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Neurophysiol Clin (1991) 21, 2 5 - 2 9 © Elsevier, Paris
Article original
Apports du r~flexe trig~mino-facial dans l'~tude du syndrome de Wallenberg JP Neau, R Gil, T Rosolacci, T Jonveaux, P Burbaud, C A g b o Clinique neurologique, hOpital Jean-Bernard, La Mildtrie, 86021 Poitiers, Cedex, France (Regu le 2 septembre 1988; accept6 le 1er d6cembre 1990)
R~sum~ - Trente-huit patients pr6sentant u n syndrome de Wallenberg ont subi une 6tude du r6flexe trig6mino-facial. Les param6tres de ce r6flexe sont a n o r m a u x dans 21 cas. L'anomalie la plus fr6quente consiste en un allongement des latences des r6ponses r6flexes tardives par stimulation du c6t6 16s6 avec r6ponse r6flexe pr6coce de latence normale. Cette anomalie n'est pas p a t h o g n o m o n i q u e de l'affection. La physiopathog6nie est discut6e. r~flexe trig~mino-facial / syndrome de Wallenberg
Summary - Significance of the blink reflex in the Wallenberg syndrome. The blink reflex was studied in 38 cases with lateral medullary lesions (Wallenberg syndrome). Twenty-one blink reflexes were abnormal. The most common abnormality is an afferent delay in the late reflex on the side o f the lesion with a normal early reflex. This abnormality is notpathognomonic o f the Wallenberg syndrome. Thephysiopathogeny is discussed. blink reflex / Wallenberg syndrome
Introduction Le syndrome de Wallenberg ou syndrome r6tro-olivaire de D6jerine est le syndrome alterne du tronc c6r6bral le plus fr6quent et certainement le mieux connu. I1 ffit individualis6 en 1895 par Adolf Wallenberg. Depuis, de nombreux travaux cliniques, pronostiques et anatomo-pathologiques ont 6t6 publi6s. Seulement deux 6tudes importantes du r6flexe trig6mino-facial (RTF) dans le syndrome de Wallenberg ont 6t6 rapport6es (Kimura et Lyon, 1972; Ongerboer de Visser et Kuypers, 1978). Nous proposons notre exp6rience ~t propos de 38 patients afin d'6tudier les cons6quences de cet infarctus lat6ro-bulbaire sur les r6ponses tardives du RTF.
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JP Neau et al
Population Trente-huit patients de 43 ~t 87 ans, dont 25 hommes (65,8%) d'hge moyen de 61,8 ans et 13 femmes (34,2%) d'~ge moyen de 72,7 ans, ont subi une &ude du r6flexe trig6mino-facial, selon la technique d6crite ci-apr+s, dans un d61ai de 2 ~t 60 jours (moyenne: 11 j) suivant le d6but de la symptomatologie. I1 y avait 55,3% de syndromes de Wallenberg gauches (38,1% de femmes et 61,9% d'hommes) et 44,7% de syndromes de Wallenberg droits (29,4% de femmes et 70,6% d'hommes). Tous ces patients r6pondaient aux critbres de diagnostic de syndrome de Wallenberg (d6ficit sensitif dans le territoire du trijumeau, syndrome de Claude Bernard Horner, syndrome vestibulaire et c6r6belleux, paralysie du voile du palais, du pharynx et du larynx du c6t6 16s6 et h6mianesth6sie thermique et douloureuse controlat6rale respectant l'h6miface). Sur ces six crit6res, quatre 6taient exig6s; les troubles de la d6glutition n'6tant pas obligatoires. Par ailleurs, l'existence initiale d ' u n e h6mipar6sie ou plus simplement d ' u n signe de Babinski a 6t6 un 616ment d'exclusion (Currier et al, 1961).
M~thodes Le r6flexe trig6mino-facial ou r6flexe de clignement ou blink reflex, obtenu par stimulation 61ectrique du nerf sus-orbitaire, au niveau de son 6mergence, permet d'6voquer une r6ponse r6flexe pr6coce R1 homolat6rale et une r6ponse r6flexe tardive bilat6rale R2. Les deux composantes pr6coces et tardives du RTF comportent le trijumeau comme vole aff6rente et le facial comme vole eff6rente. L'arc r6flexe dont le centre est protub6rantiel, est oligosynaptique pour RI et polysynaptique pour R2; les interneurones remontant vraisemblablement jusqu'au m6senc6phale et peut-~tre m~me jusqu'au thalamus (Tokunaga et al, 1958). La premiere r6ponse R1 est unilat6rale et ipsilat6rale ~ la stimulation et ne correspond aucune manifestation cliniquement d6celable. Son temps de latence (valeur moyenne + 3 d6viations standards) est de 10,6 + 2,5 ms (Kimura et al, 1969). Sa variabilit6 n'exc6de pas 8,2°70 chez un m~me sujet (Penders et Delwaide, 1973). La seconde r6ponse R2 est directe (R2D) et crois6e (R2C) et correspond au clignement palp6bral observ6 cliniquement. Son temps de latence est de 31 + 10 ms du c6t6 stimul6 (R2D) et de 32 + 11 ms du c6t6 controlat6ral (R2C) (Kimura et al, 1969). L'6cart entre les deux r6ponses tardives, obtenues par stimulation s6par6e droite et gauche, est inf6rieur h 8 ms (Ongerboer de Visser, 1985). Le caractbre principal de cette seconde r6ponse est l'adaptation rapide aux stimulations r6p6titives. La stimulation est d61ivr6e par deux 61ectrodes de surface, mont6es sur un support en plexiglas et distantes de 25 mm. La cathode est appliqu6e au niveau de l'6mergence du nerf susorbitaire, collat6rale de la branche ophtalmique du trijumeau, en regard de l'6chancrure susorbitaire. Des chocs de 0,5 ms sont d61ivr6s de mani~re irr6guli6re, afin d'6viter l'adaptation. Ces stimulations 6taient r6alis6es en condition de r~ponses maximales stables v6rifi6es par r6p6tition des essais et avec des valeurs similaires d'intensit6/voltage ~t droite et h gauche.
R6flexe trig6mino-facial
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La d6tection est r6alis6e par deux 61ectrodes de surface cupuliformes, l'une plac6e lat6ralement sur la racine du nez, pr6s de l'angle interne de l'~eil, au niveau de la portion orbitaire de l'orbiculaire des paupi6res ; l'autre sur la paupi6re inf6rieure. Les r6ponses sont recueillies par un oscilloscope h m6moire et photographi6es avec une cam6ra $ cassettes polaroid.
R~sultats Parmi ces 38 malades, 25 pr6sentaient un d6ficit sensitif dans le territoire du trijumeau. Sur les 38 R T F pratiqu6s, 21 6taient a n o r m a u x associ6s 20 fois ~t une hypoesth6sie faciale et ~ une abolition du r6flexe corn6en et r6v61ant dans un cas une atteinte infraclinique. Dix-sept RTF 6taient normaux: 12 n'avaient pas de d6ficit sensitif dans le territoire sensitif du trijumeau et cinq patients pr6sentaient une hypoesth6sie faciale et/ou une diminution de la sensibilit6 corn6enne par rapport au c6t6 sain. Sur les 21 RTF anormaux, il n ' a jamais 6t6 observ6 d'abolition des r6ponses r6flexes tardives obtenues par stimulation du c6t616s6 et afortiori aucun cas d'abolition des r6ponses r6flexes tardives obtenues par stimulation du c6t616s6 et de la r6ponse r6flexe tardive crois6e (R2C) obtenue par stimulation du c6t6 sain, c o m m e cela avait 6t6 observ6 chez quelques patients par Ongerboer de Visser (Ongerboer de Visser et Kuypers, 1978). Trois types d'anomalies ont 6t6 observ6s: - un allongement des temps de latence des r6ponses r6flexes tardives R2D et R2C obtenues par stimulation du c6t6 16s6 dans 14 cas (dont un cas avec allongement du temps de latence de la r616onse R2C obtenue par stimulation du c6t6 sain); - une diff6rence sup6rieure ~ 8 ms des temps de latence des r6ponses r6flexes tardives homolat6rales ~ la 16sion par rapport ~t celles 6voqu6es par stimulation du c6t6 sain dans cinq cas; - une diminution d'amplitude de plus de 50% des r6ponses r6flexes tardives homolat6rales au c6t6 16s6 par rapport ~ celles 6voqu6es par stimulation du c6t6 sain dans deux cas.
Commentaires Le syndrome de Wallenberg est un infarctus unilat6ral r6tro-olivaire, li6 ~ l'obstruction essentiellement ath6romateuse de l'art6re de la fossette lat6rale du bulbe, de l'art6re c6r6belleuse post6ro-inf6rieure ou plus fr6quemment de l'art6re vert6brale (Escourolle et al, 1976). Ce ramollissement lat6ro-bulbaire int6resse le faisceau spinothalamique (anesth6sie thermo-algique controlat6rale), le noyeu ambigu (paralysie du voile, pharynx, larynx et signe de Claude Bernard Horner), la racine descendante du trijumeau (h6mianesth6sie faciale avec abolition du r6flexe corn6en homolat~ral), le noyau vestibulaire (syndrome vestibulaire) et le corps restiforme ou p6doncule c6r6belleux inf6rieur (syndrome c6r6belleux).
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JP Neau et al
La large pr6pond6rance masculine et la pr6dominance gauche de l'infarctus lat6robulbaire caract6risant cliniquement notre population sont 6galement retrouv6es dans la litt6rature (Isch, 1957; Wilkins et Brody, 1970). Par aiUeurs, il semble classique que les femmes soient touch6es ~t un age plus tardif que les hommes (Boissonnot et al, 1984). L'absence d'atteinte clinique sensitive dans le territoire du trijumeau explique la normalit6 de l'ensemble des latences des r6ponses r6flexes pr6coces et tardives de 12 des 17 RTF normaux (70,6%0), bien que cette 6ventualit6 soit habituellement qualifide de rare (Fisher et al, 1961). La normalit6 de l'ensemble des latences des r6ponses (29,4% des RTF normaux), alors m~me qu'il existe une atteinte clinique, certes discr6te, dans le territoire sensitif du trijumeau (hypoesth6sie faciale mod6r6e), t6moigne d'une atteinte du tractus spinal trig6minal (racine descendante du trijumeau) et du noyau sensitif du trijumeau trop mod6r6e pour ~tre d6tect6e lors de l'6tude du RTF (Kimura et Lyon, 1972). La normalit6 des r6ponses r6flexes pr6coces R1, qu'elles soient obtenues par stimulation du c6t6 sain ou du c6t6 16s6, implique l'int6grit6 de la premi6re branche du nerf trijumeau et de la seconde branche du nerf facial ainsi que de l'arc r6flexe trig6mino-facial pontin (Goor et Ongerboer de Visser, 1986). L'allongement unilat6ral des temps de latence des r6ponses r6flexes tardives R2D et R2C homolat6ral ~ l'infarctus est li6 ~ la 16sion du tractus spinal du trijumeau. Selon Kimura et Lyon (1972), cette constatation implique que les neurones de premier ordre, responsables des r6ponses r6flexes tardives R2D et R2C ~t une stimulation unilat6rale se terminent dans le tractus spinal ipsilat6ral sans croisement important vers les structures homologues controlat6rales. Cet allongement unilat6ral des r6ponses r6flexes tardives homolat6rales g l'infarctus, que nous avons retrouv6 dans la grande majorit6 de nos RTF anormaux, d6finit le type A d'Ongerboer de Visser et Kuypers (1978). Les types B (absence des r6ponses r6flexes tardives R2D et R2C homolat6rales ~ la stimulation du c6t~ 16s6)et C (absence des r6ponses r6flexes tardives R2D et R2C homolat6rales ~t la stimulation du c6t6 16s6 et de la r6ponse r6flexe tardive crols6e R2C obtenue par stimulation du c6t6 sain) n'ont 6t6 retrouv6s ni chez nos patients, ni chez les six patients non comateux de Kimura et Lyon (1972). De ces constatations 61ectrophysiologiques, confront6es aux donn6es anatomo-cliniques, Ongerboer de Visser et Kuypers (1978) ont 6mis l'hypoth6se que le type C, toujours observ6 dans des syndromes de Wallenberg s6v6res et complets, serait 1i6 ~t une extension des 16sions au bulbe. Cette abolition de la r6ponse r6flexe tardive crois6e R2C lors de la stimulation du c6t6 sain semble montrer que, apr+s avoir fait relais dans le tractus spinal du trijumeau, les r6ponses r6flexes tardives sont transmises par des voles m6dullaires homolat6ralement et controlat6ralement au c6t6 stimul6 avant de se terminer dans le noyau facial ipsi et controlat6ral. Ces voies m6dullaires ascendantes, allant du tractus spinal trig6minal au noyau facial, seraient situ6es dans la formation r6ticul6e lat6rale de la partie basse du tronc c6r6bral (Ongerboer de Visser et Kuypers, 1978). N6anmoins, si l'allongement des temps de latence des r6ponses r6flexes tardives
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homolat6rales ~t la stimulation du c6t6 16s6 est l'anomalie la plus fr6quente dans le syndrome de Wallenberg, elle n'est en aucun cas pathognomonique de cette affection puisque des anomalies identiques sont observ6es darts d'autres pathologies telles que la scl6rose en plaques (Simmat et al, 1985), les tumeurs pontines et les 16sions m6senc6phaliques, dienc6phaliques ou h6misph6riques (Kimura et Lyon, 1972).
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