Revue du Rhumatisme 74 (2007) 630–635 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
Mise au point
Apport et limites du phénomène de centralisation des lomboradiculalgies au diagnostic, pronostic, et traitement des discopathies lombaires Contribution of centralization phenomenon to the diagnosis, prognosis, and treatment of diskogenic low back pain ◊ Jean-Marie Berthelota,*, Joël Delecrinb, Yves Maugarsa, Norbert Passutib a
Service de rhumatologie, Hôtel-Dieu, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 01, France b Service d’orthopédie, Hôtel-Dieu, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 01, France Reçu le 12 octobre 2006 ; accepté le 21 décembre 2006 Disponible sur internet le 11 mai 2007
Résumé La centralisation des douleurs lombaires correspond au phénomène de déplacement vers la région médiane du rachis des lombalgies et/ou de leurs irradiations, qui peut survenir d’un examen du rachis lombaire pratiqué selon la méthode décrite par McKenzie. L’adoption de critères standardisés pour définir cette centralisation paraît souhaitable, compte tenu des divergences notées entre les auteurs, notamment quant à la modification minimale requise dans la topographie des douleurs, et au délai imparti pour l’enregistrer. Les données de la littérature actuelle ne permettent pas d’affirmer que ce phénomène est suffisamment spécifique de l’origine intradiscale des douleurs pour permettre de se passer d’examens complémentaires, surtout quand un geste chirurgical (arthrodèse, prothèse discale) est envisagé. En effet, même si dans certains travaux une forte corrélation a été retrouvée entre la centralisation des douleurs et la positivité de la discographie, la valeur de cette dernière pour attester de l’origine intradiscale des lombalgies et a fortiori du bien-fondé d’un geste chirurgical sur ce disque, reste fortement contestée. La présence d’une telle centralisation pourrait néanmoins renforcer la probabilité de l’origine discale d’une douleur, et guider la thérapeutique. En effet, le meilleur pronostic associé à la présence du phénomène, y compris en cas de radiculalgie, pourrait être un argument pour refréner certains gestes chirurgicaux. Enfin, la technique d’examen de McKenzie pourrait par elle-même entraîner une amélioration de la symptomatologie douloureuse, même si cette amélioration reste minime et que sa durée pourrait ne pas dépasser trois mois. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Lombalgie ; Centralisation ; Discopathie ; McKenzie ; Nucléographie ; Disque Keywords: Low back pain; Centralization; Intervertebral disk displacement; McKenzie; Diskography; Intervertebral disk
1. Introduction L’étude des modifications de la topographie de la douleur lombaire et/ou de ses irradiations après mobilisation itérative
du rachis a été initiée puis promue par McKenzie [1–6]. Les patients peuvent être classés en trois catégories selon que la topographie de la rachialgie (et/ou de ses irradiations) : ● ne s’est pas modifiée (cela suggérant une origine autre que discale) ;
* Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-M. Berthelot). ◊ Pour cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. 1169-8330/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2006.12.008
● s’est modifiée dans le sens d’un déplacement du maximum de la douleur vers l’aval (cela suggérant une origine discale avec déchirure de l’annulus, cette dernière n’ayant toutefois
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été confirmée en discographie que dans seulement 6/16 cas (37 %) [5] ou 5/10 cas (50 %) [6]) ; ● s’est modifiée dans le sens d’un déplacement du maximum de la douleur et/ou de la douleur la plus distale [7] vers la région médiane du rachis « centralisation » (cela suggérant une origine discale à la douleur, mais avec persistance d’un annulus compétent dans la majorité des cas : 21/23 cas [91 %] dans l’étude de Donelson et al. [5]). À cette classification sur les modifications de la topographie peut se superposer l’effet de ces postures sur l’intensité de la lombalgie, en général inchangée ou un peu accrue dans le premier groupe, accrue dans le deuxième, mais volontiers soulagée (jusqu’à parfois disparaître) dans le troisième [5]. Cette deuxième classification, non redondante avec la précédente (certaines lombalgies pouvant augmenter bien qu’en se « centralisant ») [2,3], est apparue moins pertinente et moins reproductible que la première [2,8,9], même si certains auteurs considèrent que la disparition de lombalgies isolées peut aussi être interprétée comme une « centralisation » [5]. 2. Rationnel de la méthode d’examen de McKenzie C’est en partant de l’hypothèse que la plupart des douleurs discales et leurs irradiations devaient être dues à la mise sous pression de l’annulus par des fragments de nucléus ayant migré à travers des fissures radiaires [10], que McKenzie a proposé de tenter de recentrer ces fragments [4,11,12] en imposant au rachis une ou plusieurs séries de dix flexions maximales suivies de dix extensions maximales, et ce, tant en position debout qu’en décubitus dorsal et en procubitus (à moins que la douleur ne se majore ou qu’une irradiation sciatique ne se développe dans une direction, imposant alors l’arrêt des mouvements dans celle-ci [1]). D’autres manœuvres visant à ouvrir ou fermer des brèches plus latérales ont ensuite été proposées, dont des postures en inclinaison latérales, avec ou sans appui de l’examinateur, et des postures en flexion–rotation réalisées en décubitus. 3. Valeur du phénomène de centralisation pour prédire les résultats d’une discographie Malgré les difficultés technique et d’interprétation inhérentes à la discographie [13–18], cette dernière a servi dans quatre études prospectives d’examen de référence pour considérer les lombalgies comme d’origine discale ou non, la discographie pouvant mieux objectiver une déchirure intradiscale (notée chez environ 40 % des lombalgiques [6,19,20]), et permettre le réveil des douleurs. Une nette corrélation a été mise en évidence dans une première étude sur 63 lombalgiques de 40 ± 11 ans souffrant depuis 15,3 ± 12,2 mois, entre la survenue d’une « centralisation » et la positivité d’une discographie sur au moins un des deux à quatre disques lombaires injectés, laquelle avait été au préalable définie comme la sommation d’un réveil de la lombalgie bien connue (exact pain reproduction), et d’un aspect anormal du nucléogramme sur les coupes axiales du
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scanner [5]. En effet, sur les 31/63 (49 %) patients présentant un phénomène de centralisation (dans une seule direction chez tous), 23/31 (74 %) ont eu une discographie positive, dont 21/23 (91 %) sans déchirures de l’annulus (la dégénérescence discale ne concernant que le nucléus et la partie centrale de l’annulus) ; en revanche, sur les 16/63 (26 %) dont la douleur était devenue plus « périphérique », si 11/16 (69 %) avaient eu une discographie « positive », seuls 6/11 (54 %) avaient un annulus apparemment encore intact. Enfin, dans le groupe des 16/63 (25 %) dont la topographie des douleurs n’avait pas été modifiée par l’examen, seulement 2/16 (12 %) avaient eu une discographie positive avec un annulus compétent, suggérant une origine extradiscale des douleurs [5]. Une des faiblesses de ce travail est de ne pas avoir précisé combien de patients avec une discographie négative (nucléogramme normal) avaient tout de même eu un réveil de leur douleur lors du geste. En se basant sur la définition de la positivité de la discographie retenue, la sensibilité et la spécificité de la centralisation étaient respectivement de 64 et 70 % [5]. Sur les 29 patients avec annulus compétents, 21 avaient un phénomène de centralisation, six un phénomène d’évolution centrifuge de la douleur, et deux pas de changement de la topographie de la douleur. Sur les 34 annulus incompétents, dix patients avaient un phénomène de centralisation, dix un phénomène de douleur centrifuge, et 14 pas de changement de la topographie de leur douleur. Ainsi, autant la présence d’un phénomène de centralisation était assez prédictive de la positivité de la discographie (assez bonne sensibilité), autant la présence d’une centralisation n’était pas très spécifique d’une souffrance discale à annulus intact. Une centralisation avait aussi été notée chez huit des 27 patients avec une nucléographie négative, et dix des patients avec une nucléographie positive mais un annulus incompétent [5]. Dans une autre étude, la sensibilité de la centralisation par rapport à la positivité de la discographie était de 94 %, mais sa spécificité de seulement 52 % [21]. Dans un troisième travail, sur 15 patients avec positivité de la discographie, seulement sept (47 %) avaient un phénomène de centralisation, même si la corrélation entre centralisation et positivité de la discographie était statistiquement significative avec un odd ratio de 2,13 (1,28 à 3,52) [22]. En revanche, la spécificité semblait très bonne, aucun des neuf patients avec une discographie négative n’ayant présenté un phénomène de centralisation, et seulement deux des 22 patients ayant été soulagés par une anesthésie sacro-iliaque [22]. L’étude la plus récente est la plus optimiste [6]. Sur 69/107 lombalgiques ayant pu supporter la totalité de l’examen clinique, la spécificité de la centralisation pour la positivité de la discographie (définie sur la reproduction de la douleur par l’injection d’un disque, et l’absence de douleur à l’injection d’au moins un autre disque) était, tous patients confondus, de 97 % (sur les 17 lombalgiques avec une discographie normale, un seul patient avec centralisation), même si la sensibilité n’était que de 40 % (21 patients avec centralisation sur les 52 avec une discographie positive) [6]. Dans le sous-groupe des patients avec un handicap fonctionnel marqué, la sensibilité était de 46 %, mais la spécificité baissait à 80 %. L’âge
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moyen était de 42,5 ± 11,8 ans, et la lombalgie durait depuis 165 ± 199 semaines, 53 % des patients étant en arrêt de travail depuis une moyenne de 85 ± 47 jours. Ces bien meilleurs résultats en termes de spécificité pourraient avoir été favorisés par l’exclusion des patients les plus invalidés et/ou incapables de tolérer l’examen [6]. Il est également possible que la définition plus souple de la positivité de la discographie (n’exigeant pas que le nucléogramme soit anormal) ait pu améliorer la spécificité de la centralisation, car 75 % des patients de ce travail avaient une discographie positive, versus seulement 57 % des 63 patients de Donelson et al. [5] et 63 % des 24 patients de Young et al. [22]. Toutefois, Laslett et al. attribuent surtout les différences entre ces trois études à la définition retenue pour cataloguer un patient comme « centraliseur ». En résumé, si l’absence de centralisation n’élimine pas une origine intradiscale, sa présence serait, pour Laslett et al. [6], un très bon indicateur d’une origine intradiscale de la douleur (Tableau 1). 4. Intérêt pronostique de la recherche d’un phénomène de centralisation par la technique d’examen de Mckenzie Il a été suggéré que la présence d’une centralisation pourrait être un paramètre de bon pronostic chez un lombalgique récent ou chronique [7,11]. De fait, dans l’étude de Donelson et al. [2], les lombalgies des « centraliseurs » ont régressé chez 98 % de ceux dont la douleur ne durait que depuis moins d’un mois, et 81 % de ceux souffrant depuis plus de trois mois. Dans celle de Sufka et al., sur les 36 lombalgiques testés, les 24/36 ayant présenté une centralisation ont eu au terme de 14 jours de rééducation un meilleur résultat que les 12 autres [23]. Dans l’étude de Karas et al., sur 126 lombalgiques chroniques bénéficiant d’un réentraînement à l’effort standardisé, ceux dont la lombalgie n’avait pas une évolution centripète avaient moins de chance de reprendre ensuite leur travail que les « centraliseurs », même si ce paramètre restait moins important que la présence de signes d’inorganicité [24]. La centralisation de la douleur lors des examens de type McKenzie est aussi apparue comme étant le meilleur paramètre pronostic dans une autre étude, versus 22 autres variables prédictives, dont divers paramètres psychosociaux [25]. 5. Intérêt thérapeutique potentiel de la technique d’examen de type McKenzie 5.1. Repérage des patients à ne pas opérer de leur(s) disque(s) Si l’on se fie aux études versus discographie, l’absence de modification de la topographie des lombalgies et de leurs irraTableau 1 Sensibilité et spécificité du phénomène de centralisation par rapport à la positivité d’une discographie (réveil de la douleur lors de l’injection) [plus nucléogramme anormal dans l’étude de Donelson et al. [5]] Donelson et al. [5] Bogduk [21] Young et al. [22] Laslett et al. [6]
Sensibilité (%) 64 94 47 40
Spécificité (%) 70 52 100 97
diations par les examens de type McKenzie rend peu probable l’origine discale de celles-ci, et pourrait donc prévenir la pratique de gestes injustifiés sur les disques [5]. À l’inverse, il ne faudrait pas que la constatation d’une centralisation soit utilisée de manière abusive comme un argument pour une étiologie discale à la douleur, d’autant qu’un diagnostic de discopathie chez un lombalgique multiplierait par cinq la probabilité d’une opération [26]. En effet, la spécificité de cette centralisation pour une douleur discale est tout de même imparfaite (Tableau 1). De plus, et surtout, cette centralisation de la douleur est essentiellement rencontrée dans des discopathies de bon pronostic. La chirurgie ne devrait donc être proposée qu’aux patients dont les douleurs ont une évolution « centrifuge », c’est-à-dire ceux qui ont une radiculalgie a minima aggravée par les mobilisations du rachis. Ce raisonnement pourrait valoir aussi pour les sciatiques. En effet, dans l’étude prospective de Skytte et al. portant sur 60 patients souffrant de sciatique discale, les 25 présentant un phénomène de centralisation de leur radiculalgie ont eu un devenir plus favorable à un mois, trois mois, et un an que les 35 autres, et seulement 3/25 (12 %) ont dû être ensuite opérés versus 16/35 (46 %) (odd ratio de 6,2) [27]. 5.2. Amélioration des douleurs par la technique d’examen de McKenzie La direction la plus antalgique est en général l’extension [2, 28], bien plus souvent qu’une latéroflexion, et surtout que la flexion [4,5]. Ces exercices peuvent induire un soulagement marqué pendant quelques heures, voire plus longtemps [5]. L’analyse d’un effet thérapeutique immédiat des examens–postures du rachis selon la méthode de McKenzie est rendue difficile par l’hétérogénéité des populations de patients étudiés, notamment quant à la durée des lombalgies, la présence de facteurs confondants (accident de travail, sinistrose), et la manière de conduire l’examen (en privilégiant, ou non [7], l’adoption de postures dans une direction où le patient sent sa douleur se centraliser et régresser). La diminution de l’intensité de la douleur paraît un phénomène bien moins constant, et bien moins marqué que la modification de sa topographie [2,3]. Dans l’étude de Long, portant sur des lombalgiques plutôt chroniques (8,8 mois en moyenne : de 0,8 à 192) la douleur chez les « non-centraliseurs » n’avait baissé que de 70,9 à 64,8 entre le début et la fin de l’étude, versus de 68 à 52,2 chez les « centraliseurs » [7]. Toutefois, dans d’autres travaux privilégiant les directions de « non-douleur », les résultats sur la lombalgie ont été bien plus optimistes, y compris chez des patients présentant également des radiculalgies. Ainsi, dans l’étude de Kopp et al., un programme de cinq jours de rééducation intensive en extension–lordose a permis la régression de la radiculalgie comme de la lombalgie chez 34/35 (97 %) de patients sélectionnés parmi une série prospective de 67 radiculalgiques sur le fait que leurs douleurs étaient améliorées en extension (malgré la présence initiale d’un déficit neurologique chez tous [29]). Deux méta-analyses récentes sur ce thème ont conclu que l’amélioration à court terme (moins de trois mois)
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est très probable [30], mais minime [31], et qu’un effet plus durable reste à démontrer [30]. 6. Limites à la valeur diagnostique ou thérapeutique de la mise en évidence d’une centralisation de la lombalgie lors de l’examen du rachis lombaire selon la technique de McKenzie 6.1. Variations dans la manière de mener l’examen du rachis selon la méthode de McKenzie Même s’il avait été vérifié dès 1990, que la séquence dans laquelle étaient réalisés les mouvements de flexion–extension– inclinaison–torsion du rachis n’avait pas d’influence quant à la survenue d’une centralisation ou « périphéralisation » [2,3], la méthodologie de l’examen doit être aussi standardisée que possible. Pour cette raison, son promoteur a été amené à assurer au McKenzie institute des modules de formation aboutissant à la remise de diplômes validant une capacité à le pratiquer et à en analyser les résultats [5,32]. Bien que ces formations n’ont pu que contribuer à homogénéiser les pratiques, l’examen ne peut être complètement standardisé, surtout lorsque celui-ci a aussi l’ambition d’être thérapeutique. En effet, une fois que la(les) direction(s) assurant une centralisation et/ou régression de la douleur a(ont) été repéré(es), il est conseillé de ne réitérer que les mouvements ou postures reproduisant ce phénomène. Toutefois, cette formation standardisée des évaluateurs a sans doute participé à la bonne [33], ou très bonne [34–36] reproductibilité des classifications des patients en « centraliseurs » ou non, et à la relative constance des pourcentages de patients classés comme tels d’une étude à l’autre (de 50 % [5], à 55 % [37], et 61 % [38], du moins pour des durées de lombalgies équivalentes [5]). En contrepartie, la nécessité d’acquérir une haute compétence dans la pratique de l’examen selon la méthode de McKenzie, limite beaucoup sa diffusion, et donc l’intérêt qui lui est porté. Elle peut aussi faire craindre qu’un excès d’enthousiasme dans la méthode ait contribué à optimiser les résultats de certaines études. 6.2. Variations selon les auteurs dans la définition de la centralisation de la douleur La variation de topographie de la douleur a été, dans les premiers travaux, précisée grâce à des dessins de la douleur sur des graphes permettant de segmenter les membres inférieurs en cinq ou six zones (région paravertébrale, région lombaire basse, région fessière, cuisse, jambe, pied), le changement de zone pouvant suffire pour certains à définir une variation significative dans la topographie de la douleur [3]. D’autres auteurs ont réservé, en revanche, à cette régression centripète incomplète le terme de centralisation partielle, définissant la centralisation totale comme la disparition de toutes les irradiations, avec tout au plus une persistance de lombalgies [7]. Certains auteurs ont rangé dans la catégorie des « centraliseurs » les patients dont les irradiations les plus distales régressaient, plus ceux qui, n’ayant au départ que des lom-
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balgies, signalaient la disparition de celles-ci au cours d’un examen de type McKenzie [5]. D’autres n’ont retenu que ceux dont les irradiations les plus distales disparaissaient, ne rangeant pas parmi les « centraliseurs » les patients qui n’avaient initialement pas d’irradiations descendant au moins jusqu’à la fesse [6]. 6.3. Variations de la fréquence du phénomène de centralisation selon la durée de la lombalgie La fréquence du phénomène de « centralisation » va de 73 à 89 % des patients en cas de lombalgies récentes [2,4,11,23,24, 39], mais n’est que de 47 à 52 % chez les lombalgiques chroniques [6,7,11]. Cette moindre fréquence du pourcentage de « centraliseurs » chez les lombalgiques chroniques pourrait, si le mécanisme de centralisation résulte bien du recentrage au sein du disque d’un fragment de nucleus migré vers l’annulus, s’expliquer soit par un pourcentage plus important de lombalgies d’origine non-discale parmi les lombalgiques chroniques, soit par le caractère moins mobile du nucleus. 6.4. Variations de la fréquence du phénomène de centralisation selon l’âge des patients La plupart des travaux menés à ce jour ont concerné des patients encore jeunes. L’amélioration habituelle des symptômes des sténoses lombaires par la flexion–cyphose, et leur majoration par l’extension–lordose [40], risque d’enlever beaucoup d’intérêt diagnostique et thérapeutique aux techniques de posture de McKenzie [11] chez les patients âgés, dont les pincements discaux pluriétagés ont induit une sténose lombaire. Ces personnes plus âgées ont de plus un risque accru de pathologies articulaires ou sacro-iliaques, pouvant se cumuler avec les souffrances discales, ce qui ne peut qu’enlever de l’intérêt à l’analyse clinique du rachis selon McKenzie [11], même si les douleurs provenant de ces structures n’auraient que rarement une évolution centripète (2/22 (9 %) patients soulagés par un bloc sacro-iliaque dans l’étude de Young et al. [22]). Enfin, le nucleus des personnes plus âgées est certainement bien moins mobile que celui des sujets plus jeunes [41,42]. 6.5. Limite de la méthode en cas de souffrance foraminale associée La fermeture des foramens en hyperextension et leur ouverture en flexion du rachis peuvent faciliter l’irritation d’un ou plusieurs ganglions spinaux et des branches postérieures des nerfs rachidiens chez des sujets aux foramens rétrécis de manière congénitale et/ou acquise (notamment du fait d’un pincement discal). Cela pourrait rendre compte de quelques-uns des résultats inattendus notés, même chez les sujets jeunes, comme le soulagement de 7 % des lombalgies de Donelson et al. par les mouvements de flexion (et non d’extension) extrême du rachis lombaire lors des manœuvres de McKenzie [2].
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6.6. Délai nécessaire à l’apparition du phénomène de centralisation Alors qu’un examen de type McKenzie requiert 30 à 45 minutes, et que plusieurs séances sont souhaitables pour pouvoir obtenir un résultat optimal (tant diagnostique que thérapeutique), la centralisation peut n’apparaître que plusieurs jours après la séance [6]. Ainsi, dans une étude portant sur des lombalgies aiguës ou subaiguës, une centralisation complète n’a été notée que dans 3 % des cas lors du premier examen, mais ce pourcentage a cru jusqu’à 64 % au bout de quelques jours [42]. 6.7. Certains patients ne peuvent supporter la technique d’examen de McKenzie, ou ne peuvent en bénéficier Dans l’étude de Donelson et al. qui avaient recruté 267 lombalgiques, seulement 145 ont pu participer à l’évaluation, 122 ayant été exclus, du fait surtout de leur incapacité à supporter une extension ou une flexion maximale du tronc [2]. Le pourcentage était moindre (6/102) dans l’étude Young et al. [22], mais encore élevé dans l’étude récente de Laslett et al. [6] qui ont retrouvé la plus forte corrélation entre une centralisation et la positivité de la discographie. En effet, 17/107 patients n’ont pu être examinés, et 21/107 n’ont pu supporter l’intégralité de l’examen du fait du réveil de leur douleur, soit au total 38/107 (36 %) des patients recrutés. Si l’on ajoute à ces patients ceux n’ayant pas d’irradiations suffisantes pour permettre d’étudier ensuite leur régression centripète [6], c’est sans doute près de la moitié des lombalgiques chroniques qui ne pourraient bénéficier de cette technique. 6.8. Limites inhérentes au gold-standard choisi (la discographie) pour attribuer le phénomène de centralisation à une pathologie intradiscale La spécificité de la centralisation de la douleur pour une origine discale à la douleur doit être fortement nuancée par la nature du gold-standard choisi (la discographie avec reproduction de la douleur connue, avec [5], ou sans [6], anomalie associée du nucléogramme). En effet, la possibilité de faux-positifs comme de faux-négatifs de la discographie a été richement commentée [13–18,43]. Cette réserve n’est pas levée par le fait qu’une discographie ne pouvait être considérée comme positive que si un disque adjacent n’était pas douloureux à l’injection [5,6]. En effet, au moins dans l’étude de Laslett et al. [6], les injections intradiscales ont tout de même été douloureuses dans plus d’un disque (deux ou trois disques) chez 12 des 69 patients étudiés (17 %), soit 12 des 52 patients avec une discographie « positive » (24 %). Un autre argument pour faire douter de la pertinence de la discographie comme goldstandard est l’absence de valeur prédictive de celle-ci pour garantir l’efficacité d’une arthrodèse de l’étage douloureux [44]. En effet, Carragee et al. ont pu étudier le devenir à cinq ans de 30 patients ayant bénéficié d’une arthrodèse d’un segment rachidien sur la foi de la parfaite reproduction de leur
lombalgie chronique par une injection à basse pression du disque correspondant (sans réveil de douleur à l’injection des autres disques) [44]. Un succès marqué (défini sur des critères préétablis) n’a été noté que chez 8/30 de ces patients (27 %), versus 23/32 (72 %) d’un groupe témoin de patients ayant bénéficié du même type d’arthrodèse, mais pour une autre indication (spondylolisthésis), alors que les deux groupes de patients étant pourtant tout à fait comparables, et que tous les facteurs de mauvais pronostic avaient été des facteurs d’exclusion [44]. En résumé, les corrélations rapportées entre la centralisation et les résultats de la discographie dans certaines études pourraient conduire à valider de manière trop rapide l’une par l’autre, alors que ni l’une ni l’autre n’ont véritablement fait la preuve d’une parfaite spécificité pour une atteinte discale. Autrement dit, l’obtention d’une classification trop carrée (comme ici en douleurs discales versus non discales) pourrait résulter d’un raisonnement circulaire (comme ici la validation de la centralisation par la discographie, et réciproquement). 7. Conclusion L’examen clinique du rachis lombaire, selon la méthode McKenzie, nécessite une formation spécifique, prend beaucoup du temps, ne convient pas à tous les patients, et n’a sans doute d’intérêt que chez les sujets assez jeunes. Les données de la littérature actuelle ne permettent pas d’affirmer que ce phénomène de centralisation est suffisamment spécifique de l’origine intradiscale des douleurs pour se passer d’examens complémentaires, surtout quand un geste chirurgical est envisagé. Malgré toutes ces limites, la technique d’examen décrite par McKenzie a très vraisemblablement un intérêt, tant pour renforcer la probabilité de l’origine discale d’une douleur, que pour guider la thérapeutique. En effet, le meilleur pronostic associé à la présence du phénomène de centralisation, y compris en cas de radiculalgie associée, pourrait être un argument pour mieux sélectionner les patients redevables ou non d’une chirurgie. Enfin, cette technique d’examen pourrait, par ellemême, entraîner une amélioration de la symptomatologie douloureuse. Références [1] McKenzie RA. In: The lumbar spine: mechanical diagnosis and therapy. Waikanae, New Zealand: Spinal publications; 1981. p. 57–74. [2] Donelson R, Silva G, Murphy K. The centralization phenomenon: its usefulness in evaluating and treating referred pain. Spine 1990;15:211–3. [3] Donelson R. The McKenzie approach to evaluating and treating low back pain. Orthop Rev 1990;19:681–6. [4] Donelson R, Grant W, Kamps C, Medcalf R. Pain response to sagittal end-range spinal motion: a prospective, randomized multicentered trial. Spine 1991;16:S206–12. [5] Donelson R, Aprill C, Medcalf R, Grant W. A prospective study of centralization of lumbar and referred pain. A predictor of symptomatic discs and anular competence. Spine 1997;22:1115–22. [6] Laslett M, Oberg B, Aprill CN, McDonald B. Centralization as a predictor of provocation diskography results in chronic low back pain, and the influence of disability and distress on diagnostic power. Eur Spine J 2005;5:370–80.
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