Cent ans d’enseignement de la cancérologie

Cent ans d’enseignement de la cancérologie

Éditorial ©John Libbey Eurotext Cent ans d’enseignement de la cancérologie Pour citer cet article : Bey P. Cent ans d’enseignement de la cancérologie...

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Éditorial ©John Libbey Eurotext

Cent ans d’enseignement de la cancérologie Pour citer cet article : Bey P. Cent ans d’enseignement de la cancérologie. Bull Cancer 2013 ; 100 : 923-6. doi : 10.1684/bdc.2013.1810.

doi : 10.1684/bdc.2013.1810

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enseignement médical de la cancérologie s’est structuré en France au cours des 100 dernières années pour répondre, qualitativement et quantitativement, avec la meilleure efficacité possible, même si ce fut souvent avec retard, à l’évolution des besoins de prise en charge des malades atteints de cancer dont le nombre n’a fait qu’augmenter surtout depuis 50 ans. En effet, d’environ 45 000 nouveaux cas de cancers en France en 1900 pour 40 millions d’habitants, on est passé à 355 000 en 2012 pour 65 millions d’habitants. L’augmentation de l’espérance de vie de 45 ans en 1900 à plus de 80 ans aujourd’hui, grâce à la réduction de la mortalité aux jeunes âges de la vie a augmenté le nombre de personnes dans les tranches d’âge élevées, les plus exposées à l’apparition des cancers. Les bases de la cancérologie avaient été posées dès le XIXe siècle avec la microscopie et les développements de la chirurgie d’exérèse fondée sur la description des voies d’extension des carcinomes d’abord locale, puis régionale et à distance. Dès cette époque, mémoires et traités diffusaient ces connaissances. C’est au début du XXe siècle, avec l’affinement du diagnostic histologique que l’on a commencé à s’inquiéter de la part que prenaient les cancers en santé publique et que sera créée la Ligue nationale contre le cancer (1918). L’utilisation thérapeutique des nouveaux rayonnements X découverts en 1895 par Roentgen et du radium découvert par Marie et Pierre Curie en 1898, est venue s’ajouter à la chirurgie d’exérèse, jusquelà seul traitement capable de guérir les rares cancers encore localisés au moment de leur diagnostic. C’est tout naturellement que les premiers pas de l’enseignement de la cancérologie vont se faire autour de la chirurgie avec la description pour chaque localisation carcinomateuse des techniques opératoires d’exérèse locale et ganglionnaire appropriées et autour de Bull Cancer vol. 100 • N◦ 10 • octobre 2013

l’électroradiologie ; cette discipline nouvelle recouvrait alors l’électrologie, la radiologie et la radiothérapie naissantes. Antoine Béclère, faisant œuvre de pionnier, a débuté son cours hospitalier de radiologie dès 1897 à l’hôpital Tenon. Les traitements médicaux des cancers ne prendront leur essor qu’après la Seconde Guerre mondiale avec la mise à disposition des antimitotiques puis des traitements hormonaux et récemment des biothérapies ciblées. C’est ainsi que des chirurgiens, des anatomopathologistes, des électroradiologistes seront à l’origine des premières structures hospitalières organisées pour la prise en charge des malades atteints de cancer, en lien le plus souvent avec les universités. Même si le visionnaire Claudius Regaud déclarait dès 1919 « Toute institution consacrée à la thérapeutique des tumeurs malignes doit être en état de traiter les maladies complètement, c’est-à-dire par toute méthode jugée la meilleure dans un cas particulier quelconque : il ne saurait exister de centre anticancéreux sérieux où l’on n’appliquerait que le radium ou seulement les rayons X ou seulement les méthodes chirurgicales. . . Le traitement du cancer est une affaire d’équipe thérapeutique, une œuvre collective. . . exigeant une coopération de nombreux techniciens », il faudra attendre quelques dizaines d’années pour que la pluridisciplinarité en cancérologie entre réellement dans l’enseignement jusque-là éclaté, voire inexistant. Sa réalisation fut plus lente encore dans la pratique quotidienne des différents établissements hospitaliers publics et privés. Depuis 2011 et le 2e Plan cancer, la pluridisciplinarité est une obligation opposable dans le cadre des autorisations d’exercer la cancérologie. En effet, si la cancérologie existe, le cancérologue omniscient n’existe pas, même si certains ont parfois été tentés de le faire croire. De fait, personne ne peut prétendre maîtriser

Pierre Bey Professeur émérite de cancérologie-radiothérapie à l’université de Lorraine, conseiller du président de l’Institut Curie, 26, rue d’Ulm, 75005 Paris, France

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l’ensemble des connaissances et encore moins l’ensemble des techniques nécessaires à la lutte contre les cancers. Pour les traitements, l’exercice de la cancérologie ne peut se concevoir que comme la rencontre et la synergie entre les compétences complémentaires de spécialistes de l’imagerie, de la biologie dont l’anatomie pathologique, de chirurgiens, de radiothérapeutes, de spécialistes des traitements médicaux des cancers, de spécialistes d’organes, auxquels s’ajoutent des compétences dans les différents soins de support et de multiples compétences non médicales. Il faut y ajouter les connaissances et savoir faire nécessaires en santé publique, statistiques, recherche clinique, translationnelle et fondamentale. L’acquisition de toutes ces compétences médicales nécessaires à la lutte contre les cancers est de ce fait complexe, éclatée entre de nombreuses spécialités, débouchant, soit sur un exercice exclusif ou prépondérant de la cancérologie, soit sur un exercice occasionnel. Cette complexité due à la multiplicité des acteurs concernés et à la transversalité de la pratique s’est heurtée à une organisation verticale et plutôt figée de l’enseignement médical, ce qui peut expliquer qu’il ait fallu du temps pour convaincre et implanter cette discipline non univoque. La spécialité d’électroradiologie et certaines spécialités chirurgicales ont été pendant de nombreuses années les principales voies de formation théorique et pratique à l’exercice de la cancérologie, avec secondairement la médecine interne et l’hématologie, à travers la voie de l’internat (4 ans de formation) ou des Certificats d’études spécialisées (CES, 3 ans). C’est en 1969 qu’est née l’option radiothérapie du CES d’électroradiologie médicale. En 1984, les CES et l’internat des hôpitaux ont disparu et le Diplôme d’études spécialisées (DES, 4 ans) d’oncologie a permis de créer, après un tronc commun, l’option oncologie médicale, sœur jumelle de l’option oncologie radiothérapique. En 2004 la formation est passée à 5 ans et s’est enrichie d’une 3e option, l’onco-hématologie incluant l’hématologie maligne, commune avec le DES d’hématologie. Si ce DES répondait aux besoins de formation des spécialistes exerc¸ant la cancérologie de fac¸on exclusive, oncologues médicaux et oncologues radiothérapeutes au nombre d’environ 1 300 en exercice aujourd’hui, elle ne répondait pas à la demande de nombreux autres médecins qui revendiquaient une formation complémentaire en cancérologie dans leur domaine de spécialité. C’est ainsi qu’un Diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) de cancérologie (groupe 1, c’est-à-dire conférant une compétence complémentaire à celle acquise par le DES mais ne conférant pas une qualification) a vu le jour en 1988 permettant d’acquérir cette compétence cancérologique en 1 à 2 ans après la spécialité. La difficulté d’accès à ce DESC pour certains spécialistes, en particulier les chirurgiens, a favorisé l’éclosion de diplômes universi-

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taires (DU) et interuniversitaires (DIU) en cancérologie, de contenu variable selon les facultés et n’ouvrant pas droit à qualification ou à reconnaissance par l’ordre des médecins et l’Assurance maladie. En 2007, l’accès au DESC de cancérologie a été modifié avec la création de 5 options mieux adaptées aux différentes situations pratiques. Au moins 2 500 médecins ont acquis à ce jour cette compétence complémentaire en cancérologie. Quelques dizaines d’entre eux, spécialistes médicaux et chirurgicaux, radiologues, biologistes, pédiatres exercent la cancérologie de fac¸on exclusive dans des établissements et des services spécialisés, dans le cadre de leur spécialité d’origine. Toutes ces formations, DES et DESC, comprennent des enseignements théoriques interrégionaux qui se sont homogénéisés et améliorés avec le temps et des stages pratiques définis de fac¸on précise. Elles aboutissent bien sûr à un diplôme qualifiant, reconnu par l’ordre des médecins et l’Assurance maladie. Soulignons le rôle déterminant des internes en oncologie qui ont su, depuis une dizaine d’années, se mobiliser efficacement pour mieux faire connaître et rendre attractives les différentes spécialités concourant à la cancérologie. Ceci a amené une augmentation du nombre d’internes inscrits dans ces filières cancérologiques pour mieux répondre aux besoins futurs. De plus, des procédures existent au niveau de l’ordre des médecins pour reconnaître, sous conditions, les acquis de l’expérience cancérologique sur le terrain et conférer des équivalences à un nombre limité de médecins. L’Institut national du cancer (INCa) chargé de la mise en œuvre des plans cancers depuis 2004, a largement contribué à l’évolution de ces différentes formations. La France a eu une place essentielle dans la formation spécialisée en cancérologie (comme dans beaucoup d’autres disciplines médicales) de médecins issus de pays étrangers, d’abord, mais pas exclusivement, francophones. La formation des étrangers était relativement facile avec les CES (3 ans) puis avec les DIS (diplômes interuniversitaires de spécialisation, 4 ans), encore possible avec les AFS (attestation de formation spécialisée, 1 à 2 ans) et AFSA (attestation de formation spécialisée approfondie, 1 à 2 ans), de plus en plus difficile aujourd’hui avec le DFMS (diplôme de formation médicale spécialisée, 1 à 2 ans) et le DFMSA (diplôme de formation médicale spécialisée approfondie, 1 an) et les restrictions d’obtention de visas pour bon nombre de postulants à d’autres formations comme les DU. La conséquence, si l’on n’améliore pas de fac¸on radicale la procédure administrative (ce qui n’exclut pas de la contrôler afin d’éviter les dérives qui ont pu se produire dans le passé), sera une désaffection et une paupérisation dommageables de la France comme pays de formation dans un domaine où les besoins sont rapidement croissants, et alors que nous avons un savoir faire reconnu et apprécié tant en enseignement théorique que pratique, clinique et technique. Bull Cancer vol. 100 • N◦ 10 • octobre 2013

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L’enseignement de la cancérologie est aussi primordial dans le cursus des études médicales à destination de tous les médecins qui verront des malades atteints de cancer ne fût-ce qu’occasionnellement, qu’ils exercent la médecine générale ou toute autre spécialité. Ces médecins jouent un rôle irremplac¸able en cancérologie pour la prévention, l’éducation à la santé, le diagnostic précoce, l’accompagnement et le suivi post-thérapeutique immédiat et au long cours. Cet enseignement théorique, longtemps balbutiant, s’est développé d’abord de fac¸on irrégulière et non formalisée à partir de la fin des années 1970. Au fur et à mesure des réformes, et sous la pression des enseignants de cancérologie dont le nombre augmentait trop lentement, cet enseignement a fini, laborieusement, par se structurer en un module spécifique de cancérologie (module 10) du 2e cycle des études médicales. Il comprend les aspects transversaux et généraux de la cancérologie (cancérogénèse, épidémiologie, classification, dépistage. . .), ainsi que les éléments diagnostiques des principales localisations cancéreuses inscrites au programme de l’internat devenu examen classant national. L’enseignement pratique des gestes simples de dépistage, de diagnostic précoce, d’examen clinique ainsi que l’apprentissage des aspects de la relation médecin-malade atteint de maladie grave a lieu, de fac¸on variable et encore trop inhomogène, au gré des stages d’étudiant hospitalier, trop peu nombreux en oncologie. Ces divers enseignements sont délivrés sous la responsabilité des enseignants de cancérologie de la sous-section 47-02 du Conseil national des universités (CNU), intitulée « Cancérologie ; Radiothérapie » qui regroupe biologistes et cliniciens exerc¸ant la chirurgie, la radiothérapie ou l’oncologie médicale. En 2011, on dénombrait 129 PU-PH de cancérologie (pour 3 958 toutes disciplines médicales confondues, soit 3,25 %) et 20 MCU-PH de cancérologie (pour 1 694 toutes disciplines médicales confondues, soit 1,2 %), chiffres qui restent très faibles et de plus, en baisse depuis 2008. Les enseignants de spécialités participent à ces enseignements de cancérologie, selon l’organisation de chaque faculté. À côté de l’enseignement initial théorique et pratique, primordial, l’enseignement médical continu en est le prolongement naturel indispensable compte tenu de l’évolution rapide des connaissances. Il s’est fait, de manière plus ou moins ordonnée, heureusement sans attendre la sortie régulièrement retardée des textes réglementaires. L’enseignement continu, quel que soit le mode d’exercice, s’est fait et se fait encore avec le soutien de l’industrie surtout pharmaceutique, au travers des sociétés savantes qui organisent congrès et réunions scientifiques et qui disposent de publications spécifiques : Association franc¸aise pour l’étude du cancer créée en 1906 et qui deviendra 80 ans plus tard la Société franc¸aise du cancer, dont l’organe officiel Bull Cancer vol. 100 • N◦ 10 • octobre 2013

depuis 1914 est la revue Bulletin du Cancer ; Société franc¸aise de radiologie née en 1909 avec le Journal de Radiologie en 1914, puis la Société franc¸aise de radiothérapie oncologique devenue indépendante en 1990 avec sa propre revue, Cancer Radiothérapie ; la Société franc¸aise de chirurgie oncologique, la Société franc¸aise d’hématologie, l’Association francophone des soins oncologiques de support auxquelles il faut ajouter la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer devenue Unicancer, la Fédération nationale de cancérologie des hôpitaux publics, la Fédération franc¸aise des oncologues médicaux. Par ailleurs, de nombreuses autres structures, notamment l’Association de formation continue en oncologie radiothérapique (Afcor), organisent des formations continues. La majorité de ces structures est maintenant regroupée dans le cadre du Conseil national de cancérologie (CNC), structure fédérative mise en place par la Haute Autorité de santé (HAS) en 2010 ; elle a parmi ses missions l’aide au Développement professionnel continu (DPC) des acteurs médicaux de la cancérologie. La formation continue pour les spécialistes de la cancérologie s’est développée également au niveau européen à travers des cours de haut niveau dans lesquels les Franc¸ais sont bien représentés. De plus, de nombreux congrès internationaux sont fréquentés par les médecins franc¸ais et leurs comptes-rendus sont accessibles dans la presse médicale et via internet. La formation à distance (e-learning) s’est développée en cancérologie comme dans les autres disciplines médicales, parallèlement aux nombreuses publications internationales spécialisées. L’élaboration de référentiels de bonne pratique à partir de l’analyse de la littérature, telle qu’elle existe dans la plupart des réseaux régionaux de cancérologie, procure une excellente inter-formation entre les différents acteurs de la cancérologie directement concernés. Il en est de même dans la pratique quotidienne, des réunions de concertation pluridisciplinaire. Enfin, la formation à la recherche en cancérologie s’est aussi progressivement structurée à travers les diplômes d’études approfondies (DEA) puis les Masters 1 et 2 de cancérologie ouvrant la voie au doctorat dans différentes écoles doctorales (dont l’école doctorale de cancérologie de Paris-Sud), ouvertes sur les différents aspects de la cancérologie. C’est une partie essentielle de la construction des compétences en particulier des futurs enseignants de cancérologie et bien sûr, de tous ceux qui contribuent à l’indispensable effort de recherche. Pour terminer, il faut citer la formation initiale et continue des multiples métiers non médicaux qui concourent à une prise en charge réussie des patients atteints de cancer, certains pour un usage exclusif de leur métier en cancérologie comme des physiciens médicaux, des infirmiers, des manipulateurs en radiothérapie et imagerie, des psychologues, et de beaucoup

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d’autres dans le cadre d’un exercice non exclusif en cancérologie. Les Plans cancer depuis 2003 et l’INCa ont accéléré cette structuration qui se poursuit pour aboutir au nécessaire maillage des compétences sur l’ensemble du territoire national. Au final, l’enseignement de la cancérologie sous ses aspects les plus divers et singulièrement dans sa relation

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aux autres, les malades atteints de cancer bien sûr mais aussi les acteurs de la pratique cancérologique pluridisciplinaire et transdisciplinaire, a été, est et restera une formidable lec¸on de vie.  Remerciements. merci aux professeurs Claude Chardot, Franc¸ois Eschwège et Jean-Pierre Gérard pour leur relecture constructive et enrichissante.

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