Presse Med 2005; 34: 443-5
P. Rey1 D.Andriamanantena1 C. Carrère1 D. Casassus-Builhé1 N. Hamant2, J.-L. Perret3
1 - Service des maladies digestives, Fédération de médecine, Hôpital d’Instruction des Armées Legouest, Metz (57) 2 - Centre de pathologie, Metz (57) 3 - Fédération de médecine, Hôpital d’Instruction des Armées Legouest, Metz (57)
Correspondance: Philippe Rey, Service des maladies digestives, Hôpital d’Instruction des Armées Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 10, 57998 Metz-Armées. Tél.: 0387564856 Fax: 0387564841 philippe.rey@santesurf. com
Reçu le 4 mars 2004 Accepté le 5 juillet 2004
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Colite aiguë ulcéro-hémorragique induite par le célécoxib
Summary
Résumé
Ulcerating haemorrhagic colitis induced by celecoxib
Introduction La sélectivité des inhibiteurs de la cyclo-oxygénase de type 2 (anti-Cox2) a fait chuter la toxicité gastro-duodénale des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Les effets sur la muqueuse colique sont peu connus. Observation Une colite aiguë ulcéro-hémorragique chez une patiente de 38 ans, indemne de tout passé digestif, était observée au 2e jour d’un traitement par célécoxib (200 mg/j) prescrit pour une sciatalgie. Discussion L’imputabilité intrinsèque du célécoxib est très vraisemblable dans cette observation, par combinaison des critères chronologiques et sémiologiques. L’imputabilité extrinsèque est discutée à partir des quelques données bibliographiques disponibles qui concernent essentiellement le rofécoxib. Conclusion Cette observation qui constitue, à notre connaissance, le premier cas de colite ulcéro-hémorragique lié au célécoxib, confirme la toxicité colique des anti-Cox2 et impose de ne pas méconnaître cette nouvelle étiologie de colite aiguë. La communication des effets indésirables coliques des anti-Cox2 s’impose en raison de leur récente commercialisation.
Introduction Selectivity of cyclooxygenase-2 inhibitors (Cox2 inhibitors) decreased gastroduodenal toxicity of nonsteroidal antiinflammatory drugs. Effects on colic mucosa are little known. Observation A case history is described of a 38-year-old women, without digestive past, who presented with hemorrhagic ulcerated acute colitis beginning 2 days after starting celecoxib (200 mg/d) prescribed for sciatica. Discussion Intrinsic imputability of celecoxib is very probable in this case report by combination of chronological and semiological criteria. Extrinsic imputability is discussed, starting from the available bibliographical data which relate primarily to rofecoxib. Conclusion This observation, which constitutes, as far as we know, the first case report of hemorrhagic ulcerated colitis related to celecoxib, confirms the colic toxicity of anti-Cox2 and identify a new cause of acute colitis. Report of colic side effects with Cox2 inhibitors is required because of their new marketing. P. Rey, D. Andriamanantena, C. Carrère, D. Casassus-Builhé, N. Hamant, J.-L. Perret Presse Med 2005; 34: 443-5 © 2005, Masson, Paris
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es inhibiteurs sélectifs de la cyclo-oxygénase de type 2 (anti-Cox2 ou coxibs), développés afin de diminuer la toxicité digestive des anti-inflammatoires non stéroïdiens non sélectifs (AINSns), ont confirmé leur excellente tolérance gastro-duodénale, avec un risque relatif de perforations, d’ulcères symptomatiques et de saignements aux alentours de 0,5, et une réduction absolue du risque à 1-2 pour 100 1,2 patients-année environ . Les données expérimentales n’ont cependant pas permis de conclure définitivement 3 à leur innocuité colique et de rares colites, d’expression variée et d’étiologie non toujours univoque, sont colligées depuis leur récente commercialisation, essen4-7 tiellement avec le rofécoxib et plus exceptionnelle8,9 ment avec le célécoxib . Nous rapportons un cas de colite aiguë attribuable au célécoxib qui constitue, à notre connaissance, la première description d’une forme ulcéro-hémorragique.
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Observation Une Caucasienne de 38 ans était hospitalisée pour un syndrome dysentérique aigu non fébrile. Des lombalgies chroniques, des accès migraineux traités par zolmitriptan 2,5 mg, une infécondité transitoire en 1990 (cœlioscopie normale) et une contraception orale par éthynilestradiol-lévonorgestrel suivie depuis 9 ans résumaient les antécédents. Cette patiente fumait 6 à 8 cigarettes/j depuis 15 ans et n’avait jamais effectué de séjour hors Europe occidentale. Le 20 août 2003, au deuxième jour de la prise de célécoxib 200 mg/j pour une sciatalgie L5 droite, apparaissait une douleur abdominale diffuse calmée par des exonérations liquides. La constatation à J3 d’épreintes, de faux besoins et de selles glairo-sanglantes pluri-quotidiennes, sans fièvre, ni frissons, faisait arrêter ce médicament. L’absence d’amélioration après un traitement par tramadol, triLa Presse Médicale - 443
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Colite aiguë ulcéro-hémorragique induite par le célécoxib
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mébutine et diosmectite conduisait à une hospitalisation à J7. L’examen montrait un amaigrissement de 3 kg, une apyrexie, un abdomen souple, non météorisé et diffusément sensible, sans anomalie extra-digestive. On notait une hémoglobine à 11,3 g/dl, une protéine C réactive (CRP) à 20 N, un fibrinogène à 4,33 g/l et une hypoalbuminémie isolée à 32 g/l, alors que formule leucocytaire, immunoglobulines AGM (IgE non dosées), férritinémie, ionogramme, fonction rénale, tests hépatiques, lipasémie et tests de coagulation (compte plaquettaire, taux de prothombine, temps de céphaline activée et de saignement) étaient normaux. Une coproculture demeurait stérile et il n’était détecté ni toxines de Clostridium difficile, ni parasites dans les selles. La coloscopie, effectuée à J8, après ingestion de 4 litres de polyéthylène glycol, montrait une colite prédominant sur les côlons droit et transverse, érythémato-congestive et ulcérée avec intervalles sains (figure 1). La muqueuse était boursouflée, facilement hémorragique au contact; elle prenait par plages une teinte vineuse avec de nombreuses ulcérations punctiformes et de rares ulcérations longitudinales, sans critères de gravité endoscopique. Le côlon gauche était moins lésé, le sigmoïde ne présentait que quelques plages érythémateuses et le rectum était macroscopiquement normal ainsi que l’iléon terminal exploré sur 20 cm. Les biopsies dirigées sur les lésions montraient une muqueuse à l’architecture conservée, siège de petites érosions punctiformes avec des cryptes focalement dédifférenciées et dont le chorion renfermait un infiltrat inflammatoire modéré, constitué d’éléments mononucléés et de polynucléaires à prédominance éosinophile. Il n’était vu ni parasites ni inclusions virales. Les cultures des biopsies, avec recherche de Klebsiella oxytoca et Escherichia entéro-hémorragique, demeuraient stériles. L’endoscopie œsogastroduodénale était macroscopiquement normale en dehors d’un petit papillome bénin du 1/3 moyen de l’œsophage et les biopsies fundiques, antrales et duodénales étaient normales. La recherche d’infection par le VIH, d’anticorps antinucléaires, antiphospholipides, anti-Saccharomyces
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Figure 1 Coloscopie: muqueuse du côlon droit ulcérée et hémorragique
cerevisiae et anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles était négative. La dysenterie évoluait favorablement en 6 jours après diète transitoire et antalgie intraveineuse (phloroglucinol, paracétamol, néfopam), autorisant la sortie à J13. Les anomalies biologiques régressaient en 15 jours. Une coloscopie de contrôle e réalisée au 3 mois ne montrait aucune séquelle. La e e patiente, revue au 6 mois et au 10 mois, demeurait asymptomatique.
Discussion L’imputabilité du célécoxib est retenue dans cette observation de colite aiguë ulcéro-hémorragique, déclarée au Centre Régional de Pharmacovigilance de Nancy, sur plusieurs arguments: absence d’antécédent digestif, absence d’arguments pour une autre étiologie, en particulier infectieuse, ischémique ou dysimmunitaire, apparition de la colite après la prise du médicament et rémission complète après son arrêt sans intervention thérapeutique spécifique. L’augmentation des polynucléaires éosinophiles dans l’infiltrat des biopsies coliques fait 7 aussi suggérer une origine médicamenteuse . L’absence de rechute avec un recul de 10 mois était en faveur d’une colite de novo et allait à l’encontre d’une colite inflammatoire latente révélée par la prise médicamenteuse. L’imputabilité intrinsèque est au total très vraisemblable (I4), par combinaison de critères chronolo10 giques C3 et sémiologiques S3 . Par analogie avec un 4 cas de colite hémorragique induit par le rofécoxib , une imputabilité extrinsèque classée B2 a été proposée. Les premières observations d’effets indésirables coliques des coxibs ont rapporté des effets bien connus des 11 AINSns . Il s’agissait avec le rofécoxib de colites de 4,6,7 et d’induction de poussées de maladies inflamnovo 5 matoires chroniques intestinales , ce dernier point fai12 sant toujours l’objet de controverses . Le célécoxib a été rendu responsable d’une observation de colite cole lagène ulcérée apparue au 16 mois d’un traitement à 9 posologie normale . Il est fait mention, dans l’éditorial qui accompagne cette publication, de la notification, auprès de la base de données des effets indésirables médicamenteux de l’Organisation mondiale de la santé, de 20 cas de colite au célécoxib sans plus de précision. Cette observation était aussi une colite de novo de type ulcéro-hémorragique, sans exposition à d’autres facteurs toxiques confondants ni passé digestif. Elle vient ainsi enrichir la liste des causes de colites aiguës ulcérohémorragiques. L’absence de toxicité expérimentale des coxibs sur la muqueuse intestinale humaine saine 3 et chez l’animal n’est ainsi pas confirmée par la pratique clinique. La similitude des lésions avec celles observées après prise d’AINSns fait évoquer un méca26 mars 2005 • tome 34 • n°6
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nisme similaire évoluant en 2 temps: rupture initiale de la barrière muqueuse intestinale à l’origine d’une augmentation de sa perméabilité par blocage de la phosphorylation oxydative mitochondriale et inhibition de la synthèse des prostaglandines, puis agression de la muqueuse par le contenu luminal incluant des sels 13 biliaires et des bactéries . Le respect de la posologie usuelle dans cette observation n’était pas en faveur
d’une perte de sélectivité des coxibs induite par un dépassement des doses. Il est donc nécessaire d’être vigilant et de colliger les nouvelles observations, ainsi que d’informer les malades de ces effets indésirables 14 potentiellement sévères , ce d’autant que les propriétés des anti-Cox2 font envisager de nouvelles indications, en particulier en chimio-prévention du cancer 15 colorectal . ■
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Brève
Y a-t-il un lien entre indice de masse corporelle et risque de cancer? I l est amplement démontré qu’un indice de masse corporelle élevé comporte des risques pour la santé, notamment par l’intermédiaire d’une hypertension artérielle, d’un diabète sucré ou d’une cardiopathie ischémique. Il est aussi de plus en plus souvent suggéré qu’il existe un lien entre le poids corporel et le risque de cancers, en particulier dans les pays occidentaux avec ceux du poumon, de la prostate, du côlon et du rectum. Une étude menée en Suisse chez 2974 hommes inclus en 1971/73 et revus en 1990 va à l’encontre de cette assertion (Swiss Med Wkly 2005 :135: 27-33). Pendant la période considérée, 292 hommes sont morts de cancer, dont 87 du poumon, 30 de la prostate, 22 du côlon. La mortalité, tous cancers confondus, ne change pas avec l’augmentation de l’indice de masse corporelle. Pour le cancer du poumon, la mortalité ne varie pas (ni augmentation, ni diminution) quand le poids augmente; il en est de même pour les cancers de la prostate et du côlon. Malgré les limites de cette étude, bien signalées par les auteurs, par exemple l’absence d’information sur le tabagisme passé, sa durée, son âge de début, l’importance de l’inhalation, ses résultats ne plaident pas pour une association entre indice de masse corporelle et mortalité par cancer, quelle qu’en soit la localisation. Il est vrai que si cette étude a des limites, celles ayant fait état de liens entre indice de masse corporelle et risque cancéreux étaient entâchées de multiples biais. ■ Philippe Letonturier
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