions latérales peuvent être pédiculées. […] (Fig. 1).

La controverse Ellis, en 1909, observe des micro anévrismes dans 20 cas d’hémorragies cérébrales. Parce qu’il n’observe pas dans leur paroi de structure reconnaissable de la paroi vasculaire, mais seulement du tissu conjonctif, il les considère comme de faux anévrismes. C’est cet aspect de son travail qui sera largement cité par d’autres à sa

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suite, alimentant la controverse quant à l’existence même des anévrismes miliaires. En fait, Ellis interprétait ces lésions comme étant secondaires à une dissection intra murale, suivie d’une dégénérescence de la média, et il les considérait comme précurseurs d’hémorragies cérébrales. Ross Russel, en 1963, réhabilite l’anévrisme miliaire en utilisant un procédé micro angiographique (Ross Russel, 1963). Il injecte l’arbre vasculaire cérébral par du sulfate de baryum, radio opaque, et fait des coupes qu’il radiographie. Il met ainsi en évidence des micro anévrismes dans 15 sur 16 cerveaux de patients hypertendus, contre 10 sur 38 cerveaux de patients normotendus. Ces micro anévrismes, en moyenne 10 par cerveau, siègent principalement sur les branches latérales des artères lenticulo-striées, « […] peut-être, écrit Ross Russel, en raison de la proximité d’une grosse artère (le premier segment de l’artère cérébrale moyenne) où une forte pression ou des fluctuations marquées de la pression pourraient être transmises aux petits vaisseaux ». Il note que ces micro anévrismes s’observent aussi, bien que plus rarement, dans le centre ovale et le cortex. Il distingue clairement ces micro anévrismes des tortuosités artériolaires. L’étude en coupes sériées de 13 micro anévrismes montre qu’ils sont tous semblables, correspondant à l’arrêt brutal de la musculeuse et de la lame élastique. Leur paroi, d’épaisseur variable, est uniquement constituée de tissu conjonctif en continuité avec l’adventice, d’une couche interne hyaline, parfois endothélialisée, en continuité avec l’intima. Les micro anévrismes sont parfois partiellement thrombosés et sont entourés de sidérophages et d’une fibrose. L’auteur attribue la constitution de ces micro anévrismes à une artériolopathie diffuse, faite d’un épaississement fibreux de la paroi, avec dégénérescence des cellules musculeuses et des fibres élastiques, sans processus fibrolipidique sous-intimal. Cette artériolopathie est présente chez les hypertendus et les normotendus, mais plus marquée chez les premiers. Ross Russel aborde ensuite les deux points cruciaux de la controverse : s’agit-il de vrais anévrismes et sont-ils responsables de l’hémorragie ? Pour lui, ce sont de vrais anévrismes puisque l’étude micro angiographique montre qu’ils communiquent avec la lumière du vaisseau. Ils ne peuvent pas n’être que secondaires à l’hémorragie

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puisqu’on peut les voir dans des cerveaux sans hémorragie. En revanche, leur responsabilité dans l’hémorragie est plus difficile à affirmer. Elle est cependant probable puisque certains d’entre eux ont une paroi très fine et des traces de micro saignements alentour. Mais il est souvent difficile d’apporter la preuve que tel micro anévrisme est la source unique et certaine de telle hémorragie. En outre, certains micro anévrismes fibrosés sont peut-être à un stade évolutif où la rupture n’est plus possible. Quoi qu’il en soit, Ross Russel conclut que l’âge et l’hypertension artérielle peuvent être à l’origine d’une dégénérescence de la média et des lames élastiques des petites artères, surtout celles des noyaux gris profonds. En 1967, Cole et Yates, appliquent la même technique de micro angiographie à 100 cerveaux de patients hypertendus et 100 cerveaux de patients normotendus (Cole et Yates, 1967). Ils observent des micros anévrismes chez 46 p. 100 des patients hypertendus et chez 7 p. 100 des patients normotendus. Les micro anévrismes siègent principalement dans les noyaux gris profonds, mais 30 p. 100 se situent à la jonction cortex — substance blanche. Ils dénombrent 13 cas avec des petits hématomes des noyaux gris, tous chez des patients hypertendus atteints de micro anévrismes, fait dont ils tirent argument pour imputer les petites hémorragies à la rupture des micro anévrismes. Cependant, comme Ross Russel, il leur paraît impossible d’apporter la démonstration que tel hématome est lié à la rupture de tel micro anévrisme. En1971 et 1972, Fisher relance la controverse sur les micro anévrismes. Dans un premier article (Fisher, 1971), il inclut en bloc un volumineux hématome pontique, survenu chez un homme de 73 ans, hypertendu de longue date. Mille cinq cents coupes sériées de cet hématome et de son parenchyme adjacent sont réalisées, permettant de mettre en évidence 24 sites de saignement, correspondant chacun à la rupture d’une artériole de 60 à 200 microns, avec un amas plaquettaire entouré de fibrilles en couches concentriques. Ce ne sont ni des micro anévrismes, ni des micro dissections. Tous ces « bleeding globes » siègent en périphérie immédiate de l’hématome, sauf un, plus volumineux, qui semble être la source de l’hématome. En raison de leur nombre, de leur topo-

graphie et de l’absence de pathologie franche des artérioles concernées, ces « bleeding globes » sont interprétés comme étant secondaires à l’hémorragie. Celle-ci s’étendrait à partir de sa source par de multiples ruptures artériolaires successives « comme une avalanche ou un jeu de dominos ». Ce serait de cette façon que la rupture d’une artériole de 200 microns peut entraîner un volumineux hématome. Au terme de ce travail, Fisher conclut que « […] la théorie selon laquelle l’hémorragie hypertensive provient d’anévrysmes n’est pas confortée par la présente étude, puisqu’il n’y avait pas d’anévrysme évident au site de rupture ». L’année suivante, le même auteur nuance son affirmation (Fisher, 1972), et va même jusqu’à réhabiliter partiellement les micro anévrysmes, en proposant, à partir de l’étude neuropathologique de 20 cerveaux d’hypertendus, l’existence de deux variétés de micro anévrismes : les anévrysmes miliaires sacculaires, strictement limités aux noyaux gris centraux, et liés à l’HTA, sans pathologie artérielle majeure et qui ne donneraient lieu qu’à des micro hémorragies (« limited benign bleeding ») ; et les anévrysmes miliaires de la lipohyalinose, globuleux ou fusiformes, qui résultent de la dégénérescence de la média et de la lame élastique, et dont le siège de prédilection est le cortex cérébral. Fisher ne se prononce pas explicitement quant à la responsabilité de la rupture de ces anévrismes, dans la genèse des hémorragies volumineuses. La controverse se poursuit dans les années 1980 avec deux publications japonaises issues de milieux neurochirurgicaux. Dans la première (Takebayashi et Kaneko, 1983), 61 sites de rupture de petites artères prélevées lors de l’intervention neurochirurgicale d’hématomes lenticulo-striés (20 cas) ou en post-mortem sont étudiés en microscopie électronique. Sur ces 61 sites de rupture, deux micro anévrismes seulement sont identifiés. Les 59 autres sites, très souvent au niveau d’une bifurcation, comportent des lésions sévères de la média (cellules musculaires lisses « mangées aux mites ») qui semblent épargner les segments les plus proximaux des artères lenticulo-striées. Les auteurs observent en outre trois micro anévrismes non rompus qu’ils interprètent comme des microdissections artériolaires plus ou

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moins résorbées. Ils concluent que les micro anévrismes sont très rares et ne sont pas une condition nécessaire de la rupture artérielle. Il faut souligner que tous les patients sont hypertendus non traités et que la microscopie électronique ne permet pas une étude longitudinale exhaustive des artères. Dans l’autre publication, les auteurs (Wakai et Nagai, 1989) réalisent des coupes sériées du nodule hémorragique qui leur paraît, lors de la microdissection chirurgicale, être un site de saignement. Dans cinq cas sur sept hémorragies lobaires, sans malformations vasculaires ni angiopathie amyloïde, ils observent des micro anévrismes qu’ils ne distinguent pas des « bleeding globes ». Quatre des sept cas étaient des patients hypertendus. La publication de Challa et al. (1992) sera souvent citée, par la suite, par les détracteurs du micro anévrisme comme source d’hémorragie. Ces auteurs étudient 35 cerveaux de patients hypertendus, dont quatre seulement comportent une hémorragie cérébrale, et 20 cerveaux témoins, appariés selon l’âge, et sans hémorragie. Ils réalisent des coupes incluses en celloïdine, colorées par la phosphatase alcaline qui marque électivement l’endothélium des petits vaisseaux, et permet la réalisation de microradiographies. Ils n’observent aucun micro anévrisme, mais mettent en évidence des tortuosités artériolaires, qu’ils nomment « coils » et « twists », qui, disent-ils, auraient été prises pour des micro anévrismes si la méthode d’injection artérielle avait été utilisée. Les auteurs pensent en effet que cette méthode, mise au point par Ross Russel et par Cole et Yates, aurait provoqué des hernies artériolaires artéfactuelles. Ils concluent donc que les micro anévrismes sont rarissimes et que leur relation avec l’hémorragie cérébrale est « hautement peu probable ». On peut cependant raisonnablement se demander si leurs constatations ne sont pas le fait d’une coloration très particulière, ne montrant qu’une certaine catégorie de vaisseaux. L’affirmation de Charcot et Bouchard est à nouveau contestée dans une étude neuropathologique de 70 cerveaux comportant des lésions des petites artères (Lammie et al., 1997). Les auteurs ne visualisent aucun micro anévrisme « non équivoque » que ce soit chez les patients hypertendus (69 p. 100 dont 10 cas avec hémorragies) ou des patients normoten-

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dus. Au plus, évoquent-ils la présence d’une désorganisation artérielle segmentaire pouvant ressembler à des micro anévrismes. Mais, ils n’indiquent pas s’ils ont fait ou non des coupes sériées. C’est un travail japonais (Mizutani et al., 2000) qui contribue à la clarification de la controverse : les auteurs rapportent l’examen anatomopathologique de 19 petites artères de 100 à 700 microns, prélevées au site de saignement supposé lors de l’évacuation chirurgicale de 12 hématomes des noyaux gris centraux chez des patients hypertendus. Parmi ces 19 artères, étudiées en coupes sériées et colorées par la méthode de Van Gieson (qui colore les lames élastiques), il est dénombré six micro anévrismes sur des artères dont la média est dégénérée, six dissections sans dégénérescence de la paroi de l’artère atteinte et trois ruptures simples sans lésion dégénérative pariétale. Cette publication est intéressante à trois titres : tout d’abord, elle montre pour la première fois la diversité des modalités de rupture artérielle ; ensuite, elle permet d’affirmer que la rupture d’anévrismes vrais peut être cause d’hémorragies ; enfin, elle met en évidence un processus déjà décrit dans les petites artères, mais non tenu jusqu’alors comme responsable d’une hémorragie, sauf peut-être par Ellis en 1909, à savoir la dissection pariétale.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette controverse longue de plus d’un siècle ? Si la controverse a eu lieu, c’est peut-être parce que la question des micro anévrysmes a assez rapidement soulevé l’idée que Charcot ait pu se tromper. C’est aussi parce que les définitions, les procédures neuropathologiques et les malades ont considérablement varié d’une étude à l’autre. La définition même de l’anévrisme apparaît problématique : il s’agit théoriquement de la dilatation segmentaire d’une artère, en lien avec une altération de sa paroi. Or, le plus souvent il n’y a plus de paroi artérielle identifiable, que l’anévrisme soit rompu ou non. Les procédures neuropathologiques pour tenter de visualiser les micro anévrismes ont été extrêmement diverses : lavage de la cavité et exa-

Fig. 2 : Représentation schématique des faux anévrysmes (tortuosité et bleeding globe), des vrais anévrysmes (sacculaire et fusiforme) et des modalités de rupture artériolaire sans anévrysme.

men à la loupe (Charcot et Bouchard, 1868), microradiographies après injection artérielle (Ross Russel, 1963 ; Cole et Yates, 1967), coupes sériées (Fisher, 1971) ou non (Lammie, 1977), prélèvement chirurgical d’un segment artériel ou étude post-mortem, microscopie électronique ou photonique, coloration des lames élastiques ou non, etc. Enfin, les différentes époques et les différences ethniques doivent être considérées. Les patients hypertendus de Fisher en 1971 n’étaient pas traités comme ceux de Lammie en 1997, et ceux de Charcot et Bouchard n’étaient pas traités. Enfin, les patients hypertendus occidentaux ne sont pas strictement comparables aux patients hypertendus japonais dont la singularité génétique est probable. Considérant toutes ces variables, il n’est pas bien étonnant que la controverse ait eu lieu. C’est le contraire qui eut été surprenant. Quelle synthèse peut-on proposer ? On reprendra les deux termes de la controverse : les micro anévrismes existent-ils ? Leur rupture est-elle en cause dans des hémorragies cérébrales ? Il existe suffisamment de documents anatomopathologiques pour affirmer que les micro anévrismes existent. Il faut les distinguer des pseudo anévrismes, d’une part les tortuosités artériolaires liées à l’âge, et d’autre part les « bleeding globes », ruptures artériolaires en avalanche, secondaires à l’hémorragie. Il existe de vrais micro

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anévrismes, mais ils sont très vraisemblablement peu nombreux au sein d’un même cerveau. S’ils étaient nombreux, il n’aurait pas été nécessaire de les chercher aussi activement. Les travaux convergents de Ross Russel (1963) et Coles et Yates (1967) laissent penser qu’ils sont de l’ordre de 15 par cerveaux en moyenne. Il pourrait exister deux types de vrais micro anévrismes, si l’on suit Fisher (1972) : d’une part des micro anévrismes sacculaires, développés surtout sur les branches latérales des artères lenticulo-striées, avec peu de remaniements muraux ; d’autre part, des micro anévrismes globuleux ou fusiformes, plus ubiquitaires (profonds et corticaux), associés à une pathologie majeure de la paroi d’artérioles de calibre un peu plus grand. Il y a deux raisons pour penser que la rupture des micro anévrismes peut être à l’origine d’hémorragies cérébrales : la visualisation par les neurochirurgiens de la rupture anévrismale in situ et la superposition topographique des micro anévrismes et des hémorragies, notamment dans les noyaux gris centraux. Toutefois, il est strictement impossible d’évaluer la fréquence avec laquelle les micro anévrismes se rompent. Il est très possible que le fait soit rare. D’autre part, il est assez probable qu’ils ne saignent pas tous de la même façon : les petits anévrismes sacculaires ne donneraient lieu qu’à des micro hémorragies, et les micro ané-

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Bibliothèque idéale • Histoire de la controverse sur les anévrysmes miliaires de Charcot et Bouchard

vrismes plus volumineux pourraient entraîner de véritables hématomes intra cérébraux. Surtout, il semble bien que d’autres mécanismes que la rupture anévrismale puissent être en cause puisque au moins deux ont été mis en évidence : la rupture simple, sans anévrisme, d’une artériole pathologique et la dissection hémorragique d’une paroi artériolaire non nécessairement pathologique (Fig. 2). Avec le recul que permet le temps passé depuis la publication de l’article princeps de Charcot et Bouchard (1868), il apparaît que celui-ci comporte des faits exacts et d’autres qui ne le sont pas. Les faits exacts sont les suivants : les micro anévrysmes existent bel et bien, ils sont la conséquence d’une lésion élémentaire des petites artères intra-cérébrales elle-même liée à l’âge (la « périartérite scléreuse », aujourd’hui « small vessel disease ») et leur rupture peut entraîner une hémorragie cérébrale. Les faits inexacts sont les suivants : tous les microanévrysmes ne sont pas de vrais anévrysmes ; il existe des pseudo-anévrysmes (les « bleeding globes »), conséquences et non pas causes d’hémorragie cérébrale ; l’« hypertrophie du ventricule gauche du cœur, l’exagération de la tension du sang » n’est pas une « étiologie [de l’hémorragie cérébrale] pour le moins contestable », c’est une cause majeure d’hémorragie cérébrale ;

les hémorragies de la « maladie hémorragie cérébrale » ne résultent pas « toutes », comme l’affirment Charcot et Bouchard, de la rupture d’anévrysmes miliaires. Toutefois, dans le contexte de l’anatomoclinique de l’époque, il s’agissait de constituer des maladies en leur attribuant une ou des lésions spécifiques qui les représentaient. C’est probablement une des raisons qui a conduit Charcot à méconnaître l’importance étiologique de l’hypertension artérielle : la « maladie hémorragie cérébrale » était constituée en entité et sa lésion élémentaire (le micro anévrysme) reconnue. Dans la pensée anatomo-clinique, la lésion spécifique (« spéciale » dit Charcot) avait le statut de cause. On connaît aujourd’hui la diversité étiologique des hémorragies cérébrales, même si les causes profondes (celles de l’HTA ou celles de l’angiopathie amyloïde, pour ne citer que les plus fréquentes) demeurent encore mal connues. Références CHALLA VR, MOODY DM, BELL MA. (1982). The Charcot-Bouchard anevrysm controversy: impact of a new histologic technique. J Neuropathol Experim Neurol, 51: 264271. CHARCOT JM, BOUCHARD C. (1868). Nouvelles recherches sur la pathogénie de l’hémorragie

F. DUBAS

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