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(n = 6) ou mésentériques (n = 2) et deux cas de thromboses artérielles. Dans quatre cas ont été trouvés : mutation facteur V Leiden (n = 1), déficit en protéine C et S (n = 1) et anticorps antiphospholipides (n = 2). Dans sept cas, aucune anomalie biologique procoagulante n’a été notée. Dans quelques cas, une régression spontanée de la thrombose sans traitement anticoagulant a été rapportée. Ces arguments indirects confortent l’hypothèse que la thrombose est secondaire à une action directe du virus [9]. Le mécanisme physiopathologique des thromboses associées à l’infection au CMV n’est pas élucidé. Le CMV pourrait agir par plusieurs mécanismes peut-être intriqués : – activation des cellules endothéliales par le biais d’une réponse Th1 aboutissant à un phénotype pro coagulant de ces cellules avec production de molécules d’adhésion renforçant l’adhésion cellulaire et plaquettaire (ICAM1 et VCAM 1, facteur Von Willebrandt) ; – production d’anticorps antiphospholipides, de facteurs de croissance ou de coagulation (facteur VIII) [10] ; – production accrue d’IL6 (réponse Th1) induisant la production de MCP1 (monocytes chemioattractante proteine1) par les cellules endothéliales en recrutant les monocytes, ce qui aggraverait l’inflammation locale [11]. Une autre hypothèse est une action prothrombogène du virus lui-même : il augmenterait la prolifération des cellules musculaires lisses en augmentant la production des récepteurs du PDGF et par le biais d’un produit de son gène : la protéine IE84 (elle inhiberait l’apoptose des cellules musculaires de la paroi endothéliale via l’inhibition du p53 et favoriserait ainsi la thrombose du vaisseau). Cette observation souligne l’importance d’être attentif au moindre signe évocateur de thrombose au cours d’une primo-infection à CMV même chez un malade immunocompétent. A contrario, l’association d’un exanthème fébrile avec une thrombose est évocatrice d’une primo infection à CMV.
Références 1. Bonnet F, Neau D, Viallard JF, Morlat P, Ragnaud JM, Dupon M, et al. Clinical and laboratory findings of cytomegalovirus infection in 115 hospitalized non-immunocompromised adults. Ann Med Interne 2001;152: 227-35. 2. Jenkins RE, Peters BS, Pinching AJ. Thromboembolic disease in AIDS is associated with cytomegalovirus disease. AIDS 1991;5:1540-2. 3. Sullivan PS, Dworkin MS, Jones JL, Hooper WC. Epidemiology of thrombosis in HIV-infected individuals. The adult/adolescent spectrum of HIV disease project. AIDS 2000;14:321-4. 4. Madalosso C, de Souza NF, Ilstrup DM, Wiesner RH, Krom RA. Cytomegalovirus and its association with hepatic artery thrombosis after liver transplantation. Transplantation 1998;66:294-7. 5. Oh CK, Pelletier SJ, Sawyer RG, Dacus AR, McCullough CS, Pruett TL, et al. Uni- and multi-variate analysis of risk factors for early and late hepatic artery thrombosis after liver transplantation. Transplantation 2001;71: 767-72. 6. Jeejeebhoy FM, Zaltzman JS. Thrombotic microangiopathy in association with cytomegalovirus infection in a renal transplant patient: a new treatment strategy. Transplantation 1998;65:1645-8. 7. Estival JL, Debourdeau P, Zammit C, Teixeira L, Guerard S, Colle B. Thrombose portale spontanée au cours d’une infection aiguë à cytomégalovirus chez une patiente immunocompétente. Presse Med 2001;30: 1876-8. 8. Chelbi F, Boutin-Le Thi Huong D, Frigui M, Asli B, Hausfater P, Piette JC. Thrombose portale compliquant une infection aiguë à cytomégalovirus chez un sujet immunocompétent. Rev Med Interne 2006;27:54-8. 9. de Celis G, Mir J, Casal J, Gomez D. 31-year-old woman with an enlarged tender liver. Lancet 1995;346:1270. 10. Delbos V, Abgueguen P, Chennebault JM, Fanello S, Pichard E. Acute cytomegalovirus infection and venous thrombosis: role of antiphospholipid antibodies. J Infect 2007;54:e47-50. 11. Rott D, Zhu J, Zhou YF, Burnett MS, Zalles-Ganley A, Epstein SE. IL-6 is produced by splenocytes derived from CMV-infected mice in response to CMV antigens, and induces MCP-1 production by endothelial cells: a new mechanistic paradigm for infection-induced atherogenesis. Atherosclerosis 2003;170:223-8.
Hypertrichose malaire et ciliaire induite par le bimatoprost A.-M. ROUXEL, A.-M. ROGUEDAS-CONTIOS, L. MISERY e bimatoprost (Lumigan®) est un nouveau collyre de la famille des prostamides utilisé dans le traitement des glaucomes chroniques à angle ouvert en monothérapie ou associé aux bêtabloquants. La posologie habituelle est d’une goutte dans l’œil par jour. Nous rapportons un cas d’hy-
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Service de Dermatologie, CHU Morvan, 2, avenue Foch, 29200 Brest. Tirés à part : A.-M. ROUXEL, à l’adresse ci-dessus. E-mail :
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pertrichose malaire et ciliaire acquise après utilisation de ce traitement.
Observation Un homme, âgé de 75 ans, était hospitalisé dans le service de dermatologie pour la prise en charge d’une atrophie blanche des deux membres inférieurs associée à une insuffisance veineuse. L’examen clinique montrait une hypertrichose malaire et une trichomégalie bilatérale présentes depuis 2 ans selon le malade (fig. 1). Ces anomalies avaient débuté après
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Fig. 1. Hypertrichose malaire et ciliaire.
l’utilisation d’un nouveau collyre : le bimatoprost, pour traitement d’un glaucome chronique.
Discussion L’hypertrichose malaire est connue des ophtalmologistes comme l’un des effets secondaires fréquents de ce traitement et il est recommandé dans le Vidal de prévenir chaque malade de ce désagrément avant de débuter le traitement. Cet effet secondaire semble peu connu des dermatologues. Le bimatoprost est une nouvelle molécule de la famille des prostamides, analogue de la prostaglandine PGF2a au même titre que le latanoprost, plus ancien. Ce traitement est responsable de différents effets secondaires oculo-cutanés [1] : trichomégalie et prurit oculaire dans plus de 10 p. 100 des cas, assombrissement des cils, érythème de la paupière, prurit de la paupière, sécheresse oculaire, et pigmentation de la peau péri-oculaire dans 1 à 10 p. 100 des cas, enfin hirsutisme dans moins de 1 p. 100 des cas. L’hypertrichose malaire et la trichomégalie apparaissent quelques semaines après le début de l’application du bimatoprost, en général après 4 semaines. À l’arrêt du traitement et après épilation de la zone d’hypertrichose, il faut attendre plusieurs semaines avant de voir disparaître cette nouvelle pilosité [2]. Une étude sur la prévention des effets cutanés secondaires du bimatoprost a montré que l’essuyage de la paupière par une surface absorbante après l’application du collyre permet une diminution de l’hyperpigmentation du canthus interne de l’œil mais pas du canthus externe, et l’absence de modification de l’hypertrichose ciliaire et malaire [3]. Le seul article dans une revue de dermatologie abordant ce sujet a été publié dans le Journal of the American Academy of Dermatology en novembre 2004 [4]. Il apparaît les effets secondaires cutanés du latanoprost et du bimatoprost, deux collyres de la famille des prostamides utilisés dans le traitement des glaucomes chroniques à angle ouvert. Le bimatoprost
semblait occasionner plus d’hypertrichose malaire et de trichomégalie que le latanoprost et plus rapidement. Ceci s’explique par le fait que le bimatoprost ne doit pas être transformé en métabolite actif pour acquérir son action pharmacologique contrairement au latanoprost et permet ainsi une concentration plus importante du principe actif. La physiopathologie de ces effets secondaires reste mal connue. Une étude réalisée par Wolf et al. a montré la présence de récepteurs de la prostaglandine F2 dans les follicules pileux et le derme. La stimulation de ces récepteurs par le bimatoprost et le latanoprost occasionne une stimulation de la croissance des poils chez les souris [5]. Sasaki et al. ont étudié l’influence de la prostaglandine PGF2a et de ses analogues, dont le latanoprost, sur la croissance pilaire et la mélanogenèse des follicules dans le modèle murin [6]. Le PGF2a présent dans les kératinocytes, les fibroblastes du derme et les cellules mastocytaires, et ses analogues, déclenche la croissance pilaire en phase télogène. La longueur des poils est plus importante après l’application de PGF2a et de ses analogues par rapport au groupe témoin. Le PGF2a augmente la durée de la phase anagène. Tous les mécanismes à l’origine de ces phénomènes n’ont pas été élucidés mais quelques hypothèses sont avancées. D’une part, la prostaglandine est vasodilatatrice et sa présence dans le derme augmenterait le flux sanguin périfolliculaire ; d’autre part, in vitro, ces molécules induisent une réplication de l’ADN et stimulent la mitose. Ces deux mécanismes ne suffisent pas à expliquer la capacité du PGF2a à induire la phase anagène. Mais les auteurs émettent l’hypothèse selon laquelle le PGF2a intrinsèque jouerait le rôle de médiateur dans la régulation du cycle pilaire. En effet, les mastocytes, contenant du PGF2a induisent la phase anagène ou catagène par le biais de leur dégranulation. D’autres auteurs pensent que le bimatoprost serait responsable d’une modification de la concentration du calcium intracellulaire, ce qui pourrait expliquer ce phénomène d’hirsutisme et donc d’hypertrichose malaire lorsque ce collyre coule sur le malaire lors de l’application [7].
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