De la bouche au nez : les effets psychiques des techniques de chirurgie bariatrique

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ScienceDirect L’évolution psychiatrique xxx (2017) xxx–xxx

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De la bouche au nez : les effets psychiques des techniques de chirurgie bariatrique夽 From the mouth to the nose: Psychic effects of bariatric surgery procedures Matthieu Mencia-Huerta (Psychologue clinicien, membre du C.R.P.M.S, Chercheur associé C.R.I, rattaché au service de chirurgie générale et digestive) a,∗,b,c , Cristina Lindenmeyer (Psychanalyste, maître de conférence - habilitée à diriger des recherches à l’UFR–E.P. et membre du C.R.P.M.S, chercheuse en délégation au C.N.R.S) d,e b

a Laboratoire C.R.P.M.S., université Diderot-Paris 7, 5, rue Thomas-Mann, 75013 Paris, France Centre de Recherche sur l’Inflammation, dép. B.C.M.P.P., équipe BADO, UMR 1149 Inserm, ERL CNRS 8252, 16, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France c Service de chirurgie générale et digestive, hôpital Bichat-Claude-Bernard, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France d UFR des Études psychanalytiques, université Paris Diderot-Paris 7, 5, rue Thomas-Mann, 75013 Paris, France e Institut des sciences de la communication ISCC–CNRS, 20, rue Berbier-du-Mets, 75013 Paris, France

Rec¸u le 30 janvier 2017

Résumé Objectifs. – Il s’agit dans cet article d’interroger les nouvelles pratiques de chirurgie bariatrique dans la clinique de l’obésité puisque les effets qu’elles produisent peuvent s’avérer mystérieux sur le plan organique, parfois problématiques, jusqu’à mettre en échec la démarche thérapeutique initiale. Chez une majorité de patients opérés, l’apparition de modifications olfactives et gustatives à la suite de l’intervention met en lumière le fait que la transformation du corps réel par la chirurgie provoque des effets de remaniements non seulement organiques mais aussi psychiques. Ce bouleversement de l’organisation pulsionnelle et des 夽 Toute référence à cet article doit porter mention : Mencia-Huerta M, Lindenmeyer C. De la bouche au nez : les effets psychiques des techniques de chirurgie bariatrique. Evol psychiatr XXXX ; vol (no ) : pages (pour la version papier) ou URL [date de publication] (pour la version électronique). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Mencia-Huerta).

http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2017.06.006 0014-3855/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es. EVOPSY-1069; No. of Pages 12

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investissements libidinaux, soutenu par les modifications corporelles, prendrait sa source dans l’actualisation du mécanisme du refoulement « organique » chez le patient opéré. Convoqué par la clinique, ce concept freudien oublié permettrait de tirer des pistes de réflexion pour la compréhension théorique et l’amélioration de la prise en charge psychique des sujets en situation d’obésité et opérés d’une chirurgie bariatrique. Méthode. – Les patients rencontrés ont été opérés d’une chirurgie bariatrique de type Sleeve gastrectomie ou de type Bypass gastrique. Il a été proposé aux patients de parler de leur expérience de la chirurgie bariatrique et du retentissement des modifications corporelles sur leur comportement alimentaire, sur leur rapport au corps et sur leur rapport à l’autre. Résultats. – Les modifications psychosensorielles post-chirurgicales attesteraient de l’actualisation du processus de refoulement « organique » et du remaniement de l’organisation pulsionnelle qui lui est connexe. La coupure du corps réel provoquée par ce type d’intervention va avoir des incidences sur le refoulement « organique » qui va s’actualiser et se renforcer chez le sujet opéré. Les représentations qui, avant l’intervention, amenaient le sujet vers un plaisir organique et psychique auto-érotique vont être ainsi réprimées du champ de la conscience car les conditions d’accès à ce plaisir érogène ont été modifiées. Les objets, notamment alimentaires, qui se liaient par association à ces représentations refoulées, seront perc¸us consciemment par le sujet comme vecteurs de déplaisir. Ces objets, auparavant source d’un certain plaisir érogène pour le sujet, vont ainsi devenir objets de dégoût et de répulsion après la survenue des changements corporels. Discussion. – Les changements olfactifs et gustatifs dans la perception des aliments représenteraient non seulement l’impact de la chirurgie sur la vie psychique du sujet opéré, mais signaleraient paradoxalement que derrière les aliments qui « refoulent » et qui sont maintenant mis à distance par le sujet se cacherait en réalité ce qui a été refoulé psychiquement lors de l’actualisation du refoulement « organique ». Ces modifications psychosensorielles sélectives et les relations alimentaires particulières qui sont visées par ces changements semblent être régulièrement mises en lien par les patients eux-mêmes avec certains aspects de leur histoire personnelle et intime, avec des souvenirs ou des représentations d’évènements dans lesquels la sexualité infantile s’est retrouvée dans l’écueil, parfois traumatique, du rapport à l’autre. La verbalisation de ces souvenirs-écrans, convoqués depuis ces changements perceptifs sélectifs issus de l’actualisation du refoulement « organique », ouvrirait ainsi une nouvelle voie d’accès vers l’élaboration d’une vérité subjective inconsciente pouvant, par ailleurs, être en lien avec l’édification de la construction symptomatique de l’obésité. Conclusion. – Cette étude souligne l’importance du refoulement « organique » pour penser ces modifications psychosensorielles sélectives après la chirurgie bariatrique et pour comprendre le réaménagement psychique conduisant à ces changements du comportement alimentaire. Il conviendrait de prendre en considération l’impact des éléments spécifiques présents dans la construction symptomatique de l’obésité (oralité, image du corps, structuration familiale), en fonction de leurs différentes modalités d’expression pour chaque sujet, sur le refoulement « organique » après la modification chirurgicale du corps. Mais il s’agirait également de cerner, dans la construction symptomatique propre à chaque sujet, les formes prises originairement par le refoulement « organique » avant même son actualisation par les effets de la chirurgie bariatrique. Ces deux étapes (pré et post-opératoire) sont essentielles pour la compréhension des éléments psychiques conduisant à un échec thérapeutique dans le traitement chirurgical de l’obésité, afin d’améliorer les soins et de limiter une rechute de la maladie. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es.

Mots clés : Obésité ; Refoulement ; Olfaction ; Trouble du comportement alimentaire ; Chirurgie bariatrique ; Souvenir écran ; Pulsion

Abstract Objectives. – This study aimed to investigate the new practices of bariatric surgery in the clinical treatment of obesity, since the effects produced by these procedures are organically enigmatic, sometimes problematic, and may cause treatment failure. Thus, in many operated patients, the psycho-sensory changes following surgery, such as olfactory and taste mutations (from “pleasure” to “displeasure”), show that these technical

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transformations of the body cause organic, and also psychic reorganizations. These disturbances in instinctual organization and in libidinal investments, underpinned by profound bodily changes, seem to originate from the updating of the mechanism of “organic” repression in the patient. Derived from clinical practice, this forgotten Freudian concept raises points of interest for the theoretical understanding and improvement of the psychic management of patients with obesity undergoing bariatric surgery. Method. – The patients investigated were treated with bariatric surgery, including Sleeve gastrectomy or Roux-en-Y Bypass. They were asked to comment on their experience of bariatric surgery and on the impact of the body changes on their eating behaviours, their relationship with the body and with the others. Results. – In most of the patients, bariatric surgery brought about olfactory and taste changes. These psychosensory changes seem to attest to an updating of the process of “organic” repression and to a restructuring of the associated instinctual organization. In these patients, cutting into the reality of the body appears to have an impact on “organic” repression, which is reshaped, updated and reinforced for most of the operated subjects. Consequently, the representations that, before surgery, brought the subject organic, psychic, selferotic pleasure appear to be repressed from the field of consciousness because the conditions underpinning access to this erotic pleasure have been altered. Therefore objects, in particular food items, which are bound by association to these repressed representations, could be consciously perceived by the operated subject as vectors of displeasure. These objects, previously providing erogenous pleasure, will thus become sources of disgust and repulsion following the bodily changes. Discussion. – The olfactory and gustatory modifications in the perceptions of food observed after bariatric surgery underline the impact of this procedure on the psychic life of these patients. Behind the “disgusting” foods now pushed away could lie what was repressed when the “organic” repression was updated. These selective psycho-sensory changes and the dietary relationships affected by these changes seem to be regularly linked by the patients themselves to certain aspects of their personal and intimate history, including memories or representations of events in which infantile sexuality was confronted with the pitfalls of relationships with the others. The verbalization of these screen-memories, appearing after these selective perceptive changes and resulting from the updating of “organic” repression, could thus open a new way of access to the elaboration of an unconscious subjective truth, which may be linked to the elaboration of the symptomatic construction of obesity. Conclusion. – This study underlines the importance of the notion of “organic” repression to approach these psycho-sensory changes after bariatric surgery and to understand the psychic reorganization leading to these changes in eating behaviour. It is important to consider the impact on the process of “organic” repression of the specific elements present in the symptomatic construction of obesity (orality, body image, family structure), according to their different modes of expression for each subject, following surgical modification of the body. In addition, it is important to understand the forms originally taken on by “organic” repression, before its reshaping or updating by the effects of bariatric surgery, in the light of the specificity of the symptomatic construction of each subject. These two pre- and post-operative steps are essential in the understanding of the psychic elements leading to therapeutic failure in the surgical treatment of obesity, in order to improve quality of care and to limit relapses. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Obesity; Repression; Olfaction; Eating disorders; Bariatric surgery; Screen-memory; Drive

Alors que l’obésité a été déclarée « première épidémie non infectieuse de l’histoire de l’humanité » par l’OMS et qu’il devient toujours plus probable aujourd’hui de mourir d’un déséquilibre alimentaire que de la malnutrition, le développement d’une offre de soin passant par des interventions chirurgicales à visée thérapeutique a conduit à l’augmentation de la demande comme du nombre de ces chirurgies bariatriques pratiquées, confrontant le sujet opéré et les praticiens à

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un certain « malaise » devant les effets de ces pratiques sur le corps. Il s’agit ici d’interroger ces types de pratiques chirurgicales dans la clinique de l’obésité puisque leurs représentations et les effets subjectifs qu’elles peuvent produire vont s’avérer parfois problématiques, jusqu’à conduire à l’échec la démarche thérapeutique initiale. L’étiologie de l’obésité, qu’elle soit due aux facteurs génétiques ou hormonaux, par manque d’exercices physiques, déstructuration des cadres alimentaires, en corrélation avec le statut social, ou associée à une influence environnementale in utéro, rend cette pathologie exceptionnellement complexe1 . Pour autant, la clinique de l’obésité n’est pas encore « mentale » comme pourrait l’être à l’inverse celle de l’anorexie [1]. L’obésité est pourtant une construction symptomatique intriquant organique et psychique, et offrant pour cela au sujet la possibilité d’exprimer une vérité inconsciente. Dans quelle mesure les modifications corporelles de la chirurgie bariatrique vontelles mobiliser la construction symptomatique du sujet ? Quels sont les effets psychiques de la chirurgie bariatrique sur le sujet opéré ? 1. Quelques repères historiques Au seuil du XXIe , l’obésité est devenue une épidémie d’ordre mondial avec plus d’1,9 milliards de personnes de plus de 20 ans touchées par le surpoids en 2014 et dans le monde [2]. Ce fléau est aujourd’hui considéré comme une menace sanitaire globale engageant des dépenses de santé publique colossales pour y faire face, avec un risque économique pour le collectif toujours plus important. Devant les échecs répétés sur la perte de poids et son maintien à long terme des autres types de traitements de l’obésité (régimes divers, médicaments coupe-faim), la chirurgie bariatrique (de baros « poids » et de iatros « médecin ») fait son apparition dans les années 1950, jusqu’à son succès dans les années 1990 et sa démocratisation aujourd’hui dans la prise en charge des patients obèses. Le Service de chirurgie générale et digestive du Pr. Jean-Pierre Marmuse à l’hôpital BichatClaude-Bernard avec qui nous collaborons, pionnier de ce type de thérapeutique en France, avait ainsi encouragé, dès le début des années 90, l’introduction des premiers traitements chirurgicaux de l’obésité en proposant, à l’époque, la pose d’anneaux gastriques ajustables permettant une perte de poids adaptée au comportement alimentaire du patient [3]. Cependant, les résultats d’études successives [4,5] ont amené les équipes à arrêter la pose de ces anneaux pour les remplacer par la réalisation exclusive de réductions et court-circuit gastriques de type Sleeve gastrectomies [6], ou Bypass gastriques [7] au début des années 2000. Et grâce aux progrès technologiques et à l’évolution des pratiques, les interventions sont aujourd’hui moins invasives, les risques de complications post-chirurgicales sont réduits [8] et la diminution des co-morbidités associées à l’obésité est réelle [9]. Cela permet aussi d’expliquer l’engouement actuel pour ces méthodes et le triplement de l’activité qui en découle [10]. Ces nouvelles techniques de chirurgie bariatrique consistent en la réduction chirurgicale de la capacité de contenance et d’absorption de l’estomac. Cette résection de l’estomac a pour objectif une amélioration du métabolisme du patient, une réduction considérable des quantités ingérées lors de la prise alimentaire ainsi qu’une baisse de la sensation de faim. Et le « montage » de l’appareil digestif empêche les conduites hyperphagiques sous peine d’inconfort somatique. Dans le cadre de la prise en charge, le patient est encouragé à avoir un suivi nutritionnel au niveau

1 Lindenmeyer C, Kousouri M, Marmuse JP, Arapis K, Maignan C, Luquet S. L’obésité, entre trop et pas assez, 2016, publication à paraître.

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quantitatif et qualitatif afin d’éviter ces sensations organiquement déplaisantes et à pratiquer une activité physique. De plus, à l’aune du bilan psychologique effectué à l’entrée ou d’une demande formulée par le patient, ce dernier peut rencontrer un psychologue ou un psychiatre pour un suivi opératoire, afin d’élaborer ce passage du corps obèse au corps opéré et ses incidences sur la vie organique et psychique du sujet. La prise en charge pluridisciplinaire va permettre aux sujets certaines améliorations de leur qualité de vie comme la possibilité de sortir d’un isolement dans lequel l’obésité pouvait les avoir plongé, comme ce patient qui racontait que depuis sa chirurgie il avait pu mettre fin à un arrêt maladie de plusieurs années et avait pu reprendre le travail et améliorer sa vie familiale. Cependant, la chirurgie bariatrique va également provoquer des modifications inattendues dans certains aspects du comportement alimentaire, au-delà des effets organiques attendus. Ainsi, il s’avère également que les fonctions olfactives et/ou gustatives vont se modifier pour une majorité de patients opérés, des changements qualitatifs dans la perception des goûts et des odeurs se manifestant de manière différente selon les patients mais finissant généralement par disparaître après quelques temps chez la plupart des personnes touchées. Et aujourd’hui, il n’existe encore aucune analyse permettant d’expliquer ces modifications perceptives d’un point de vue strictement organique et mécanique. Ce nouveau corps provoque donc des modifications qui dépassent le cadre d’une compréhension purement somatique. Mais, bien qu’il reste une zone d’ombre du discours psychanalytique [11] et des discours scientifiques [12], le champ du psychosensoriel reste un des marqueurs de l’articulation existant entre le corps et l’esprit, de leurs modalités d’interactions réciproques [11], et les sens de l’odorat et du goût s’inscrivent à ce carrefour entre l’organique et le subjectif. En conséquence, ces modifications olfactives et gustatives post-opératoires apparaîtraient comme des révélateurs des effets corporels de la chirurgie bariatrique sur l’organisation psychique du sujet opéré. Ces interventions chirurgicales participeraient ainsi d’un processus complexe qui engagerait un remaniement de l’organisation psychique du sujet, affectant l’économie libidinale et la construction symptomatique du sujet en situation d’obésité. 2. Les modifications olfactives et gustatives après la chirurgie Plusieurs études démontrent qu’une modification du goût et de l’odorat surviennent de manière relativement fréquente à la suite d’une chirurgie bariatrique [13,14]. Alors que le goût et l’odeur de gras ou de sucré de certains aliments étaient perc¸us comme « attirants » voir « apaisants », ils deviennent par la suite source de « dégoût » et de « rejet » de la part du patient opéré, jusqu’à l’aversion totale. Si certains changements olfactifs ou gustatifs peuvent être communs à beaucoup de patients opérés, les récits des patients en entretien révèlent pourtant que certaines de ces modifications psychosensorielles sélectives sont régulièrement mises en lien avec des aspects de l’histoire personnelle et intime du sujet. Une patiente expliquait par exemple qu’elle était saisie d’un violent dégoût devant des assiettes de pâtes depuis son intervention. Pourtant, cette même patiente soutenait qu’elle avait l’habitude de manger ce plat qu’elle aimait tout particulièrement avant la chirurgie. Elle l’associait notamment à sa grand-mère qui lui en préparait souvent lorsqu’elle était enfant. Une grand-mère qu’elle adorait et qui l’abreuvait à table avec des histoires extraites de sa vie personnelle. Elle lui racontait notamment avoir vécu la faim dans les camps pendant la guerre, et reprochait régulièrement à la patiente de ne pas terminer ses assiettes de pâtes. Une grand-mère idéalisée et incorporée en une représentation suffisamment puissante au point que la patiente disait avoir été dans le devoir de finir les assiettes que ses propres enfants n’avaient pas terminé par exemple. Une démarche

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qu’elle se retrouvait dans l’incapacité de poursuivre aujourd’hui après sa chirurgie. Pourtant, malgré la réduction de l’estomac, elle constatait toujours chez elle le réveil récurrent d’envies quasi irrépressibles devant les assiettes à moitié terminées des autres. Une autre patiente expliquait qu’elle pouvait manger tout ce qu’elle voulait sans aversion après son opération, exception faite du riz et du poulet, aliments devant lesquels elle était maintenant saisie de dégoût. Elle aussi avait pourtant l’habitude de manger ce plat qu’elle adorait et qu’elle associait aux grands repas partagés avec sa famille, à un plaisir de la bouche et du corps obtenu dans la commensalité familiale. Un plat quasi rituel de ces moments de rassemblements et de partage entre les membres de la famille qu’elle ne pouvait pourtant plus manger depuis la chirurgie. Cela avait eu pour effet de remettre en question sa place dans ces évènements et plus généralement son rôle dans la structuration familiale, faisant émerger chez elle de forts mouvements dépressifs et un discours ambivalent sur son choix de chirurgie. Les sens du goût et de l’odorat sont au carrefour du corps et de la psyché en ce qu’ils activent des récepteurs à la fois organiques et psychiques [12] et la chirurgie bariatrique a un impact sur ces deux niveaux pour le patient qui s’y soumet. Ces modifications du champ psychosensoriel révèleraient ainsi l’influence des transformations corporelles de la chirurgie sur l’organisation psychique du sujet. Car dans le creux de la modification organique, la chirurgie bariatrique imposerait au sujet un réaménagement de son économie libidinale et par conséquent de sa construction symptomatique. Ce remaniement psychique prendrait sa source dans l’actualisation du refoulement « organique » chez le sujet opéré, refoulement encouragé par les modifications corporelles de la chirurgie bariatrique et dont les changements psychosensoriels témoigneraient de l’action.

3. Le refoulement « organique », entre corps et psyché Le refoulement « organique » n’est pas un concept très utilisé dans le champ psychanalytique alors qu’il permet de mettre en relief l’interrelation existant entre le corps et la psyché. Il est décrit par Freud tout au long de ses écrits comme un processus spécifique de refoulement des représentations mais touchant aux vécus érogènes, et soutenu comme tout refoulement par l’influence de l’éducation, parentale et sociale, véhiculant les idéaux du collectif mais également ici grâce aux modifications corporelles inhérentes au développement du corps réel. À partir de la clinique, l’utilisation de ce concept de la métapsychologie freudienne permettrait de comprendre ces changements psychosensoriels comme des marqueurs de l’influence des modifications corporelles de la chirurgie bariatrique sur la vie psychique du patient opéré, au-delà des effets proprement organiques sur le réel du corps. Dans une lettre à Fliess du 14 novembre 1897, Freud disait : « Il m’est souvent arrivé de soupc¸onner qu’un élément organique entrait en jeu dans le refoulement et je t’ai déjà raconté un jour qu’il s’agissait de l’abandon d’anciennes zones sexuelles [. . .] la disparition de ces zones sexuelles initiales trouverait son pendant dans l’atrophie de certains organes internes au cours du développement » [15]. Ces « anciennes zones sexuelles » sont des zones érogènes, c’est-à-dire des parties du corps (organes, muqueuses, peau, etc.) susceptibles d’être le siège d’une excitation sexuelle auto-érotique activant les vécus et les représentations inconscientes. Ces lieux du corps, à l’interface entre l’organique et le pulsionnel, sont investis libidinalement et de manière différente pour chaque sujet, en fonction du développement organique mais aussi de l’histoire personnelle et du rapport à l’autre. Les zones érogènes modèlent les processus de subjectivation et orientent le désir inconscient jusqu’à devenir parfois un espace d’expression pour le symptôme comme dans la conversion hystérique [16].

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Dans le cadre du refoulement « organique » freudien, l’atrophie développementale d’un organe du corps engagerait l’abandon des investissements libidinaux sur cette zone érogène atrophiée organiquement. L’atrophie d’une fonction ou d’un organe du corps conduirait à la diminution de l’érogénéité de la zone touchée et donc de l’investissement libidinal subjectif sur cette partie du corps. Et « le corps tout entier est une zone érogène » [17], c’est-à-dire qu’il y a une superposition entre le corps organique et le corps pulsionnel érogène chez le sujet. En conséquence, n’importe quelle partie du corps organique touchée d’une atrophie (développementale, recherchée ou accidentelle) pourrait engager la dynamique du refoulement « organique ». L’atrophie organique aurait donc des conséquences sur le corps pulsionnel du sujet et, dans l’après-coup, sur son économie libidinale. Freud expliquait d’ailleurs que l’accès au plaisir et à la satisfaction serait possible, dans l’aprèscoup, à partir des souvenirs et des représentations intégrés par le sujet, dans une remémoration pouvant conduire à la répétition d’un agir permettant l’obtention d’un plaisir dans les mêmes conditions que le souvenir (ex : les repas de famille). Cependant, pour les représentations associées aux zones érogènes atrophiées, ces conditions ont été changées. Et à l’inverse, la remémoration ne produirait pas de plaisir dans l’après-coup de la modification corporelle, « mais bien une décharge de déplaisir, une sensation interne analogue au dégoût ressenti dans le cas d’un objet » [15]. Alors, le souvenir « pue » et « dégage maintenant la même puanteur qu’un objet actuel. » [15]. Les effets psychiques d’une atrophie corporelle seraient ainsi le refoulement « organique » des représentations et contenus sexuels qui s’attachaient à l’usage de cette partie du corps érogène et, dans l’après-coup, une modification qualitative dans la perception de ces représentations refoulées mais également envers les objets qui s’étaient liés à l’usage érogène de la zone avant la modification corporelle. Pour Freud, l’abandon des zones érogènes antérieurement excitées et investies trouvait sa compréhension phylogénétique dans la modification du rôle des sensations olfactives à la suite de l’acquisition de la bipédie au cours du développement organique humain : « au port vertical, aux narines s’éloignant du sol et, par cela même, une foule de sensation antérieurement intéressantes qui émanant du sol devenaient repoussantes » [15]. Ce premier mythe freudien préexiste à celui du meurtre du père de la horde posé par Freud dans Totem et Tabou en 1915. Et comme ce dernier, il n’indiquerait pas une véritable réalité historique primitive. Il soulève plutôt ici l’idée que le développement physiologique du corps et les modifications corporelles qui en découlent vont produire des effets sur l’investissement libidinal du sujet. Cela modifierait son rapport au monde dans la mesure où l’évolution du corps réel va engager une modification de la posture consciente et inconsciente du sujet face à son monde pulsionnel interne comme aux excitations du monde extérieur. Cette évolution corporelle et psychique se soldant par une modification qualitative consciente de la perception olfactive se retrouve d’ailleurs dans le développement de l’enfant, dans l’intégration progressive de la propreté par exemple [18]. Dans ce contexte par exemple, le développement organique du corps réel se révèle comme allant de pair avec la question de l’éducation, celles du regard de l’autre et de l’introjection des figures du Surmoi parental véhiculant les idéaux normalisateurs du social. Le refoulement « organique » se dévoile ainsi comme mécanisme moteur de l’interaction mutuelle entre le corps, la psyché et l’autre, perc¸u comme objet d’investissements, d’identifications et d’inscriptions familiales et sociétales.

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4. Le refoulement « organique » : de l’infans à la technique Freud rappelait qu’aux origines de la sexualité infantile et du développement organique, les excréments étaient perc¸us positivement par l’infans, car ils lui apparaîtraient comme des parties détachées de son propre corps [18]. Les tendances coprophiles auto-érotiques du petit « pervers polymorphe » diffèrent pourtant largement de l’aspiration culturelle à la propreté prônée par la société. Les adultes et l’entourage vont donc encourager le renoncement à ce sexuel infantile qui ne s’accorderait pas avec les idéaux sociétaux. Et, sous la pression continue de l’éducation, ces premiers moments de plaisir auto-érotique avec les selles laisseront progressivement place au refoulement « organique » de l’érotisme anal et, dans l’après-coup, à la répugnance « normale » lors de la perception des déjections [18]. Mais Freud estimait que cette éducation aurait pu ne pas avoir prise si ces odeurs excrémentielles n’avaient pas subi le même sort que celui réservé aux sensations olfactives excitantes après les modifications corporelles dues à l’évolution physiologique [18]. Car le refoulement « organique », ici de l’érotisme anal, nécessiterait à la fois une assise organique (évolution physiologique du corps) mais aussi une assise psychique (éducation, interdits) pour maintenir les vécus corporels du sexuel infantile et les représentations associées dans l’inconscient. En résumé, le refoulement « organique » provoquerait la diminution de l’érogénéité de la zone atrophiée et un changement dans la perception et l’investissement auto-érotique du corps, de ses parties, et donc de son image. Il engagerait également un renversement dans le contraire de l’investissement libidinal dans la relation du sujet aux objets qui supportaient les représentations liées au plaisir érogène avant l’atrophie. Perc¸us consciemment par le sujet sous des formes déplaisantes, ces objets lui apparaîtront, dans l’après-coup, comme étant liés à une représentation interne « refoulant » désagréablement le souvenir d’un plaisir érogène abandonné. Le dégoût « réactionnel » formé à la suite du refoulement « organique » servirait ainsi à empêcher le retour dans la conscience d’un désir refoulé prenant initialement sa source dans ce plaisir auto-érotique abandonné à la suite de la modification corporelle. Confronté à cette situation nouvelle dans laquelle le plaisir a laissé place au dégoût, le sujet se retrouverait contraint de réagir face au déplaisir suscité par cette représentation le rappelant à son désir refoulé. Et à l’aide d’un substitut objectal ou par la création plus complexe d’une nouvelle relation d’objet, le sujet va chercher d’autres moyens pour accéder de nouveau au plaisir disparu, comme l’enfant en son temps. Pour ce dernier, le refoulement « organique » de l’érogénéité du corps se traduirait par le passage progressif d’un investissement auto-érotique du corps et de l’autre à une différenciation entre l’intérieur et l’extérieur, entre le moi et l’objet. Cela engendrerait le début de l’autonomisation par appropriation du corps propre grâce à la réduction de l’érogénéité, vers le renforcement du pare-excitations et l’avènement du sujet. Mais cela amènerait également la quête de l’objet de plaisir et de satisfaction dorénavant impossible à retrouver dans les mêmes conditions d’érogénéité. Freud se demandait d’ailleurs si les facteurs qui pourraient conduire au refoulement « organique » « ne joueraient pas un grand rôle dans la faculté de l’homme d’acquérir des névroses » [19]. S’appuyant ainsi sur le développement organique de l’humain, sur le fait même que le sujet possède un corps qui va se développer, évoluer, subir des modifications corporelles et des changements physiologiques liés à son évolution interne et externe, entre développement et atrophie de fonctions d’organes, dans le rapport du sujet à son propre corps, le refoulement « organique » trouverait également son maintien grâce à la pression permanente des idéaux sociétaux, à cette forme de normalisation prônée à travers l’éducation parentale et l’édiction d’interdits encoura-

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geant le refoulement de la sexualité infantile. Le refoulement « organique » est donc bien au cœur du « malaise dans la civilisation » évoqué par Freud [18]. Par ailleurs, pour Franc¸ois Villa, un des facteurs du maintien et du renforcement du refoulement « organique » n’est autre que la technique, c’est-à-dire les procédés et dispositifs qui sont utilisés dans les sciences pour dépasser et faire disparaître ce qui peut être considéré aujourd’hui comme des anormalités du corps humain [20]. La technique, par les effets qu’elle produit sur le corps, en le réparant, en l’augmentant, en le diminuant ou en l’esthétisant, permettrait de prolonger voire de renforcer le refoulement « organique » [20]. Le but est d’éviter la levée du refoulement « organique » et avec lui la détresse primaire engendrée par la confrontation avec le réel du corps pulsionnel, avec cette impossibilité fondamentale à domestiquer véritablement l’aspect économique de la vie psychique comme avec la dimension inconsciente du sexuel infantile refoulé. Car ces différents aspects, pourtant constitutifs et structurant pour le sujet, pourraient venir mettre un frein au processus de civilisation dont le maintien repose sur la persistance des effets du refoulement « organique ».

5. Les conséquences de la chirurgie bariatrique sur le refoulement « organique » À la lumière de ces développements et de l’expérience clinique en chirurgie bariatrique, il apparaît que l’intervention va réactiver la dynamique du refoulement « organique » chez le sujet et provoquer un réaménagement libidinal indiqué notamment par l’apparition de modifications olfactives et gustatives. La chirurgie bariatrique entre dans le cadre des dispositifs qui s’inscrivent dans une tentative de maintien du refoulement « organique » dans la mesure où ces nouvelles techniques de réduction chirurgicale de l’estomac réalisent l’atrophie partielle d’une fonction d’organe et posent ainsi les bases sur lesquelles va pouvoir s’étayer le refoulement « organique ». Si ce socle organique se complète des recommandations médicales sur l’alimentation après l’intervention, le refoulement « organique » va aussi pouvoir se maintenir grâce au discours sociétal ambiant prônant l’esthétisation du corps et la maîtrise performative des fonctions et se renforcer de l’éducation « organo-psychique » provoqué par l’apparition de certains symptômes (dumping, reflux, etc.) contraignant le patient à modifier son comportement alimentaire (réduction des quantités, régulation de la vitesse d’ingestion, etc.). Le refoulement « organique » trouve ainsi son point de jonction organique et psychique pour le maintien inconscient de la sexualité infantile. Après la chirurgie, la confrontation avec des aliments qui provoquaient antérieurement une certaine forme de satisfaction va engager le patient sur la voie du souvenir du « plaisir de manger ». Mais, comme le disait déjà Freud, cela ne provoque ici que déplaisir devant cet objet alimentaire causant le rappel mnésique des excitations procurant antérieurement du plaisir mais qui, après la chirurgie, sont devenues sources de malaises et d’inconfort somatique. L’organisation corporelle qui permettait l’accès au « plaisir de manger » comme à l’excitation de certaines zones érogènes est différente après la réduction de l’estomac et les conditions du déplaisir sont plus puissantes économiquement que celles qui donnaient accès au plaisir par la même voie avant la chirurgie. Par actualisation du refoulement « organique », les représentations qui convoquaient le sujet au lieu d’un plaisir auto-érotique organique et psychique perdu après la chirurgie sont refoulées du champ de la conscience. Et, signant le succès du refoulement « organique », l’objet alimentaire, qui se liait par association à ces représentations, est ensuite perc¸u consciemment par le sujet comme vecteur de déplaisir. Cet objet alimentaire, auparavant source de plaisir et de satisfaction érogène chez le sujet, devient ainsi objet de dégoût et de révulsion, afin d’être mis à distance du sujet.

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Ces modifications olfactives et gustatives porteraient ainsi le message ambivalent du plaisir comme celui de son renoncement. Ce déplaisir psychosensoriel sélectif indiquerait alors non seulement l’impact des modifications corporelles de la chirurgie bariatrique sur la vie psychique du sujet obèse opéré mais représenterait également une voie d’accès pour la verbalisation de souvenirs en lien à l’édification de la construction symptomatique de l’obésité. En effet, l’apparition de ces changements ouvrirait un point d’entrée vers certains souvenirs-écrans [21] construits par le sujet pour mettre à distance un désir refoulé trouvant régulièrement maille à partir avec sa construction symptomatique. Chez Proust, le souvenir du « morceau de madeleine trempé dans le tilleul » [22] réactivé à la perception de l’odeur émanant du fameux gâteau jadis offert par sa tante, ne masquerait-il pas la métaphore d’une pénétration homosexuelle et d’un désir refoulé derrière la réminiscence d’une scène enfantine avec cette tante qui s’avérait être une figure de la bisexualité pour le jeune homme ? Ce déplaisir provoqué à présent par le souvenir de la zone érogène abandonnée va engager le sujet opéré à trouver d’autres solutions de régulation pour assurer son homéostasie psychique après le refoulement « organique » et accéder de nouveau au plaisir comme à la satisfaction de son désir par d’autres moyens moins « dangereux » après la chirurgie. Certains patients s’appuient ainsi sur les effets corporels de l’intervention pour tenter de se réapproprier leur corps afin de sortir d’une position subjective étouffante, comme pour ces patients qui rapportent que la restriction organique vient faire office de nouvelle limite « interne » empêchant les répétitions hyperphagiques [23]. De même, les modifications psychosensorielles viennent aussi faire limite « externe » et leur persistance durablement après l’intervention attesterait qu’un remaniement psychique était inconsciemment visé par le sujet, dans cette optique de mettre à distance certains souvenirs conflictuels. Comme chez cette patiente pour qui une modification gustative, maintenue des années après l’intervention et la stabilisation de son poids, référait à un souvenir traumatique vécu enfant et en lien à la construction symptomatique de son obésité qu’il s’agissait ainsi de mettre à distance, ce qu’elle faisait en évitant l’aliment de manière presque phobique depuis la chirurgie. Mais d’autres en viennent paradoxalement à reprendre le poids perdu, conduisant ainsi à l’échec général de la thérapeutique engagée. D’ailleurs, bien que les modifications olfactives et gustatives semblent être en étroite corrélation avec la perte de poids puisque les patients présentant ces changements perceptifs sont ceux dont la diminution du poids est la plus importante comparée à des patients n’en présentant pas, ces changements psychosensoriels sont généralement temporaires et la disparition du « nouveau » dégoût olfactif et/ou gustatif convoque « l’ancien » plaisir de manger oral mais souvent avec lui la reprise du poids perdu. Le maintien économique du refoulement « organique » aurait un prix : celui d’un investissement permanent du sujet – qui y trouve des bénéfices secondaires – pour que le noyau de ce refoulement continue d’attirer à lui les représentations conflictuelles [24]. De plus, la modification corporelle doit être définitive pour que se produise un désinvestissement de la zone érogène sous l’effet du refoulement « organique ». Deux conditions absolument nécessaires au maintien du refoulement « organique ». Sans prendre en compte les malfac¸ons chirurgicales conduisant à un échec, c’est par exemple par le déplacement voire par la création de symptôme que le sujet opéré se chercherait de nouveaux moyens d’accès au plaisir, à la satisfaction, à l’expression de sa vérité inconsciente, malgré les modifications corporelles. Symptômes qui pourraient alors venir court-circuiter les effets de la chirurgie, « bypasser le bypass » et faire fi des effets spécifiques du refoulement « organique » en les contournant. Après l’opération, dans les comportements alimentaires post-opératoires, peuvent apparaître ainsi des grignotages de petites quantités toute la journée ou des conduites alimentaires performatives idéalisées où il s’agit de tester les nouvelles limites organiques. Ou encore des conduites

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anorexiques-boulimiques avec un retour de la destructivité sur le corps propre jusqu’à la dénutrition et aux carences avec un déni de la sensation de faim soutenue par la chirurgie. Ou, à l’opposé, des moments où cette sensation de faim ne connaît pas de fin, impérative jusqu’au passage à l’acte par la prise alimentaire dans des épisodes d’incorporation massive avec vomissements provoqués malgré la chirurgie. De plus, l’influence du monde extérieur sur la dynamique du refoulement « organique », par ses effets potentiellement traumatiques et de réaménagements libidinaux sur le corps et le monde intérieur du sujet (médications, accidents, agressions, etc.), peut aussi amener le sujet à retomber dans des solutions qui amèneraient en définitive à la reprise du poids perdu. Ce qui avait conduit en son temps le sujet de l’inconscient à mettre en place cette construction symptomatique, dans laquelle l’obésité pouvait tenir une place importante, resterait toujours « vivace » dans la psyché, prêt à resurgir si les conditions d’accès au plaisir reprenaient leurs formes initiales ou encore si les bénéfices secondaires n’étaient pas à la hauteur du sacrifice exigé. Et les anciennes conduites de recherche de satisfaction qui avaient amené l’obésité avec elles pourraient faire retour. Le sujet divisé ne résisterait-il pas aux effets des modifications corporelles pour énoncer une vérité ou une demande restée inexprimable malgré la transformation corporelle et subjective proposée par la chirurgie bariatrique ?

6. Conclusion Les enjeux psychiques dans l’échec d’une chirurgie bariatrique restent encore à développer car les conséquences d’une chirurgie de l’obésité relèvent de modalités transversales qui doivent être explorées sur le long terme. Cette étape dans le parcours de soin d’un patient en situation d’obésité est notamment traversée par des enjeux subjectifs importants [25] invitant à porter attention aux éléments psychiques spécifiques présents dans la problématique de l’obésité [25]. Car dans certains cas, leurs effets sur le processus thérapeutique peuvent entraîner, voire aggraver certains troubles psychiques préexistants, mettant alors en scène, à travers le corps, le conflit psychique préexistant et non élaboré. Il conviendrait ainsi de prendre en considération l’impact des éléments spécifiques présents dans la construction symptomatique de l’obésité (oralité, image du corps, structuration familiale), en fonction de leurs différentes modalités d’expression pour chaque sujet, sur le refoulement « organique » après la chirurgie. « Ce n’est pas mon estomac qui demande, c’est ma bouche qui l’exige » [26] interpellait déjà cette patiente. Mais il s’agirait également de cerner, dans la construction symptomatique propre à chaque sujet, les formes prises originairement par le refoulement « organique » avant même son actualisation par la modification corporelle. Pierre Fédida disait également à propos de la bouche comme zone érogène fondamentale : « les organes intermédiaires entre bouche et anus sont réservés à l’hypocondrie du transit digestif, et la réassurance qu’ils comportent ne parviendra pas à domestiquer la bouche-anus de la violence physique de l’amour ! » [27]. Ces démarches sont essentielles pour comprendre les éléments psychiques conduisant à une impasse thérapeutique dans le traitement chirurgical de l’obésité, afin d’améliorer la prise en charge, limiter une rechute de la maladie et accompagner les patients demandeurs dans leur démarche. Car entre le corps obèse et le corps opéré, entre le corps propre et l’organe réduit, dans ce nouveau rapport à l’alimentation, la subjectivité vient chercher régulièrement un moyen d’expression qu’elle peut exprimer par un trouble, un malaise, un symptôme, une acceptation douloureuse ou douteuse et qui vient recouvrir bien généralement, la recherche d’une forme de reconnaissance d’un désir singulier. Comment comprendre alors la demande de chirurgie

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bariatrique, dans une société contemporaine agitée par la passion des chiffres et la performativité, où le sujet tend à être réduit à un corps-identité modifiable et perfectible ? Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Grangeard-Polard C. Obésité mentale ? La clinique lacanienne, 13; 2008. p. 129–46. [2] Organisation mondiale de la santé. Obésité et surpoids. In: Aide-mémoire; 2015. p. 311 [http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs311/fr/]. [3] Lecomte P, Marmuse JP. Treatment of morbid obesity by adjustable silicone gastric banding. A new surgical technique of gastroplasty for obesity. J Chir Viscerale 1996;133:226–8. [4] Arapis K, Chosidow D, Lehmann M, Bado A, Polanco M, Kamoun-Zana S, et al. Long-term results of adjustable gastric banding in a cohort of 186 super-obese patients with a BMI 50 kg/m2 . J Visceral Surg 2012;149:143–52. [5] Mognol P, Chosidow D, Marmuse JP. Laparoscopic gastric bypass versus laparoscopic adjustable gastric banding in the superobese: a comparative study of 290 patients. Obesity Surg 2005;15:76–81. [6] Mognol P, Marmuse JP. Sleeve gastrectomy: a new approach to bariatric surgery. J Chir Viscerale 2007;144:293–6. [7] Marmuse JP, Parenti LR. Gastric bypass. Principles, complications, and results. J Visceral Surg 2010;147:31–7. [8] Schaaf C, Iannelli A, Gugenheim J. État actuel de la chirurgie bariatrique en France. E-mémoires de l’Académie nationale de chirurgie 2015, 14; 2015. p. 104–7 [http://www.academie-chirurgie.fr/ememoires/005 14 2 104(107.pdf]. [9] Sjostrom L, Lindroos AK, Peltonen M, Torgerson J, Bouchard C, Carlsson B, et al. Lifestyle, diabetes, and cardiovascular risk factors 10 years after bariatric surgery. N Engl J Med 2004;351:2683–93. [10] Martincic C, Balcaen T, Georges A, Baro E, Ficheur G, Chazard E. La chirurgie bariatrique en France de 2008 à 2014 : triplement de l’activité et fort recul de l’anneau gastrique. Rev Epidémiol Sante Publique 2017;65:S20. [11] Assoun PL. Corps et symptôme. Lec¸ons de psychanalyse. Paris: Economica/Anthropos; 2009. [12] Schaal B. Olfaction et processus sociaux chez l’homme : bref bilan. Rev Int Psychopathol 1996;22:387–421. [13] Graham L, Murty G, Bowrey DJ. Taste, smell and appetite change after Roux-en-Y gastric bypass surgery. Obesity Surg 2014;24:1463–8. [14] Miras AD, Le Roux CW. Bariatric surgery and taste: novel mechanisms of weight loss. Curr Opin Gastroenterol 2010;26:140–5. [15] Freud S. Lettres à Wilhelm Fliess. In: La naissance de la psychanalyse (1887-1902). Paris: PUF; 2009. p. 203–8. [16] Freud S. Fragment d’une analyse d’hystérie (1905). In: Cinq psychanalyses. Paris: PUF; 2006. p. 1–91. [17] Freud S. Abrégé de psychanalyse (1938). Paris: PUF; 2001. [18] Freud S. Le malaise dans la civilisation (1930). Paris: Points; 2010. [19] Freud S. L’homme aux rats (1909). In: Cinq psychanalyses. Paris: PUF; 2006. p. 199–261. [20] Villa F. Le refoulement organique et les progrès techniques de la médecine. Cliniques méditerranéennes, 76; 2007. p. 45–60. [21] Freud S. Sur les souvenirs-écrans (1899). In: Névrose, psychose et perversion. Paris: PUF; 2010. p. 113–32. [22] Proust M. Du côté de chez Swann (1913). À la recherche du temps perdu, 1. Paris: Gallimard; 1988. p. 47. [23] Navaron A, Corcos M. Le corps tombe : l’obésité massive entre cannibalisme et bistouri. Evol psychiatr 2015;80:362–74. [24] Freud S. Le refoulement (1915). In: Métapsychologie. Paris: Gallimard; 1993. p. 45–63. [25] Leduc C, Gault C, Gheorghiev C. Enjeux psychiques de la chirurgie bariatrique. Ann Medico-psychol 2017, http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.11.014 [consulté le 10/06/2017]. [26] Bruch H. Les yeux et le ventre. L’obèse, l’anorexique. Paris: Payot & Rivages; 1973. p. 153. [27] Fédida P. Par où commence le corps humain ? In: Par où commence le corps humain. Retour sur la régression. Paris: PUF; 2000. p. 29–43.