APPORTDESTECHNIQUESDEBIOLOGIE MOL~CULAIREiiL'IDENTIFICATION DES VICTIMESDECATASTROPHES Patrice Mangin*,
‘identification des victimes d’une catastrophe aerienne est un imperatifjuridique et humain. II l’est au plan juridique pour permettre la declaration de de& d’une victime et au plan humain pour que les familles puissent entreprendre ((leur travail de deuil )), une fois l’incertitude levee quant B la disparition de leur proche. Les travaux d’identification sont toujours difhciles et requierent le contours de moyens perfectionnes et d’equipes specialisees pluridisciplinaires associant medecins-ltgistes, odontologistes, radiologues et biologistes [l, 3,4,6, 7, 8, 9, 131. Les methodes d’identification classiques (morphologiques et odontologiques) permettent de reconnaitre rapidement les corps ayant conserve une certaine integritt tissulaire. Dans les cas oh les mutilations sont trop importantes, la mise en ceuvre des investigations genetiques peut permettre de parvenir B l’identification du corps [ 111. A titre d’exemple, nous citerons les operations d’identification des victimes de la catastrophe aerienne du Mont SainteOdile le 20 janvier 1992.
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MATkRIEL
ET MkTHODES
Les techniques d’identification genetiques ne sont entreprises qu’une fois les investigations conventionnelles termintes. Les investigations conventionnelles Ces investigations cornportent dans un premier temps la reconnaissance des Gtements et des bijoux, le releve des particularitts anatomiques telles que cicatrices, ndevi ou tatouages, la realisation d’une radioscopie systtmatique a la recherche de protheses, de materiels d’osteosynthese ou de fractures anciennes (completee, selon le cas, de cliches radiographiques) et la prise d’empreintes digitales chaque fois que possible. L’autopsie medicolegale est ensuite r&r&e. Un des temps de cette autopsie est consacre au releve odontologique a l’etude dentaire conduite par des odontologistes-experts en vue dune etude comparative des odontogrammes ante et post-mortem [ 1, 51. L’autopsie proprement dite est destinte d’une part B relever les lesions des corps, a determiner avec le plus de precision possible les causes du de&s et B rechercher la presence tventuelle de traces de suie ou de brulures sur l’arbre trachtobronchique. Elle permet, d’autre part, de pratiquer tous les prelevements tissulaires en vue d’investigations toxicologiques ou genetiques ulttrieures.
‘Institut de mPdrcine 1+&z, 11. rue Humann,
MkDECINE & DRDIT n”l3 - 1995
67085 Strasbourg Cedex, France
Bertrand
Ludes*, Helene
Pfitzinger*
Les tchantillons tissulaires prtlevts sur les corps dependent de l’etat de conservation de ces derniers. 11peut s’agir de fragments de muscle squelettique et en cas de carbonisation, de tissu osseux. Dans d’autres cas, les analyses peuvent &tre pratiqutes sur des pr&vements de tissus cardiaques, ctrtbraux, cutants, renaux ou de cuir chevelu. En cas d’identification genetique, les analyses &ant comparatives, des prtlevements sanguins doivent &tre effectuts sur les membres des familles des disparus pour permettre l’ident&cation des victimes par la mise en evidence des liens biologiques de filiation. Les techniques d’identification gCnCtique Les techniques de biologie moleculaire permettent l’etude de la molecule d’acide desoxyribonucltique (ADN) qui est contenue dans le noyau de toute cellule nuclete de l’organisme. La molecule d’ADN est constitute de 6 x 10’ nucleotides formant le gtnome humain. Les nucleotides sont des unites fondamentales contenant quatre bases : I’adtnine, la cytosine, la guanine, la thymine dont la succession et l’arrangement aboutissent a un code qui permet le stockage de toutes les informations necessaires B l’tlaboration et au fonctionnement d’un @tre vivant. Au sein de cette molecule existent des regions constituees de sequences, polymorphes c’est-a-dire dont la longueur ou dont le code varient d’un individu B l’autre. Cette variabilite se transmet selon les lois mendeliennes et determine l’identite genetique d’un individu. En fonction de la qualite et de la quantite de 1’ADN extrait des tchantillons soumis B l’analyse, deux methodes peuvent etre employees pour reveler ces polymorphismes. 11s’agit soit de l’analyse de la longueur des regions polymorphes isolees par l’action d’enzymes de restriction choisis pour sectionner la molecule de part et d’autre de ces rtgions appeltes alors fragment de restriction, soit de l’amplification genique (ou polymerase chain reaction pour les auteurs anglais) qui consiste en la multiplication exponentielle de la region de I’ADN a Ptudier, par une reaction enzymatique B l’aide d’une ADN polymerase. Dans l’analyse de la longueur des fragments de restriction, I’ADN est obtenu apres extraction B partir des noyaux des cellules presentes dans les echantillons et dig&e par les enzymes de restriction choisis (Hinfl, dans le cas des investigations de la catastrophe du Mont Sainte-Odile). Les fragments ainsi obtenus sont separts les uns des autres par Clectrophortse sur gel d’agarose B O,7% qui range les fragments en fonction 13
MhECllUE1UDICIAlUE de leur taille. Ainsi &pares, les fragments apres avoir etP transfer& a partir du gel sur une membrane de nylon par capillarite, sont rep&& et rev&s B l’aide de sequences nucleotidiques compltmentaires des regions analysees appeltes sondes moleculaires. Ces dernieres sont marquees soit radioactivement, soit enzymatiquement. Dans la catastrophe du Mont SainteOdile, les sondes uniloculaires MSI, MS8, MS31, MS43A et g3 (ICI Cellmark Diagnostics) marquees B la phosphatase alcaline ont ete utilisees. Chaque sonde reconnait une region determinte de 1’ADN sit&e sur un chromosome donne. L’image est alors constituee par une ou deux bandes selon que l’individu est homozygote ou htterozygote pour la region exploree. Dans tous les cas, l’analyse est comparative et s’effectue entre les profils gtnetiques obtenus B partir des Cchantillons et ceux Ctablis a partir de prelkements sanguins fournis par les familles. Cette comparaison entre la position respective des bandes sur les profils obtenus est realisee d’une part visuellement par l’observateur et d’autre part par des mtthodes informatiques d’analyse d’image apres transfert des images sur un Ccran par camera video (BioImage, Millipore). L’analyse par amplification genique est plus sensible et plus rapide que la precedente. Elle peut, en eff et, Ptre appliqute a de t&s faibles quantitts d’ADN extraites (2 B 10 ng) et les rtsultats peuvent etre obtenus sous 24 heures. L’amplification utilise une ADN polymtrase (enzyme impliquee dans les phtnomenes de replication naturelle de I’ADN au tours de la division cellulaire) qui permet la multiplication d’une sequence d’ADN polymorphe. Cette technique comporte plusieurs &apes qui consistent d’abord en une denaturation de la molecule d’ADN qui s&pare les deux chaines compltmentaires, puis en une hybridation de courtes sequences de nultotides appelees amorces complementaires des extremites de la region g analyser puis enfin en la synthtse de nuvo de chaines d’ADN complementaires de chacun des brins denatures selon la rtgle de l’appariement des bases. Les sequences synthetisees sont des copies conformes des brins initiaux de I’ADN. Les differentes &apes sont rep&es de 25 B 35 fois et les sequences obtenues peuvent servir de matrice B 1’ADN polymtrase au tours de la reaction suivante. Les regions amplifites sont visualisees soit aprts tlectrophorese sur gel d’agarose SeaKem GTG 1,5% et exposition aux rayons ultraviolets aprirs coloration au bromure d’ethidium comme pour le locus D 1 S80 [2], ou pour les sequences specifiques des chromosomes X et Y qui peuvent @tre coamplifites au tours de la m@me reaction [lo], soit par methode colorimetrique une fois 1’ADN depose sur une membrane nylon par la technique du dot blot inverse pour la region HLADQalpha [12]. Ces quatre regions (DlS80, HLADQalpha, Xet Y) ont ttt ttudites lors des operations d’identification gtnttiques des victimes de la catastrophe atrienne du Mont Sainte-Odile.
RESULTATS Dans le cas de la catastrophe atrienne du Mont Sainte-Odile, les techniques classiques d’identification morphologique et odontologique ont permis de reconnaitre 68 victimes des 87 recherchtes en 2 semaines. Les techniques d’amplification gtnique ont et& rtalisees sur 298 prtlevements tissulaires pour reconstituer les corps a partir des fragments retrouvts sur le 14
42.35%
m Ident. morpho. 18,82%
m Ident. morpho. et dentaire Ident. dentaire ,,i Empreintes gCnCtiques
Fig I. Importance relative des crithes d’identification.
site, ainsi que sur les 52 tchantillons sanguins provenant des membres des familles des victimes encore non identifites apres les methodes conventionnelles. La reconstitution des corps mutilts B partir des fragments humains dtcouverts sur le site a ete possible g&e Bla confrontation des resultats d’amplification genique B ceux des examens morphologiques et odontologiques. L’analyse des fragments de restriction a ete effect&e B partir de 42 prtltvements tissulaires provenant de fragments de corps non identifies et B partir des 52 echantillons sanguins provenant des familles des 19 victimes non identifiees apres les methodes conventionnelles (fig 1). La dtmarche a consist& B rechercher un eventuel lien de parent6 entre les ascendants ou les descendants d’une victime non identifiee et des fragments de corps non encore attribues. Le traitement informatique des rtsultats a permis l’identi&cation formelle de I7 victimes suppltmentaires aprts un delai de 2 mois. Deux victimes, p&sum&es dans l’avion, n’ont pu etre identifites probablement du fait de la destruction complete de leur cadavre par le foyer d’incendie qui s’est declare immediatement aprts l’impact de l’avion au sol.
DISCUSSION Lors d’une situation dite de catastrophe avec un grand nombre de victimes d&Cd&es, les methodes conventionnelles associent identification morphologique et odontologique. Elles permettent des identifications formelles et rapides et constituent l’etape prtalable aux analyses gtnttiques. L’analyse de 1’ADN peut etre pratiqute a partir de tout tissu humain prelevt lors des autopsies medicoltgales B condition que ces prelevements aient ttt faits a titre systematique et conserves congeles B -20°C. Ces techniques de biologie moleculaire permettent d’une part de reconstituer les corps et de determiner le sexe des fragments humains collect& et d’autre part d’identifier les victimes p&urn&es disparues grace B l’analyse comparative du polymorphisme de I’ADN realiste B partir des victimes et des membres des familles des disparus (ascendants ou descendants). Ces techniques d’investigations sont plus longues et plus comeuses que les methodes conventionnelles. Elles necessitent de disposer de prelevements sanguins provenant des familles pour realiser les analyses comparatives et representent le seul recours pour l’identification formelle de corps extremement mutilts. MiDEClNE & DROITno13- 1995
L’identification des victimes d’une catastrophe releve done d’une equipe multidisciplinaire associant medecins-legistes, odontologistes, radiologues, biologistes ainsi que les enqueteurs presents sur le terrain et ntcessite la participation de laboratoires d’identification genetique compttents et equip& d’une infrastructure informatique pour le traitement de I’image et de l’analyse des dontrees.
CONCLUSION
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Lors des operations d’identifkation des victimes d’une catastrophe, les methodes de biologie moltculaire dites des CC empreintes gtnetiques ))constituent une technique extrsmement fiable et performante notamment en cas de disparition des maxillaires ou d’tltments morphologiques determinant. L’experience acquise au tours de recentes catastrophes de masse a montre le bien-fond& de leur utilisation qui a permis d’assurer l’identification de la quasi-totalite des victimes. Pour que ces techniques puissent @tre mises en ceuvre, il convient de rtaliser systematiquement un prtlkvement tissulaire lors de l’autopsie mtdicokgale des victimes et de rechercher tres rapidement apres la catastrophe les parents (descendants et ascendants) qui permettront d’etablir les liens de filiation entre eux et la victime. References 1 Bequain JF. Identification des victimes d’une catastrophe aerienne. (Eysines, dec 87). Chiv Dent Fr 1990;506:45-7 2 Budowle B, Chakrahorty R, Giusti A, Eisenherg A, Allen R. Analysis
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of the VNTR locus D 1S80 by rhe PCR followed by high-resolution PAGE. Am J Hum Genet 199 1;4X: 137-44 MC Carry VO, Sohn AI’, Ritzlin RS, Gauthicr JH. Scene investigation, identification and victim examination following the accident of Galaxy 203 : Disaster prelanning does work. J Forensic Sri 1987;32:983-7 Clark DH. Dental identification problems in the Ahu Dhahi air accident. Am JForensicMedI’atboll986;7:317-21 De Valck E. Le dentiste en rant qu’cxprrt lors de catastrophes. Identification dentaire Iors de la catastrophe du ferry a Zeehrugge. Rev Belgr Me’dDent 1990;1:11-20 Eckert WE. The Lockerhie disaster and other aircraft breakups in midair. Am/ Forensic MedPatholl990;11:93-101 Hazehroucq V, Bonnin A, Kannapell F, Piedelievre C, Lecomtc D. R81e du radiologiste dans l’enquete medicolcgale aprcs une catastrophe a&ienne. MPd APronnutique Spati& 199 1;30:372-X0 Lecomre D. Identification apres catastrophe aeriennc (DC10 au Niger). Resultats et reflexions. JMPd LPg - Droit Mid 1931;34:307-12 Moody GH, Busuttil A. Identification in the Lockerhie Air Disaster. AmJForensicMedPatboll994;15:63-9 I’fitzinger H, Ludes B, Mangin I’. Sex dctcrmination of forensic samples : coamplification and simultaneous detection of a Y-specific and an X-specific DNA sequence. Z?zt J LegalMed 1993;105:213-6 Pfitzinger H, Tracqui A, Kinrz I’, Ludes B, Mangin I’. Idcntificarion post-mortem par la methode des empreintes g&rPtiques : identification des victimes de la catastrophe aCrienne du Monr Sainte-Odile. J Mid L&Droit Mid 1994;37: 15-20 Saiki R, Bugawan T, Horn G, Mullis K, Erlich H. Analysis ofenzymatically amplified R-glohin and HLADQ alpha DNA with allele specific oligonucleotide probe. Nature 1986;324:163-6 Stahl CJ, MC Meekin RR, Ruehle CJ, Canik JJ, The medical investigation of airship accidents. J Forensic Sci 1988;33:888-98
Mots cl& : identification midicolkgale victimes (reconnaissance)
DIPLOME DESS DE DROIT MEDICAL DES FACULTES DE TOURS ET POITIERS
(CISCP et American
I empreintes
a la preparation
de ce DESS ouvert aux
University
sieme cycle d’etudes medicales par I’intermediaire de 2 an&es en 6 semaines de 30 heures compactees chaque an&e dans une propedeutique juridique et I annee preparatoire. Renseignements
et dossier
:
d’inscription
g Mme J Dozier, faculte de droit de Tours.
Limites d’inscription
Nombre
de places limite
MiDEClNE & DROITnoI3 - 1995
: Carol Jonas
D&e : 50 a 52 heures d’enseignement en France reparties sur : - 3 week-ends de 2 jours a Paris ; _ I week-end de 3 jours dans un chateau-hotel en province. Dates envisagies : - debut decembre ; - mi-janvier ; _ mi-fevrier ; _ mi-avril.
Renseignements
:
:
Centre International des Sciences criminelles de Paris
: le 3 I juillet
Pour les an&es preparatoires
DC)
I5 jours d’enseignement, visites, rencontres a Washington sous I’egide de I’American University en juillet 1996.
Tel:47368479_Fax:47368481
Pour les juristes
Wahington
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- juristes titulaires d’une maitrise de droit prive et public ; - medecins generalistes ou specialistes et aux etudiants de troi-
S’adresser
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DE VICTIMOLOGIE
Directeur de l’enseignement AC&
gbnbtiques
des medecins
: I5 septembre
27, rue Godillot 93400 Saint-Ouen (France) Tel:39
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