Adénome gastrique de type pylorique au cours de la polypose adénomateuse familiale : une entité rare à ne pas méconnaître

Adénome gastrique de type pylorique au cours de la polypose adénomateuse familiale : une entité rare à ne pas méconnaître

Annales de pathologie (2017) 37, 175—181 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com CAS ANATOMOCLINIQUE Adénome gastrique de type...

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Annales de pathologie (2017) 37, 175—181

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

CAS ANATOMOCLINIQUE

Adénome gastrique de type pylorique au cours de la polypose adénomateuse familiale : une entité rare à ne pas méconnaître Gastric adenoma of pyloric type associated with familial adenomatous polyposis: A rare histological type not to be overlooked Jérôme Didier a, Peggy Dartigues a, Ranya Soufan a, David Malka b, Pascal Burtin b, Jean-Yves Scoazec a,∗,c a

Service de pathologie morphologique, département de biologie et pathologie médicales, Gustave-Roussy Cancer Campus Grand Paris, 114, rue Edouard-Vaillant, 94805 Villejuif cedex, France b Service de gastroentérologie, département de médecine, Gustave-Roussy Cancer Campus Grand Paris, 114, rue Edouard-Vaillant, 94805 Villejuif cedex, France c Faculté de médecine de Bicêtre, université Paris-Sud, université Paris-Saclay, 94270 Le Kremlin-Bicêtre, France Accepté pour publication le 2 janvier 2017 Disponible sur Internet le 9 mars 2017

MOTS CLÉS Adénome gastrique ; Adénome pylorique ; Polypose adénomateuse familiale ; Dysplasie ; MUC6

Résumé Nous rapportons deux cas d’adénomes gastriques de type pylorique découverts au cours de la surveillance d’une polypose adénomateuse familiale (PAF). Ce type histologique rare d’adénome gastrique n’a été que récemment rapporté dans ce contexte où son spectre clinique et anatomopathologique reste encore à définir. Les deux cas que nous rapportons sont très différents par leur présentation clinique et endoscopique. Dans le premier cas, la lésion a été découverte tardivement au cours de l’évolution de la PAF ; elle était très étendue, en saillie sur la muqueuse adjacente ; en raison de sa taille, son traitement et sa surveillance ont été difficiles. Dans le deuxième cas, la lésion a été découverte de fac ¸on fortuite, sur des biopsies gastriques, tôt au cours de l’évolution de la maladie. Les deux lésions présentaient les caractéristiques morphologiques et immunohistochimiques typiques des adénomes pyloriques, dont l’expression de MUC6. Toutes les deux comportaient des foyers de dysplasie, dont des foyers de haut grade dans la lésion la plus étendue. Le diagnostic d’adénome pylorique ne doit pas être méconnu devant une lésion adénomateuse gastrique au cours de la PAF ; le potentiel évolutif de cette lésion reste à évaluer. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-Y. Scoazec). http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2017.01.003 0242-6498/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

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KEYWORDS Gastric adenoma; Pyloric adenoma; Familial adenomatous polyposis; Dysplasia; MUC6

J. Didier et al.

Summary We report here two cases of gastric adenomas of pyloric type diagnosed during the follow-up of familial adenomatous polyposis (FAP). This rare histological lesion has been only recently described in this particular context and its clinical and pathological spectrum remains to be evaluated. Our two cases were very different in their clinical and endoscopic presentation. In the first patient, the lesion was diagnosed late during the evolution of FAP; it was very large and protruded above the adjacent mucosa; because of its large size, its treatment proved to be difficult. In the second patient, the lesion was discovered incidentally in gastric biopsies, early in the course of FAP. Both lesions presented the characteristic morphological and immunohistochemical features of pyloric adenoma, including the expression of MUC6. Both showed evidence of dysplasia, including high-grade dysplasia in the largest lesion. Pyloric adenoma belongs to the spectrum of gastric polyps associated with FAP; its prognosis and evolution remain to be evaluated. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Plusieurs types de polypes gastriques ont été décrits au cours de la polypose adénomateuse familiale (PAF). Les plus fréquents sont les polypes glandulo-kystiques, dont la fréquence a été diversement appréciée selon les études : elle peut atteindre 90 % des patients dans certaines séries [1]. L’aspect morphologique des polypes glandulo-kystiques associés à la PAF est superposable à celui des formes sporadiques, mais leurs caractères moléculaires sont différents [2] : les mutations les plus fréquemment retrouvées sont des mutations du gène APC, alors que les mutations les plus fréquentes dans les formes sporadiques sont celles impliquant le gène CTNNB1 codant pour la bêta-caténine. Les deux protéines, APC et bêta-caténine, appartiennent à la même voie de signalisation, la voie Wnt. De 25 à 50 % des polypes glandulo-kystiques associés à la PAF contiennent des foyers de dysplasie, habituellement de bas grade ; selon des études récentes, ces dysplasies sont les plus souvent de phénotype gastrique, et non intestinal, et leur risque de progression vers la dysplasie de haut grade, voire l’adénocarcinome, est très faible [1]. Les autres polypes gastriques susceptibles d’être diagnostiqués au cours de la PAF sont les polypes hyperplasiques et les adénomes. Longtemps, il a été implicitement admis que tous les adénomes gastriques associés à la PAF étaient de type intestinal, comme leurs homologues du tube digestif bas. Cependant, des travaux récents ont montré que la plupart de ces lésions étaient en fait de phénotype gastrique ; la plupart d’entre eux correspondent à des adénomes fovéolaires, mais certains sont des adénomes pyloriques. Dans une large étude incluant 261 polypes gastriques provenant de 66 patients [3], il a été diagnostiqué 43 adénomes fovéolaires, 7 adénomes pyloriques et seulement 1 adénome intestinal ; les autres lésions observées étaient des polypes glandulo-kystiques (n = 203), des polypes hyperplasiques (n = 6) et un adénocarcinome (n = 1). Les lésions de phénotype fovéolaire et pylorique, bien que décrites depuis plusieurs années et intégrées dans la classification OMS 2010 des tumeurs digestives restent encore peu familières à beaucoup de pathologistes et sont probablement sous-diagnostiquées [4,5]. Nous rapportons deux cas d’adénome gastrique de type pylorique associés à la polypose adénomateuse familiale, très différents par leur présentation clinique et endoscopique, afin d’illustrer le spectre de cette entité lésionnelle, souligner ses caractères diagnostiques, rappeler les éléments de son diagnostic

différentiel et faire le point sur les données disponibles concernant son potentiel évolutif.

Observations Cas 1 Observation clinique Un patient âgé de 53 ans est suivi depuis l’adolescence pour une PAF, diagnostiquée dans le cadre d’un dépistage familial ; une colectomie sub-totale prophylactique a été réalisée en 2004. Depuis 2009, des explorations endoscopiques digestives ont été pratiquées chaque année dans notre institution. Lors de ces endoscopies annuelles, des lésions polypoïdes ont été dépistées régulièrement dans le duodénum, la région ampullaire, le réservoir iléal et le rectum restant ; dans tous les cas, il s’agissait d’adénomes tubuleux de bas grade. Des lésions gastriques ont également été dépistées à partir de 2009. Il s’agissait initialement de polypes glandulo-kystiques, de localisation fundique, multiples et de petite taille. En 2013, a été diagnostiquée pour la première fois une lésion localisée de part et d’autre de la grande courbure, à 5 mm en dessous du cardia. La lésion mesurait environ 2 cm de diamètre et faisait saillie par rapport à la muqueuse de voisinage. Son aspect endoscopique faisait évoquer une lésion de type hyperplasique. Des macrobiopsies ont été effectuées. En 2014 et 2015, la lésion s’était étendue jusqu’à atteindre un diamètre de plus de 5 cm et à faire saillie d’au moins 5 mm par rapport à la muqueuse de voisinage. Une résection endoscopique a été décidée et effectuée en avril 2015. En raison de la taille de la lésion, la résection a été faite en multiples fragments : 25 fragments, mesurant de 3 à 20 mm de diamètre, ont été examinés. La résection était incomplète. Un large résidu de 25 mm de diamètre a été réséqué par une mucosectomie complémentaire en septembre 2015. Le résultat endoscopique était satisfaisant en mai 2016. Les cicatrices de mucosectomie ne comportaient pas de foyer suspect de récidive ; il existait à nouveau plusieurs foyers localisés de polypes glandulo-kystiques dispersés dans le fundus et dans la grosse tubérosité.

Caractères histologiques Les aspects histologiques étaient comparables sur tous les prélèvements effectués (macrobiopsies et fragments de

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Figure 1. Cas 1, caractères histologiques et immunohistochimiques. À faible grandissement (a), la lésion occupe toute l’épaisseur de la muqueuse et son architecture est hétérogène. Les zones solides sont formées de tubes étroitement juxtaposés (b), bordés par des cellules monomorphes, cubiques, dépourvues de mucus, présentant un gros noyau ovoïde à chromatine fine (c). Les cellules tumorales expriment fortement MUC6 (d). a, b, c : hématoxyline-éosine-safran ; grandissements originaux, a × 20, b × 180, c × 320 ; d, immunopéroxydase, grandissement original, × 150. Case 1, histological and immunohistochemical features. At low magnification (a), the lesion invades the whole thickness of the mucosa and its architecture is heterogeneous. Solid zones are made of tubular structures, closely packed (b), lined by cuboidal cells, devoid of visible mucin, and showing a large, ovoid nucleus with fine chromatin (c). Tumor cells strongly express MUC6 (d). a, b, c: hematoxylin-eosin-saffron ; original magnifications, a × 20, b × 180, c × 320; d, immunoperoxidase, original magnification, × 150.

résection endoscopique). Sur les larges fragments obtenus par mucosectomie, la lésion présentait un aspect hétérogène, en raison de la coexistence d’architectures différentes (Fig. 1a). Le plus souvent, l’architecture était solide, caractérisée par la juxtaposition de tubes glandulaires de taille variable, étroitement tassés les uns contre les autres, mais non anastomosés (Fig. 1b). Les tubes étaient bordés par une seule couche de cellules cubiques ou cubo-cylindriques, à cytoplasme éosinophile, dépourvues de mucus visible. Les noyaux étaient volumineux, en position centrale ou basale. Ils étaient arrondis, avec une chromatine fine souvent dépourvue de nucléole visible (Fig. 1c). Les colorations du PAS et du bleu Alcian étaient négatives. Il existait de foyers de dysplasie de bas grade avec une architecture pseudopapillaire et des aspects de pseudo-stratification (Fig. 2a et b) et de rares foyers de haut grade présentant d’importantes atypies architecturales (Fig. 2c et d). Dans d’autres territoires, l’architecture était caractérisée par la présence de très longues formations pseudo-cryptiques ou tubulaires, parallèles, rappelant superficiellement les aspects observés dans les polypes hyperplasiques (Fig. 3a) ; certaines de ces structures étaient fortement dilatées, et pouvaient ressembler à faible grandissement aux structures dilatées observées dans les polypes glandulo-kystiques (Fig. 3b). Cependant, l’examen à fort grandissement montrait que les cellules bordant ces structures inhabituelles étaient identiques à celles observées dans les zones solides. Les cellules néoplasiques exprimaient les cytokératines 7 et 20 de manière hétérogène. Elles

exprimaient fortement MUC5AC et MUC6 (Fig. 1d). Elles n’exprimaient pas CDX2. Le diagnostic final était celui de volumineux adénome de type pylorique avec dysplasie de bas et de haut grade, au cours d’une PAF.

Cas 2 Observation clinique Un adolescent de 17 ans est suivi pour une PAF découverte dans le cadre d’un dépistage familial. Depuis 2011, des endoscopies digestives annuelles ont été pratiquées dans notre institution. Des lésions duodénales et colorectales ont été régulièrement découvertes et traitées endoscopiquement : il s’agissait d’adénomes tubuleux de bas grade sans aspect suspect de malignité. En 2013, des lésions gastriques ont été découvertes pour la première fois ; il s’agissait de polypes glandulo-kystiques sans aspect de dysplasie. Aucune biopsie gastrique n’a été réalisée en 2014 et en 2015. En 2015, un fibrome de Gardner de localisation sous-claviculaire a été diagnostiqué. En 2016, de nouvelles biopsies gastriques ont été réalisées sur des surélévations de la muqueuse fundique.

Caractères histologiques Onze fragments biopsiques ont été examinés. La plupart présentaient des lésions de polype glandulo-kystique typique, sans dysplasie. Dans 2 fragments, il existait des foyers

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Figure 2. Cas 1, aspects histologiques particuliers. La lésion comporte des foyers de dysplasie de bas grade (architecture pseudopapillaire, pseudo-stratification) (a et b) et de haut grade (aspect cribriforme, pluristratification, atypies cytonucléaires) (c et d). a, b, c, d : hématoxyline-éosine-safran ; grandissements originaux, a × 250, b × , c × 120, d × 160. Case 1, atypical histological features. The lesion contains areas of dysplasia, low grade (pseudopapillary architecture, pseudostratification) (a and b) and high grade (cribriform appearance, pluristratification, atypia) (c and d). a, b, c, d: hematoxylin-eosin-saffron; original magnifications, a × 250, b × 380, c × 120, d × 160.

Figure 3. Cas 1, aspects histologiques particuliers. Certains territoires ont une architecture trompeuse, rappelant celle des polypes hyperplasiques, avec de longues structures tubulaires parfois dilatées (a), mais qui restent bordées par des cellules de morphologie très typique (b). a, b : hématoxyline-éosine-safran ; grandissements originaux, a × 120, b × 160. Case 1, atypical histological features. Some areas show unusual architectural features, recalling those of hyperplastic polyps (c), because of the presence of long tubular structures, sometimes dilated, which remain however lined by typical cuboidal cells devoid of mucin (d). a, b: hematoxylin-eosin-saffron; original magnifications, a × 120, b × 160.

d’aspect différent. Ils étaient de localisation superficielle, situés immédiatement sous l’épithélium de surface, et refoulaient les cryptes adjacentes. Ils étaient formés de structures glandulaires tassées les unes contre les autres, sans interposition de stroma (Fig. 4a). Les tubes étaient bordés par une couche de cellules cubiques ou cubocylindriques, à cytoplasme éosinophile, à noyau arrondi et régulier contenant une chromatine fine (Fig. 4a). Le pôle apical des cellules était dépourvu de vacuole de mucus identifiable ; les colorations du PAS et du bleu Alcian étaient négatives. Des foyers de cellules identiques s’observaient également en surface où elles remplac ¸aient l’épithélium mucosécrétant normal (Fig. 4a). Il existait des foyers de dysplasie de bas grade, caractérisés par des aspects de

pseudo- ou de pluristratification et de minimes atypies cytonucléaires (Fig. 4a). Les foyers adénomateux exprimaient fortement MUC6, qui les soulignait parfaitement (Fig. 4b). L’immunomarquage suggérait que quelques cellules principales étaient mêlées aux cellules de phénotype pylorique. Le diagnostic final était donc celui de foyers localisés d’adénome de type pylorique, avec dysplasie de bas grade, dans un contexte de PAF.

Discussion Les deux lésions que nous rapportons ici sont très différentes par leur contexte clinique et leur présentation

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Figure 4. Cas 2, caractères histologiques et immunohistochimiques. La lésion se présente comme un petit foyer adénomateux superficiel et localisé, formé d’une vingtaine de glandes refoulant les cryptes normales de voisinage (a) ; les cellules tumorales remplacent l’épithélium normal de surface et adoptent une disposition pseudo-stratifiée. La section adjacente montre une forte expression de MUC6 (b) qui souligne parfaitement la lésion adénomateuse ; noter la présence de quelques cellules principales au sein des cellules tumorales ; a : hématoxylineéosine-safran ; grandissement original, × 280 ; b, immunopéroxydase, grandissement original, × 270. Case 2, histological and immunohistochemical features. The lesion is made of a few adenomatous glands, located immediately beneath the surface epithelium, between the normal crypts which remain visible in periphery (a); tumor cells replace focally the surface epithelium and show a pseudostratified appearance. The adjacent section is stained for MUC6: tumor cells are strongly labelled (b); note the presence of some chief-like cells admixed with MUC6+ tumor cells; a: hematoxylin-eosin-saffron; original magnification, × 280; b, immunoperoxidase, original magnification, × 270.

endoscopique, mais elles ont en commun les caractères morphologiques et immunohistochimiques typiques des adénomes dits pyloriques. L’une des lésions (cas 1) se présentait comme une lésion très étendue, de plusieurs centimètres de diamètre, diagnostiquée tardivement au cours de l’évolution de la PAF. La deuxième lésion (cas 2) est une découverte fortuite devant une surélévation localisée de la muqueuse fundique, diagnostiquée précocement au cours de la surveillance de la maladie. Dans les deux cas, l’aspect histologique est très évocateur. La lésion est formée de tubes glandulaires étroitement accolés les uns aux autres, mais non fusionnés. Le diagnostic différentiel avec un adénome intestinal est facile (Fig. 5). Les cellules tumorales sont cubiques et non pas cylindriques comme dans les adénomes intestinaux. Leur cytoplasme est éosinophile, en verre dépoli, et non pas basophile. Il n’existe pas de vacuole de mucosécrétion visible au pôle apical. Les caractères nucléaires sont très utiles au diagnostic différentiel. Dans les adénomes de type pylorique, les cellules présentent des noyaux volumineux, arrondis et réguliers, le plus souvent dépourvus de nucléole visible ; au contraire, ceux des cellules des adénomes de phénotype intestinal sont allongés et hyperchromatiques. Enfin, la position des noyaux dans les cellules de type pylorique est habituellement centrale et non pas basale comme dans les cellules de phénotype intestinal. La distinction entre adénome pylorique et adénome fovéolaire, une autre entité d’individualisation récente, également observée au cours de la PAF, peut s’avérer

plus difficile (Fig. 5). Le caractère typique des cellules de phénotype fovéolaire est la présence d’une vacuole de mucus bien visible au pôle apical ; elle est de type gastrique, à pôle fermé. De plus, les cellules à différenciation fovéolaire sont habituellement petites, avec un rapport nucléo-cytoplasmique élevé, responsable d’un aspect de forte densité cellulaire ; elles adoptent souvent une disposition pseudo-stratifiée ; comme celui des cellules à différenciation pylorique, leur noyau est souvent volumineux, mais il est ovoïde ou allongé et contient habituellement un ou plusieurs nucléoles bien visibles. Il est probable que les adénomes de phénotype gastrique, pylorique ou fovéolaire, seraient encore fréquemment méconnus et souvent interprétés comme des polypes hyperplasiques inhabituels. Le diagnostic différentiel avec les polypes hyperplasiques repose d’abord sur l’architecture générale de la lésion. Les polypes hyperplasiques sont formés de cryptes longues et irrégulières, séparées par un chorion abondant, œdémateux et richement vascularisé, occupant la partie haute et moyenne de la muqueuse, mais respectant en profondeur une couche de glandes gastriques normales bien reconnaissables [2]. Dans un des cas que nous rapportons (cas 1), certains territoires, d’architecture atypique, pouvaient cependant prêter à confusion. Le deuxième critère de diagnostic différentiel devient alors important : c’est l’aspect des cellules bordant les structures cryptiques ou tubulaires. Les cellules des polypes hyperplasiques ressemblent aux cellules mucosécrétantes gastriques

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Figure 5. Comparaison entre les aspects morphologiques des principaux types d’adénomes gastriques. Les adénomes intestinaux (a) sont caractérisés par la présence de cellules cylindriques, à cytoplasme basophile, contenant parfois une vacuole de mucus d’aspect caliciforme ; le noyau est basal, allongé, hyperchromatique, dépourvu de nucléole. Les adénomes pyloriques (b) sont caractérisés par la présence de cellules cubiques, à cytoplasme éosinophile, dépourvu de mucus visible ; le noyau est arrondi, à chromatine fine, le plus souvent sans nucléole visible. Les adénomes fovéolaires (c) sont caractérisés par la présence de cellules cylindriques hautes, contenant une vacuole de mucus apical à pôle fermé ; le noyau en position basale est arrondi, à chromatine fine. Hématoxyline-éosine-safran ; grandissement original, × 280. Morphological comparison between the main types of gastric adenomas. Intestinal-type adenomas (a) are made of cylindrical cells, characterized by a basophilic cytoplasm, sometimes containing a goblet-type mucus vacuole; nuclei are basal, ovoid, hyperchromatic, with a dispersed chromatin devoid of visible nucleolus. Pyloric adenomas (b) are made of cuboid cells, with an eosinophilic cytoplasm devoid of visible mucus; nuclei are round, regular, with a clear chromatin usually devoid of visible nucleolus. Foveolar-type adenomas (c) are made of high cells with eosinophilic cytoplasms containing an apical vacuole of mucus; nuclei are round, with dispersed chromatin. Hematoxylin-eosin-saffron; original magnification × 280.

normales ; elles sont cylindriques, riches en mucus ; leur noyau est basal. Dans les cas difficiles, les colorations spéciales et l’immunohistochimie peuvent faciliter le diagnostic différentiel entre les différents types de polypes gastriques. Typiquement, du fait de l’absence de vacuole de mucosécrétion au pôle apical de leurs cellules, les adénomes pyloriques ne réagissent pas avec les colorations du mucus, PAS ou bleu Alcian, contrairement aux adénomes fovéolaires ou intestinaux et aux polypes hyperplasiques [4,5]. Cependant, malgré l’absence de mucosécrétion identifiable, ils expriment l’apomucine pylorique et duodénale MUC6, qui prédomine souvent dans les cellules localisées en profondeur, et l’apomucine gastrique MUC5AC, restreinte aux cellules de surface ; ils n’expriment pas l’apomucine colique MUC2 [6] ; l’intensité de l’expression de MUC6 peut être variable [6], comme l’illustrent nos deux observations, où elle était modérée dans le cas 1 et intense dans le cas 2. Par opposition, les adénomes fovéolaires expriment seulement MUC5AC et les adénomes intestinaux seulement MUC2 (en même temps que d’autres marqueurs de différenciation intestinaux, comme CDX2, la villine ou CD10) [6]. Comme les autres adénomes gastriques, les adénomes de type pylorique peuvent exister sous forme sporadique ou en association avec un syndrome de prédisposition génétique. Les formes sporadiques sont réputées être plus fréquentes

chez la femme (le sex-ratio est de 2,5/1) et chez les sujets âgés (l’âge moyen de découverte est d’environ 75 ans chez les femmes et 70 ans chez les hommes) ; leur localisation la plus fréquente est le corps gastrique (64 % des cas) ; leur taille moyenne est de l’ordre de 15 mm [4,5]. Comme les polypes hyperplasiques, avec lesquels ils peuvent être confondus, les adénomes pyloriques sporadiques se développent préférentiellement dans une muqueuse pathologique, notamment au cours d’une gastrite chronique auto-immune, voire d’une gastrite chronique à Helicobacter pylori [4,5]. Les formes associées à un syndrome de prédisposition génétique peuvent s’observer non seulement dans la PAF, comme dans notre cas, mais aussi dans la polypose juvénile [7] et dans le syndrome de Lynch [8]. Malgré le contexte de survenue très différent, les caractères morphologiques et le profil moléculaire des adénomes pyloriques associés à la PAF semblent comparable à celui décrit dans les formes sporadiques. Les anomalies les plus fréquentes sont des mutations dans trois gènes cibles, GNAS, KRAS et APC [9]. L’histoire naturelle des adénomes pyloriques reste encore relativement mal connue. Les formes sporadiques gastriques comportent fréquemment des foyers de dysplasie de bas ou de haut grade (une étude récente rapporte que près de 50 % des adénomes pyloriques gastriques sont en dysplasie de haut grade) et leur risque de transformation en

Adénome pylorique et PAF adénocarcinome semble élevé (il est évalué à environ 15 % dans la même étude) [4]. L’expression de p53 est plus rare que dans les adénomes de type intestinal ; elle est habituellement limitée aux foyers de dysplasie de haut grade et est plus fréquente en cas d’adénocarcinome associé [6]. Les données concernant les adénomes pyloriques associés à la PAF sont encore très limitées et ne permettent pas de déterminer le risque de transformation maligne de ces lésions dans ce contexte particulier. Nos observations suggèrent que ce risque est significatif. Dans nos deux cas, il existait en effet des aspects dysplasiques. La lésion décrite dans le cas 1 comporte des foyers de bas et de haut grade ; elle est très inhabituelle par sa grande taille (près de 5 cm de diamètre) et sa présentation en nappe qui compliquent sa surveillance et son traitement. Malgré sa petite taille, la lésion décrite dans le cas 2 comporte également des aspects de dysplasie de bas grade. Ces deux observations illustrent la nécessité de colliger les observations d’adénomes pyloriques associés à la PAF pour mieux apprécier leur spectre clinique et anatomopathologique. En conclusion, les adénomes gastriques observés au cours de la PAF sont de types beaucoup plus variés qu’il ne l’a été longtemps reconnu. Il est important de savoir différencier les trois formes principales, fovéolaire, pylorique et intestinale, car leur histoire naturelle et leur risque de transformation maligne sont probablement très différents, même si les données cliniques et évolutives sont encore insuffisantes pour bien en juger. C’est seulement en identifiant correctement ces lésions qu’il sera possible de répondre aux questions encore en suspens.

Remerciements Nous remercions le Professeur Jean-Franc ¸ois Fléjou (service d’anatomie pathologique, hôpital Saint-Antoine, AP—HP, Paris) qui a bien voulu réaliser l’immunodétection de MUC6 dans les deux cas rapportés. Nous remercions également Irène Villa (plateforme d’imagerie numérique, département de biologie et pathologie médicales,

181 Gustave-Roussy Cancer Campus, Villejuif) pour son aide dans la préparation de l’iconographie.

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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