J Radiol 2005;86:711-4 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2005
jfr 2005
neuroradiologie
Cas n° 5 Y Pefoubou, M Legeais, P Yapo, A Zerhouni et D Herbreteau
Présentation du cas
Iconographie
Madame L., âgée de 26 ans, est hospitalisée pour prise en charge d’une paralysie faciale gauche et d’un syndrome cérébelleux survenus quelques jours après un syndrome infectieux associant rhinite et toux. D’origine caucasienne, elle ne présente pas d’antécédents médicaux ou chirurgicaux particuliers. Elle signale un séjour de vacances cinq mois auparavant en Afrique (avec notion de baignade en eau douce, un ami de voyage y a contracté une bilharziose urinaire) À l’admission, son examen clinique met en évidence une paralysie du VII gauche avec une atteinte homolatérale du V. La patiente est apyrétique. Un scanner en urgence est réalisé (fig. 1a, b) ainsi qu’une IRM (fig. 2a-e), 48 heures après le début des signes neurologiques. La ponction lombaire objective un liquide clair fait de 200 globules blancs par mm3 avec 82 % de lymphocytes et 12 % de cellules altérées, une protéinorachie à 0,45 g/ l et une glycorachie normale. La CRP, NFS et sérologie VIH sont normales. La recherche d’antigène soluble et la PCR de virus sont négatives. La recherche d’œufs de bilharzie dans les urines et les selles est négative. Un traitement antibiotique associant amoxicilline, céfotaxime et aciclovir est débuté. L’évolution immédiate n’est pas favorable avec l’apparition au bout de quelques semaines d’une atteinte de la VIII éme paire crânienne gauche sous traitement antibiotique et un aspect stable des lésions en IRM.
Fig. 1a : TDM, coupe axiale. Fig. 1b : TDM, coupe axiale après injection. Fig. 2a : IRM, coupe axiale T2. Fig. 2b : IRM, coupe axiale T2 FLAIR. Fig. 2c : IRM, coupe sagittale T1. Fig. 2d : IRM, coupe après injection de gadolinium. Fig. 2e : IRM, coupe axiale après injection de gadolinium. Fig. 3a : IRM, coupe axiale T1. Fig. 3b : IRM, coupe axiale T1 après injection.
Réponse La réponse est : Bilharziose de tronc cérébral
Tuberculome du tronc Le tableau subfébrile, l’hyperlymphocytose du LCS et la notion de séjour en Afrique cinq mois auparavant sont compatibles avec cette hypothèse ; mais l’aspect des lésions plutôt hétérogène et infiltrant ne plaide pas en faveur du tuberculome du tronc : lésion ronde, bien limitée, pleine ou excavée se rehaussant de façon homogène ou en cocarde après injection de gadolinium.
Les lésions tumorales Démarche diagnostique Mme L. pose le problème diagnostique d’un processus expansif du tronc cérébral. Le scanner cérébral en coupe axiale sur la région bulbaire, montrant une hypertrophie de la moelle allongée prédominant du coté gauche, spontanément hypodense, se rehaussant discrètement après injection. En IRM, le rehaussement de cette région est franc, hétérogène avec un rehaussement associé de la méninge de la partie inférieure et du recessus latéral gauche du 4e ventricule. Sur l’incidence sagittale, une atteinte de la partie inférieure du pont est également notée. Plusieurs hypothèses diagnostiques sont évoquées.
Question
Rhombencéphalite bactérienne
Quelles sont vos hypothèses diagnostiques ?
Infection à listéria monocytogène
Service de Neuroradiologie, Hôpital Bretonneau, CHU Tours.
sous forme de micronodules du tronc, en hypersignal en pondération T2 SE, avec des prises de contraste punctiforme en T1 SE après injection de gadolinium. Il peut s’y associer une prise de contraste méningée comme dans notre cas. Mais l’absence d’évolution favorable après une antibiothérapie bien conduite fait reconsidérer le diagnostic.
Le mode de révélation de la symptomatologie, notamment l’épisode fébrile de type grippal inaugurale, associé à une paralysie des nerfs crâniens et à une hyperlymphocytose évoque à priori ce diagnostic. En IRM les lésions de rhombencéphalite listérienne se présentent classiquement
Lymphome Ce processus tumoral est évoqué devant sa topographie périventriculaire venant au contact de la surface épendymaire. En scanner, l’aspect typique est celui d’une masse homogène spontanément iso ou hyperdense. En IRM, elle est souvent en iso ou hyposignal en T1 et T2, en hypersignal T2 flair et se rehausse de façon intense et homogène après injection de gadolinium. L’aspect en hypersignal T2 SE chez notre patiente et la prise de contraste hétérogène de la lésion, conforté par l’absence de cellules malignes dans le LCS font récuser ce diagnostic.
Gliome du tronc Les gliomes du tronc cérébral sont des tumeurs malignes qui se voient plutôt chez l’enfant (5-10 ans) et l’adulte jeune. Son caractère très infiltrant rend compte des difficultés diagnostiques rencontrées au scanner : en effet ces lésions apparaissent le plus souvent isodenses et le signe le plus précoce est habituellement l’augmentation de volume du tronc cérébral. La prise de contraste est inconstante. En IRM, les anomalies sont beaucoup plus évidentes, marquées par un hyposignal en T1, un
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a b
Fig. 1 : a b
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Fig. 2 : a b c d e
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TDM. Coupe axiale, coupe axiale après injection. CT. Axial image, axial postcontrast image.
IRM. Coupe axiale T2, coupe axiale T2 FLAIR, coupe sagittale T1, coupe après injection de gadolinium, coupe axiale après injection de gadolinium. MRI. Axial T2W, axial FLAIR, sagittal T1W, postcontrast image, axial postcontrast image.
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Fig. 3 : a b
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hypersignal en T2. La prise de contraste est inconstante mais lorsqu’elle existe, est plus nette que sur le scanner. Cette hypothèse n’a pu être rejetée sur les seuls critères de l’imagerie.
Sclérose en plaque pseudotumorale Cette affection est discutée devant le jeune âge de la patiente et l’atteinte des nerfs crâniens Toutefois, son caractère très étendu, le type de prise de contraste, l’atteinte méningée, l’absence d’autres localisations et l’évolution ne plaident pas pour ce diagnostic.
Rhombencéphalite parasitaire Cysticercose cérébrale Malgré la symptomatologie neurologique et la notion de séjour en zone d’endémie cette hypothèse est écartée car les lésions de cysticercose sont kystiques.
Bilharziose du tronc cérébral L’absence d’évolution favorable d’un tableau de rhombencéphalite bactérienne, la notion de séjour en zone d’endémie avec un ami ayant contracté une bilharziose urinaire, l’aspect infiltrant des lésions évoquent ce diagnostic même si la sérologie bilharzienne et la recherche de bilharziose urinaire et dans les selles sont négatives. L’analyse de la biopsie par voie stéréotaxique met en évidence des infiltrats granulomateux inflammatoires. Certains sont centrés par un vaisseau et d’autres renferment des structures ayant l’aspect de microorganismes déformés, ovalaires ou à J Radiol 2005;86
contours irréguliers comportant une coque jaunâtre avec à l’intérieur une accumulation de noyaux plus ou moins dégénérés ressemblant à des œufs. L’une de ces structures comporte un renflement de sa coque en éperon latéral rencontré dans les œufs de bilharzie. La coloration au zielhvert de méthyle en rouge de la coque des œufs est pathognomonique d’œuf de schistosoma mansoni.
Diagnostic retenu Bilharziose de tronc cérébral. Une franche amélioration de la symptomatologie est obtenue avec un nouveau traitement comportant Praziquantel et corticoïdes. Une IRM de contrôle 3 mois après le début de ce traitement (fig. 3a, b) montre la nette régression de la lésion, la disparition de son caractère expansif avec persistance d ’une prise de contraste méningée.
Commentaires La bilharziose ou schistosomiase est une helminthiase provoquée par un ver de la famille des Trématodes appartenant au genre Schistosoma. Elle touche 200 millions de personnes dans le monde, après le paludisme c’est la maladie tropicale ayant la morbidité la plus élevée. Trois espèces de schistosomes entraînent des manifestations cliniques graves chez l’homme : schistosoma haematobium (manifestations urinaires)
IRM. Coupe axiale T1, coupe axiale T1 après injection. MRI. Axial T1W image, axial postcontrast T1W image.
mansoni (digestives), japonicum (vasculaires). L’atteinte encéphalique est exceptionnelle surtout celle à schistosoma mansoni (1). Les parasites se développent successivement chez deux hôtes : ils s’introduisent dans un petit escargot aquatique, pour y passer la première partie de leur vie. Puis les oeufs deviennent des petits vers, nommées cercaires, qui nagent et contaminent l’hôte humain en contact avec l’eau. Ils traversent sa peau, pénètrent dans les veines, puis dans le tube digestif. La larve adulte de schistosoma mansoni vit au niveau du plexus veineux mésentérique du gros intestin et les œufs pondus atteignent le système nerveux central par migration sanguine (voie artérielle ou flux veineux rétrograde). Il peut y avoir une anomalie de migration de la larve adulte elle-même (2, 3). Les manifestations cliniques sont dues aux réactions inflammatoires avec granulome (1) et ensuite fibrose qui vont s’établir autour des œufs incarcérés dans le tissu. Le degré du processus inflammatoire dépend du statut immunitaire du patient. L’atteinte nerveuse est dominée par les atteintes médullaires par migration erratique d’œufs dans les espaces épiduraux, réalisant en général un tableau de compression médullaire lente. L’atteinte cérébrale, comme dans cette observation, est rare. Les manifestations cliniques sont non spécifiques et dépendent de la topographie cérébrale de la lésion. En imagerie, plusieurs aspects ont été décrits (4) là encore non spécifiques. Au scanner, elles se présentent sous forme de nodule unique ou de plage infiltrante se re-
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haussant de façon hétérogène après injection. Les lésions en IRM sont en iso ou hyposignal T1 par rapport au parenchyme adjacent, hypersignal T2 et visualise mieux la prise de contraste hétérogène. Le diagnostic d’orientation au début repose sur la notion de bain en eau douce en région d’endémie, l’hyperleucocytose et l’hyperéosinophilie. La biologie se normalise quelques mois plus tard. Le diagnostic indirect repose sur la recherche d’anticorps sériques par les techniques d’ELISA, d’hémagglutination passive qui peuvent être normales dans les localisations cérébrales. En zone d’endémie, certaines techniques utilisent l’antigène vivant. L’analyse du LCS ne retrouve pas les œufs de schistosome. Si les sérologies ne sont pas positives, le diagnostic repose sur la biopsie. Les analyses histologique et parasitaire mettent alors en évidence les œufs de schistosome cernés par un granulome inflammatoire et la coloration rouge au Ziehl vert des œufs. Le traitement médical comporte une chimiothérapie antiparasitaire par Praziquantel associé à la corticothérapie.
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Le pronostic est bon dans tous les cas décrits avec une disparition des lésions sur les examens de contrôle successifs (6, 8). Lorsqu’une chirurgie était effectuée, il s’agissait d’une exérèse totale dans la majorité des cas (5, 6) le diagnostic s’avérait une surprise histologique (7).
2.
3.
4.
Conclusion
5.
L’atteinte cérébrale de la bilharziose est rare, notamment la forme à schistosoma mansoni. Il faut savoir l’évoquer dans la gamme diagnostique des processus expansifs intra crâniens, et orienter l’anamnèse chez les patients originaires ou ayant séjournés en zone d’endémie bilharzienne.
6.
7. 8.
Références 1.
Pilly E.Infections parasitaires. Chapitre 98, 464-6.
Calabresi P, Abelmann WH. Porto-caval and portopulmonary anastomoses in laennec’s cirrhosis and in heart failure. J Clin Invest 1957;36;1257-65. Spencer H. Pathology of the lung. Third ed, chapter 2, 10 and 16. Oxford: Pergamon Press, 1977. Preidler KW, Riepl T, Szolar D, Ranner G. Cerebral Schitosomiasis: MR and CT Appearance. Am J Neuroradiol 1996;17: 1598-600. Fowler R, Lee C, keystone JS. The role of corticostéroids in the traitement of cerebral schistomiasis caused by schistosoma mansoni: case report and discussion. Trop Med Hyg 1999;61:47-50. Kirchoff LV, Nash TE. A case of schistosomiasis japonica: resolution of CT-scan deleted cerebral abnormalities without specific therapiy. Am J trop Med 1984;33: 1155-8. Ibahioin K, Chellaoui A, Lakdar A et al. Neurochirurgie 2004;50:61-5. Ferreira La, Lima FL, Dos Angos MR, Cosla JM. Tumor form of encephalic schistosomiasis: presentation of a case surgically treated. Rev Soc Bras Med Trop 1998;31:89-93.
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