Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 608–615 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/
Dictionnaire biographique
Dictionnaire biographique de psychiatrie par des membres de la Société Médico-Psychologique. Raoul Leroy (1869–1941)
1. Les débuts, de la guerre de 1870 à la Première Guerre mondiale Raoul-Achille Leroy, externe des Hôpitaux de Paris (promotion 1888), effectue des stages chez Labbé et Michaux, chirurgiens, chez Gombault, Gougenheim et Fernel, médecins des Hôpitaux. Puis, il est interne des asiles de la Seine (promotion 1892) pendant trois ans, d’abord chez Blin, à Perray-Vauculuse, enfin à Sainte-Anne, chez Magnan. C’est peut-être le souvenir du service des enfants de Perray-Vaucluse qui l’a conduit à lire (ou relire) en 1937 un livre de Seguin : « J’ai été heureux d’entendre rappeler ici le nom de l’instituteur Seguin. Je lisais dernièrement son Traitement moral des idiots, de 1846 » (in Annales Médico-Psychologiques, séance du 25 janvier 1937). Il a été, si l’on considère les promotions antérieures et suivantes, le contemporain de Vigouroux (son ami et prédécesseur à Évreux), de Jacques Baruk (le père d’Henri), nommé deuxième au Médicat, la même année que Leroy, nommé premier pour la région de Paris, alors que Cossa (futur secrétaire général du Congrès des aliénistes) était nommé pour la région de Montpellier et Santenoise pour la région de Nancy ; le contemporain aussi de Trénel, d’Anthéaume (qui présidera la séance du samedi 4 août du Congrès des aliénistes et neurologues à Lille, au cours de laquelle Leroy exposera son rapport sur la responsabilité des hystériques). En juillet 1895, il publie l’observation d’un cas d’amnésie rétroantérograde consécutif à une intoxication aiguë par l’oxyde de carbone (in La gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie), exemple d’un syndrome mental de Korsakoff dans ce genre d’intoxication. En 1896, il soutient sa thèse (sous la présidence de Joffroy), « Les persécutés persécuteurs », qui renferme 12 observations, dont neuf recueillies dans le service de Magnan. On y trouve le célèbre cas de Maxence, meurtrière de l’abbé de Broglie. Il dégage quatre conclusions : ce sont des dégénérés héréditaires avec tous les attributs physiques et psychiques de la dégénérescence et, épisodiquement, une exagération paroxystique de leurs dispositions morales défectueuses ; ce sont des persécuteurs, dont le délire prend une marche extensive, mais non évolutive ; ils ne doi:10.1016/j.amp.2007.07.001
sont, généralement, pas hallucinés et si, rarement, ils le sont, cela n’a qu’une importance secondaire (c’est une catégorie de malades bien connus, mais plutôt mal dénommés, parce que les persécutions qu’ils disent subir sont délirantes, au moins par leur attribution à telle future victime, tandis que les sévices qu’ils infligent ne sont que trop réels et parfois mortels). Ce sont des persécuteurs prétendument persécutés. Dans cet ouvrage, on relèvera la note suivante : « Les persécutés amoureux sont des dégénérés qui, infatués d’eux-mêmes, dépourvus de jugement, se croient aimés d’une personne et édifient sur ces données un véritable roman. » À cette époque, Clérambault n’avait pas encore livré sa conception de l’érotomanie. La même année 1896, il obtient le prix Falret de l’Académie de médecine pour un mémoire rédigé en collaboration avec Antheaume, « Morphinisme et morphinomanie », où les auteurs estiment que le morphinisme est à la morphinomanie comme l’alcoolisme à la dipsomanie. C’est une question de terminologie, répondant à la recherche d’un langage psychiatrique cohérent. Par arrêté du 23 avril 1896, Leroy est nommé médecin-adjoint à Quimper (poste créé) ; il y rédige une « Étude historique sur l’asile des aliénés de Quimper », rapport présenté au Conseil général du Finistère (1897). Par arrêté du 27 août 1897, il est muté comme médecin-adjoint à Évreux (actuel hôpital de Navarre, ancienne résidence de l’impératrice Joséphine de Beauharnais), tandis que Jacques Baruk, venant de Lesvellec (à Saint-Avé, près de Vannes) le remplace à Quimper. Cette même année, il a lu et apprécié le « remarquable ouvrage » de Durckheim sur le suicide qui vient de paraître (1897). En 1898, après une présentation de sa candidature par Boissier au nom d’une commission comprenant aussi Bouchereau et Magnan, il est élu membre correspondant de la Société Médico-Psychologique. Pendant son séjour à Évreux, Leroy fonctionnera aussi comme médecin-chef à l’asile des aliénés criminels de Gaillon où Henri Colin l’avait précédé, et il est expert près des tribunaux. Dans son Traité sur les attentats aux mœurs (Doin, 1898), Thoinot parle des « deux distingués élèves [de Magnan] mes amis les docteurs Antheaume et Raoul Leroy » et insère une observation de Leroy sur le fétichisme du mouchoir. Tous ceux qui sont amenés à le citer insistent sur le
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caractère amical de Leroy. Je me souviens du respect avec lequel Baruk parlait de lui, l’ancien et fidèle ami de son père. Dans la notice nécrologique de Leroy, Guiraud évoque son « aménité souriante » (Annales Médico-Psychologiques 1942, I, 400). En juin 1899, il publie dans la Presse médicale une observation de goitre exophtalmique guéri par l’électricité (p. 469) et, dans les Archives de Neurologie (novembre 1899), il traite des hallucinations psychomotrices chez un paralytique général (« on le fait parler »). C’est autour de 1900 qu’il publie un certain nombre d’opuscules sur l’alcoolisme, ce sont successivement : « Contribution à l’étude de l’alcoolisme en Bretagne. L’alcoolisme dans le Finistère au XIXe siècle » (in Annales d’Hygiène publique et de médecine légale, février 1900) dans lequel il a montré que la progression de l’aliénation mentale est parallèle à la progression de l’alcoolisation. Les tableaux graphiques concernant l’alcoolisme dans les départements du Finistère et de l’Eure lui ont valu une médaille d’argent à l’exposition universelle de 1900. Pour son étude sur « Le rôle de l’alcool en pathologie mentale », il obtient le prix Civrieux (1901). L’exemplaire qui se trouve à la bibliothèque Henri Ey, à Sainte-Anne, de sa Contribution à l’étude de l’alcoolisme en Normandie, où il abordera les rapports alcool/suicide, alcool/accident, alcool/aliénation, s’ouvre sur une dédicace, « À mon cher ami le Docteur Antheaume, affectueux souvenir » (1902), dans laquelle on trouve la confirmation du caractère amical et parfois affectueux de Leroy, tandis que le graphisme indique une pensée claire et courageuse. Dans ces années, c’est donc l’alcool qui domine ses préoccupations, mais d’autres recherches génèrent des publications : « Rapport médicolégal sur un cas d’exhibitionnisme épileptique » (in Annales d’hygiène publique et de médecine légale, janvier 1901) ; il s’agissait d’un exhibitionnisme pendant des accès d’automatisme ambulatoire, à la suite d’excès d’absinthe et avec des attaques convulsives nocturnes. Le 4 mai 1901, il présente des « Considérations sur le suicide dans la PG » (Société médicale de l’Yonne). (Sa présence devant cette Société et l’édition de certains de ses opuscules par une maison d’édition du même département restent mystérieuses.) Son rapport sur le « Mutisme hystérique dans l’Histoire » paraît en décembre 1901 (in Archives de Neurologie). Il y rapporte que Pitres avait suivi un cas pendant dix ans, Sedillot pendant 12 ans, qu’Hippocrate a signalé le cas de la femme de Polémaque, Hérodote celui des fils de Crésus, et il exhume un cas de Valère Maxime. Enfin, « Nous avons recherché dans les auteurs du XVIe et XVIIe siècles des cas que l’on pourrait rattacher au mutisme hystérique » et il en signale un dû à Bartholin, pour lequel Leroy emploie le terme d’aphonie, et à ce propos, il rappelle la distinction de Charcot : le muet peut émettre des sons, l’aphone est hermétique. À la séance du 27 décembre 1928, dans l’année de sa présidence de la Société Médico-Psychologique, il reviendra sur ce sujet : « La question de la surdité et du mutisme hystériques étant aujourd’hui à votre ordre du jour, j’ai pris dans ma bibliothèque un vieux livre du XVIIIe siècle… » On touche ici à l’érudition de Leroy et à son intérêt pour la littérature générale et la littérature médicale. Leroy a étudié (in Annales Médico-Psychologiques 1905, I, 110) « Un cas de puérilisme chez une hystérique, guérison par suggestion », apparu au moment des règles ; Dupré intervient et opère une distinction entre l’infantilisme mental et le puérilisme
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qui est une modification acquise aiguë, paroxystique (nous avons connu une jeune fille très intelligente, évoluée, à qui, par rigorisme religieux impitoyable, ses parents interdisaient toute vie sexuelle et qui, à leur égard seulement, s’était mise à employer un langage bébé pour leur signifier qu’elle était restée une petite fille). Dans le même numéro de la revue, Leroy publie un cas de « curieux collectionnisme et moyen de protection chez une démente persécutée » où l’on apprend qu’il a extirpé, lui-même, du vagin et du rectum de la malheureuse un nombre insoupçonné d’objets divers, donc qu’il a pratiqué les touchers, une procédure qui, aujourd’hui, à juste titre, ne serait plus acceptable, mais à l’inverse on a un peu trop démédicalisé le psychiatre. En 1905, il publie l’examen médical d’une jeune incendiaire, « Pyromanie et puberté ». On ne laisse pas passer un incendie, surtout en milieu rural, et les procès ont généré de nombreuses expertises dont celles d’Henry Bonnet, de Jules Boulard, d’Édouard Toulouse. Dans le cas de Leroy, il s’agit d’une jeune fille à lourde charge héréditaire chez qui l’obsession pyromaniaque est apparue à la puberté. Elle dit : « Quelque chose de surnaturel me poussait à mettre le feu » ; après, elle ressent « un extrême soulagement, une détente agréable ». La médiocrité de son niveau interdit de penser qu’elle a pu inventer sa description. Cet article de Leroy a été numérisé, il a intéressé Rollin, d’Epsom, qui en a donné un résumé fidèle et détaillé (The Br. J. of Psychiatry, 2005, 186, 543–44). Cette notion des rapports de la puberté avec l’impulsion a été admise de tout temps. Il n’est pas, écrit Leroy, jusqu’au théâtre qui n’ait mentionné ces relations et Ibsen, dans un de ses drames des plus connus, Le Canard sauvage, met en scène une jeune fille de 14 ans qui, poussée d’abord par son évolution pubertaire à l’incendie, finit ensuite par se suicider. Leroy a-t-il vu la pièce, lors de sa création au théâtre libre à Paris, une pièce alors mal accueillie, en particulier par les critiques, dont le plus célèbre de l’époque, Francisque Sarcey, véritable entrepreneur de démolitions, ou en a-t-il lu le texte plus tard ? J’opterais pour cette dernière hypothèse, parce qu’il n’y a qu’une seule réplique dans ce sens : « Oui, pensez donc […] c’est ce qu’elle fait aussi. Elle s’est mise à faire un sale remue-ménage avec le charbon de la cuisine, elle appelle ça, jouer à l’incendie. Bien des fois, j’ai peur qu’elle mette le feu à la maison » (Acte IV). En 1906, accompagné par son épouse, il participe, membre associé, au Congrès des aliénistes et neurologues de langue française, à Lille, où il présente le rapport de médecine légale sur la responsabilité des hystériques. Nous y reviendrons en détail. En 1906, il est à Évreux, en 1907, adjoint à Ville-Évrard et par arrêté d’avril 1907, il est nommé directeur–médecin à Moisselles, enfin, par arrêté d’octobre 1908, médecin-chef à Ville-Évrard. En 1907, il publie des expertises, dont l’examen médicolégal d’un jeune condamné pour viol et homicide volontaire. À Ville-Évrard, il retrouve son vieil ami, Rogues de Fursac, avec qui il restera très lié. Ensemble, ils feront quelques communications à la Société clinique de médecine mentale, par exemple le 15 janvier 1912, « Tentative de suicide précédée d’un double homicide » où ils proposent de réactiver l’ancienne notion de taedium vitae, et, en janvier 1922, devant la même Société, ils parlent du « pansexualisme » de Freud, mais ajoutent que Freud a certainement mis en lumière « une grande vérité ».
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Le 26 avril 1909, Leroy est élu, à l’unanimité, membre titulaire de la Société Médico-Psychologique, après la présentation de sa candidature au nom d’une commission composée de Briand, Keraval, Legrain, Vallon et Clérambault rapporteur, lequel, après avoir énoncé les déjà assez nombreuses publications du candidat, insiste surtout sur ses brillantes qualités de clinicien. Son élection comme titulaire survient environ dix ans (délai statutaire) après son élection comme correspondant. Tout le monde n’a pas été aussi patient ; ainsi Nageotte, correspondant en 1898, titulaire en 1899, termine comme honoraire en 1910, et il n’a pas été le seul impatient. L’année 1909 est encore une date très importante dans la carrière et dans l’œuvre de Raoul Leroy ; c’est l’année où il prend son service à VilleÉvrard et c’est surtout l’année des hallucinations lilliputiennes, une question qu’il n’a jamais cessé de développer depuis ; nous y reviendrons. En 1910, il est rapporteur de la commission (Magnan, Blix, Picqué, Semelaigne, Vallon et lui-même) réunie pour l’élection comme membres titulaires de Rogues de Fursac et de Truelle, et il fait partie de la commission pour le prix Esquirol avec Pactet, Sémelaigne, Trenel et Vallon. Il est donc bien intégré dans le fonctionnement de la Société. À la séance du 26 juin 1911, il intervient après une communication de Roger Dupouy sur « Récidive éloignée de la manie et de la mélancolie » où Leroy fait état d’un cas où deux accès de manie ont été séparés par un intervalle libre de 26 ans. Séglas signale un cas comparable pour la mélancolie, mais Briand estime qu’il peut, certes, y avoir des intervalles parfaitement libres, mais aussi de brèves et discrètes périodes d’hypomanie intermédiaire passées inaperçues. À la séance du 26 février 1912, sa publication « À propos du divorce. Rémission très complète survenue chez une démente précoce (?) au bout de six années » suscite quelques interventions (Trénel, Fillassier, Clérambault) et pose le problème des guérisons tardives (et même avec des délais beaucoup plus longs que ceux du cas présenté). L’intérêt se porte sur les récidives tardives et sur les guérisons tardives dont on peut voir les conséquences théoriques. À la séance du 28 octobre 1912, sa communication porte sur « Un cas de démence précoce chez une malade ayant présenté antérieurement des accès de délire intermittent » (caractérisé par un délire hallucinatoire avec des idées mélancoliques de persécution), elle est suivie par de nombreuses interventions (Vigouroux, Trenel, Piéron, Gilbert Ballet, Pactet, Arnaud, bref, du beau linge !). La guerre approche et, en 1916, on trouvera Raoul Leroy chef du service de neuropsychiatrie de l’hôpital militaire de SaintDizier. C’est encore une grande date puisque, c’est en 1916 qu’il y rencontre André Breton, nous y reviendrons. 2. Entre les deux guerres mondiales, jusqu'à sa disparition en 1941 À la séance du 29 novembre 1919, après être intervenu sur un exposé de Chavigny et Brousseau, concernant « Les petits états psychiatriques de guerre, leur médecine légale » (Annales Médico-Psychologiques 1919, 233), il publie (in Annales MédicoPsychologiques 1920, 123) avec le même Brousseau (auteur d’une thèse sur la peur aux armées) un « État confusionnel chez un héréditaire avec amnésie rétrograde délimitant une période
médicolégale ». Le 26 avril 1920 (in Annales Médico-Psychologiques 1920, 377), il intervient sur une communication de Quercy et le 28 juin 1920 sur une communication de Georges Petit concernant un cas d’encéphalite léthargique ; la question de Leroy est ciblée, il demande à l’auteur s’il y avait des hallucinations lilliputiennes. On voit qu’il a un large spectre d’intérêts, mais dès que l’occasion se présente, il revient sur l’un ou l’autre, il creuse le sillon. C’est le moment de dire quelques mots de la physiologie de l’intervention dans une Société dite savante. Certains interviennent systématiquement, c’est parfois par courtoisie, et pour montrer aux auteurs que quelqu’un au moins s’est intéressé à leurs travaux. C’est parfois le seul moyen de ne pas laisser perdre une expérience ou une information ponctuelle qui n’auraient pu être rapportées. C’est parfois, rarement sans doute, pour satisfaire un besoin de l’intervenant lui-même. Leroy était plutôt économe et le restera aussi pendant sa présidence, alors qu’il détenait le pouvoir d’accorder la parole. En dehors de commentaires et questions sur la matière de la communication, on apprend incidemment ici que le Dr André Weill est son ami (un de plus), là qu’il vient d’écrire à une malade, ailleurs qu’il a consulté dans la maison de santé de Fontenay-aux-Roses (clinique des Pervenches) [rien n’indique ici qu’il a été un consultant régulier de la clinique, où il a pu venir voir un ancien patient]. Quelques études sont présentées en 1921 : « Syphilis héréditaire et épilepsie » (Annales Médico-Psychologiques 1921, I, 149) et (ibid., p. 151) avec Roger Dupouy, « Encéphalite épidémique, asthénie et myoclonies avec crises bulbaires. Évolution continue depuis plus d’un an ». Dans les années 1920, au début, on voit l’apparition et la progression de l’encéphalite épidémique et, à la fin le traitement (malaria) et la régression de la paralysie générale. Le 25 juillet 1921 (Annales Médico-Psychologiques 1921, II, 236), il intervient sur une communication de Maurice Brissot, « Psychose hallucinatoire chronique, systématisation délirante, idées de persécution, de négation et délire ambitieux, syndrome de Cotard », où il rappelle, lui qui avait été son interne, les idées de Magnan sur les rapports de la persécution et de l’ambition. En 1921, il est président de la Société médicale des asiles de la Seine. Dans une chronique des Annales Médico-Psychologiques (1922, I, 289), Leroy déplore la disparition des services d’aliénés de Bicêtre et de la Salpêtrière. Raoul Leroy, alors à Maison-Blanche, présente des « Considérations sur la restriction des services d’aliénés de Bicêtre et de la Salpêtrière » : par décision du Conseil général de la Seine du 30 décembre 1921, « l’Administration est invitée à évacuer vers les asiles suburbains du département, jusqu’à concurrence de l’effectif budgétaire et sur les asiles de province, les malades traités dans les services d’aliénés de Bicêtre et de la Salpêtrière, en apportant, s’il y a lieu, à cette évacuation, le tempérament que les circonstances pourraient exiger ». En 1923 (Annales Médico-Psychologiques 1923, II, 385), il proteste contre le projet de séparation des aliénés aigus et chroniques dans les asiles d’aliénés de la Seine : « Il est faux de croire que les chroniques demandent beaucoup moins de soins médicaux que les curables » et « Les observations prolongées forment la base de la médecine mentale, au point que beaucoup de diagnostics ne peuvent être actuellement établis que par la marche même de l’affection » et, enfin, « Nous ne laisserons pas écrire sur la porte de nos asiles : “Laissez ici toute espérance” », ce cri, car
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c’est bien ce qu’une lecture attentive fait entendre, ce cri arraché à un médecin par des décisions administratives irresponsables et que, généralement, des avis même très pertinents n’arrivent pas à abolir, ni même à freiner. Pour le centenaire de la thèse de Bayle, Leroy et Cornil présentent un cas anatomoclinique de PG juvénile. À Maison-Blanche, avec Schutzenberger, Leroy apporte une « Contribution à l’étude de la folie gémellaire, psychose maniacodépressive chez deux sœurs jumelles » (Annales Médico-Psychologiques 1924, I, 42). Avec P. Lelong (Annales Médico-Psychologiques, I, 258), il décrit un cas de purpura par carence chez une aliénée mélancolique. Il était normal qu’il intervienne sur la communication de Robert (d’Auch) concernant les guérisons tardives des malades mentaux (Annales Médico-Psychologiques 1925, II, 10, 107) puisque c’est une question qu’il avait traitée lui-même et qu’il restait toujours très attentif à ce qu’il avait déjà étudié. C’est encore à propos de ce thème qui lui tenait aussi à cœur que j’ai entendu Baruk saluer la mémoire de Leroy. Avec Lelong encore, à la Société clinique de médecine mentale, il rapporte un cas de « syndrome interprétatif avec impulsions » chez une jeune femme débile, à constitution paranoïaque, supposant une double vie à son mari caché sous un déguisement. La même année, à la Société Médico-Psychologique (30 novembre 1925), avec Montassut, dans « Psychose intermittente simulant la DP », il discute le diagnostic entre psychose intermittente (en dix ans : deux accès maniaques, quatre états mixtes, trois accès dépressifs) et DP (un accès de stupeur). Sont intervenus Henri Claude, Arnaud, Guiraud. À la Société clinique de médecine mentale (21 juin 1926), sous la présidence de Séglas, il parle d’une malade suivie depuis 12 ans pour des accès mélancoliques avec tentatives de suicide ; après dix années d’évolution, on observe des signes indéniables de démence (indifférence, discordance, auto-accusations absurdes, stéréotypies, grimaces…) [interventions de Truelle, Trenel, Courbon]. À la même séance, avec Nacht, il présente un cas d’hypertonie et contracture des doigts chez une mélancolique hypocondriaque. Dans le même lieu, le 16 décembre 1926, avec Lelong, il présente un cas de démence profonde survenue rapidement chez une femme de 54 ans, avec un tableau de manie coléreuse, mais un état démentiel évident. À la même séance, ils étudient les symptômes physiques importants chez une démente précoce de 22 ans, avec délire hallucinatoire de persécution et d’influence, stupeur, catatonie, adipose (elle a pris 22 kg), troubles des menstrues, acrocyanose, dermographisme. Il préside la Société clinique de médecine mentale en 1927, et le 21 mars avec Guiraud, il présente un cas de syphilis encéphalique prolongée avec examen histologique et des réactions du LCR tantôt positives, tantôt négatives (d’où la nécessité de refaire les réactions liquidiennes quand elles ont été négatives avec un tableau clinique évocateur). Trenel et Leroy étudient le réflexe de la face (Marie et Foix) et le réflexe controlatéral de la face (Paulian). En 1928, la Société clinique de médecine mentale est présidée par Clérambault ; Leroy et Lelong, le 19 mars 1928, présentent un affaiblissement intellectuel de type paralytique chez un intermittent spécifique avec réactions liquidiennes négatives, dix ans après la contamination : tremblement, embarras de la parole, dysgraphie… L’année suivante, en 1929, c’est Charpentier qui préside la Société, et le 18 mars 1929, Leroy présente un « Délire systématisé de persécution par interprétation, tentative de suicide et automutilation ». Le patient ampute sa main
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sans manifester de douleur, le lendemain de sa sortie de prison où il se trouvait pour vol et où il a commencé à délirer, il veut mourir pour échapper aux persécuteurs. Il s’agit d’un délire d’interprétation avec réaction suicidaire, une association rare. À la séance du 15 avril 1929, Leroy et Medakovitch présentent un cas de traumatisme, confusion mentale profonde avec amnésie consécutive, délire systématisé de persécution par interprétation. Avec Migault, Leroy décrit une démence précoce à la suite d’un choc émotif (il s’agissait d’un employé de consigne qui avait reçu des mains de la meurtrière la malle avec les fragments de son mari). Le 22 juillet 1929, les mêmes exposent un cas de « Fétichisme chez un anormal sexuel » (qui se masturbait avec des lettres volées). Au Congrès de Lille en 1930, une discussion s’ouvre sur la question des PG sans réactions biologiques dans le LCR, Leroy, Medakovitch et Marquin en nient la possibilité tandis que Claude et Crouzon l’admettent. Au même Congrès, Raoul Leroy participe à la discussion sur la sauvegarde des biens de malades en service libre. Devant la Société clinique de médecine mentale le 17 novembre 1930, sous la présidence de Léon Marchand, Raoul Leroy et C. Pottier parlent d’un cas de délire érotomaniaque, pas purement clérambaldien puisqu’il se complique d’hallucinations auditives, d’automatisme mental, d’hallucinations impératives à caractère érotique. À la Société Médico-Psychologique, le 10 décembre 1932, R. Leroy, P. Rubinovitch, Truelle exposent un cas posant le problème d’une « Psychose maniacodépressive ou [de] schizophrénie évolutive à la suite d’états anergisants et suivis de lupus érythémateux ». On passe sur quelques publications et parmi elles, celles qui concernent la malariathérapie de la PG avec le livre que Leroy et Medakovitch ont publié sur ce sujet. 3. Grandes dates de l'œuvre de Raoul Leroy La diversité de ses intérêts, l’obligation morale pour un praticien d’affronter toutes les situations, tous les problèmes que posent les malades conduisent à une production disparate. Dans cette inévitable dispersion qui donne à ses travaux l’aspect du journal professionnel d’un clinicien, certains repères s’élèvent au-dessus de la vie quotidienne (ni facile, ni ennuyeuse) du praticien. Ce sont : 1906, le Congrès des aliénistes, Lille et le rapport sur la responsabilité des hystériques ; 1909, les hallucinations lilliputiennes ; 1916, Saint-Dizier, la rencontre avec André Breton ; 1928, la présidence de la Société MédicoPsychologique ; 1931, la malariathérapie. 3.1. Congrès de Lille (1906) Du 1er au 7 août 1906, le Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de langue française se tient à Lille, sous la présidence de Grasset (de Montpellier). Maurice Dide présente le rapport de psychiatrie, « Étude cytologique, bactériologique et expérimentale du sang des aliénés », André Léri le rapport de neurologie, « Le cerveau sénile » et Raoul Leroy, alors médecin de Ville-Évrard, expose le rapport de médecine légale sur la « Responsabilité des hystériques ». Ce sujet avait d’abord été confié à Antheaume, médecin de Charenton, défaillant pour la rédaction, mais présent et même président de séance. Leroy a pris le train en marche. Son travail commence par un relevé des
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actes délictueux et criminels des hystériques. Le premier groupe rassemble les variantes du mensonge et de la mythomanie : hâblerie fantastique, simulation d’attentats criminels et automutilations, stigmates, maisons hantées, auto et autohétéro-accusation, où Leroy résume quelques observations de différents auteurs (Toulmonde, Vibert, Ball, Grasset, Laurent, Janet, Garnier…), le deuxième volet est consacré au vol et à l’escroquerie, avec des observations de Dubuisson, Raymond, Janet, Dupré, Régis… et un exposé plus long sur les voleuses des grands magasins et la kleptomanie (on connaît l’opinion d’Antheaume à ce sujet). Dans le troisième groupe, il est question des homicides, violences, empoisonnements, avec des vignettes de Régis, Pitre, Legrand du Saulle. Les groupes suivants concernent les infanticides (quatrième), suicides (cinquième), les incendiaires (sixième), les suggestions criminelles (septième), avec une discussion sur la possibilité de ces suggestions criminelles et, (huitième) sur la possibilité de violer une femme mise en état somnambulique, enfin les fugues et les rapts d’enfants. La deuxième partie, après l’inventaire, est consacrée au problème particulier de la responsabilité dans l’hystérie et dans l’hystérie associée à d’autres facteurs (épilepsie, intoxication surtout alcoolique, aliénation). On y trouve un avis en faveur d’un « asile de sûreté pour psychopathes dangereux » et l’évocation des cas de responsabilité limitée, rejetée par Leroy, défendue par Grasset, Régis et Dupré et, finalement, une discussion sur l’estimation des témoignages des hystériques. 3.2. Hallucinations lilliputiennes (1909) À la séance du 26 juillet 1909 de la Société Médico-Psychologique (Annales Médico-Psychologiques 1909, II, 278), Leroy décrit les hallucinations lilliputiennes, une question à laquelle son nom est resté attaché, selon le vœu de Guiraud (dans sa nécrologie). C’est Leroy qui a proposé l’appellation du phénomène consistant en apparition de personnages et/ou d’animaux, de la taille d’un doigt, bien proportionnés, tandis que l’environnement est perçu dans ses dimensions normales, ce qui distingue les hallucinations lilliputiennes de la micropsie (une nuance clinique qui semble avoir échappé à Pierre Janet, cf. Société Médico-Psychologique, séance du 31 mai 1920) ; les personnages sont « multiples, fugaces, mobiles, colorés » agréables, amusants ; ils défilent en procession, ou s’adonnent à des danses (menuets) ou à des acrobaties. Deux observations, dont l’une empruntée à la thèse de Germa (Paris, 1881) concerne des paralytiques généraux, et l’autre une débile persécutée, avec hallucinations auditives. Leroy, toujours curieux des apports antérieurs trouvés dans la littérature psychiatrique ou belle-lettristique, déniche le cas de Macnish, relayé par Hippolyte Taine (1828–1893) dans son livre De l’intelligence (t. 1, p. 104, 1870). Il cite un cas de Leuret, trois observations de Brierre de Boismont dont l’une concernant Ben Jonson (1572–1637), l’auteur de Volpone, l’autre exposant le cas d’une femme démente. Leroy insiste sur la fréquence de l’origine toxique de ces hallucinations. Cette communication que l’on peut dire « princeps » a été suivie par une intervention de Clérambault, qui signale le cas de Sauvet dans une ivresse étherique, des cas chez des alcooliques, dans le cocaïnisme, le chloralisme, et il en rapproche un cas très étonnant d’héautoscopie lilliputienne,
mais où l’ambiance est également réduite à de petites dimensions. Toujours en alerte, Leroy n’a jamais cessé d’étudier cette affaire, de lire les observations de ses collègues et il revient, à ce sujet, devant la Société Médico-psychologique, le 25 octobre 1920 (Annales Médico-Psychologiques 1920, 539) avec deux nouvelles observations qui lui permettent de mieux préciser le phénomène : les personnages ne paraissent pas projetés sur un écran, ils donnent l’impression de relief, de vie, ces hallucinations existent en dehors de toute micropsie ; un fait déjà connu, mais qui n’avait pas été assez souligné dans la communication de 1909, le nombre des personnages est généralement assez élevé, ils portent des vêtements de couleurs vives et variées (dans un cas personnel, chez un patient en delirium tremens, des coureurs cyclistes lilliputiens, aux maillots de toutes les couleurs, sprintaient dans la tubulure d’une perfusion), la durée de l’hallucination est variable, l’état affectif agréable. Parfois indépendantes de toute tare et conscientes, elles peuvent être associées à différents états pathologiques : alcoolisme, chloralisme, confusion mentale, délire hallucinatoire onirique, démence sénile, PG. L’origine toxique est fréquente. On trouvera (in Annales Médico-Psychologiques 1989, 408) une révision des communications sur la question à la Société clinique de Médecine mentale, soit 14 cas présentés par Leroy, Fouque, Fasson, Salomon, Dupouy et Bonhomme (deux cas), Lwow et Targowla, Cellier, Cénac, Colin et Cénac, Naudascher, Trenel, Laignel-Lavastine et Bourgeois, Lelong. On y verra, aussi, qu’Anatole France (1844–1924) a décrit des hallucinations lilliputiennes dans Le Crime de Sylvestre Bonnard (1881), dans Thaïs (1890) et il avait confirmé, à Leroy qui l’avait questionné, que lui-même avait bien perçu des hallucinations lilliputiennes : « … le maître a présenté lui aussi […] des hallucinations lilliputiennes ainsi qu’il me l’a fait savoir dans une lettre personnelle » (Annales Médico-Psychologiques 1989, 408). On peut ajouter qu’Anatole France s’intéressait beaucoup à la psychologie et à la psychopathologie, qu’en 1887, il avait livré au journal Le Temps un article intitulé « Les fous dans la littérature » et qu’il y a un article de Sandor Ferenczi sur « Anatole France, psychanalyste » (1911) où l’auteur écrit : « … nous pouvons le considérer comme l’un des précurseurs les plus importants de la psychologie analytique. » L’ironie du sort est que Leroy a correspondu avec Anatole France, qu’il a rencontré André Breton, qu’Anatole France était justement la bête noire de Breton, que celui-ci piétinait (moralement) celui-là et qu’il aurait pu écrire « J’irai cracher sur sa tombe » s’il n’avait pas proposé un « refus d’inhumer » (dans Le Point du Jour). À la séance du 29 mars 1921 (Annales Médico-Psychologiques 1921, I, 367) après l’intervention de Martimor, « Hallucinations lilliputiennes et puérilisme », Leroy déclare que le syndrome lilliputien n’est pas en rapport avec un état mental puéril. À la séance du 31 octobre 1921 (Annales Médico-Psychologiques 1921, II, 364) où Prince (de Hoerdt) parle d’hallucinations lilliputiennes au cours de la démence, Leroy signale deux cas de démence avec, dans l’un une insuffisance hépatique et dans l’autre un mouvement fébrile et il note que la coloration est plutôt sombre. Dans la même intervention, il rapporte qu’il a trouvé dans De l’irritation et de la folie de Broussais (1828, II, 376) le texte suivant : « … les esprits, les follets qui voltigent comme
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des mouches auprès des insensés, les Lilliputiens montant par milliers le long des jambes d’un fou qui croit les écraser par douzaines… » (On reconnaît une forme de passage avec le syndrome d’Ekbom, qui n’est pas exceptionnelle ; j’ai observé une patiente démente qui n’arrêtait pas de secouer ses jupes pour chasser des petits personnages, polissons un peu entreprenants.) Il rassemble et étudie de nombreuses communications sur le sujet, les cas rapportés par Salomon (27 février 1922), par Hikari (de Bagdad), une auto-observation (Société Médico-Psychologique, 26 juin 1922), par Prince (de Rouffach) (Annales Médico-Psychologiques 1925, I, 360), P. Lelong (ibid., p. 347), Laignel-Lavastine (ibid., p. 342)… 3.3. André Breton rencontre Raoul Leroy à Saint-Dizier (1916) André Breton, né le 19 février 1896 à Tinchebray (Orne), commence des études de médecine (PCN) en 1913 avec son ami Théodore Fraenkel (1896–1964) qu’il a rencontré au collège Chaptal. Il est incorporé en 1915 dans le 17e régiment d’artillerie et fait ses classes à Pontivy (Morbihan), puis il est muté comme infirmier au Service de santé de Nantes où il rencontre Jacques Vaché et retrouve Fraenkel. Il est nommé caporal fin août 1915. Le 26 juillet 1916, il est affecté, sur sa demande, au Centre neuropsychiatrique de Saint-Dizier, desservant la IIe armée. Qu’est-ce qui pousse André Breton à se rapprocher du front de Verdun où l’offensive allemande déclenchée le 21 février 1916 commence à s’essouffler en juillet au moment où Von Falkenhagen lance l’attaque ultime, et perdue, mais qui durera jusqu’au 16 décembre ? D’ailleurs, jamais la situation n’a été de tout repos, comme il l’écrit à son ami André Paris : « … Je suis à 500 mètres des lignes […] un vilain carrefour. » C’est à Saint-Dizier (où depuis 1997 l’hôpital porte son nom ; aurait-il apprécié ce patronage ?) qu’André Breton rencontre Raoul Leroy. Marguerite Bonnet, qui a supervisé l’édition des œuvres complètes de Breton à La Pléiade, et qui connaît bien les problèmes psychiatriques (j’ai été en relation avec elle à propos de Nadja) dit que Raoul Leroy avait été un ancien assistant de Charcot. C’est probablement erroné, parce que Charcot est mort en 1893, Leroy était alors au début de son internat des asiles de la Seine, à Perray-Vaucluse. Cependant, il n’est pas absolument impossible qu’il ait assisté aux présentations de Charcot. Les internes de Perray-Vaucluse qui se rendaient à Paris prenaient à Sainte-Geneviève-des-Bois le train qui les déposait à Austerlitz, à la porte de la Salpêtrière, mais on peut exclure qu’il ait été assistant de Charcot. La rencontre avec Leroy a fortement impressionné André Breton qui révèle, dans une lettre à son ami Fraenkel, son « admiration extramédicale » pour l’aliéniste. Cependant, le souvenir de Leroy ne l’a pas retenu d’écrire, entre autres incitations haineuses : « Je sais bien que si j’étais fou, et depuis quelques jours interné, je profiterais d’une rémission que me laisserait mon délire pour assassiner avec froideur un de ceux, le médecin de préférence, qui me tomberait sous la main » (rapporté par Paul Abély in Annales Médico-Psychologiques, novembre 1929). Il écrit à Fraenkel à propos de Leroy : « C’est une figure étrange, avec ses cheveux bleus en vieille brosse, ses yeux d’azur clair, sa tête en cube, ses creux sillons nasolabiaux, sa vareuse défraîchie. Il est doux, superbement lucide, blas-
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phème avec élégance et lit La Croix. » Ailleurs, il écrit : « Saint-Dizier est accueillant ainsi que le Dr Leroy, médecinchef de Ville-Évrard. […] Leroy n’est pas fâché de m’avoir. Il oubliait d’être chef de centre neurologique. Charmant, familier, il se contente de ma société quelques heures par soir et m’offre le thé chez lui. » Breton restera à Saint-Dizier jusqu’à son affectation à la 22e section d’infirmiers militaires au Val-de-Grâce (8 janvier 1917) pour préparer l’examen de médecin-auxiliaire. En même temps, il est attaché comme externe (?) au service de Babinski à la Pitié. Pendant son séjour de cinq mois à SaintDizier, il se lance dans l’étude de la psychiatrie. Si, au début (7 août 1916), sa lettre à Paul Valéry le montre un peu désappointé : « Mon service entier revient à un interrogatoire continu : avec qui la France est-elle en guerre ? À quoi rêvezvous la nuit ? », plus tard et probablement conseillé par Leroy, il entreprend la lecture des ouvrages qui servaient à la formation de psychiatres à l’époque, les traités de Régis, qu’il nomme « le Faguet de la psychiatrie », le traité de Gilbert Ballet, de Maurice de Fleury, « un délicieux roman ». Hesnard, qui l’initie à la psychanalyse, Magnan, Charcot, Constanza Pascal qui a étudié avec assiduité la démence précoce, Kraepelin peut-être (peutêtre à cause de l’hostilité à l’égard des psychiatres Allemands et Austro-Hongrois et parce que Leroy a signé la proposition de radiation de ceux-ci de la Société Médico-Psychologique). En octobre 1916, Fraenkel passe par Saint-Dizier et rencontre Breton qui « toute la soirée parle de la démence précoce ». En 1917, au Val-de-Grâce, Breton rencontre Aragon, ils discutent pendant des nuits entières, c’est pourquoi je les ai surnommés « les insomniaques du Val ». Il semble que Breton n’ait plus jamais parlé de Leroy, on peut le comprendre quand on lit cela : « Le mépris qu’en général je porte à la psychiatrie, à ses pompes et à ses œuvres est tel que je n’ai pas osé m’enquérir de ce qu’il était advenu de Nadja », la belle excuse. 3.4. Présidence de la Société Médico-Psychologique Raoul Leroy a été très présent et très actif à la Société Médico-Psychologique qu’il a présidée en 1928, succédant à Legrain, de l’Infirmerie spéciale, auteur du Délire à éclipses et précédant Pierre Janet. L’année d’avant, il avait présidé la Société clinique de médecine mentale, la Société des amis de Magnan, son maître. Il y a un style de présidence comme il y en a un pour les interventions. Cela va du président prolixe, pour ne pas dire verbeux, qui confisque la parole au risque de devoir accélérer et écourter les communications suivantes, au président laconique. Raoul Leroy était plutôt du genre discret, pendant son année de présidence il ne communiquera qu’à la fin, le 26 novembre, en présentant une étude sur la malariathérapie, avec Medakovitch et Maurice Prieur, « Traitement de la PG par malariathérapie suivie du traitement mixte à hautes doses, 14 observations ». Il a toujours assumé les devoirs du président quant aux annonces extramédicales. Elles sont parfois agréables, comme la remise par Leroy du prix Moreau de Tours à Henri Baruk pour son étude sur les troubles mentaux dans les tumeurs cérébrales (le sujet de sa thèse) après l’approbation d’une commission composée de Claude, Lhermitte et Trénel à la séance du 26 mai 1928. Le même jour, Leroy souhaite la
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bienvenue à Meagher, médecin du Board of Control, venu des États-Unis pour étudier les résultats de la malariathérapie (aujourd’hui, les déplacements pour apprendre se font plutôt dans l’autre sens). Il s’agissait, parfois, de la terminaison heureuse d’un événement qui aurait pu être plus grave : Jean Salomon, qui n’était pas un inconnu puisqu’il avait publié sur les hallucinations lilliputiennes, un secteur jalousement gardé par Leroy, a survécu à une agression, comme Truelle, attaqué pendant un examen médicolégal, par un simulateur incarcéré à la prison de la Santé. Parfois, c’est plus sévère, comme la mort inopinée de Pitres, annoncée par Leroy en des termes révélant une authentique et profonde compassion (30 avril 1928), pire encore quand il a fallu annoncer la mort du fils aîné du professeur agrégé Laignel-Lavastine à propos de qui Leroy écrit : « Je sais que l’ami de ma jeunesse est de ceux qui puisent dans les croyances religieuses la force de résister à de pareilles épreuves… » (25 juin 1928). Autre drame, la mort de PierreAndré Colin, externe des hôpitaux, chevalier de la Légion d’honneur, médaillé militaire, croix de guerre, gazé pendant l’« affreuse catastrophe » ; le deuxième fils d’Henri Colin, secrétaire général de la Société et rédacteur en chef des Annales. Voilà beaucoup de deuils, de souffrances, surtout si Leroy était vulnérable, triste, comme le laisse supposer un passage de son discours d’intronisation (janvier 1928) : « J’aperçois ma jeunesse passée et la descente toute proche », une erreur d’appréciation puisqu’il est mort en 1941. Cette année de présidence correspond au centenaire de la naissance de Taine (on signale, alors, un article de Blondel sur « La documentation psychiatrique dans De l’intelligence de Taine ») ; c’est aussi le 75e anniversaire de la fondation de la Société Médico-Psychologique (1852). Avant les drames vécus par ses collègues et aggravée par ces drames, sa morosité est plutôt inattendue. De caractère, il semble avoir été « philosophe » et il a derrière lui un lot abondant de travaux publiés surtout à la Société Médico-Psychologique et à la Société clinique de médecine mentale et analysés dans l’Encéphale par Baruk et Henri Colin, c’est un label de qualité. Reste encore à étudier le contingent relatif au traitement de la paralysie générale par la malariathérapie. 3.5. Malariathérapie En 1931, Raoul Leroy, médecin-chef à Sainte-Anne, où il a organisé un service spécial pour le traitement des PG, et G. Médakovitch, chef de laboratoire à Sainte-Anne, publient, chez Doin, leur livre intitulé Paralysie générale et malariathérapie, préfacé par Wagner-Jauregg (prix Nobel de médecine 1927) en personne et probablement en français (en tout cas, on ne signale pas de traducteur). Cette somme de 480 pages, dont 60 de bibliographies, toutes utilisées, relue d’un bout à l’autre par Sérieux, fait suite à quelques publications des deux auteurs sur le même sujet dans les deux ou trois années précédentes, la plupart dans les Annales Médico-Psychologiques ; les autres sont réparties, une dans le Bulletin de la Société clinique de médecine mentale, une au 4e Congrès de dermatologie et de syphiligraphie, une autre dans le Bulletin de l’Académie de médecine. L’utilisation de la malariathérapie résulte de la constatation d’une amélioration sous l’influence d’une maladie infectieuse, un fait connu depuis l’Antiquité et périodiquement
rappelé. Donc, Wagner-Jauregg a essayé avec la tuberculine en 1909, Legrain avec la malaria, mais sur une syphilis récente en 1917, enfin cette même année par Wagner-Jauregg. Après un historique détaillé, les auteurs examinent la question des rémissions dans la PG et leur qualité, soit après une infection grave, soit spontanément, les indications et les contre-indications, le choix de la souche, la conservation du sang, les accidents dus au paludisme, les travaux de divers auteurs, ceux du Congrès des aliénistes et neurologues de langue française à Anvers en 1928 et ceux du Congrès de dermatologie et de syphiligraphie de 1929 et leurs importantes recherches personnelles. Suivent l’anatomopathologie, les complications, délires secondaires, formes paranoïdes, hallucinations (dont un cas d’hallucinations lilliputiennes), les délires systématisés hallucinatoires, les délires d’imagination, les états catatoniques… et ils terminent par la prophylaxie, la médecine légale avec surtout les problèmes de gestion, les dispositions testamentaires. Les communications antérieures ou concomitantes avec Médakovitch, seul, ou avec Masquin… concernent les indications et contre-indications, et la discussion sur la possibilité d’une prophylaxie (28 janvier 1929), les délires chez les PG traités par malariathérapie (29 avril 1929) dont un cas de délire de négation (Société clinique de médecine mentale [19 mai 1930]), rare (un cas de Targowla), et encore (ibid.) l’apparition d’une gomme sous-cutanée par transformation de la PG en manifestation syphilitique plus bénigne, un cas d’atrophie optique récupérée sous malariathérapie, le traitement malarique chez la femme enceinte (15 janvier 1931), le pronostic par la courbe de poids, la diminution ou la non-récupération étant un mauvais indice… Une place particulière doit être réservée à une communication de Leroy et Médakovitch au Congrès de Barcelone (1929) intitulée « Essai pathogénique sur la psychose hallucinatoire chronique ». Dans la PG, il existe des formes paranoïdes soit après rémission spontanée, soit après malariathérapie ; les auteurs présentent cinq cas impaludés, avec un tableau de psychose hallucinatoire chronique ; les rares autopsies dans ces circonstances montrent des lésions accusées du lobe temporal… 4. Conclusion Les nombreuses publications évoquées et qui sont loin de représenter toute l’œuvre de Raoul Leroy permettent d’apprécier ses qualités de clinicien attentif et perspicace et de thérapeute organisé. Il s’est aussi investi dans l’enseignement et pas seulement des médecins. On s’est surtout intéressé aux précis et aux traités pour les étudiants en médecine et même aux éditeurs d’ouvrages de psychiatrie (Baillière a eu sa nécrologie dans les Annales Médico-Psychologiques), beaucoup moins aux manuels pour les infirmier(e)s. Il faut donc signaler le Manuel technique de l’infirmier des Hôpitaux psychiatriques de Roger Mignot et Léon Marchand. La première édition, en 1912, a été préfacée par Sérieux et Toulouse, la deuxième, en 1931, par Henri Colin et la troisième, en 1939, par Raoul Leroy. En 1882, avait été fondée à Sainte-Anne la première école d’infirmier(e)s pour les asiles de la Seine. Leroy y a enseigné, en son temps : « J’avais l’habitude, pour les leçons concernant les aliénés, de présenter aux élèves un assez grand nombre de sujets typiques pour mieux expliquer les
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symptômes de la manie, de la paralysie générale, de la démence précoce, de la démence sénile, etc. Ces scènes vécues m’ont paru extrêmement utiles et instructives », mais l’impact est fugace, un livre est donc nécessaire. Il a été secrétaire général des écoles départementales d’infirmiers et d’infirmières des hôpitaux psychiatriques de la Seine.
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Raoul Leroy a été l’un des derniers grands cliniciens de type classique, un thérapeute organisé et un enseignant. Sa personnalité, sa culture, son œuvre nous autorisent à surenchérir sur André Breton et à lui vouer aussi une admiration médicale. J. Biéder