Gynécologie Obstétrique & Fertilité 42 (2014) 357–359
CAS CLINIQUE
Le choriocarcinome : une face cachée de la pemphigoïde gestationnelle A choriocarcinoma: A hidden face of pemphigoid gestationis K. Inani a,*, M. Meziane a, Y. Bouyahyaoui a, F.-Z. Mernissi a, M. Sekal b, T. Harmouch b, A. Amarti b, M. Rachade c, M.-A. Melhouf c a
Service de dermatologie, CHU Hassan II Fès, BP 1835, Atlass, Fès, Maroc Service d’anatomopathologie, CHU Hassan II Fès, BP 1835, Atlass, Fès, Maroc c Service de gynécologie obstétrique, CHU Hassan II Fès, BP 1835, Atlass, Fès, Maroc b
Reçu le 8 septembre 2013 Disponible sur Internet le 7 janvier 2014
Résumé La pemphigoïde gestationnelle est une dermatose bulleuse auto-immune sous-épidermique, survenant au cours de la grossesse, rarement en post-partum et exceptionnellement en post-abortum. Son association avec un choriocarcinome reste rare. Nous rapportons cette association chez une patiente de 35 ans, chez qui le diagnostic de pemphigoïde gestationnelle a été posé sur des critères cliniques, histologiques et immunologiques, et celui de choriocarcinome sur des critères cliniques, biologiques, radiologiques et histologiques. À travers cet article, nous mettons le point sur cette association, rapportée pour la première fois en post-abortum. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Gestationis pemphigoid is an autoimmune subepidermal blistering dermatosis occurring predominantly in pregnancy, more seldom in early puerperium, and exceptionally in post-abortion. The association of gestationis pemphigoid with choriocarcinoma is extremely rare. We report this association in a patient of 35 years in which the diagnosis of gestationis pemphigoid was made on clinical, histological and immunological criteria, and the one of choriocarcinoma was made on clinical, biological radiological and histological criteria. Through this article, we put the item on this association reported for the first time in post-abortion. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Pemphigoïde gestationnelle ; Choriocarcinome ; Post-abortum Keywords: Gestationis pemphigoid; Choriocarcinoma; Post-abortion
1. INTRODUCTION La pemphigoïde gestationnelle est une dermatose bulleuse sous-épidermique, survenant au cours de la grossesse,
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (K. Inani).
rarement en post-partum, son incidence est évaluée entre 1/ 20 000 à 1/50 000 grossesses, soit 2 cas par million d’habitants et par an [1]. Elle touche plus les multipares que les primipares et ceci au cours du deuxième ou troisième trimestre, mais elle peut se déclarer à tous les stades de la grossesse y compris en post-partum immédiat [1], voir exceptionnellement en postabortum [2]. Cliniquement, c’est une dermatose prurigineuse constitué de papules urticariennes, de cocardes, surmontées de
1297-9589/$ see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.11.003
358
K. Inani et al. / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 42 (2014) 357–359
vésicules et de bulles. Le début de l’éruption se fait le plus souvent en péri-ombilicale, puis elle s’étend symétriquement à tout le corps, avec respect du visage et des muqueuses [1,2]. Le choriocarcinome est une tumeur maligne du trophoblaste villeux dépourvue de villosité placentaire et de vésicule môlaire. Il peut survenir chez toute femme en activité génitale mais surtout chez la femme de plus de 40 ans. Sa prévalence est de 1/ 160 000 grossesse normale, 1/15 386 fausse couche, 1/40 môle hydatiforme et 1/5333 grossesse ectopique [3]. Nous rapportons une association exceptionnelle de pemphigoïde gestationnelle et choriocarcinome survenant en post-abortum. 2. OBSERVATION Une patiente de 35 ans, sans antécédents pathologiques notables, troisième geste deuxième parité, était hospitalisée au service de gynécologie pour des métrorragies du postabortum, associés à une dermatose érythémato-bulleuse, très prurigineuse, diffuse à tout le corps. Notre avis a été sollicité et l’examen clinique avait trouvé chez une femme de phototype V des lésions en cocardes, avec des papules pseudourticariennes, surmontées de bulles par endroits, situées au niveau des membres, tronc, cou et visage (Fig. 1 et 2), évocatrices d’une pemphigoïde gestationnelle en rapport avec un processus gravidique. Le dosage des HCG avait objectivé une élévation anormale par rapport à un post-abortum chiffré à 243 000 UI/mL et le contrôle une semaine après à 36 7000 UI/mL, l’échographie avait montré une image utérine intra-myométriale hétérogène richement vascularisé au doppler énergie avec une ligne de vacuité fine, ce qui a permis de retenir le diagnostic d’une tumeur trophoblastique gestationnelle. Le bilan d’extension n’a pas objectivé de métastases à distance. La biopsie cutanée avait objectivé une bulle sous-épidermique, un infiltrat inflammatoire dermique fait d’éosinophiles et de lymphocytes (Fig. 3), alors que
Fig. 1. Lésions en cocardes au niveau de l’avant bras.
Fig. 2. Lésions en cocardes et plaques pseudo-urticariennes du décolleté.
l’immunofluorescence directe avait objectivé un dépôt linéaire de C3 le long de la membrane basale, ce qui nous a permis de confirmer le diagnostic de pemphigoïde gestationnelle. La dermatose était traitée par les dermocorticoïdes de classe très forte (béthamétasone) à savoir 30 g par jour sur tout le corps pendant un mois puis dégression, en association avec
Fig. 3. Décollement sous-épidermique avec un infiltrat inflammatoire dermique (HES 10).
K. Inani et al. / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 42 (2014) 357–359
359
les émollients et les antihistaminiques (desloratadine) avec une amélioration et disparition des lésions au bout de 4 mois. Une hystérectomie totale inter-annexielle a été proposée pour la tumeur trophoblastique, comme alternative à la chimiothérapie vu la difficulté de faire un suivi régulier et le désire de la patiente de ne plus avoir d’enfants. L’examen anatomopathologique de la pièce d’hystérectomie était en faveur d’un choriocarcinome.
ciation rapportée pour la première fois [2,9]. Notre observation a également comme particularités, la survenue de la pemphigoïde gestationnelle chez une femme de phototype V puisque c’est la race blanche qui est la plus touchée, l’atteinte du visage car il y a un respect du visage et des muqueuses au cours de la pemphigoïde gestationnelle [1].
3. DISCUSSION
4. CONCLUSION
La pemphigoïde gestationnelle est une dermatose bulleuse rare, survenant au cours de la grossesse, en post-partum et exceptionnellement en post-abortum, elle est plus fréquente chez le phototype clair [2]. Cette dermatose prurigineuse survient dans 60 % des cas entre la 28e et la 32e semaine d’aménorrhée chez les femmes multipares [4], avec une possible exacerbation en post-partum, liée à une subite augmentation du taux des anticorps [5]. Il existe un risque important de rechute lors des grossesses ultérieures indépendamment de la paternité, lors de prise d’une contraception orale œstroprogestative, ou lors des menstruations [4]. L’histologie d’une bulle cutanée récente montre une bulle sous-épidermique sans nécrose du toit ni acantholyse, un infiltrat dermique fait d’éosinophiles, de lymphocytes et d’histiocytes dans le derme papillaire et autour des vaisseaux. Le diagnostic doit être confirmé par une immunofluorescence directe, qui met en évidence un dépôt linéaire de C3 et d’IgG le long de la membrane basale [6]. Le traitement repose sur la corticothérapie générale 0,5 à 1 mg/kg par jour pour les formes sévères dépassant 10 % de la surface corporelle, et sur les dermocorticoïdes de classe très forte pour les formes bénignes ou modérées [1]. Le choriocarcinome est une tumeur maligne rare. Il appartient au groupe des maladies trophoblastiques gestationnelles [7]. C’est une tumeur chimiosensible, l’hystérectomie trouve sa place chez les femmes qui ne désirent pas conserver leur fertilité [8]. Notre cas met la lumière sur une association intéressante et rare, ou on peut considérer la pemphigoïde gestationnelle comme un syndrome paranéoplasique. Cette association pourrait être expliquée par un dénominateur commun à tout processus gravidique qui est la présence d’une hypersécrétion d’HCG par un trophoblaste hyperplasique [7]. Notre patiente a présenté un choriocarcinome avec une pemphigoïde gestationnelle survenant en post-abortum, asso-
L’association pemphigoïde gestationnelle et choriocarcinome est une association à ne pas méconnaître, surtout chez les patientes qui présentent une dermatose bulleuse en postabortum. DÉCLARATION D’INTÉRÊTS Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. RÉFÉRENCES [1] Ingen-Housz-Oro S. Pemphigoïde de la grossesse : revue de la littérature. Ann Dermatol Venereol 2011;138(3):209–13. [2] Tbatou F, Studer M, Dellestable P, Huriet V, Cuny JF, Barbaud A, et al. Pemphigoïde gestationnelle post-abortum. Ann Dermatol Venereol 2012;139(11):742–3. [3] Vuong PN, Guillet JL, Houissa-Vuong S, Lhommé C, Proust A, Cristalli B. Pathology of gestational trophoblastic tumors. Gynecol Obstet Fertil 2000;28(12):913–26. [4] Castro LA, Lundell RB, Krause PK, Gibson LE. Clinical experience in pemphigoid gestationis: report of 10 cases. J Am Acad Dermatol 2006;55:823–8. [5] Aoyama Y, Asai K, Hioki K, Funato M, Kondo N, Kitajima Y. Herpes gestationis in a mother and newborn immunoclinical perspectives based on a weekly follow-up of the enzyme-linked immunosorbent assay index of a bullous pemphigoid antigen noncollagenous domain. Arch Dermatol 2007;143(9):1168–72. [6] Mokni M, Fourati M, Karoui I, El Euch D, Cherif F, Ben Tekaya N, et al. Pemphigoid gestationis: a study of 20 cases. Ann Dermatol Venereol 2004;131:953–6. [7] Regis C, Taieb S, Lesoin A, Baranzelli MC, Blehaut T, Leblanc E. Présentation inhabituelle d’un choriocarcinome gestationnel. Gynecol Obstet Fertil 2006;34:716–9. [8] Sergent F, Verspyck E, Lemoine JP, Marpeau L. Place de la chirurgie dans la prise en charge des tumeurs trophoblastiques gestationnelles. Gynecol Obstet Fertil 2006;34:233–8. [9] Djahansouzi S, Nestle-Kraemling C, Dall P, Bender HG, Hanstein B. Herpes gestationis may present itself as a paraneoplastic syndrome of choriocarcinoma. Gynecol Oncol 2003;89:334–7.