Dictionnaire biographique de psychiatrie par des membres de la societe Medico-Psychologique : Henri Dagonnet (1823-1902)

Dictionnaire biographique de psychiatrie par des membres de la societe Medico-Psychologique : Henri Dagonnet (1823-1902)

Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 610–612 Dictionnaire biographique de psychiatrie par des membres de la société Médico-Psychologique Disponib...

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Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 610–612

Dictionnaire biographique de psychiatrie par des membres de la société Médico-Psychologique Disponible sur internet le 30 juillet 2004

Henri Dagonet (1823-1902) Henri Dagonet est né le 4 février 1823 à Châlons-sur-Marne (maintenant Châlons-en-Champagne), où son père, lui-même médecin, fondait en 1831 l’asile d’aliénés qu’il allait diriger jusqu’à sa mort prématurée. Suivant les traces paternelles, Dagonet entreprend des études de médecine à la faculté de Paris, tout en fréquentant les services hospitaliers de Ferrus et de Rostan. Il occupe un poste d’interne à l’asile d’aliénés de FainsVéel (Meuse), sous la direction de Renaudin, qu’il reconnaîtra comme son seul maître en psychiatrie. Son premier article, « Remarques médico-légales sur le nommé F. T. », qui paraît en 1848 dans les Annales médico-psychologiques, dénote un intérêt précoce qui ne se démentira pas pour la législation psychiatrique. Il est suivi en 1849 par une autre étude de cas : « Monomanie. Extension graduelle du délire. Démence consécutive. » Le 11 mai de la même année, il soutient à Paris sa thèse de médecine, « Considérations médico-légales sur l’aliénation mentale ». Il adresse deux jours plus tard quelques exemplaires de ce travail au ministre de l’Intérieur, avec une lettre de sollicitation : « J’ai l’intention de me consacrer comme mon père à la carrière de l’aliénation mentale. Mes études depuis quelque temps se sont dirigées plus spécialement vers ce but et j’ai l’espoir que le sujet de cette thèse que j’ai travaillé consciencieusement et quelques articles sur la matière qui ont été insérés dans les Annales médico-psychologiques pourront m’attirer votre bienveillante attention. Je viens dans ce but vous prier, quand les circonstances le permettront, de vouloir bien me confier la direction médicale d’un asile d’aliénés. » C’est seulement un an plus tard qu’il obtient la place convoitée. Alors qu’il occupait depuis juin 1849 un poste d’interne à l’asile de Maréville, auprès de Morel, il apprenait le 5 juillet 1850 sa nomination comme médecin en chef de l’asile de Stephansfeld à Brumath (Bas-Rhin). Il commençait peu après à publier une série d’articles et de rapports statistiques dans la Gazette médicale de Strasbourg. Le 15 novembre 1853, il était nommé à trente ans au concours d’agrégation ouvert devant la faculté de Strasbourg, dans la section de médecine, après avoir soutenu une thèse sur « La respiration et 1’hématose dans les maladies ». Selon le rédacteur de l’article nécrologique paru en 1902 dans les Archives de Neurologie, « le rôle que Dagonet joua à la faculté de Strasbourg fut considérable. Il inspira de nombreuses thèses sur l’aliénation mentale. Mais il eut surtout le mérite de fonder à Strasbourg le premier enseignement officiel de psychiatrie. Ses cours furent doi:10.1016/j.amp.2004.06.012

également suivis par les élèves de l’école de santé militaire et tous les médecins de l’armée qui ont passé par Strasbourg se rappellent cet enseignement clair, précis, méthodique, dépouillé de tout caractère doctrinal, professé à l’amphithéâtre de la faculté et au lit du malade, si utile aux médecins de l’armée qui ont à juger à chaque instant l’état mental de jeunes soldats traduits devant les tribunaux militaires ». Ce n’est donc pas Krafft-Ebing qui inaugura, après l’annexion de 1871, l’enseignement universitaire de la psychiatrie à Strasbourg, comme on l’écrit souvent. En 1862 paraissait la première édition du Traité des maladies mentales, fruit de son enseignement alsacien. Peu après celui de Morel (1860) et la même année que celui de Marcé (1862), ce livre peut être considéré comme l’un des premiers traités français magistraux de médecine mentale, les ouvrages synthétiques alors publiés consistant jusque-là essentiellement en recueils d’articles (ainsi du manuel d’Esquirol en 1838 et de celui de Jean-Pierre Falret en 1864). On n’en trouve l’équivalent, bien plus tard, que chez Régis (1884), Rogues de Fursac (1900), puis G. Ballet (1903). Preuve du succès persistant de l’œuvre, deux nouvelles éditions suivront, refondues et complétées, en 1876 (comportant pour la première fois des photographies d’aliénés), puis en 1894. Une reproduction de l’édition de 1876 est parue en 1998, préfacée par J.-F. Allilaire. Le 4 février 1867, Dagonet devenait, avec Prosper Lucas, l’un des deux premiers médecins chefs de l’asile SainteAnne qui ouvrait alors ses portes à Paris. L’inspecteur général Girard de Cailleux dirigeait l’établissement et son bureau central d’examen des aliénés de la Seine. Magnan était interne. Ce dernier appréciait particulièrement le traité de Dagonet, « ouvrage devenu classique, répandu non seulement en France, mais aussi à l’étranger, qui a servi de guide à plusieurs générations de médecins ». Dagonet « avait eu à cette époque de nombreux et d’éminents compétiteurs, mais il avait dû surtout sa nomination à sa situation universitaire, qui avait déterminé le baron Haussmann, préfet de la Seine, à le choisir entre tous ». Dans le climat de contestation républicaine du Second Empire finissant, quelques murmures s’élèvent contre la nomination de ce provincial n’ayant pas passé les concours de l’Assistance Publique de Paris (Delasiauve dans le Journal de Médecine mentale). Dagonet reste à son poste pendant la Commune, transformant son service en ambulance. Mais, après 1871 et le limogeage de Girard de Cailleux, il doit affronter une suite d’offensives de l’administration et « lutter contre des adversaires acharnés qui, en voulant surtout à sa place, ne reculèrent devant rien pour arriver à leurs fins » (J. Christian, cité par Sémelaigne).

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Il entame avec Prosper Lucas et Magnan en 1873 un enseignement clinique officieux, qui doit se dérouler le dimanche matin. Sa leçon du 23 mars déclenche une campagne de presse du Figaro, dénonçant la supposée exhibition publique des aliénés. Suspendu par arrêté préfectoral, l’enseignement de Dagonet ne reprit qu’en 1876. Probablement sans illusions sur ses chances, il ne pose pas sa candidature à la nouvelle chaire de clinique des maladies mentales, créée à Sainte-Anne en 1877, et laisse le champ libre à Magnan (dont la compétition avec Benjamin Ball aboutit, comme on sait, à la nomination de ce dernier). Dagonet doit affronter en 1881 une dernière cabale orchestrée par le directeur de Sainte-Anne et un conseiller municipal parisien, à la suite de la mort subite d’un malade de son service (l’affaire sera classée et le directeur muté). Membre correspondant de la Société médico-psychologique à partir de 1858, Dagonet la préside en 1885. C’est à ce titre qu’il prononce le discours d’inauguration de la statue de Pinel, érigée devant la Salpêtrière. Il prend sa retraite en 1888, à 65 ans, et meurt le 4 septembre 1902. Son fils, Jules Dagonet, fera lui aussi une carrière d’aliéniste et deviendra également médecin-chef de l’asile Sainte-Anne. Les travaux scientifiques de Dagonet comprennent, outre son traité, une cinquantaine d’articles signés de son seul nom, portant sur la clinique, les classifications, les statistiques, la thérapeutique (hydrothérapie, chloroformisation) et surtout la psychiatrie légale (organisation des asiles, projets de réforme de la loi de 1838, expertise, criminologie). Certains de ses travaux ont été publiés sous forme de brochures : « La folie impulsive » (1870), « La stupidité » (catalepsie) (1872), « L’alcoolisme » (1873), « Conscience et aliénation mentale » (1881). Dans une discussion subtile qui ouvre le livre II de son traité, il conteste les classifications fondées sur des critères étiologiques (Morel) ou anatomo-pathologiques (Parchappe). Prenant exemple sur la neurologie à l’époque de Charcot, il remarque que les associations diagnostiques (ce que nous appellerions comorbidité ou transnosographie) concernaient alors aussi d’autres spécialités médicales que la psychiatrie : « Cette transformation, ne l’observe-t-on pas pour d’autres espèces nosologiques ? N’est-elle pas dans la nature même des choses ? Elle est en quelque sorte le phénomène caractéristique de cette grande classe de maladies que l’on désigne sous le nom de névroses. L’extase, la catalepsie, le somnambulisme, viennent s’associer entre eux et se remplacer les uns par les autres. L’épilepsie, l’hystérie, s’accompagnent, on le sait, des accidents nerveux les plus variables » (éd. de 1876, p. 169). Dans la dernière édition de son traité, il peut s’appuyer sur une longue citation de Kraepelin (qui n’en est qu’à la 3e édition de son manuel, encore bien peu révolutionnaire) pour préconiser une classification fondée essentiellement sur la symptomatologie (éd. de 1894, p. 255-256). Ses tables des matières font toutefois apparaître une séparation entre la sémiologie (ou « pathologie générale ») au livre I et la nosographie (ou « pathologie spéciale ») au livre II.

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Mais cette dernière reprend les subdivisions du début du XIXe siècle, avec quelques variantes : manie, lypémanie (mélancolie), stupidité (intégrant la catatonie de Kahlbaum et la confusion mentale primitive de Chaslin dans l’édition de 1894), folie impulsive (monomanie instinctive), paralysie générale, démence, imbécillité et idiotie. Dans l’édition de 1876, il modernise la monomanie ambitieuse en mégalomanie dont il décrit aussi une forme religieuse et une forme érotique. Le terme disparaît dans l’édition de 1894, pour laisser place aux « délires systématisés chroniques » (classés en fonction des thèmes), tandis qu’est introduite une classe de « folies dans la dégénérescence mentale » (p. 395-436) : folie du doute, agoraphobie, persécutés-persécuteurs (le nom de Magnan n’est cité qu’une seule fois dans le chapitre, pour le critiquer !). Les aliénations symptomatiques (alcoolisme, épilepsie, affections fébriles) sont intégrées en 1876 dans un livre III (étiologie), pour venir rejoindre en 1894 le livre II (entre la folie impulsive et la paralysie générale). On s’étonne de la place réduite occupée par la folie circulaire : cinq pages (154-159) du chapitre « marche de l’aliénation mentale » du livre I de 1894, sans que l’affection n’apparaisse parmi les classes diagnostiques du livre II. De la même manière, on ne retrouve ni la démence précoce de Morel, ni le délire chronique à évolution systématique de Magnan, auquel Dagonet s’est opposé pendant les discussions de 1886-1888 de la Société médicopsychologique : « Le mot délire caractérise toutes sortes d’états pathologiques […]. L’expression de chronique s’applique à un grand nombre de folies, car il est dans la nature même des maladies mentales de présenter une marche de longue durée. » Chacune des éditions se clôt par une volumineuse section administrative d’une centaine de pages. En 18681869, Dagonet était intervenu dans la discussion sur les aliénés dangereux, recommandant la sortie en cas de guérison : « Il me répugne d’admettre cette opinion qu’un aliéné, lorsqu’il a commis un crime grave, doit être maintenu pendant toute sa vie dans un établissement d’aliénés. La loi n’indique rien de semblable et nous ne devons pas substituer notre autorité à la sienne » (cité par Sémelaigne). Il s’oppose comme Jules Falret à l’édification d’établissements spéciaux pour aliénés dits criminels et préconise la création de quartiers de sûreté dans quelques asiles. Il réclame à l’intérieur de la loi de 1838 des garanties plus larges pour la liberté individuelle, des interventions de l’autorité judiciaire et la création d’une commission supérieure des aliénés, composée de médecins et d’administrateurs. L’œuvre de Henri Dagonet témoigne de la persistance en psychiatrie du courant clinique de Pinel, Esquirol et Baillarger jusqu’à l’extrême fin du XIXe siècle, chez un auteur par ailleurs très informé des travaux germaniques, impliqué dès le règne de Napoléon III dans les débuts de l’enseignement de la pathologie mentale, dans la rédaction d’un des premiers traités français de cette spécialité et dans

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la mise en place du dispositif asilaire de la région parisienne – dont les structures de soins intra-hospitaliers se sont peu ou prou maintenues jusqu’à nos jours. Quoique son manuel traite des « maladies mentales », il s’est appuyé pendant toute sa carrière sur la notion d’une aliénation unitaire subdivisée en espèces, sans privilégier les critères évolutifs et le diagnostic différentiel. C’est une illustration des résistances rencontrées par l’approche

nosologique de Jean-Pierre et Jules Falret, comme des oppositions au concept opératoire de chronicité en psychiatrie, alors représenté par l’œuvre de Magnan. On peut considérer que cette orientation fait de Dagonet l’un des lointains précurseurs des classifications « empiriques » contemporaines de troubles mentaux : DSM-IV et CIM-10. T. Haustgen