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La polysémie des perceptions patrimoniales : un vecteur du tourisme durable au Liban Ghada Salem a,*, André Azouri a, Rita Chaddad b a b
Lebanese university, faculty of tourism & hospitality management, Beirut, Liban Université Grenoble-Alpes, laboratoire PACTE, Grenoble, France
article info
sume re
Mots clés :
Le Liban est un laboratoire intéressant pour les questions identitaires. Ce pays a assisté à
Identité
deux périodes de construction identitaire ayant abouti à deux implications patrimoniales.
Perception patrimoniale
Chaque période a sécrété d'un patrimoine partagé ultérieurement avec les touristes à travers
Métissage culturel
l'échange touristique. Cette recherche mobilise le terrain pour comprendre la construction
Tourisme durable
identitaire, souligner sa contribution au métissage résidents-touristes ainsi que ses perpé-
Liban
tuations sur le tourisme durable dans deux villes libanaises : Byblos, dont les habitants sont majoritairement des Chrétiens et Baalbek, de majorité musulmane. La méthodologie de recherche s'appuie sur des informations recueillies auprès des sources primaires et secondaires. Deux outils de collecte de données ont été adoptés. D'abord, des entrevues avec des acteurs relevant des niveaux local, national, régional et international afin de comprendre leurs perceptions identitaires. Ensuite, des questionnaires adressés aux résidents, excursionnistes libanais, touristes arabes et internationales afin de sonder leurs perceptions identitaires et cela à Byblos et Baalbeck conjointement. Les données, analysées par le logiciel SPSS, ont dévoilé que le facteur religieux influe considérablement les perceptions identitaires des résidents, tandis que celles des touristes diffèrent selon leur région d'origine. Cette différence des perceptions favorise le développement du tourisme culturel ; elle aide également à comprendre les divers types du métissage résidents-touristes. L'objectif de cette étude étant de contribuer à la connaissance scientifique en présentant des typologies relatives à la perception identitaire, et en suggérant le tourisme culturel comme motif pour encourager le tourisme durable. © 2017 Holy Spirit University of Kaslik. Publishing services provided by Elsevier B.V. This is an open access article under the CC BY-NC-ND license (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/4.0/).
1.
Introduction
L'introduction récente du mot métissage dans le lexique des sciences humaines représente une nouvelle tentative de recentrage du concept sur les interactions et les appropriations réciproques. L'expression « métissage culturel » définit par défaut un phénomène omniprésent, de nature multiple et fragmentaire, qui se présente comme universel dans le monde contemporain, celui de la mondialisation. Amselle (2004) (p. 41–51) inscrit le métissage comme fondement même de la culture en opposant la * Auteur correspondant. E-mail address: GhadaSalema*
[email protected]">GhadaSalema*
[email protected] (). http://dx.doi.org/10.1016/j.rgo.2017.09.002 2214-4234/© 2017 Holy Spirit University of Kaslik. Publishing services provided by Elsevier B.V. This is an open access article under the CC BY-NC-ND license (http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/). Please cite this article in press as: Salem, G., et al. La polysémie des perceptions patrimoniales : un vecteur du tourisme durable au Liban, La Revue Gestion et Organisation (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.rgo.2017.09.002
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« raison ethnologique » qui consiste à séparer, classer et à présenter les cultures comme des entités homogènes et closes, à la « logique métisse » qui renvoie à un processus d'inter-fécondation entre les cultures. Dans des rencontres équitables, le visiteur comme le visité cherche à comprendre les similitudes entre les peuples, plus que les différences. Vulbeau (2006) (p. 650) souligne que le métissage est le résultat de l'altération de deux identités (ou formes identitaires ou singulières) représentant chacune une altérité l'une pour l'autre, vont former un nouvel élément, lui-même en altérité avec les deux précédents. Abdallah-Pretceille (2011) (p. 122) stipule que dans la rencontre interculturelle, l'effort de compréhension pour communiquer avec l'autre permet de prendre du recul aussi sur sa propre identité. C'est une remise en question de soi-même déclenchée par une remise en question de l'Autre sur nous. Cependant, les échanges et les rencontres ne sont cependant pas nécessairement interculturels. Fernandez (2002) (p. 277) différencie quatre « tiers instruit » avec qui l'échange sera important : le semblable tiers instruit, le semblable faux tiers instruit ayant un orgueil culturel et un esprit un peu colonisateur, le tiers instruit à travers l'écriture lorsque le voyageur cherche à vérifier les écrits durant son voyage et l'autre, le tiers instruit pour qui la population locale est bizarre. Selon Waxin et Barmeyer (2008) (p. 210), ces multiples échanges permettent au voyageur de progresser dans son apprentissage interculturel. Suivant Michel (2000) (p. 245), le tourisme est une chance pour rapprocher les différences « en échangeant des cultures qui s'enrichissent mutuellement ». Une grille d'évaluation interculturelle par rapport au contexte mesure l'indice du risque interculturel, entre une culture dominante (souvent occidentale) et une culture dominée, peut également être adaptée dans le rapport touristes/populations locales (Rabasso & Rabasso, 2007). Selon Onghena (2015), la participation de toutes les personnes impliquées permet de voir jusqu'à quel point les transformations actuelles qui traversent le système touristique peuvent générer une responsabilité partagée et contribuer à un développement durable. Elamé et David (2008) (p. 143) rappellent que les différences culturelles entre les résidents et les touristes sont « ancrés dans les pratiques sociales économiques et écologiques », les trois piliers du développement durable. Cette étude se penche sur les questions qui touchent le tourisme culturel et qui influencent le métissage culturel entre les résidents et les diverses catégories de touristes. Elle interroge le métissage culturel entre les résidents de deux villes libanaises (Baalbek et Byblos) et leurs touristes, pour examiner son rôle dans le développement d'un tourisme durable. La façon dont les résidents perçoivent leurs objets patrimoniaux mobilisés par et pour le tourisme sera une partie essentielle de l'étude. Aussi, les perceptions de ces mêmes objets par les touristes et excursionnistes libanais seront déterminées. L'objectif étant d'identifier l'existence des représentations stéréotypées à chaque niveau. Cela s'accompagne forcément de profils relatifs sur l'identité, le patrimoine et l'image de la ville. Cette recherche tire son importance du fait qu'elle mobilise le concept du métissage culturel dans le domaine touristique et le questionne à la lumière des composantes du tourisme culturel, à savoir le patrimoine, l'identité et l'image touristique.
2.
Revue de la littérature
Des recherches approfondies sur le métissage culturel entre les résidents et les touristes ont étudié les perceptions de chacun sur le développement du tourisme culturel. L'influence des perceptions sur le développement du tourisme peut être expliquée selon deux approches : la première est caractérisée par les contextes dans lesquels l'interaction entre les résidents et les touristes se produit en se basant plus précisément sur les natifs qui se font natifs pour les touristes pour satisfaire leur demande touristique (Michaud, 2013). Cette approche identifie les impacts positifs ou négatifs des interactions entre les résidents et les touristes sur le tourisme culturel. Dans ce cadre, certaines études ont été centrées sur le métissage résidents-touristes comme générateur d'une hospitalité commercialisée qui se vend temporairement pour satisfaire les attentes touristiques des touristes. En effet, l'accroissement du nombre des touristes contribue à la promotion de passés et de patrimoines uniques et singuliers, souvent consommés massivement en tant que patrimoines commercialisables. Boissevain (2005) souligne que c'est l'incertitude des résidents locaux, due aux changements liés à la dynamique des flux touristiques, qui favorise l'adéquation et/ou l'appropriation d'expressions culturelles éloignées de la communauté réceptrice. Ces résidents sont plongés dans un processus de conversion qui les situe dans des espaces d'intersection, c'est-à-dire n'étant ni d'ici ni de là-bas, mais pouvant se situer dans des « inter-lieux » (Garcia Canclini, 2004, p. 45). Les études centrées sur les impacts positifs sur le tourisme culturel résultant du métissage entre les résidents et les touristes soulignent que ce métissage favorise l'échange dans un contexte d'égalité de conditions entre les résidents et les touristes. Ces interactions peuvent aboutir à un partage et un réel échange et faire respecter le patrimoine et les modes de vie des communautés locales (Bulteau, 2009 ; Michel, 2000). En effet, le véritable voyage consiste à accepter de voir la réalité sous un nouveau regard en apprenant à regarder et à respecter, même les choses qui paraissent incompréhensibles dans la culture des résidents-hôtes conduisant à la pensée métisse. Suivant Onghena (2003), le tourisme offre un vaste terrain d'interactions multiples où l'amalgame du différent/semblable se produit en dehors des passions idéologiques et sans changer les mentalités ou les valeurs. Toutefois, cela ne signifie pas un abandon de la culture natale, car devenir l'Autre est impossible mais c'est une capacité à vivre, allié à la tolérance, à la recherche d'un équilibre entre plusieurs valeurs et traits culturels. En fait, l'intérêt que montrent les touristes pour la culture locale, les traditions et les produits locaux neutralise l'inégalité des interactions et peut même créer parmi la population locale, l'orgueil de sa propre culture. Reisinger (1994) (p. 450) indique dans « l'hypothèse du contact » que la rencontre entre différentes cultures, du moins dans le circuit touristique, peut préparer le terrain pour la compréhension favorisant ainsi l'échange dans un contexte d'égalité de conditions enter les résidents et les touristes (Santana, 2003, p. 41). Selon Morandon (2004), l'expérience touristique, sans les résidents, pourrait difficilement être vécue comme une réussite et que le tourisme, sans l'hospitalité des résidents, peut déclencher une chaîne parasitaire qui arrive à détruire la structure d'accueil et fait de la relation sociale une chaîne de conflits. Dans ce sens, seulement l'hospitalité renouvelée, en collaboration avec les résidents-hôtes, est capable d'effacer du système touristique ce caractère de parasitisme. Please cite this article in press as: Salem, G., et al. La polysémie des perceptions patrimoniales : un vecteur du tourisme durable au Liban, La Revue Gestion et Organisation (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.rgo.2017.09.002
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3
La deuxième approche est caractérisée par les interactions entre les résidents et les touristes en faveur des attentes touristiques des résidents locaux sur le tourisme culturel (Andereck & Vogt, 2000, p. 27–36 ; Perelli, 1997, p. 122). Cette stratégie se base sur le point de vue des résidents plus précisément sur les touristes qui se font touristes pour les résidents pour respecter et conserver leurs cultures locales. En effet, le tourisme peut devenir une des formes les plus élevées de croisement entre les diverses identités culturelles, non destructive des ressources locales. Il s'agit de l'hospitalité des résidents qui est un facteur fondamental dans l'interaction touristique et influence aussi bien la croissance que l'abandon de destinations touristiques. Selon Perelli (1997), le tourisme devra s'associer à la redécouverte de l'hospitalité, non pas, certes, dans sa forme banalisée dominante d'aujourd'hui, mais dans la (re)proposition en termes actuels du statut de liberté et de respect réservé aux porteurs de la diversité. Le tourisme et le patrimoine culturel peuvent servir ici comme des éléments fondamentaux pour la protection des identités locales. Diaz Cruz (1993) (p. 64) suggère la promotion d'un « tourisme d'identité », un genre de tourisme culturel perçu comme générant la reconnaissance de la diversité et des droits culturels. Dans cette perspective, le lien entre le tourisme et le patrimoine se présente dénué de tout conflit. C'est une conception concédant au tourisme un rôle de respect des cultures locales, alors qu'il est par ailleurs perçu comme un facteur de commercialisation des cultures. Selon Lacarrieu (2006) (p. 131–150), les effets de désintégration des cultures locales pourraient être corrigés moyennant des expériences d'échanges entre touristes et communautés réceptrices et au travers de la participation directe et de la gestion responsable des patrimoines par les résidents locaux. À la base de ce qui précède, cette recherche mobilise les deux approches pour examiner la contribution des perceptions des résidents locaux et des touristes dans le développement du tourisme culturel, identifier les formes de métissage sous-jacentes et statuer sur l'état du tourisme durable. La première approche détermine l'état de conditions entre les résidents locaux et les touristes à travers leurs perceptions sur l'identité, le patrimoine et l'image de la ville. Elle analyse l'état du tourisme culturel, les autres types émergents du tourisme et les formes du métissage résidents-touristes. La deuxième approche étudie l'influence de l'implication des résidents sur l'interaction résidents-touristes et sur le développement du tourisme durable. Rares sont les recherches qui ont été faites pour déterminer les perceptions des résidents de différentes origines religieuses et ceux des différentes catégories de touristes sur le patrimoine, l'identité et l'image de la ville et d'examiner dans quelle mesure ces perceptions du patrimoine influencent le métissage résidents-touristes et le développement du tourisme durable. Adossé sur des enquêtes menées auprès des deux villes libanaises dont chacune se caractérise par un tissu socio-confessionnel différent, cet article cherche à déterminer les variables qui agissent sur les perceptions patrimoniales des résidents et des touristes. Il croise l'état de l'art ci-haut présenté avec les premières observations du terrain pour propose des perceptions patrimoniales régies d'un côté par l'appartenance religieuse des résidents et de l'autre par l'origine des touristes. Cela mène à proposer le métissage culturel comme un agent du tourisme durable dans les villes libanaises.
3.
Méthodologie
3.1.
Contexte de la recherche
Cette recherche repose sur une enquête menée dans deux villes libanaises : Baalbek, dont les habitants sont de majorité musulmane et Byblos, de majorité chrétienne. Ce choix est pour un nombre de raisons : d'abord, le tourisme est le principal secteur économique dans les deux villes. Ensuite, Baalbek et Byblos comprennent chacune un site archéologique inclus dans la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO : le complexe des temples de Baalbek et les ruines antiques de Byblos. De plus, la guerre civile libanaise qui a duré entre 1975 et 1990 a déferlé les congrégations spatiales et communautaires au Liban (Labaki & Abou Rjeily, 1993), ce qui a transformé la communauté libanaise intégrée en une juxtaposition d'espaces communautaires. Chaque communauté façonne son espace en fonction de ses propres croyances et valeurs. Les villes de Baalbek et Byblos sont représentatives de cette dissociation sociale. En effet, la population de Baalbek est principalement musulmane chiite et la population de Byblos est majoritairement chrétienne maronite. Ainsi, les communautés chiites et maronites affichent clairement leurs influences sur leurs districts en conformité avec leurs croyances religieuses. À cela s'ajoute le fait que les deux villes, Baalbek et Byblos, contiennent des sites religieux symbolisant la religion prédominante : le mausolée de Sit-Khawla est le site religieux le plus important à Baalbek et la cathédrale de Saint-Jean Marc est reconnue comme la première église maronite de Byblos. En outre, Baalbek et Byblos incluent un certain nombre d'attractions et d'activités. Baalbek abrite le Festival International de Baalbek qui offre depuis 1956 plusieurs spectacles et concerts pour des artistes fameux. D'autres attractions à Baalbek incluent le Parc national de Ras El-Ain, la Cathédrale Grecque-Catholique de Sainte-Barbe, la mosquée sunnite des Omeyyades, la cuisine locale, les chants traditionnels, la danse de dabké et le prestigieux folklore de Baalbek. En revanche, la ville de Byblos est bien connue pour son Festival International annuel qui a débuté en 2003 et qui est prisé parmi les jeunes. D'autres attractions importantes à Byblos comprennent l'antique port de Byblos, le site archéologique phénicien, les colonnades romaines, la mosquée sunnite de Sultan Abed El-Majid, le musée des Fossiles et le musée de Cire, les artisanats, etc.
3.2.
Démarche de la recherche
Cette recherche se situe au carrefour de la description, de l'exploration, de l'analyse et de la synthèse. Elle examine les discours des acteurs dans un premier temps à travers des entretiens semi-ouverts. Ensuite, elle passe aux discours des résidents de Baalbek et Byblos, de leurs excursionnistes libanais et de leurs touristes. L'objectif étant de déterminer les différentes perceptions du Please cite this article in press as: Salem, G., et al. La polysémie des perceptions patrimoniales : un vecteur du tourisme durable au Liban, La Revue Gestion et Organisation (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.rgo.2017.09.002
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patrimoine dans des villes classées Patrimoine mondiale de l'UNESCO. La démarche consiste à croiser les thèmes explicités par les acteurs pour identifier l'identité de Baalbek et Byblos aux représentations relatifs au patrimoine, à l'identité et à l'image attribuée par les autres enquêtés (résidents et touristes) à ces deux villes. Pour les interviews, quarante-cinq ont été faits avec des représentants du ministère du tourisme, du ministère de la culture, de la Direction Générale des Antiquités (DGA), de la municipalité de Baalbek et Byblos, de la société civile (Mokhtars), des députés, des responsables des ONG, CSO et des associations culturelles locales, des responsables des sites religieux et des Festivals, ainsi qu'avec d'autres acteurs impliqués directement ou indirectement aux questions culturelles et touristiques dans ces villes. Pour les questionnaires, 18 questions semi-ouvertes ont été formulées. Elles renvoient à l'identité de chaque ville, à ses objets patrimoniaux, à son image touristique, aux perceptions patrimoniales des participants ainsi qu'à un nombre de questions tournant autour des représentations, des perceptions et des attitudes patrimoniales dans chaque ville. L'échantillonnage aléatoire stratifié fut de recours dans un premier temps parce qu'il permettait une meilleure représentation des quatre publics de l'enquête dans chaque ville, à savoir les résidents, les excursionnistes libanais, les touristes arabes et les touristes internationales. La variable « stratifiante » fut l'origine des participants (Baalbekis ou Byblosien, Libanais, Arabe ou Internationale). Ensuite, des proportions égales ont été voulues pour chaque public. C'est ainsi que deux échantillons comprenant chacun trois cent participants ont été identifiés pour répondre aux questionnaires. Toutefois les questionnaires recueillis à la sortie de l'enquête ne dépassaient pas les 245 à Baalbek et les 264 à Byblos, un taux de réponse touchant les 83 % et 90 % respectivement. En parallèle, une liste des données secondaires a été identifiée. Elle comprenait des brochures publiées par des instances publiques telles les ministères et les municipalités, des magazines religieuses, des plaquettes des NGOs, des cartes anciennes et récentes des deux villes, des livrets relatifs à l'urbanisme et aux schémas directeurs d'aménagement de ces villes, des rapports d'études et des esquisses de projet urbain, des rapports Unesco et des comptes rendus des projets montés en coopération avec des instances internationales tel le projet CHUD, etc. L'analyse de ces données a permis d'établir la « posture identitaire » de Baalbek et Byblos.
4.
Résultats
4.1.
Analyse discursive
L'étude du discours des acteurs a mis en évidence les quatre niveaux décisionnels à Baalbek et à Byblos. Au niveau local, l'étude des cartes de Baalbek et de Byblos élaborées par les municipalités, et l'étude des bulletins des associations locales ont montré qu'à Baalbek, le regard patrimonial local est fortement influencé par la recomposition communautaire dans la ville ; alors qu'à Byblos, le regard patrimonial local est fortement influencé par le consensus communautaire dans la ville. En effet, le religieux imprègne les représentations identitaires locales à Baalbek qui se définissent sous l'impulsion du courant idéologique chiite — Le Hezbollah — qui consolide la construction communautaire autour d'un référentiel unique (le communautarisme religieux). Cela se manifeste par la carte touristique de la ville où le site de Baalbek continue à être présent, mais en deuxième plan derrière le mausolée. De l'autre côté, le culturel imprègne les représentations identitaires locales à Byblos qui se définissent par le contrat social entre les diverses communautés habitant la ville. Ce contrat social consolide la construction culturelle autour d'un référentiel unique (le nationalisme culturel). En effet, la Citadelle et les ruines archéologiques phéniciens et romains de Byblos coexistent avec la Cathédrale de Saint-Jean Marc et les autres sites religieux. Il en résulte un ensemble d'objets patrimoniaux (culturels et religieux), qui se côtoient, poussant le niveau local à consolider ses valeurs patrimoniales autour de la culture. Au niveau national, l'étude des actions relevant des institutions touristiques nous permet de constater que le site de Baalbek est le seul objet qui sollicite l'intérêt patrimonial de L'État libanais et que par contre, Byblos est visitée pour la totalité de ses attractions culturelles. À Baalbek, l'État attribue deux valeurs patrimoniales au site : une valeur nationale pour réactiver l'identité libanaise après la guerre, et une valeur historico-culturelle, romaine surtout, pour redynamiser le tourisme culturel. À Byblos, l'État promeut la ville en interpellant l'image de la une mosaïque culturelle, lui attribuant ainsi une valeur nationale comme une ville prototype du mélange religieux et culturelle et une valeur historico-culturelle (phénicienne surtout) pour attirer les touristes de partout dans le monde. Au plan régional arabe, le site de Baalbek, pour les touristes arabes, reste présent durant leurs visites de la ville, mais en deuxième plan derrière le mausolée. Le site archéologique phénicien de Byblos reste toujours une attraction principale pour les touristes arabes durant leur visite de Byblos mais il vient en second plan après le port et le vieux souk. En effet, ces touristes sont à la recherche du divertissement et des loisirs qui constituent leurs principales motivations de voyage. Ces touristes ne fréquentent que rarement les sites religieux libanais suite à des considérations doctrinales religieuses. Ce qui explique leurs désintérêts à l'égard du mausolée et des objets religieux dans les deux villes et leurs orientations vers des pratiques touristiques ludiques. Au plan international, l'étude du rapport de l'ICOMOS ainsi que l'étude du projet CHUD — un projet financé par la Banque mondiale — relèvent que les acteurs internationaux à Baalbek et à Byblos sont des organisations mondiales qui perçoivent essentiellement les deux villes par leurs sites archéologiques. Leurs valorisations patrimoniales s'appuient sur la dimension historique, culturelle, architecturale et esthétique de ces sites. Ainsi, aux quatre échelles d'acteurs correspondent quatre perceptions identitaires et patrimoniales. À Baalbek, ces perceptions convergent dans une large mesure entre le niveau national et le niveau international. Par contre, à Byblos, les perceptions Please cite this article in press as: Salem, G., et al. La polysémie des perceptions patrimoniales : un vecteur du tourisme durable au Liban, La Revue Gestion et Organisation (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.rgo.2017.09.002
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convergent dans une large mesure, entre les trois niveaux (local, national et international) portant toutes les trois sur le site classé par Patrimoine mondiale de l'UNESCO.
4.2.
Analyse descriptive
Pour l'enquête par questionnaire, deux cents quarante-cinq questionnaires furent remplis à Baalbek et deux cents soixante-quatre à Byblos. Les quatre catégories de public visé se répartissaient comme suit :
66 67 57 74
Byblosiens et 69 Baalbékis (25 % et 28,2 % respectivement) ; excursionnistes libanais à Byblos et 57 à Baalbek (25,4 % et 23,3 % respectivement) ; touristes arabes à Byblos et 54 à Baalbek (21,6 % et 22 % respectivement) ; touristes internationaux à Byblos et 65 à Baalbek (28 % et 26,5 % respectivement).
Les enquêtés sont invités à classer les éléments identifiant l'identité de chaque ville. Ils insistent sur l'universalité de Baalbek et Byblos grâce au classement UNESCO, mais aussi sur le cachet oriental de ces deux villes relevant du monde arabe. En revanche, les différences des perceptions de l'identité de chaque ville sont statistiquement significatives comme le montre le Tableau 1. Ce tableau nous permet de conclure que : les enquêtés (les résidents et les différentes catégories de touristes) trouvent que l'identité de la ville de Baalbek est « Internationale » au premier rang ; au deuxième rang, elle est « Arabe » et « Musulmane-Orientale » au troisième rang, alors que la ville de Byblos est historiquement « Internationale » et « Phénicienne » au premier rang, « Arabe » au deuxième rang, et « Orientale » au troisième rang ; bien que l'identité « Arabe » soit attribuée aux deux villes, son importance est de moindre mesure à Byblos qu'à Baalbek ; l'identité de Baalbek est marquée par l'universalité (les temples de Baalbek) secondée par le cachet communautaire (le mausolée de Sit-Khawla), tandis que celle de Byblos oscille entre l'universalité (la citadelle et les ruines de Byblos) et l'origine phénicienne (le port et ses tours) ; l'identité religieuse (de la communauté majeure) est plus valorisée à Baalbek qu'à Byblos. En effet, les enquêtés perçoivent évidemment le cachet « Musulman » de Baalbek tandis que le cachet « Chrétien » est de moindre mesure à Byblos ; Byblos a une identité plus remarquable que celle de Baalbek. En effet, les perceptions des résidents et des touristes se centrent dans une large mesure sur une seule identité de Byblos, alors qu'à Baalbek, les enquêtés attribuent principalement deux identités à la ville : shiite et arabe ; les origines phéniciennes des deux sites sont plus marquées et promues à Byblos qu'à Baalbek ; par rapport à l'appartenance culturelle de Baalbek et Byblos, Baalbek maintient sa structure sociale arabo-tribale et familiale, alors que Byblos paraît plutôt à structure sociale classique et relativement moderne ; parmi les réponses ouvertes, nos enquêtés ont marqué l'identité de Baalbek comme « Libanaise » dans le but de lui attribuer une valeur nationale. Cela n'est pas le cas à Byblos où aucune réponse n'a été ajoutée par les enquêtés hors des choix offerts ;
Tableau 1 – Les perceptions des enquêtés sur l'identité de Baalbek et de Byblos. Identité de la ville
Rang 1
Fréquence (%)
Rang 2
Fréquence (%)
Rang 3
Fréquence (%)
Baalbek (n = 245) Arabe Musulmane Orientale Phénicienne Internationale Clanique Iranienne Autres Total
60 36 35 21 84 3 2 4 245
24,49 14,69 14,28 8,57 34,29 1,23 0,82 1,63
24 20 15 13 17 10 2 10 111
21,62 18,02 13,51 11,71 15,31 9,01 1,81 9,01
3 8 7 1 3 8 0 0 30
10 26,67 23,33 3,33 10 26,67 0 0
Byblos (n = 264) Arabe Chrétienne Orientale Phénicienne Internationale Occidentale Européenne Autres Total
50 28 37 65 65 11 8 0 264
18,94 10,61 14,01 24,62 24,62 4,17 3,03 0
7 11 11 17 19 8 0 0 73
9,59 15,06 15,06 23,29 26,03 10,97 0 0
3 1 1 3 7 0 3 0 18
16,67 5,55 5,55 16,67 38,89 0 16,67 0
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aucune différence significative n'est déterminée parmi les éléments identifiants concernant l'identité « Iranienne » de Baalbek et l'identité « Européenne » de Byblos. Les résidents et les touristes ne perçoivent pas une ressemblance entre Baalbek/Byblos et d'autres pays.
4.3.
Analyse relationnelle
Les résultats des enquêtes sont présentés dans les Tableaux 2 et 3 qui les présentent en mettant l'accent sur la différence entre les résidents, classés comme « Résidents de Baalbek » et « Résidents de Byblos », et entre les catégories de touristes classés entre « excursionnistes libanais », « touristes arabes », et « touristes internationaux ». Le Tableau 2 représente la perception du patrimoine et le Tableau 3 montre l'image attribuée à chaque ville par chaque groupe d'enquêtés. L'analyse par classement fut limitée aux trois premiers choix vu que les réponses dépassaient rarement trois éléments identifiants. Le classement des réponses permet en fait d'estimer le poids de chaque élément et son degré d'importance. Les Tableaux 2 et 3 montrent que les Baalbékis trouvent que le patrimoine est l'ensemble de valeurs culturelles, mais qui pourrait aussi évoquer un bien national ou religieux. À leur tour, les Byblosiens perçoivent le patrimoine de la même façon, mais qui pourrait aussi évoquer un bien national ou un mélange entre la modernité et la tradition. Ces définitions du patrimoine renseignent sur le développement du tourisme culturel et détermine par la suite la nature des interactions entre les résidents et les touristes. Par rapport à l'imaginaire sur les deux villes, les Baalbékis et Byblosiens trouvent que l'image des deux villes est positive (destination touristique) et que cette image est liée en second rang à la religion dominante dans la ville (Territoire des Chiites à Baalbek et Territoire des Maronites à Byblos). Pourtant, les perceptions de l'image diffèrent dans le sens géopolitique. D'une part, les Baalbékis perçoivent leur ville comme ville des enjeux géopolitiques tandis que de l'autre part, les Byblosiens évoquent leur ville comme ville de paix et de l'Alphabet. Sur ce, les résidents de Baalbek et de Byblos définissent le patrimoine et l'image de la ville différemment en fonction de leur appartenance religieuse et s'y réfèrent pour encourager des formes « appropriées » du tourisme dans leur ville. Il s'en suit, un tourisme culturel confronté au tourisme religieux à Baalbek et au tourisme lucratif et oisif à Byblos. À leur tour, les excursionnistes libanais définissent le patrimoine dans les deux villes comme un bien culturel, mais qui pourrait également avoir une dimension nationale et internationale de l'UNESCO. Toutefois, ces excursionnistes accordent une grande importance à la préservation de la valeur nationale du patrimoine à Byblos. Par rapport à l'imaginaire de la ville, ils considèrent les deux villes comme des destinations touristiques en premier lieu. Toutefois, ces Libanais Excursionnistes tiennent compte de la réalité identitaire, patrimoniale et politique à Baalbek et Byblos. En effet, ces excursionnistes attribuent Baalbek à la communauté chiite et soulignent le rôle géopolitique qu'elle joue suite aux enjeux géopolitiques, alors qu'ils trouvent Byblos une ville de paix et de consensus géopolitique et qui est attribuée à la communauté maronite. Quant à aux touristes arabes, ils définissent principalement le patrimoine à Baalbek et Byblos comme un bien culturel, secondé par une dimension religieuse qui reste influencée par les croyances religieuses de leurs sociétés, et finalement comme un bien national. De leur part, les touristes internationaux définissent le patrimoine dans les deux villes comme un bien culturel, classé UNESCO s'il est mondial ou commun à la société s'il est national ou un mélange de modernité et de tradition. Concernant l'imaginaire sur les deux villes, pour les touristes arabes et internationaux, les deux villes sont, en premier lieu, des destinations touristiques majeures adhérant aux représentations de l'UNESCO. En outre, ces touristes arabes et internationaux sont influencés par les perceptions des résidents sur leur ville. En effet, ils perçoivent Baalbek comme un territoire de la communauté chiite ayant un rôle géopolitique au Moyen-Orient, et Byblos comme une ville de paix et un espace de vie consensuelle entre les différentes communautés.
Tableau 2 – Les perceptions des enquêtés sur le sens du patrimoine à Baalbek et Byblos. Définition du Patrimoine (%) Baalbek Résidents (n = 69) Excursionnistes libanais (n = 57)
Touristes arabes (n = 54) Touristes internationaux (n = 65)
Signification a b
Byblos 30,4 15,9 36,8 15,8
culturel national religieux culturel national UNESCO
27,8 cultural religieux 20,4 national 40 culturel UNESCO 10,8 national Mélange de modernité et de tradition 0,032 ( p < 0,05)a
Résidents (n = 66) Excursionnistes libanais (n = 67) Touristes arabes (n = 57) Touristes internationaux (n = 74)
Signification
30,3 culturel national 18,2 mélange de modernité et de tradition 26,9 national Mélange de modernité et de tradition 22,4 culturel UNESCO 26,3 culturel religieux 19, 3 héréditaire national 45,9 UNESCO 27 culturel national 10,8 mélange de modernité et de tradition 0,000 ( p < 0,05)b
Chi2 = 16,654 (Baalbek). Chi2 = 75,719 (Byblos) ; DF = 15 (Baalbek et Byblos).
Please cite this article in press as: Salem, G., et al. La polysémie des perceptions patrimoniales : un vecteur du tourisme durable au Liban, La Revue Gestion et Organisation (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.rgo.2017.09.002
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Tableau 3 – Les représentations des enquêtés sur Baalbek et Byblos. Imaginaire sur la ville (%) Baalbek Résidents (n = 69)
Excursionnistes libanais (n = 57)
Touristes arabes (n = 54)
Touristes internationaux (n = 65)
Signification a
Byblos 58 % destination touristique 21,7 % territoire des Chiites 15,8 % enjeu géopolitique 61,4 % destination touristique 24,6 % territoire des Chiites 10,5 % enjeu géopolitique
Résidents (n = 66)
48,1 25,9 25,9 63,1 21,5 12,3 NS
Touristes arabes (n = 57)
% % % % % %
destination touristique territoire des Chiites enjeu géopolitique destination touristique territoire des Chiites enjeu géopolitique
Excursionnistes libanais (n = 67)
Touristes internationaux (n = 74)
Signification
47 % destination touristique 24,2 % territoire des Maronites 21,2 % ville de paix et de l'alphabet 40,3 % destination touristique 29,9 % ville de paix et de l'alphabet 14,9 % territoire des Maronites 14,9 % espace de consensus 38,6 % destination touristique 26,3 % espace de consensus 24,6 % ville de paix 55,4 % destination touristique 24,3 % ville de paix 13,5 % espace de consensus 0,024 ( p < 0,05)a
Chi2 = 19,189 ; DF = 9 (Byblos).
Le Tableau 2 montre que la relation entre les variables « Origine des Enquêtés » et « Définition du Patrimoine » est significative dans les deux villes mais est statistiquement plus significative à Byblos (0,000) qu'à Baalbek (0,032). Comme la signification est inférieure à 0,05, la relation entre l'« Origine des Enquêtés » et la « Définition du Patrimoine » existe. Pourtant, cette relation entre les questions-variables est plus forte à Byblos qu'à Baalbek. En effet, les attentes touristiques des Byblosiens sont largement différentes de celles des touristes arabes, et dans une moindre mesure de celles des excursionnistes libanais et des touristes internationaux. En revanche, les attentes touristiques des Baalbékis sont compatibles dans une large mesure avec les attentes des touristes arabes et dans une moindre mesure avec celles des excursionnistes libanais et les touristes internationaux. Suivant le Tableau 3, la relation entre les variables « Origine des Enquêtés » et « Imaginaire sur la Ville » est statistiquement significative à Byblos (0,024) et non significative à Baalbek. En effet, d'une part, les Baalbékis et les différentes catégories de touristes partagent des imaginaires communs sur Baalbek qui, selon eux, est respectivement une destination touristique, un territoire de la communauté chiite et une ville ayant des enjeux géopolitiques. D'autre part, à Byblos, les perceptions de l'image de la ville diffèrent entre les enquêtés. Ces perceptions jonglent entre une ville de paix et un territoire des Maronites par les yeux des Byblosiens et des excursionnistes libanais, et entre un espace de consensus et une ville de paix par les yeux des touristes arabes et internationaux. De ce qui précède, nous pouvons conclure que les perceptions du patrimoine varient entre les touristes en fonction de leur région d'origine. En même temps, les touristes s'accordent sur l'universalité des deux villes et partagent les mêmes perceptions sur les images de chaque ville avec les résidents. À leur tour, les résidents perçoivent le patrimoine différemment selon leurs religions et attribuent des images différentes à leurs villes. Par conséquent, les résidents-touristes ne partagent pas essentiellement les mêmes perceptions sur l'identité, le patrimoine, et l'image de nos deux villes en question. Par suite, le métissage n'est pas essentiellement culturel et le tourisme durable n'est pas du même niveau dans les deux villes.
4.4.
Analyse typologique
Le Tableau 4 présente les résultats des quatre variables qui constituent la « Posture Identitaire ». Ce tableau est utilisé pour vérifier si les perceptions des résidents et des touristes sur la « Posture Identitaire » sont différentes entre Baalbek et Byblos. L'analyse de la relation entre la variable « Origine des Enquêtés » et les questions-variables de la « Posture Identitaire » permet de distinguer quatre modèles de perception de la « Posture Identitaire » à Baalbek et à Byblos. Le Tableau 4 montre que les Baalbékis trouvent que l'identité de Baalbek bascule entre l'universalité en premier rang, l'arabisme en deuxième rang et puis l'islamisme en troisième rang, et que la particularité de Baalbek réside dans sa romanité, son cachet phénicien et puis arabe. L'évocation de Baalbek fait penser au site archéologique suivi par le Festival International de Baalbek et le mausolée de Sit-Khawla qui sont les éléments symboliques et attractifs pour la visite de la ville. Les excursionnistes libanais considèrent que Baalbek est une ville internationale en premier rang, arabe et phénicienne en second rang et musulmane en troisième rang. Pour eux, Baalbek est historiquement romaine, puis phénicienne et en moindre mesure arabe. Ils trouvent que le site, le festival et le mausolée sont les éléments qui viennent à l'esprit lorsque Baalbek est évoquée. Les touristes arabes trouvent quant à eux, que Baalbek est une ville arabe en premier rang, musulmane et internationale en second rang et orientale en troisième rang, et que historiquement Baalbek est romaine, secondée par son histoire arabe, et finalement par sa dimension phénicienne. Cela explique pourquoi ces touristes choisissent respectivement le site, le mausolée de Sit-Khawla et le festival comme éléments représentatifs de Baalbek. Les touristes internationaux voient que la ville est historiquement romaine en premier temps, phénicienne en second temps et arabe en troisième temps, ce qui lui impose une fonction culturelle et touristique, secondée par sa fonction religieuse. Pour ces touristes, Baalbek a une identité internationale en tant que patrimoine mondial et symbole national et que le site est sans conteste l'élément Please cite this article in press as: Salem, G., et al. La polysémie des perceptions patrimoniales : un vecteur du tourisme durable au Liban, La Revue Gestion et Organisation (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.rgo.2017.09.002
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Tableau 4 – Les perceptions des enquêtés sur la « posture identitaire » de Baalbek et de Byblos. Éléments fonctionnels (%) Baalbek R (n = 69)
Cachet historique du site archéologique (%)
Élément motivant (%)
Identité de la ville (%)
28 sites F.I. Baalbek 13,2 Mausolées 36,2 sites F.I. Baalbek 9,2 Mausolées
46,4 Romaines Phénicienne 15,9 Arabes 59,3 Romaines Phénicienne 9,9 Arabes
28,4 sites F.I. Baalbek 21,8 Mausolées 40,2 sites F.I. Baalbek 14,2 Mausolées
AT (n = 54)
36,7 sites 25 Mausolées F.I. Baalbek
51,2 Romaines Arabe 13,1 Phéniciennes
40,2 sites 33 Mausolées F.I. Baalbek
IT (n = 65)
62 sites 12 F.I. Baalbek 9 Vieux Souk
58,5 Romaines 16 Phéniciennes Arabe
54,5 sites F.I. Baalbek 12,5 Mausolées
30,1 Internationales Arabe 14,6 Musulmanes 34,2 Internationales Arabe 17,7 Phéniciennes Musulmane 26,4 Arabes 23,1Musulmanes Internationale 14,3 Orientales 36,1 Internationales Orientale 18,6 Arabes
21,8 sites Port et Tours 14,6 Vieux Souk 19,2 sites Port et Tours 18,1 Vieux Souk 22,5 Port et Tours Vieux Souk 18,3 sites 38,3 sites Port et Tours 9,8 Vieux Souk
36,2 Phéniciennes Croisade 15,2 Arabes 33,7 Phéniciennes Croisade 22,4 Libanaises 35,8 Phéniciennes Croisade 16 Libanaises 34,2 Phéniciennes Romaine 17,1 Croisades
29,9 sites Port et Souk 17,1 F.I. Byblos 26 sites Port et Souk 21,9 F.I. Byblos 37,8 Port et Souk Site 12,6 F.I. Byblos 27,4 sites Port et Souk 15,2 F.I. Byblos
37 Phéniciennes Internationale 12,3 Arables 28,3 Internationales Phénicienne 17,4 Arabes 25,3 Arabes Internationale 17,9 Orientales 24,5 Phéniciennes Internationale 19,1 Orientales
LE (n = 57)
Byblos R (n = 66)
LE (n = 67)
AT (n = 57)
IT (n = 74)
R : résidents ; LE : excursionnistes libanais ;AT : touristes arabes ; IT : touristes internationaux.
patrimonial de Baalbek, secondé par une identité orientale et arabe suite à la présence du mausolée de Sit-Khawla. Leurs perceptions patrimoniales portent exclusivement sur les temples qu'ils considèrent avec le festival et le vieux souk comme les emblèmes de Baalbek. Du côté de Byblos, les Byblosiens perçoivent leurs villes comme une ville phénicienne en premier rang, internationale en deuxième rang et arabe en troisième rang. Sa particularité réside dans son histoire phénicienne, son cachet croisade et puis arabe. L'évocation de Byblos fait penser au site archéologique secondé par le port avec ses tours, suivi par le vieux souk et finalement le festival. Les excursionnistes libanais trouvent que Byblos se distingue respectivement par son cachet international, phénicien et arabe, et que le site, le port avec ses tours et le vieux souk viennent à l'esprit en parlant de Byblos. Ces attractions se joignent au festival pour motiver la visite touristique de Byblos. Ces Libanais trouvent que Byblos est historiquement phénicienne, croisade et libanaise. Pour les touristes arabes, ils voient que Byblos est historiquement phénicienne, croisade et puis romaine. Pour ces touristes, la ville se distingue par une identité arabe au premier rang, son universalité et son cachet musulman en deuxième rang et son cachet orientale en troisième rang. Selon eux, le port, le vieux souk et le site sont, par ordre d'importance, les éléments attractifs pour la visite de Byblos, suivis par le festival qui est devenu récemment, un élément décisif pour la visite de la ville. Pour les touristes internationaux, Byblos a une identité phénicienne secondée par une identité internationale et finalement une identité orientale. Leurs présentations patrimoniales portent sur le site qu'ils considèrent avec le port et le vieux souk comme les emblèmes de Byblos, à côté du festival. Ces touristes trouvent Byblos phénicienne en premier rang, romaine en second rang et croisade en troisième rang. De ce qui précède, les perceptions de nos enquêtés de l'identité touristique de Baalbek et de Byblos montrent qu'en dépit d'un tourisme fragilisé par la guerre, le développement touristique reste plus remarquable à Byblos qu'à Baalbek. Aussi, les différences de la « Posture Identitaire » des enquêtés entre les deux villes sont significatives comme le montre l'analyse des résultats évoqués dans le Tableau 4. Ce dernier permet de retenir que : les Byblosiens et les touristes s'accordent sur les traits fonctionnels de Byblos qui sont des sites archéologiques (le site, le port et le vieux souk). En revanche, les Baalbékis et les touristes trouvent que les sites archéologiques (le site, le festival international de Baalbek et le vieux souk) et religieux (le mausolée de Sit-Khawla) sont les emblèmes de Baalbek ; les sites archéologiques (le site et le port) secondés par les activités culturelles (le festival international de Byblos) sont désignés par les Byblosiens et les touristes comme attractions qui motivent la visite de Byblos. En revanche, Baalbek est interpellée en premier lieu pour son site archéologique (les temples) et son activité culturelle et artistique internationale (le Festival International de Baalbek), ensuite pour son site religieux (le mausolée de Sit-Khawla) ; Please cite this article in press as: Salem, G., et al. La polysémie des perceptions patrimoniales : un vecteur du tourisme durable au Liban, La Revue Gestion et Organisation (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.rgo.2017.09.002
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les enquêtés attribuent le cachet historico-culturel aux deux villes (romanité du site à Baalbek et phénicité du site à Byblos). Mais ils attribuent aussi une valeur nationale à Byblos (libanaise) et un cachet arabe à Baalbek (arabe) ; les Byblosiens et les touristes évoquent que l'identité de Byblos est de prime abord universelle (internationale et phénicienne) et en moindre mesure orientale ou arabe. Par contre, l'identité de Baalbek bascule entre l'universalité (internationale), le cachet arabe-orientale et le cachet religieux (musulman).
5.
Conclusion
Cette recherche s'est servie d'une enquête de terrain menée auprès de deux villes touristiques libanaises, Baalbek et Byblos, pour saisir les différentes perceptions patrimoniales qui semblent varier entre les niveaux local, national, régional arabe et international. L'enquête pivote autour des deux axes : des interviews avec des acteurs clés et des questionnaires avec quatre type de public : résidents, touristes libanais (ou excursionnistes), touristes arabes et touristes internationales et cela dans chacune des deux villes en question. L'enquête vise à sonder les perceptions patrimoniales dans les deux villes par un croisement de variables relatives à l'identité, les objets patrimoniaux, l'imaginaire touristique et la posture identitaire. Les résultats montrent une différence des perceptions entre les résidents des deux villes d'une part, et entre ces résidents et les différentes catégories de touristes de l'autre. A Baalbeck, on note une tendance des Baalbékis à attribuer des valeurs religieuses au patrimoine alors qu'à Byblos, c'est la tendance à attribuer des valeurs culturelles au patrimoine qui est soulignée. De plus, notre enquête a mis l'accent sur l'émergence de nouvelles formes de tourisme dans les villes en question : tourisme religieux à Baalbek et tourisme récréatif à Byblos, dont les manifestations s'avèrent respectivement le mausolée de Sit-Khawla et le port de plaisance. Il est remarquable que les perceptions identitaires, patrimoniales et imaginaires de nos villes diffèrent d'un public à l'autre. En effet, les touristes internationaux adhèrent aux représentations de l'UNESCO sur le patrimoine et sont intéressés par le tourisme culturel. Leurs discours portent largement sur les sites archéologiques et leurs regards se fixent sur le passé historique de Baalbek et Byblos. Quant aux touristes arabes, leurs perceptions se convergent avec ceux des résidents de chaque ville. Pour eux, le mausolée à Baalbek et le port à Byblos occupent une grande importance dans leur visite sans déstabiliser leur imaginaire sur les sites qu'ils considèrent comme patrimoine mondial. À leur tour, les excursionnistes libanais considèrent le patrimoine comme un symbole national et culturel et sont conscients de l'identité religieuse que véhicule le mausolée de SitKhawla à Baalbek, et de l'identité libano-phénicienne de Byblos diffusée par sa gamme des ruines archéologiques. Par conséquent, la différence de perceptions patrimoniales renvoie à une différence du référentiel identitaire entre les résidents appartenant à des communautés religieuses différentes d'une part, et entre ces résidents et les différentes catégories de touristes appartenant à des origines différentes (libanaises, arabes ou internationales). Cela contribue à des interactions diverses entre les résidents et les touristes dans les deux villes. À Baalbek, les résidents s'engagent à un métissage culturel avec les touristes internationaux d'abord, ensuite avec les excursionnistes libanais. Néanmoins, ils s'engagent à un métissage culturel et religieux avec les touristes arabes. À Byblos, les résidents s'engagent à un métissage culturel avec les touristes internationaux, suivis par les excursionnistes libanais et enfin avec les touristes arabes. Donc, malgré les nouvelles formes de tourisme confrontant le développement du tourisme culturel, les interactions résidents-touristes sont positives et établies à la base de l'échange culturel et en faveur d'un développement du tourisme culturel, pilier du tourisme durable.
fe rences re
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