Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 176–179
Dictionnaire biographique de psychiatrie par des membres de la Société Médico-Psychologique Disponible sur internet le 19 janvier 2006
Maurice Klippel (Mulhouse 1858–Vevey 1942)
François-Maurice Klippel, fils de Nicolas Eugène, docteur en médecine, et de Julie Koechlin, est né à Mulhouse le 31 mai 1858. Nicolas Eugène avait été Interne des Hôpitaux de Paris (promotion 1846). Henri Juillard (in Bulletin du musée historique de Mulhouse, T. LXIII, 1955, p. 105) évoque ce praticien « au regard pénétrant, un peu sévère mais bon et qui nous faisait un peu peur à mon frère et à moi à cause de sa haute taille et de son allure militaire ». Maurice a 12 ans au moment du désastre de 1870 et la famille a peut-être quitté l’Alsace pour conserver la nationalité française – c’est une hypothèse, en tout cas, Maurice est à Paris où il poursuit des études brillantes. Après avoir été, soit comme stagiaire, soit comme externe, interne provisoire ou titulaire (promotion de 1884), élève de Chauffard, Comby, Brocq, Hardy, Parras, Empis, Desnos, Auguste Voisin, Martineau, Joffroy, Cornil et Ball (à Laennec), cet ancien Interne, Lauréat des Hôpitaux de Paris, médaille de bronze de l’Assistance Publique, deviendra docteur en médecine en 1889, et chef de laboratoire de Joffroy, puis médecin des Hôpitaux de Paris (1er février 1896). Il effectue un bref passage à l’hospice Debrousse (du 1er janvier 1901 au 31 décembre 1901) où plusieurs médecins célèbres ont commencé leur carrière comme Pierre Marie (1853–1940) et Ernest Gaucher (1854–1918) qui s’y trouvaient en 1893 (l’hospice avait été installé en 1892 sur un site acheté par l’Assistance publique en 1887, au 148 rue de Bagnolet, dans l’ancien parc de Philippe-Égalité où se dressait le pavillon de l’Ermitage). Ensuite, Klippel dirigera, jusqu’à sa retraite, un service de médecine générale à l’hôpital Tenon. Ce choix est significatif. Il aurait pu se diriger, sinon d’emblée, du moins avec le temps, vers un service de neurologie ou des maladies mentales, à la Salpêtrière ou à Bicêtre. Ce neurologue éminent, membre fondateur de la Société de Neurologie (qu’il présidera en 1908), ce spécialiste des maladies mentales, membre titulaire de la Société Médico-Psychologique (qu’il présidera en 1912), membre fondateur de la Société de Psychiatrie (président en 1920), membre du Congrès des aliénistes et neurologues de langue française (présidence en 1910), membre d’honneur de la Société de médecine mentale de Belgique, voulait s’affirmer comme médecin généraliste. Le cours de clinique annexe qui lui a été confié à la Faculté de Médecine de Paris et le choix de la section qu’il a présidée à la Ligue d’Hygiène et de Prophylaxie mentales, la première (section des maladies générales), confirment ses positions, comme ses nombreux travaux sur l’histologie normale et pathologique et la pathologie génédoi:10.1016/j.amp.2005.12.015
rale, sur la pathologie viscérale, thoracique et abdominale, qui occupent cinq chapitres de l’impressionnant catalogue de ses publications (150 pages, 232 titres en 1920), contre un pour la pathologie nerveuse et un pour la pathologie mentale. Klippel est donc de ceux dont la pratique pourrait illustrer la formule d’Henri Ey : « La psychiatrie, c’est la médecine générale. » En 1889, il soutient sa thèse, sous la présidence de Ball, « Les amyotrophies dans les maladies générales chroniques et sur leurs relations avec les lésions des nerfs périphériques ». Le sujet choisi souligne, lui aussi, l’intention de ne pas extraire la neurologie (et plus tard la psychiatrie) de la médecine générale. La question, dans sa première partie, avait déjà été abordée par Joffroy, à propos des névrites tuberculeuses (1879) et Klippel, lui-même, peu de temps avant sa thèse, avait repris le problème des altérations des muscles chez les phtisiques (Société d’Anatomie, 1887). Mais, dans sa thèse, il distingue les amyotrophies survenant au cours de l’évolution des maladies générales au stade de cachexie, par ailleurs, et, de l’autre, les amyotrophies précoces, au début des maladies générales encore inapparentes et d’autant plus inapparentes que les amyotrophies dominent la sémiologie. Il y a environ trois décennies, l’attention a, de nouveau, été attirée sur ces névrites ou polynévrites survenant au tout début d’un cancer, pas encore manifesté, les polynévrites paranéoplasiques. Il faut rappeler ce fait parce que j’ai vu, à propos d’un lymphome, que des neurologues chevronnés s’étaient laissés prendre. L’exigence d’une vue générale a fait de Klippel l’un des plus importants cliniciens de son époque. Son nom reste attaché à quelques syndromes et à un signe ; voyons-les. Le syndrome de Klippel-Trénaunay-Weber : les deux premiers ont décrit en 1900 (in Archives générales de Médecine) le « nœvus variqueux dystrophique » auquel Weber a ajouté en 1907 des fistules artérioveineuses. C’est une angiodysplasie ostéokystique touchant une extrémité, généralement inférieure, avec hypertrophie des os et des tissus, avec des hémangiomes cutanés, des varices, un nœvus flamineus persistant. Le syndrome de Klippel-Feil (1912), plus fréquent chez les femmes, est caractérisé par la brièveté du cou (brevicollis), une ligne d’implantation postérieure des cheveux basse, une délimitation des mouvements du cou, éventuellement un ptérygium colli ; signes auxquels se sont ajoutées ensuite une surdité, des anomalies cardiaques, du tronc cérébral et du cervelet avec hydrocéphalie obstructive et des anomalies rencontrées aussi dans le syndrome d’alcoolisme fœtal et même une syringomyélie. Le syndrome de Klippel-Feldstein ou hyperostose corticale généralisée, sans aucun trouble (Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1913, 26, 445–451), encore appelé syndrome de Dziezynski-Klippel-
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Feldstein ou hyperostose corticale généralisée de Von Buchem. Avec Matthieu-Pierre Weill, il décrit le signe de Klipper-Weill, dans les atteintes pyramidales : lors d’une extension rapide des doigts contracturés en flexion, ces doigts opèrent une flexion rapide et l’on observe une flexion-adduction du pouce. C’est plus qu’il n’en faudrait pour pérenniser le nom d’un clinicien, et pourtant Klippel, qui a bien plus à son crédit, reste assez méconnu. Il n’y a même pas de salle Klippel à Tenon où il est resté plus de 20 ans. Cette désaffection peut s’expliquer par le phénomène général du « purgatoire », après la disparition de célébrités dans tous les domaines, mais aussi par le sort de la neuropsychiatrie après la guerre, malgré les sursauts manifestés par les livres de Jean Lhermitte et de Ferdinand Morel (de Genève) sur la psychiatrie neurologique. Mais, il y a plus chez Klippel – des résonances positivistes ; ainsi, dans Histoire et imagination (1928), il énumère les différentes façons d’interpréter l’histoire, celle des ecclésiastiques, celle des philosophes, celle des naturalistes, c’est en gros, une formulation de la loi des trois états d’Auguste Comte. Klippel déplorait l’abaissement de l’intelligence et de la raison, la « trahison des clercs » en somme. Dans cette période de turbulence idéologique de l’après-guerre, « positiviste » était devenu presque une injure. Mais il y avait, peut-être, encore un peu plus chez Klippel, comme pourrait le faire suspecter un extrait d’un long poème de Voivenel qui figure dans les actes du 20e Congrès des aliénistes (Bruxelles, 1910) coprésidé par Croc et Klippel : « Le Roi fit à la République Un Crocq… en jambe facétieux Et Klippel, donnant la réplique Lança des tas de nom de D… On s’occupa de médecine En allant voir l’Exposition Et l’on écouta la musique… » On n’en parla pas beaucoup, mais on sait bien que des positions peu orthodoxes en matière de religion sont mal tolérées et, même encore aujourd’hui, peuvent entraîner des réactions hostiles, surtout occultes (on en connaît des exemples). Par ailleurs, la date de sa mort, 1942, l’année la plus sombre de la guerre, n’a pas favorisé l’estimation d’une œuvre considérable, malgré deux importantes nécrologies, de Jean Lhermitte dans la Presse Médicale et de René Charpentier dans les Annales Médico-Psychologiques. Dans la première ou l’une de ses premières publications (août 1892) intitulée « De l’insuffisance hépatique dans les maladies mentales. De la folie hépatique » (Archives générales de Médecine), il explique que la cellule hépatique lésée ne détruit plus certaines toxines et qu’au cours des vésanies il n’est pas rare d’observer une insuffisance hépatique, marquée par l’urobilinurie. Il a fait école à ce sujet, puisque j’ai encore vu Baruk (qui avait été son interne) prescrire presque systématiquement des désinfectants hépatobiliaires. C’était aussi, d’une certaine façon, un retour aux conceptions antiques sur le rôle de la bile dans les troubles mentaux. Dans le même ordre d’idées, Klippel publie des commentaires sur une observation de Le Filliatre (Annales Médico-Psychologiques, 1894 ; II, 262) : il s’agit d’un cas de délire aigu avec confusion mentale au cours d’une affection hépatique destructrice, chez un alcoolique de vieille date, présentant
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subitement un délire mélancolique puis un délire aigu de forme maniaque, pour Klippel ce n’est pas un delirium tremens parce qu’il n’y a pas de fièvre, pas de tremblements, pas de prédominance des hallucinations visuelles, c’est un délire toxique secondaire à une lésion hépatique confirmée par l’autopsie (par cet exemple, on saisit le poids de la clinique et en même temps sa finesse, dans la pratique de Klippel). Dans cette même période, avec Azoulay, dans le laboratoire de Joffroy, il conclut en faveur de la thèse de Joffroy sur l’atteinte parenchymateuse dans la PG (opposée à la théorie interstitielle) (in Archives de Neurologie, août 1894) et confirme dans les Archives générales de Médecine en juin 1898. Avec Serveaux, il étudie l’élimination de différentes substances dans l’urine des PG (Archives de Neurologie, décembre 1894). Dans cette même période, il s’intéresse à la « théorie du neurone » (« Les neurones, lois fondamentales de leur dégénérescence », Archives de Neurologie, juin 1896). C’est la période des travaux de Ramon y Cajal d’un intérêt capital pour ces questions. Il poursuit ses recherches sur la PG et les affections voisines : « L’atrophie du nerf optique par rapport au tabès et à la PG », fréquente dans le tabès, absente dans la PG (Revue de Psychiatrie, 1898), « Des troubles du goût et de l’odorat dans le tabès » (Archives de Neurologie, avril 1897). La Revue de Psychiatrie reprend, et à juste titre, un article que Klippel avait publié dans la Presse médicale en 1898, « La non-équivalence des deux hémisphères cérébraux ». On y trouve ces phrases : « L’hémiplégie dite émotive, de M. Luys, frappe ainsi spécialement les membres gauche, et par conséquent l’hémisphère droit. Cette émotivité serait donc à opposer aux conséquences des foyers de l’hémisphère gauche, où les troubles du langage et, en général, l’affaiblissement intellectuel trahissent les lésions », et, un peu plus loin et plus caractéristique encore : « Les termes d’hémisphère mâle et d’hémisphère féminin rendraient assez bien les différences de nature des deux cerveaux, dont l’un, plus intellectuel, est plus stable, et dont l’autre, plus excitable, est aussi d’un épuisement plus rapide. » La non-équivalence des hémisphères le préoccupera toujours et l’on comprendra qu’il ait proposé à Levi-Valensi, comme sujet de thèse, l’anatomie, la physiologie et la pathologie du corps calleux, la structure qui les réunit. Klippel peut être considéré comme un précurseur des recherches des neuropsychologues dans ce domaine. Avec Trenaunay, il publie une étude sur le délire systématisé (« Délire systématisé de rêve à rêve », Revue de Psychiatrie, avril 1901) à propos d’un mystique mégalomane et persécuté, dont le délire semble « enveloppé des vapeurs du rêve, alors que le délire ordinaire tire, au moins partiellement, ses conceptions délirantes de l’état de veille ». Dans plusieurs études, soit seul, soit avec Feil, il a étudié les modifications hématologiques dans le délire transitoire (Encéphale, 25 mai 1906, 225) où il note une augmentation des leucocytes sans infection ni intoxication et (Annales Médico-Psychologiques, 1912, 1, 469) dans l’état de mal épileptique, les formes délirantes et éclamptiques, une leucocytose au maximum, tandis que les éosinophiles sont rares. Ce genre de recherches, encore nombreuses au siècle dernier, par exemple chez Maurice Dide au début de sa carrière, correspond à l’idée que le trouble mental, aspect émergé d’une maladie générale, monopoliserait d’autant plus l’attention qu’il serait de plus en plus mal toléré.
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Avec E. Lefas (Encéphale, 1906, 4), il écrit : « … les altérations du sang et le délire sont parfois le résultat d’un même agent pathogène, mais dont l’action ne se fait pas sentir forcément à égalité sur les éléments du sang et sur l’encéphale. » Ici, Kleppel raisonne en épistémologiste : quand deux phénomènes coexistent ce peut être par hasard, ou bien l’un est la cause de l’autre, et vice versa, ils sont alors « en série », ou bien encore ils résultent tous les deux d’une cause unique et ils sont « en parallèle », d’où l’intérêt d’étudier les comorbidités. C’est une remarque importante pour la réflexion sur la causalité. Cette année 1906 est riche en recherches sur la valeur des lésions anatomiques en pathologie mentale, sur la définition des termes « primitif », « secondaire » et « symptomatique ». Ces préoccupations linguistiques ne le quitteront pas et en 1912, quand il accédera à la présidence de la Société Médico-Psychologique, dans son discours il insistera sur l’importance du vocabulaire ; il propose de « consacrer de temps à autre une partie de nos séances à définir les termes dont nous faisons usage de la manière la plus habituelle » et quand il parle de « la nécessité de ne lire un auteur qu’en s’attachant à l’étude de son vocabulaire », il précède de loin une approche linguistique quantitative. Son projet ne semble pas avoir eu de suite, pourtant il n’était pas le seul sur la brèche. Séglas s’était demandé si la langue psychiatrique était une langue bien faite, Arnaud parlait de l’anarchie langagière. L’idée de rédiger un dictionnaire à l’instar d’une Académie mériterait bien d’être reprise. Dans cette même année paraissent des communications qui illustrent bien la virtuosité sémiologique de Klippel, ainsi avec LévyDarras (Annales Médico-Psychologiques, 1912, II, 564), le cas d’un tabès confirmé cliniquement et sémiologiquement, avec mégalomanie, des crises de joie et de tristesse, des achats inconsidérés, des tendances érotiques, mais sans achoppement ni affaiblissement intellectuel, donc sans autre signe de PG que la mégalomanie. Dans la discussion, pour Gilbert Ballet rien ne s’oppose à conclure à l’association de tabès et de psychose périodique mais rien n’impose d’éliminer la PG. On peut se demander s’il y a un intérêt, autre que ludique, à ces joutes, on peut en désigner un, au moins, qui est l’établissement d’un pronostic. Une autre communication, avec Mallet, concerne un cas de « Confusion mentale à forme presbyophrénique curable » (Annales Médico-Psychologiques, 1912, I, 710) ; après un état infectieux bref, apparition d’une confusion, puis une certaine euphorie, une amnésie d’évocation et de fixation, de la fabulation et des fausses reconnaissances, donc des signes de la presbyophrénie de Wernicke, qui est ici intermédiaire entre une confusion et une amnésie qui termine l’évolution. Avec Matthieu-Pierre Weil et Raymond Levy, Klippel publie une communication originale sur « La réaction d’activation du venin de cobra dans les maladies mentales » (Annales Médico-Psychologiques, 1913, I, 45–58). Le venin de cobra hémolyse les hématies du lapin à condition qu’on y ajoute de la lécithine, l’épreuve permet donc de la déceler dans un liquide quelconque. Avec les sangs de nombreux malades fournis par Capgras, Pactet et Vigouroux, les auteurs constatent que leurs sérums activent le venin de cobra, sauf si le délai est trop long après le prélèvement, s’il s’agit d’une psychose à forme dépressive, d’une paralysie générale ou d’une démence
précoce trop évoluée. C’est dans la démence précoce que la réaction est la plus forte, elle est donc intéressante quand on hésite entre dépression et démence précoce. Par ailleurs, elle est positive dans 70 % des cas de tuberculose, constatation qui a pu être, avec d’autres, à l’origine de la thèse tuberculeuse de la démence précoce et des essais de traitement de cette affection par l’antigène méthylique. Cette recherche pourrait étonner si l’on ne se rappelait pas que la question était à l’ordre du jour depuis plusieurs années ; ainsi, Calmette avait publié (in Bulletin de l’Institut Pasteur de Paris, 1907, 5, 193–200) une étude sur « L’hémolyse par les venins de serpents ». Avec Jacquelin à la Société de Psychiatrie (Encéphale, 1920, 272), il présente une mélancolie auto-accusatrice involutive, chez une femme de 48 ans, affaiblie, ménopausée, organiquement involuée, porteuse d’une maladie de Basedow, dont le traitement modifie la tachycardie sans influencer les troubles psychiques, à savoir une mélancolie anxieuse avec culpabilité, indignité, transitivisme (sentiment d’être responsable de ce qui arrivera à d’autres, surtout des proches). À la séance du 17 mars (Encéphale, 1921, 218), avec Deny et Florand, il présente un délire d’influence à début onirique chez une femme de 56 ans avec hallucinations auditives, troubles de la sensibilité génale, désintégration de la personnalité après un début par épisodes oniriques sans confusion mentale, sans infection ni intoxication, sur fond de débilité avec défaut d’autocritique et hyperémotivité. À la séance du 16 juin 1921, avec Deny et Bie, il présente un cas de maladie du doute avec polyphobies chez une femme qui avait été effrayée par un chien et qui a développé une phobie sur les chiens, les allumettes, les poisons, les couteaux, le vol ; ces phobies, d’apparition tardive, avaient une marche ininterrompue depuis dix ans, avec des fluctuations. À la séance du 2 octobre 1921, avec Chavany, il expose « Un cas de mélancolie symptomatique d’artériose cérébrale » (Encéphale, 1921, 550) chez une femme de 59 ans déprimée avec idées de ruine, incurabilité, culpabilité sur fond d’affaiblissement psychique qui estompe le syndrome mélancolique. À la séance du 17 novembre (Encéphale, 1921, 624) avec Jacques Florand, il rapporte un syndrome de rire spasmodique avec titubation cérébelleuse chez une femme ayant présenté une forme atténuée d’encéphalite léthargique qui se trouvait dans un état dépressif en rapport avec des causes morales authentiques et qui était soumise à des crises de rire spasmodiques (sans idées gaies) de quelques secondes (Si la titubation avait pu être considérée comme un vertige épileptique, l’association au rire forcé aurait pu être considérée comme un cas d’ « épilepsie gélastique ».) Mais, le rôle de l’encéphalite léthargique ne peut pas être négligé, comme le prouve l’article de Deny, Klippel et Baruk (Encéphale, 1923, 470) : « Encéphalite léthargique et apparence de démence précoce », où il s’agissait d’une jeune femme ayant eu une encéphalite léthargique présentant des stéréotypies, des accès brusques de rire et de pleurer, une indifférence affective, une indifférence au monde extérieur, une perte d’initiative, du maniérisme, des troubles de l’association des idées, un syndrome catatonique incomplet. » Dans le grand Traité de Brouardel et Gilbert, Klippel a rédigé le chapitre sur les tumeurs cérébrales qui a guidé Baruk tout au long de sa célèbre thèse de 1926.
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La retraite n’a nullement ralenti son activité intellectuelle. D’abord, il s’intéresse à l’histoire et dans Histoire et imagination (chez Levasseur, 1928), il a noté qu’en plus des falsifications et des erreurs involontaires auxquelles tout le monde pense, « le silence même est injuste ». On peut d’abord être étonné par cette autre phrase : « Tant de faits […] sont de nature à démontrer ce qu’il faut appeler la psychologie permanente des peuples » et, à ce sujet, il s’appuie sur Jules Soury, qui à l’époque était déjà connu comme théoricien du racisme, farouche antidreyfusard et virulent antisémite. Au contraire, on peut mesurer là son honnêteté intellectuelle, il ne rejette pas une idée qui lui paraît juste même si elle a été défendue par un personnage douteux. Puis, il s’intéresse à l’histoire de la médecine et de la culture classique, surtout grecque. Ainsi, il étudie le népenthicisme (Hippocrate, mars 1934, p. 267). Le népenthes serait crédité d’une action cénesthésique agréable avec euphorie ; il montre qu’il s’agit plutôt de ce que Minkowski a décrit sous le nom d’anesthésie affective douloureuse et, pour le lecteur, car il a sûrement lu l’original, il cite la traduction de Leconte de Lisle (Odyssée, chant IV : « … le Népenthes qui donne l’oubli des maux. Celui qui aurait bu ce mélange ne pourrait plus répandre de larmes, de tout un jour,
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même si son père et sa mère étaient morts, même si on tuait devant lui, par l’airain, son fils »). En 1937, chez Le François, dans la collection « Hippocrate » dirigée par Laignel-Lavastine, Klippel publie La Médecine grecque dans ses rapports avec la philosophie. À propos de la période préhippocratique, surtout légendaire, il rappelle que la science exige la vérité, qui est souvent malmenée. Par exemple, on dit que Laennec a découvert l’auscultation, or, c’est faux, il a ajouté, il a vulgarisé, mais il n’a pas découvert. (Quand on connaît l’influence qu’ont eue les groupes rassemblés autour de ce nom, on peut comprendre encore un peu mieux le silence qui s’est abattu sur le nom de Klippel.) La médecine hippocratique est philosophique en ce qu’elle est séparée des forces divines et des dogmes a priori, qu’elle appuie le raisonnement sur l’observation et non sur l’hypothèse, et c’est bien ce qu’a toujours fait Klippel lui-même. Klippel était donc médecin, historien, philosophe et même poète, il a publié des poèmes philosophiques chez Vrin, place de la Sorbonne, l’éditeur de la philosophie. En un mot, Klippel était un parfait humaniste. J. Biéder