Deux cas d’éléphantiasis pénoscrotal traités par la technique d’Ouzilleau

Deux cas d’éléphantiasis pénoscrotal traités par la technique d’Ouzilleau

Annales de chirurgie plastique esthétique (2011) 56, 265—268 CAS CLINIQUE Deux cas d’éléphantiasis pénoscrotal traités par la technique d’Ouzilleau ...

340KB Sizes 0 Downloads 31 Views

Annales de chirurgie plastique esthétique (2011) 56, 265—268

CAS CLINIQUE

Deux cas d’éléphantiasis pénoscrotal traités par la technique d’Ouzilleau Two cases of penoscrotal elephantiasis treated by Ouzilleau’s surgical procedure H. Kossoko, C.K. Allah *, M. Richard Kadio, S. Yéo, V. Assi-Djè Bi Djè ´ tique, chirurgie de la main et bru ˆ lologie du CHU de Treichville-Abidjan, Service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthe 01 BP V3 Abidjan, Cote d’Ivoire Rec¸u le 28 novembre 2008 ; accepte´ le 1 juillet 2009

MOTS CLÉS Eléphantiasis pénoscrotal ; Filariose ; Lambeaux locaux

KEYWORDS Penoscrotal elephantiasis; Filariosis; Local flaps

Résumé Les auteurs rapportent deux cas d’éléphantiasis pénoscrotal opérés selon la technique d’Ouzilleau. Le caractère indolent de ces grosses bourses épaissies avec une verge enfouie ou en battant de cloche justifiait le retard à la consultation, la durée d’évolution allant de six à sept ans. Si la filariose est l’étiologie la plus incriminée sous les tropiques, ici, l’étiologie est restée méconnue dans nos deux cas. L’éléphantiasis du scrotum et de la verge est responsable d’une gène esthétique et surtout fonctionnelle sévère. L’exérèse d’une masse cutanée importante avec reconstruction du scrotum et de la verge par des lambeaux locaux constitue un moyen important pour rétablir un confort de vie au patient. # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Two cases of penoscrotal elephantiasis treated following Ouzilleau’s technique. The authors present two cases of penoscrotal elephantiasis operated following Ouzilleau’s technique. This pathology is characterized by his painless, that the reason of a long time evolution and hence in consultation. Filariosis is the common etiology in tropical area. In our cases, the aetiology is unknown. Scrotal and penis elephantiasis is responsible of aesthetic and functional embarrassment. Resection of a considerable cutaneous mass associated with a reconstruction of the scrotal purse and the cutaneous sleeve of the penis using local flaps remain the suitable means to give a comfort of life. # 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C.K. Allah).

L’éléphantiasis est un épaississement fibreux de la peau et du tissu sous-cutané, en rapport avec une lymphangite aiguë à répétition. Les membres inférieurs sont les plus concernés.

0294-1260/$ — see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2009.07.001

266 Aux organes génitaux externes, il réalise une monstruosité associant un volumineux scrotum à une verge épaissie ou enfouie, empêchant non seulement la marche, mais aussi et surtout les rapports sexuels [1]. Il s’agit d’une pathologie rare, notamment dans les pays occidentaux [2], mais grave par la transformation à plus au moins long terme de la lésion en un cancer lymphatique de mauvais pronostic, le lymphangiosarcome [3]. L’exérèse de la masse fibreuse associée à une plastie pénoscrotale faisant appel à la technique d’Ouzilleau permet de corriger la monstruosité des organes génitaux externes et de redonner du moral au patient qui retrouve une activité sexuelle quasi normale. Nous rapportons ici deux cas d’éléphantiasis pénoscrotal opérés selon la technique d’Ouzilleau. Les résultats esthétiques et fonctionnels ont été satisfaisants.

H. Kossoko et al.

Figure 2 Dessin des lambeaux et suture (cas 1). a : A est lambeau pénien dessiné ; b : suture des lambeaux sur un fourreau pénien désinvaginé ; B et C sont lambeaux destinés à la reconstruction du scrotum.

Cas cliniques Cas no 1 Un patient de 20 ans était reçu à la consultation le 11 octobre 2001 pour un éléphantiasis du scrotum et de la verge (Fig. 1). La lésion évoluait depuis six ans environ et le début était insidieux. Il était marqué d’abord par une dermatose vésiculeuse pénoscrotale répétitive, une hyperthermie, des polyarthralgies ; puis une augmentation progressive du volume des bourses et de la verge qui interdisait tout rapport sexuel. Il n’y avait pas de troubles mictionnels associés. Le patient ne présentait aucun antécédent notamment de cure herniaire, ni d’infection sexuellement transmissible. La recherche d’autres antécédents infectieux était infructueuse. À l’examen clinique, les bourses étaient volumineuses et mesuraient 42 centimètres de diamètre. Elles descendaient jusqu’au tiers supérieur des cuisses. La peau scrotale et pénienne était épaissie, indurée, indolore, non élastique. Elle était le siège de lésions papulonodulaires et des ulcérations. La peau du fourreau pénien était saine. Les testicules, les cordons et leurs éléments n’étaient pas palpables. La verge était boudinée, volumineuse, et restait appendue au scrotum en battant de cloche. Le reste de l’examen somatique était normal. Le bilan étiologique à la

Figure 3

Aspect postopératoire (cas 1), vue dorsale du pénis.

recherche de microfilaires était négatif. La recherche d’une étiologie compressive était infructueuse. L’examen anatomopathologique de la pièce d’exérèse était en faveur d’une pachydermie sans préjuger de son étiologie. Au total : il s’agissait d’un éléphantiasis pénoscrotal isolé. L’exérèse chirurgicale de la masse éléphantiasique était réalisée le 6 novembre 2001. Les testicules et le cordon étaient macroscopiquement sains de même que l’urètre pénien. La reconstruction scrotale et pénienne était réalisée, d’une part, par deux lambeaux latéraux pour le scrotum et, d’autre part, par un grand lambeau cutané local dorsal dégraissé pour la verge (Fig. 2a et b). L’hospitalisation était courte de cinq jours. Les suites opératoires étaient simples. Les résultats esthétiques et fonctionnels étaient bons (Fig. 3). Revu cinq mois plus tard, il n’y avait pas de récidives, et l’érection était correcte. On notait, par ailleurs, une diminution de volume de l’ensemble pénoscrotal. À l’examen, huit années après (juin 2009), on notait une amélioration des résultats esthétiques et fonctionnels (Fig. 4).

Cas no 2

Figure 1 Eléphantiasis pénoscrotal avec un pénis en battant de cloche (cas 1).

Monsieur Z. Mathias, 40 ans, père de deux enfants, consultait le 28 mars 2002 pour un éléphantiasis du scrotum et de la verge (Fig. 5). La lésion évoluait depuis sept ans environ et le début était progressif. Il était marqué par une dermatose vésiculeuse scrotale, répétitive, associée à une adénite inguinale droite, et une augmentation progressive des bourses et de la verge. Il n’y avait pas de signes urinaires associés. Le patient ne présentait aucun antécédent de cure herniaire, ni d’infection sexuellement transmissible, ni de

Deux cas d’éléphantiasis pénoscrotal traités par la technique d’Ouzilleau

Figure 4

Aspect à huit ans postopératoires, vue de face (cas 1).

Figure 5

Eléphantiasis pénoscrotal avec verge enfouie (cas 2).

Figure 6 Dessin des lambeaux et suture (cas 2). a : insision avec lambeau dorsal découpé d’emblée ; b : suture des lambeaux ; A : lambeau pénien ; B et C : lambeaux scrotaux.

Figure 7

radiothérapie. L’examen clinique montrait un volumineux scrotum, qui mesurait 68 centimètres de diamètre. Sa paroi était épaissie, indurée, non élastique et indolore. Cette masse scrotale descendait jusqu’au genou. La peau scrotale portait de nombreuses éruptions papulonodulaires et des ulcérations, fétides. La verge avait une peau épaissie mais relativement saine. Elle était retroussée en doigt de gant et enfouie dans la masse scrotale. Les signes associés se composaient d’un œdème blanc, mou, prenant le godet aux membres inférieurs et des adénopathies inguinales. Le reste de l’examen somatique était normal. L’exérèse large de la masse scrotale éléphantiasique associée à une plastie pénoscrotale était réalisée le 9 avril 2002 comme le résume la Fig. 6a et b. Les suites opératoires étaient simples. Le temps d’hospitalisation était court de quatre jours. L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire était en faveur d’une pachydermie sans préjuger de son étiologie. Au total : il s’agissait d’un éléphantiasis pénoscrotal associé à un lymphœdème des membres inférieurs. Les résultats postopératoires étaient bons (Fig. 7). Notons, par ailleurs, que le malade a disparu.

267

Aspect postopératoire (cas 2), vue dorsale.

Discussion L’augmentation du volume des bourses est un motif fréquent de consultation en chirurgie. Mais très peu sont les patients fatigués des tours et détours de tradithérapeutes, qui consultent pour un scrotum volumineux, épaissi, lourd et indolore, ayant perdu son élasticité, et évoluant depuis plusieurs mois ou années. Le diagnostic d’un éléphantiasis des organes génitaux externes est essentiellement clinique. La difficulté réside dans la recherche étiologique. En effet, l’étiologie reste le plus souvent inconnue [2]. C’est le cas de nos deux patients. L’éléphantiasis des organes génitaux externes est une affection rare mais grave du fait de la gêne fonctionnelle dont elle est responsable mais aussi et surtout par sa transformation en un cancer lymphatique de mauvais pronostic [3]. L’atteinte scrotale est isolée ou associée à un éléphantiasis de la verge. Comme le souligne Gentilini [1], la pachydermie peut entraîner des infirmités monstrueuses. L’éléphantiasis des organes génitaux externes atteint avec prédilection l’homme [4]. Cette pathologie s’observe surtout dans les zones d’endémie filarienne, à partir de la

268 quatrième décennie selon Halila et al. [5]. Un de nos malades avait 40 ans, le second patient était plus jeune. Il n’est pas rare de trouver des éléphantiasis péniens même chez le nourrisson [6]. Pour l’auteur, ils seraient dus à un remaniement local au niveau des échanges vasculaires secondaire à une circoncision. Les signes au début de la maladie sont presque toujours les mêmes : fièvre, douleur des bourses et de la région inguinale, adénite satellite. C’est un syndrome inflammatoire dont le caractère répétitif doit attirer l’attention. Devant ces troubles, on pourrait opposer une origine microbienne à une origine filarienne surtout que l’aspect très inflammatoire conduit à rechercher une composante microbienne. Dès lors, la théorie filarienne défendue par Manson [7] se trouve difficile à confirmer. Pour Wise et Minette [8], il s’agit d’une altération lymphaticoganglionnaire liée à la filariose, grevée par une lymphangite streptococcique. L’interrogatoire retrouve difficilement les traces d’une infection. Très souvent, c’est en présence d’une sténose urétrale associée à l’éléphantiasis pénoscrotal que l’on en fait le lien de causalité [6]. L’infection à chlamydia trachomatis a été incriminée par Aggarwal et al. [9]. Nos malades ne présentaient pas de troubles mictionnels qui pouvaient orienter vers une sténose urétrale. En zone d’endémie filarienne, seule la bancroftose est à l’origine d’éléphantiasis [1]. L’endémie filarienne, avec ses éléphantiasis monstrueux a pris du recul dans la littérature [10], notamment grâce à la lutte contre les moustiques vecteurs et leurs gîtes, déjà entreprise dans le cadre du paludisme. Le nombre sans cesse croissant de porteurs sains pourrait expliquer le nombre moindre de patients présentant les signes de la maladie. L’éléphantiasis a souvent une origine congénitale [3]. Cependant, le gène responsable de la distribution du lymphœdème reste jusqu’à présent inconnu [11]. L’éléphantiasis pénoscrotal peut être isolé (cas 1) ou associé à un éléphantiasis des membres inférieurs (cas 2). À ce stade de la maladie, il n’est nul besoin de drainage lymphatique de posture, ni de suspensoir qui sont inefficaces. Les opérations cherchant à améliorer le drainage lymphatique ont abouti à des échecs [12], la perméabilité des anastomoses lymphaticoveineuses étant temporaire [5], ce qui pourrait même aggraver cette obstruction lymphatique. Le traitement de l’éléphantiasis pénoscrotal est essentiellement chirurgical. Sa mise en œuvre a été simplifiée depuis les travaux de Ouzilleau [13]. Elle consiste en une exérèse large du tissu éléphantiasique de la verge et du scrotum. Le contenu épididymo-testiculaire est pratiquement toujours respecté [5]. C’est essentiellement cette technique que nous avons utilisée avec ses deux variantes, la première variante (Fig. 2) pour le cas 1 et la seconde variante (Fig. 6) pour le second cas. Les résultats fonctionnels et esthétiques sont améliorés par :  la reconstruction plastique d’un néoscrotum, par des lambeaux cutanés de voisinage ;  la réalisation d’une greffe cutanée en colimaçon au niveau de la verge, lui donnant un aspect normal qui permet de réaliser l’acte sexuel. Nous n’en avons pas fait l’expérience.

H. Kossoko et al. Cependant, même si le lambeau cutané conserve à la verge toute sa sensibilité, il reste encore trop épais pour permettre une intromission facile lors de l’acte sexuel. Un dégraissage secondaire du lambeau s’impose. Concernant le premier patient, le dégraissage du lambeau pénien réalisé en peropératoire n’a pas altéré sa viabilité. Quant au cas 2, la peau du fourreau pénien était relativement saine et a facilité la couverture du pénis. Concernant la greffe cutanée, elle donne à la verge un aspect normal, avec une sensibilité tardive ; le seul inconvénient étant la rétraction qui est quasi imprévisible. N’doye et al. [6] ont utilisé la technique de Quartey avec 90 % de résultat satisfaisant. Le temps d’hospitalisation était court de quatre à cinq jours. Avec un recul de cinq ans pour le premier patient et huit ans pour le second, nous n’avons pas observé de récidive locale pour nos cas opérés. Le volume de l’unité pénoscrotale a considérablement diminué.

Conclusion L’éléphantiasis pénoscrotal est un véritable handicap physique. Même si la bancroftose en est la cause habituelle en zone d’endémie filarienne, la cause n’est pas toujours retrouvée. À l’heure actuelle, les étiologies bactériennes ne sont pas négligeables. Seule la correction plastique de cette monstruosité permet au malade de retrouver une vie relationnelle satisfaisante. La surveillance doit être longtemps poursuivie.

Références [1] Gentilini M. Filarioses. In: Médecines tropicales. Paris: Flammarion—Médecine Science; 1993. [2] Masia DR, Castus P, Delia G, Caoli V, Martine D. Un cas d’éléphantiasis scrotal iatrogène : reconstruction de la bourse scrotale et de l’étui cutané de la verge à l’aide de lambeaux cutanés locaux. Ann Chir Plast Esthet 2008;53:79—83. [3] Cerri A, Gianni C, Corbellino M, Pizzuto M, Moneghini L, Crosti C. Lymphangiosarcoma of the pubic region: a rare complication arising in congenital non — hereditary lymphedema. Europ J Dermatol 1998;8(7):511—4. [4] Carme B, Laigret J. Eléphantiasis en Polynésie française. Étude portant sur 274 sujets, aspects épidémiologiques et cliniques. Soc Pathol Exot 1965;58:895—916. [5] Halila M, Ounaes A, Saadani H, Braiek S, El Kamel R, Jemni M. L’éléphantiasis scrotal. Prog Urol 2003;13:140—2. [6] Ndoye A, Diao B, Fall PA, Ze Ondo C, Diallo Y, Gueye SM, et al. Eléphantiasis des organes génitaux externes : aspects cliniques et thérapeutiques. Acad Nat Chir 2003;2(2):39—42. [7] Manson P. Tropical phlebetis. East Afr Med J 1955;32(6):166—8. [8] Wise KS, Minette EP. Septicoemia and filaria bancrofti. Trop Dis Bull 1913;2:94. [9] Aggarwal K, Jain VK, Gupta S. Bilateral groove sign with penoscrotal elephantiasis. Sex Transm Inf 2002;78:458. [10] Karam M, Ottesen EA. La lutte contre les filarioses lymphatiques. Med Trop 2000;60(3):203—95. [11] Cuenco KT, Halloran ME, Lammie PJ. Assessment of families for excess risk of lymphedema of the leg in lymphatic filariasis — endemic area. Am J Trop Med Hyg 2004;70(2):185—90. [12] Dufourmentel C, Mouly R. Chirurgie plastique. Paris: Flammarion—Médecine Science; 1959. [13] Ouzilleau J. Eléphantiasis au Congo et Onchocerca Volvulus. Press Med 1923;31:617.