Symposium A 06 : Le bacille tuberculeux et son hôte
Apport des modèles animaux dans la recherche thérapeutique en tuberculose Orateur : V. Jarlier Résumé rédigé par A.-C. Volatron et V. Jarlier
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Centre National de Référence des Mycobactéries et de la Résistance des Mycobactéries aux Antituberculeux, Paris ; Laboratoire de Bactériologie, EA1541, Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, Site Pitié-Salpêtrière, Assistance Publique Hôpitaux de Paris, Université Paris 6, INSERM, U655-LRMA, Paris, France. Correspondance :
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e modèle animal, en particulier murin, a eu un rôle considérable en ce qui concerne la mise au point des chimiothérapies antituberculeuses, et ce, dès les années 1940. La souris est un « tube à essai » vivant qui permet de tester des hypothèses thérapeutiques qu’il est impossible de tester chez l’homme ou in vitro. Le modèle animal murin ne reproduit pas la tuberculose de l’homme (caseum, mais pas de caverne), mais permet de comparer l’efficacité de nouveaux régimes thérapeutiques à des régimes de référence (ex. : traitement standard OMS) si l’on prend soin de tenir compte des caractéristiques pharmacocinétiques des antituberculeux. Il permet aussi d’émettre des hypothèses sur la dose, le nombre d’administrations et la durée de traitement. Grâce au modèle murin, dès les années 1940, on a mis en évidence qu’un traitement par streptomycine seule aboutissait inexorablement à la sélection de mutants résistants. L’association à un deuxième antituberculeux évitait la sélection de mutants résistants. On a ensuite montré le rôle clé de la rifampicine (RFP) qui, associée à l’isoniazide (INH), permettait non seulement d’éviter la sélection de mutants résistants et d’éliminer les bacilles dans les organes des souris [2], mais aussi de diminuer la durée du traitement de 12 à 9 mois. On a pu déterminer ensuite le rôle du pyrazinamide (PZA) qui permet de diminuer la durée du traitement de 9 à 6 mois [3]. L’éthambutol (ETB) n’est, en général, pas inclus dans les régimes thérapeutiques testés chez l’animal car, essentiellement bactériostatique, cet antituberculeux sert presqu’exclusivement à éviter la sélection de mutants résistants à la RFP lorsqu’on traite une tuberculose causée par un bacille déjà résistant à l’INH (5 % de résistance primaire à l’INH en France). Le nombre de molécules utilisables dans le traitement de la tuberculose s’est étoffé progressivement ces dernières années. Les premières fluoroquinolones (péfloxacine, ciprofloxacine)
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avaient une faible activité antituberculeuse, mais l’arrivée de la sparfloxacine, puis de la moxifloxacine donne à cette famille de molécules une place intéressante dans la chimiothérapie antituberculeuse [4]. Le linézolide n’a qu’une faible activité [5] et sa toxicité limite beaucoup son utilisation. Les imidazolés ont une bonne activité [6] et certains dérivés pourraient à l’avenir être intéressants. Les diarylquinolines (exemple : R207910), molécules dont l’activité antimycobactérienne a été découverte fortuitement, s’avèrent avoir une excellente activité dans la tuberculose murine [7]. Elles ont permis d’identifier une nouvelle cible d’action des antibiotiques, l’ATP synthase (fig. 1). Il n’y a pas de résistance croisée entre ces molécules et les autres antituberculeux [7, 16, 18]. La proportion de mutants résistants à ces molécules est du même ordre que pour RFP, à savoir entre 10–7 et 10–8 [7]. Administré juste après l’infection par le bacille tuberculeux, le R207910 protège les animaux à des doses faibles, de l’ordre de 6 mg/kg versus 25 mg/kg pour l’INH [7].
Raccourcissement de la durée du traitement Les études dans lesquelles la moxifloxacine remplace l’INH dans le traitement standard (INH/RFP/PZA) de la tuberculose murine montrent une stérilisation des organes en 4 mois au lieu de 6 pour le traitement standard [8]. Cependant, lorsqu’on utilise un modèle murin où l’on augmente la population de bacilles, on s’aperçoit qu’il y a plus de rechutes après traitement comprenant la moxifloxacine [9]. Les premiers imidazolés (PA-824), ajoutés au traitement standard n’en n’ont pas amélioré l’efficacité [10]. En revanche, un dérivé plus récent (OPC-67683), en remplacement de l’INH dans le traitement standard, augmente significativement l’activité bactéricide [11]. Les diarylquinolines (DQL) sont très bactéricides utilisées seules pendant 2 mois. Si l’on substitue DQL à INH ou RFP dans le traitement standard, on négative totalement les organes des souris en 2 mois (7). En termes de rechute, l’ajout des DQL au traitement standard ou la substitution de l’INH par les DQL aboutit en 4 mois à une activité équivalente à celle du traitement standard de 6 mois [9].
R207910 Isoniazid
Traitement intermittent ATP synthase
Mycolic acids RNA polymerase (β-subunit) Pyrazinamide Membrane acidification Rifampicin
Fig. 1.
Mode d’action des différents antituberculeux [7].
Les modèles murins sont actuellement utilisés pour essayer d’améliorer la chimiothérapie antibuberculeuse selon 3 axes complémentaires : – raccourcir la durée du traitement ; – traitement intermittent (l’idéal serait une fois par semaine) ; – traitement des tuberculoses multirésistantes (MDR-TB) et ultrarésistantes (XDR-TB). 32
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La rifapentine utilisée de manière hebdomadaire expose au risque d’émergence de mutants résistants, même en association, par manque de « compagnon » de demi-vie suffisamment longue. La moxifloxacine, du fait de sa demi-vie longue, pourrait être un « compagnon » de la rifapentine. Un traitement quotidien de 15 jours (phase d’attaque) par RFP/INH/PZA/moxifloxacine suivi de 5,5 mois de traitement hebdomadaire par INH/rifapentine/moxifloxacine est aussi actif en termes de rechute que le traitement standard quotidien de 6 mois [12]. En augmentant les doses de moxifloxacine et de rifapentine, on peut aboutir à une efficacité équivalente à celle du traitement quotidien standard, même en supprimant la phase d’attaque quotidienne. Cela permettrait, théoriquement, un traitement efficace en seulement 24 doses d’antibiotiques réparties sur 6 mois [13]. Dans d’autres études, il a été essayé des schémas à 2 prises par semaine [14] ou 3 prises par semaine [15] avec des résultats intéressants qu’il faudrait évaluer chez l’homme. Les DQL ont une demi-vie encore plus longue que la rifapentine et pourraient donc lui être associées. Chez la souris, l’association DQL/PZA/rifapentine en traitement entièrement hebdomadaire, sans phase d’attaque quotidienne, permettrait une quasi-stérilisation en 2 mois [16].
Traitement des tuberculoses MDR et XDR Chez la souris, le traitement par amikacine/éthionamide/ PZA/moxifloxacine (donc sans INH-RFP, mimant ainsi la
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tuberculose MDR) semble faire aussi bien en 9 mois que le traitement standard de 6 mois et mieux que le traitement actuellement recommandé par l’OMS pour les TB-MDR : amikacine/éthionamide/PZA/ofloxacine [17]. La moxifloxacine joue maintenant un rôle important dans le traitement des TB-MDR, mais la durée minimum pour éviter les rechutes doit être précisée par des d’études spécifiques. Les DQL ont montré leur intérêt potentiel dans le traitement des TB-MDR, puisqu’elles permettent en 2 mois, en association avec amikacine/éthionamide/PZA, une bactéricidie bien supérieure à celle du traitement standard. L’efficacité est aussi satisfaisante lorsque l’éthionamide, difficile d’utilisation, est remplacé par la moxifloxacine [18]. En conclusion, la moxifloxacine est une molécule majeure dans le traitement des MDR-TB, mais son rôle reste à définir dans les tuberculoses sensibles, ce d’autant que les quinolones ont des effets secondaires et sélectionnent des bactéries résistantes dans les flores commensales (tube digestif, rhinopharynx, peau). La place de la rifapentine reste à définir. Les DQL auront un avenir réel si elles deviennent disponibles en clinique. Le traitement standard (OMS) de 6 mois a donc encore de beaux jours devant lui et reste le traitement à privilégier.
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