Constipation à l’arrêt du tabac

Constipation à l’arrêt du tabac

Presse Med. 2006; 35: 246-8 © 2006, Masson Paris en ligne sur/ on line on Cas clinique www.masson.fr/revues/pm Constipation à l’arrêt du tabac Gil...

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Presse Med. 2006; 35: 246-8 © 2006, Masson Paris

en ligne sur/ on line on

Cas clinique

www.masson.fr/revues/pm

Constipation à l’arrêt du tabac Gilbert Lagrue, Solange Cormier, Catherine Mautrait, Catherine Diviné

Hôpital Albert Chenevier, Créteil (94)

Correspondance : er

Reçu le 1 février 2005 Accepté le 7 novembre 2005

Gilbert Lagrue, Centre de tabacologie, Hôpital Albert Chenevier, 40, rue de Mesly, 94000 Créteil. [email protected]

■ Summary

■ Résumé

Stopping smoking and constipation

Introduction > Parmi les symptômes pouvant survenir à l’arrêt du tabac, la constipation est une manifestation relativement fréquente, mais peu étudiée. Observation > Trois cas féminins sont rapportés avec apparition de la constipation à l’arrêt du tabac et amélioration à la reprise. Commentaires > Cette constipation entraîne parfois des troubles fonctionnels importants, et peut être l’occasion d’une rechute. Elle se produit surtout chez la femme, sur un terrain prédisposé. Par son action sur le système parasympathomimétique, la nicotine augmente le péristaltiste intestinal, et la cigarette peut apparaître comme une véritable automédication. Pour palier ce trouble, les sels de magnésium constituent le traitement de première intention. En cas d’échec, la néostigmine, par son action parasympathomimétique et anticholinestérasique, apparaît remarquablement efficace, permettant de corriger le trouble en cause.

Introduction > Among the symptoms that may occur with smoking withdrawal, constipation is relatively frequent, but little studied. Case > Three women reported that constipation developed when they stopped smoking and improved during transient relapses. Discussion > This constipation sometimes produces serious functional disorders and can induce relapse. It occurs especially among women and those predisposed to it. Nicotine, by acting on the parasympathomimetic system, increases intestinal peristalsis, and a cigarette can appear to be effective self-medication. Magnesium salts are the first-line treatment for this problem. If they fail, neostigmine, an anticholinesterase with parasympathomimetic activity, appears remarkably effective in correcting this disorder. Lagrue G, Cormier S, Mautrait C, Diviné C. Constipation à l’arrêt du tabac. Presse Med. 2006; 35: 246-8 © 2006, Masson, Paris

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a constipation ne fait pas partie des symptômes de sevrage décrits dans le DSM IV, et elle n’est pas répertoriée dans la liste des items utilisés en clinique pour évaluer le syndrome de sevrage [1]. C’est parfois une constipation opiniâtre, accompagnée de troubles fonctionnels importants sous la forme d’un ballonnement intestinal, avec une sensation désagréable de gonflement abdominal diffus. Ces troubles peuvent être, par leur intensité, à l’origine de la rechute.

Depuis plusieurs années, dans nos dossiers, l’item “constipation” a donc été ajouté à la liste des symptômes de sevrage à l’arrêt du tabac, et nous avons été amenés à prendre en charge son traitement. Dans notre expérience quotidienne, certains sels de magnésium, à condition d’être donnés à dose suffisante, peuvent avoir un effet à la fois préventif et curatif sur la constipation. Lorsque cette action n’est pas suffisante, un problème thérapeutique difficile se pose alors. Plusieurs observations récentes nous ont permis de mettre en évidence l’action d’une médication parasympathomimétique, la néostigmine. tome 35 > n° 2 > février 2006 > cahier 1

Observation n° 1 Une femme de 58 ans, a consulté pour un tabagisme important de 30 à 40 cigarettes/jour, avec un score de 10 au questionnaire de Fagerström, un CO dans l’air expiré à 25 ppm. Elle a arrêté de fumer avec l’aide d’un traitement de substitution nicotinique (SN) comportant 30 mg de nicotine par timbre. L’arrêt a été immédiat et confirmé ultérieurement par la mesure régulière de CO dans l’air expiré. Dès le 1er jour d’arrêt du tabac, est apparue une constipation qui s’est aggravée rapidement malgré les traitements traditionnels. Pendant les vacances, elle a repris les cigarettes pendant 10 jours. Avec la cigarette du matin, après le petit déjeuner, les selles survennaient dans le 1/4 d’heure suivant. Elle s’est arrêtée de nouveau de fumer en reprenant la SN au retour des vacances. La constipation a repris immédiatement et persisté malgré la prescription de sels de magnésium. La néostigmine (Prostigmine®) a été prescrite sous forme de comprimés à 0,5 mg/jour à raison de 2/jour puis 3 cp/jour (ce médicament n’est plus disponible sous cette forme). La constipation a disparu complètement, et ce traitement a été maintenu plusieurs mois, avec ensuite une diminution progressive des doses, pour une durée totale de 8 mois, sans que réapparaisse la constipation.

Observation n° 2 Une femme de 54 ans a consulté pour un tabagisme important (40 cigarettes/jour) avec une forte dépendance (score de 8 au questionnaire de Fagerström). Comme elle n’était pas motivée pour un arrêt immédiat, une diminution progressive du nombre de cigarettes a été proposée à l’aide de gommes-nicotine à 2 mg, constituant une étape vers un arrêt ultérieur. Sa consommation a baissé rapidement de 40 à 10 cigarettes/jour et dès ce seuil, une constipation est apparue, qui s’est atténuée dès qu’elle a repris une cigarette matinale. Avec un traitement de SN (timbre/gomme) prolongé sur 9 mois, l’arrêt total du tabac a été obtenu. Une constipation s’est installée dès le 1er jour de cet arrêt, améliorée par des sels de magnésium. Elle s’est aggravée au 4e mois de l’arrêt du tabac, avec des troubles fonctionnels importants. Avec l’adjonction de 2 cp/j de Prostigmine® (ce médicament n’est plus disponible sous cette forme), les selles sont redevenues normales et les troubles fonctionnels ont disparus. Une tentative d’arrêt de la prise de prostigmine® a été suivie d’une reprise immédiate de la constipation. Ce traitement a donc été prescrit sur une durée de 8 mois, avec 1 cp/jour les 2 derniers mois. En avril 2004, 1 an et demi après l’arrêt du tabac, le sevrage a été confirmé, la constipation avait complètement disparu.

Observation n° 3 Une femme de 57 ans a consulté pour un tabagisme à 30 cigarettes/jour; son score au questionnaire de Fagerström était à 8 et le CO dans l’air expiré était à 27 ppm. À trois reprises, elle

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avait déjà tenté d’arrêter de fumer. À chaque fois était apparue immédiatement une constipation importante avec “colite et aérophagie”. Lorsqu’elle reprennait sa consommation de cigarettes, la constipation disparaissait immédiatement. Une nouvelle tentative d’arrêt du tabac a été faite avec un traitement de SN (21 mg de nicotine/timbre) complété par des comprimés à 2 mg de nicotine. Dès le 2e jour après l’arrêt du tabac est apparue une constipation qui s’est accentuée les jours suivants, avec des troubles fonctionnels gênants. Un traitement à base de sels de magnésium a amélioré transitoirement la constipation qui a repris ensuite de façon très importante, malgré la poursuite de ce traitement. À partir d’avril 2004, elle a reçu un traitement de pyridostigmine à la dose de 1 puis 2 cp/jour. La constipation a disparu rapidement et n’a plus été signalée aux consultations des 2 mois suivants. Ce traitement a été poursuivi pour une durée de 6 mois. L’arrêt du tabac a été régulièrement confirmé par la mesure de CO depuis le début du traitement. Ultérieurement, la pyridostigmine a pu être arrêtée, et la constipation n’est pas réapparue.

Discussion Dans les études antérieures, la constipation survenant à l’arrêt du tabac n’était que très rarement citée [2, 3]. Dans un travail récent portant sur 514 fumeurs, la constipation a été systématiquement étudiée; elle était présente dans 17 % des cas, dont 9 % de formes sévères [4]. Dans nos observations, cette constipation a été définie cliniquement, d’abord signalée sur l’autoquestionnaire de suivi et cotée de 0 à 3 comme les autres symptômes de sevrage, puis précisée par l’interrogatoire. Elle est caractérisée par des selles dures, avec exonération difficile, douloureuse, survenant moins de 3 fois par semaine. Elle est accompagnée d’une sensation pénible de ballonnement abdominal. Elle s’installe dans les 2 premiers jours de l’abstinence, et disparaît quasi immédiatement dès la reprise des cigarettes matinales. Elle peut être très intense, et a été à l’origine de rechutes, dans plusieurs de nos observations. L’analyse des symptômes de sevrage a montré que la constipation survient indépendamment du score global de sevrage, et en particulier des troubles du sommeil et de l’humeur. Ainsi, l’expérience clinique a montré l’existence d’un lien chronologique étroit entre cigarettes du matin et trouble du transit intestinal. Toutes les caractéristiques de cette constipation suggèrent la responsabilité de la nicotine, en accord avec certaines observations cliniques [5] et avec les données pharmacologiques classiques [6]. La nicotine prend la place de l’acétylcholine sur les récepteurs à la nicotine ; sur le tractus intestinal, elle stimule le système parasympathique. Elle en augmente ainsi le tonus et le péristaltisme [5]. Chez l’animal, la nicotine en perfusion déclenche immédiatement des contractions abdominales, avec accélération du transit [6]. Chez l’homme, à l’arrêt des apports nicotiniques, il y a une diminution du tonus et de

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la motilité gastro-intestinale : atonie et dilatation gastrique, diminution du péristaltisme de l’intestin grêle et du gros intestin, avec distension colique. En fonction de ces données pharmacologiques, on comprend l’inefficacité des traitements traditionnels de la constipation par les laxatifs de lest, visant à augmenter la masse fécale ; celle-ci, en raison de l’atonie des muscles lisses, ne déclenche pas le besoin de déféquer. L’utilisation de médications destinées à augmenter physiologiquement le péristaltisme intestinal apparaît donc logique, bien que non signalée jusqu’alors dans cette situation. La néostigmine est un parasympathomimétique ayant également une action anticholinestérasique. Cette molécule augmente donc le tonus des muscles lisses de l’iléon et surtout du colon, avec des contractions péristaltiques plus nombreuses et plus fréquentes [6]. Elle compense donc pharmacologiquement les effets de l’arrêt des apports nicotiniques de la cigarette. Le dérivé actuellement disponible est la pyridostigmine (Mestinon®), ayant un délai d’action de 2 heures et une durée d’efficacité de 3 à 4 heures ; son action est avant tout locale, car elle est faiblement absorbée. À forte dose (6 à 8 comprimés en 3 prises), elle constitue un des traitements possibles de la myasthénie. À 2 comprimés par jour (1 matin et soir), elle est indiquée dans la prévention des atonies intestinales.

Son utilisation nous a donc paru logique dans la constipation survenant à l’arrêt du tabac. Les résultats cliniques obtenus ont confirmé cette hypothèse. L’interprétation des faits ainsi observés comporte certaines limites: • ces observations ont été recueillies dans une consultation de tabacologie où sont vus essentiellement les fumeurs les plus dépendants, non représentatifs de la population générale des fumeurs. Cette constipation peut, en effet, être observée également chez des fumeurs peu dépendants, ayant déjà une tendance antérieure à ce type de trouble. Ce sont essentiellement des femmes qui utilisent la cigarette pour éviter une constipation ; • la constipation a été évaluée uniquement par autoquestionnaire et interrogatoire, dans le cadre du syndrome de sevrage [1]; l’étude du temps de transit n’a pas pu être réalisée, dans les conditions habituelles de ces consultations de soins de routine en tabacologie. Ceci mériterait de faire l’objet d’une étude utilisant de test de diagnostic ; • l’interprétation pharmacologique n’a pas pu, bien entendu, être prouvée à l’échelon individuel, mais elle repose sur les données classiques [6]. Remerciements : Nous remercions vivement le docteur Ivan Berlin, (pharmacologie, Hôpital Pitié-Salpêtrière – Paris) de ses précieux conseils, pour l’interprétation physiopathologique du trouble.

Références 1

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Shiffman SM. The tobacco withdrawal syndrome. NIDA Research Monograph. 1979; 23: 158-84. Cummings KM, Giovino G, Jaen CR, Emrich LJ. Reports of smoking withdrawal symptoms over a 21 day period of abstinence. Addictive Behaviors. 1985; 10: 373-81. Dukas L, Willett WC, Giovannucci El. Association

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between physical activity, fiber intake, and other lifestyle variables and constipation in a study of women. Am J Gastroenterol. 2003; 98: 1790-6. Hajek P, Gillison F, McRobbie H. Stopping smoking can cause constipation. Addiction. 2003; 98: 1563-7. Coulie B, Camilleri M, Bharucha AE, Sandborn

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WJ, Burton D. Colonic motility in chronic ulcerative proctosigmoiditis and the effects of nicotine on colonic motility in patients and healthy subjects. Aslimentary Pharmacology and Therapeutics. 2001; 15: 653-63. Goodman L. The Pharmacological Basis of Therapeutics. Goodman & Gilman. 9th ed. p. 589, p. 450.

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