Adénopathie paradoxale au cours du traitement d’une tuberculose cavitaire chez un malade immunocompétent

Adénopathie paradoxale au cours du traitement d’une tuberculose cavitaire chez un malade immunocompétent

Revue de Pneumologie clinique (2011) 67, 318—321 CAS CLINIQUE Adénopathie paradoxale au cours du traitement d’une tuberculose cavitaire chez un mala...

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Revue de Pneumologie clinique (2011) 67, 318—321

CAS CLINIQUE

Adénopathie paradoxale au cours du traitement d’une tuberculose cavitaire chez un malade immunocompétent Paradoxical lymphadenopathy during treatment of cavitary tuberculosis in an immunocompetent patient J.L. Rakotoson a,∗, J.R. Rakotomizao a, R.L. Andrianasolo b, H. Rakotoharivelo a, A.C.F. Andrianarisoa a a

Unité de soins, de formations et de recherches (USFR) de pneumologie, CHU d’Antananarivo, Antananarivo, Madagascar b Service de maladies infectieuses, CHU d’Antananarivo, Antananarivo, Madagascar Disponible sur Internet le 17 mars 2011

MOTS CLÉS Tuberculose pulmonaire cavitaire ; Réactions paradoxales ; Adénopathies paradoxales ; Antituberculeux ; Prise en charge



Résumé Les réactions paradoxales au cours du traitement antituberculeux sont définies comme une majoration transitoire, clinique et/ou radiologique de lésions tuberculeuses préexistantes, ou comme l’apparition de nouveaux symptômes, alors que le traitement est adapté et correctement pris. Les auteurs rapportent un cas d’adénopathie axillaire paradoxale gauche au cours du traitement d’une tuberculose cavitaire, apparue au bout de sept mois de traitement. Aucun consensus sur la prise en charge thérapeutique de cette entité n’a été élaboré jusqu’à ce jour mais bon nombre d’auteurs proposent une prolongation du traitement antituberculeux, une corticothérapie de courte durée, une ponction aspiration et/ou une exérèse chirurgicale de l’adénopathie. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Lot III E, 87 Bis, AF Mahamasina sud, 101 Antananarivo, Madagascar. Adresse e-mail : [email protected] (J.L. Rakotoson).

0761-8417/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pneumo.2010.11.006

Adénopathie paradoxale au cours du traitement d’une tuberculose cavitaire

KEYWORDS Cavitary pulmonary tuberculosis; Paradoxical reactions; Paradoxical lymphadenopathy; Antituberculosis treatment; Management

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Summary The paradoxical reactions during antituberculosis treatment are defined as a transient, clinical and/or radiological increase in preexisting tuberculous lesions or as the emergence of new symptoms, while treatment is adapted and correctly taken. The authors report a case of paradoxical left axillary lymphadenopathy during the treatment of cavitary tuberculosis, which appeared after seven months of treatment. No consensus on the therapeutic management of this entity has been developed to date but many authors propose an extension of antituberculosis treatment, a short corticosteroid therapy, an aspiration puncture and/or a surgical excision of the lymphadenopathy. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Les réactions paradoxales au cours du traitement antituberculeux sont définies comme une majoration transitoire, clinique et/ou radiologique de lésions tuberculeuses préexistantes, ou comme l’apparition de nouveaux symptômes, alors que le traitement est adapté et correctement pris. L’apparition d’une adénopathie périphérique au cours d’un traitement antituberculeux est une entité rare et inhabituelle. Notre objectif est de rappeler la possibilité d’une réaction paradoxale à type d’adénopathie axillaire au cours du traitement de la tuberculose dont la prise en charge thérapeutique ne figure pas dans les recommandations de l’OMS.

Cas clinique Le patient était âgé de 20 ans, tousseur chronique depuis trois mois. L’examen clinique trouvait une altération de l’état général, un poids de 56 kg pour une taille de 170 cm (indice de masse corporelle 19,4 kg/cm2 ), une température à 38,4 ◦ C, une toux grasse avec expectorations jaunâtres peu abondantes et dyspnée modérée. L’auscultation pulmonaire retrouvait un souffle caverneux du sommet droit. L’examen cardiovasculaire montrait une fréquence cardiaque à 100 par minute, une tension artérielle à 130/80 mmHg et une auscultation normale. Les examens biologiques notaient un syndrome inflammatoire avec une vitesse de sédimentation (VS) accélérée à 120 mm à la première heure et une C-réactive protéine (CRP) à 35 mg/L. L’hémogramme était normal. L’intradermoréaction (IDR) à la tuberculine n’était pas effectuée. La sérologie VIH était négative. L’examen des crachats retrouvait des bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR) à l’examen direct et Mycobacterium tuberculosis sensible à la culture. La radiographie du thorax (Fig. 1) montrait une image cavitaire, localisée au niveau du lobe supérieur droit, rétroclaviculaire associée à des images infiltratives hilo-apicales droites. Le scanner thoracique (Fig. 2) confirmait la présence d’une volumineuse caverne tuberculeuse de 5 cm de grand axe, localisée au niveau du segment postéro-apical du lobe supérieur droit, entourée par des infiltrats et des images de destruction parenchymateuse périlésionnelle. Un traitement antituberculeux de huit mois était instauré selon le programme national de lutte antituberculeuse. Il associait rifampicine (560 mg/j), pyrazinamide (1120 mg/j), isoniazide (280 mg/j)

Figure 1. Radiographie du thorax montrant une caverne tuberculeuse apicale, rétroclaviculaire du lobe supérieur droit, associée à des images infiltratives droites.

Figure 2. Scanner thoracique montrant une volumineuse caverne tuberculeuse de 5 cm de grand axe au niveau du segment postéroapical du lobe supérieur droit.

320 et éthambutol (840 mg/j) pendant deux mois, durant lesquels le traitement était directement observé (TDO) par un personnel de santé afin de vérifier la bonne observance (le malade prenait son traitement sous surveillance d’un personnel médical). Il était suivi de six mois de traitement d’entretien composé d’isoniazide (280 mg/j) et d’éthambutol (840 mg/j) pendant lesquels le malade prenait le traitement à domicile. Il mentionnait une bonne observance thérapeutique lors des consultations successives. Le dosage du taux sérique de rifampicine et d’isoniazide n’était pas effectué. L’évolution était marquée par une amélioration de l’état général, une disparition de la toux et de la fièvre. Mais au septième mois de traitement, le malade remarquait une tuméfaction axillaire gauche mesurant environ 5 cm de grand axe, de consistance liquidienne, indolore, peu inflammatoire et d’installation progressive correspondant à une adénopathie axillaire gauche non fistulisée. La fièvre réapparaissait (38,5 ◦ C) mais le bilan inflammatoire (VS, CRP) était normal. La recherche de BAAR dans le liquide de tubage gastrique (le malade ne crachait plus) était négative. L’examen histologique de la biopsie ganglionnaire mettait en évidence des granulomes épithélioïdes et gigantocellulaires avec nécrose caséeuse. L’examen bactériologique du liquide d’aspiration ganglionnaire révélait la présence de quelques BAAR sensibles aux antituberculeux. L’hypothèse d’un lymphome ou d’une sarcoïdose était écartée. Le diagnostic d’une hypertrophie ganglionnaire paradoxale pendant le traitement antituberculeux était posé. Une aspiration du contenu de l’adénopathie a ramené 15 cm3 d’un liquide blanchâtre et inodore. Le patient a eu une courte cure de corticothérapie (1 mg/kg par jour pendant 15 jours) et une prolongation du traitement antituberculeux (dix mois au total). La prise du traitement antituberculeux était directement observée jusqu’à la fin du traitement. L’évolution était favorable avec diminution et disparition complète de l’adénopathie axillaire et de la fièvre et une amélioration de l’état général. Le contrôle biologique de l’inflammation et la recherche de BAAR dans le liquide de tubage gastrique successif étaient normaux. Le malade gardait une séquelle de caverne tuberculeuse résiduelle détergée du lobe supérieur droit à la radiographie thoracique de contrôle (Fig. 3) à la fin du traitement.

Discussion Les réactions paradoxales sous traitement antituberculeux adapté doivent rester un diagnostic d’élimination. Avant de poser le diagnostic d’une adénopathie paradoxale au cours d’un traitement antituberculeux, le clinicien doit toujours évoquer une possible non-observance thérapeutique, ou une résistance secondaire aux antituberculeux. Ce qui n’était pas le cas de notre malade. La survenue d’une hypertrophie paradoxale des ganglions ne semble pas liée à un échec bactériologique mais plutôt à une réponse immunologique persistante [1]. Les réactions paradoxales surviendraient dans 10 à 15 % des cas [2]. Elles peuvent se manifester par un syndrome de détresse respiratoire aigu [3], de nouvelles lésions pulmonaires [4], une méningite [5], une pleurésie avec lupus induit [6], une pleurésie controlatérale [7] ou une adénopathie [8]. Une réaction paradoxale témoignerait d’une réponse cellulaire intense à la présence d’antigènes

J.L. Rakotoson et al.

Figure 3. Radiographie du thorax de contrôle au bout de dix mois de traitement montrant une caverne résiduelle séquellaire.

tuberculeux. Cependant, l’étiopathogénie et les facteurs favorisants de cette évolution paradoxale ne sont pas connus. Un déficit de l’immunité cellulaire, prédominant sur les lymphocytes CD4, est souvent retrouvé au cours de la tuberculose. L’amélioration de l’immunité cellulaire grâce au contrôle de l’infection tuberculeuse s’accompagnerait d’un « rebond » de la réaction d’hypersensibilité retardée avec activation et accumulation des lymphocytes et des macrophages au site des bacilles tués [1]. Cheng et al. [9] rapportent au cours de la réaction paradoxale, chez les patients non infectés par le VIH, une augmentation du nombre de lymphocytes circulants et une majoration de la réponse à l’intradermoréaction à la tuberculine. Selon Janmeja et al. [10] ce phénomène est en général à médiation immune. La mort rapide des mycobactéries produit des facteurs qui vont stimuler les sous-populations lymphocytaires T helper de sous-type 1 (Th1). Ces cellules Th1 en revanche libèrent diverses cytokines pro-inflammatoires telles que le tumour necrosis factor alpha (TNF alpha) et les interleukines (IL-2, IL-6 et IL-8) [10]. La réaction paradoxale apparaît en général entre trois à 12 semaines après l’introduction du traitement antituberculeux [11] mais cette période peut aller jusqu’à 18 mois [4,12]. Chez notre malade, la réaction apparaissait au septième mois de traitement antituberculeux. En l’absence de toute recommandation, en cas d’adénopathie paradoxale, plusieurs options thérapeutiques ont été proposées, à savoir le traitement chirurgical, les ponctions-aspirations à l’aiguille avec ou sans injection d’antituberculeux dans le ganglion vidé, et l’éventuelle prolongation de la durée du traitement antituberculeux [8]. La prise en charge thérapeutique des adénopathies paradoxales comporte dans tous les cas la poursuite et la prolongation du traitement antituberculeux [13]. L’adjonction d’une

Adénopathie paradoxale au cours du traitement d’une tuberculose cavitaire corticothérapie au traitement antituberculeux a été proposée et semble intéressante [14]. Néanmoins, la posologie et la durée optimale de cette corticothérapie ne sont pas définies. Différents traitements locaux peuvent être adjoints au traitement médical. Cheng et al. [9] ont recouru à un traitement chirurgical des réactions paradoxales dans 60,7 % des cas. La réalisation des ponctions évacuatrices itératives de l’adénopathie à l’aiguille fine constitue une alternative à la chirurgie [14]. L’incision-drainage nécessite dans la majorité des cas une réintervention devant la survenue d’une fistule ou de la récidive de l’adénite [14]. L’intérêt de l’aspiration à l’aiguille est mieux établi dans la prise en charge des adénites post-BCG (Bacille de Calmette et Guérin) chez l’enfant [14]. De même l’intérêt de l’injection locale d’isoniazide associée à l’aspiration à l’aiguille a été évalué chez l’enfant au cours des adénites post-BCG [14]. Noah et al. [15] rapportent une plus grande efficacité d’un traitement local par une injection d’isoniazide que d’un traitement par érythromycine dans cette indication. Selon Rodriguez-Bano et al. [14], l’instillation locale d’isoniazide n’a pas prouvé son efficacité en cas d’hypertrophie paradoxale ganglionnaire chez l’adulte.

Conclusion Les réactions paradoxales sous traitement antituberculeux adapté doivent rester un diagnostic d’élimination. Il convient avant tout de vérifier la bonne prise du traitement et sa bonne absorption (intérêt des dosages sériques). Il n’y a pas de consensus sur la prise en charge thérapeutique de cette éventualité mais les auteurs suggèrent une prolongation du traitement antituberculeux, une corticothérapie, une ponction aspiration et/ou une éventuelle exérèse chirurgicale de l’adénopathie.

Conflit d’intérêt Aucun.

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