Dictionnaire biographique de psychiatrie par des membres de la Société Médico-Psychologique

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Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 418–419 Dictionnaire biographique de psychiatrie par des membres de la Société Médico-Psychologique Jacques ...

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Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 418–419

Dictionnaire biographique de psychiatrie par des membres de la Société Médico-Psychologique Jacques Lacan (1901–1981) Bien que Jacques Lacan soit avant tout connu pour avoir profondément infléchi l’histoire de la psychanalyse au nom d’un « retour à Freud » dont il a précisé le sens lors d’une conférence faite en 1956 à la Clinique neuro-psychiatrique universitaire de Vienne, son nom mérite de figurer parmi ceux des psychiatres des XIXe et XXe siècles auxquels sont consacrées ces notices des Annales. Lors de la publication en 1966 de ses « Écrits », qui lui assureront sur le tard une notoriété débordant largement le milieu psychanalytique, il tiendra à préciser lui-même d’où, d’abord médecin et psychiatre, il est « entré en psychanalyse », ne se reconnaissant à ce point de son itinéraire comme seul maître en psychiatrie que G.G. de Clérambault. Reçu en 1927 à l’internat des asiles de la Seine où il se liera d’amitié avec Henri Ey, Lacan a été interne en 1928–1929 à l’Infirmerie spéciale du dépôt, après l’avoir été à la Clinique des Maladies mentales et de l’Encéphale où il reviendra en 1930–1931. Le Professeur Henri Claude venait d’y créer une consultation de psychanalyse. De ces années datent, parmi d’autres travaux sur divers sujets de neurologie et de psychiatrie, cinq communications à la Société médico-psychologique cosignées avec Claude, Ey, Heuyer et Lévy-Valensi. Celle présentée avec ce dernier et Mignault lors de la séance du 12 novembre 1931 sur les troubles du langage écrit chez une paranoïaque mérite d’être soulignée, car elle témoigne de l’intérêt que portait déjà Lacan, jeune psychiatre, avec ses co-auteurs aux phénomènes langagiers psychopathologiques. Ils restaient ainsi fidèles à la tradition de l’école psychiatrique française qui a toujours envisagé le délire comme un fait de discours ; mais en même temps, comme nous l’avons fait remarquer dans notre exposé sur la psychiatrie psychopathologique à l’occasion du cent cinquantenaire des Annales, cette communication annonce la place que prendra ultérieurement dans le système lacanien la linguistique structurale. Lacan partageait ce double intérêt, pour la paranoïa et pour l’automatisme de l’écriture, avec d’autres participants au mouvement surréaliste auquel lui-même adhérait. Il avait ainsi pu lire les premiers articles de Salvador Dali sur le phénomène paranoïaque. Un passage du roman d’André Breton, Nadja (1928) – « Je sais que si j’étais fou, et depuis quelques jours interné, je profiterais d’une rémission que me laisserait mon délire pour assassiner avec froideur un de ceux, le médecin de préférence, qui me tomberait sous la main » – allait provoquer une vive émotion chez les membres de la Société médico-psychologique qui se sentaient particulièrement visés. Il s’ensuivit lors de la séance de novembre doi:10.1016/j.amp.2004.04.003

1929, présidée par Paul Abely, une discussion marquée par les interventions de Pierre Janet de qui les surréalistes étaient redevables pour l’utilisation de l’écriture automatique comme méthode d’exploration de l’inconscient, et surtout de Clérambault. Le compte rendu publié dans les Annales apparaît comme le jugement porté par les aliénistes sur les surréalistes. Breton réplique dans le deuxième numéro du Surréalisme au service de la révolution, en faisant comparaître « la médecine mentale devant le surréalisme », et en jugeant que c’est en tant que médecin qu’il a conseillé aux fous de se faire justice de ces prétendus médecins qui ne sont en fait que les exécuteurs des basses œuvres de la police et de la justice. Les deux principales têtes de Turc des surréalistes n’étaient autres que les deux patrons de Lacan, Claude et Clérambault. Ce ne fut cependant pas là la cause de la brouille entre ce dernier et son interne, mais un article que Lacan publia, sans en avertir préalablement son maître, dans La Semaine des hôpitaux de Paris, sur la structure des psychoses paranoïaques, provoquant ainsi l’accusation de vol ou de divulgation erronée ou prématurée des idées de Clérambault. Des historiens ont dit que cette brouille aurait donné lieu à une scène en public, lors d’une séance de la Société médicopsychologique, scène dont on ne retrouve pas trace dans les Annales, dans le compte rendu par le secrétaire des séances, mais nous pensons qu’il y a confusion avec une autre scène plus dramatique qui se produira quelques années plus tard, avant le suicide de Clérambault. La thèse de doctorat en médecine soutenue en novembre 1931 par Jacques Lacan a pour sujet, on le sait, la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité. Il tente d’opérer en psychiatrie une double révolution : • la substitution à la notion fixiste de constitution, telle que notre maître Montassut l’avait décrite en 1927 dans sa propre thèse, et dont Lacan parle encore dans La Semaine des hôpitaux, celle psychodynamique de personnalité ; • la révision de la définition de la paranoïa proposée par Kraepelin dans la huitième et dernière édition de son livre à la lumière des idées de Freud, dont Lacan venait de traduire un article, telles qu’elles étaient alors connues en France. C’est dire la déception de Lacan de ne recevoir qu’un simple « merci pour l’envoi de votre thèse » du père de la psychanalyse dont ce travail devait faire connaître aux médecins français l’œuvre. Freud qui par ailleurs tenait, comme les membres de la Société médico-psychologique, les surréalistes pour des fous à lier, a-t-il été surpris de voir les neuf références à ses travaux noyées parmi les 168 que compte la bibliographie de

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cette thèse ? On est frappé en effet par son abondance ou surabondance, qui amènera Georges Heuyer à s’enquérir auprès de l’impétrant s’il avait réellement lu tous les textes cités… Elle est en outre d’un grand éclectisme international. On y retrouve la plupart des auteurs français de l’époque, ceux que nous avons déjà nommés, mais aussi d’autres incontournables sur le sujet traité, comme Sérieux et Capgras. De Clérambault ne sont mentionnés que les articles sur l’érotomanie, alors que ceux sur l’automatisme mental sont absents. On relève, parmi les auteurs de langue allemande les plus cités, outre Freud, Eugen Bleuler (Lacan avait pendant son internat effectué un stage de deux mois au Burghölzli) ; Adolf Meyer figure en bonne place parmi les auteurs de langue anglaise et parmi les Italiens, paranoïa oblige, Tanzi. Henri Ey fit dans L’Encéphale un compte-rendu élogieux de la thèse de son camarade et ami qui d’ailleurs y prolongeait son propre essai critique de la notion de constitution. Plus surprenant fut l’article de Salvador Dali, dans le premier numéro du Minotaure, « Interprétation paranoïaque–critique de l’image obsédante, L’angélus de Millet », où il déclare son admiration pour cette thèse. Cet article est immédiatement suivi d’un autre signé « Docteur Lacan » : « Le problème du style et la conception psychiatrique des formes paranoïaques de l’expérience. ». Son style doctoral et plus celui d’un addendum phénoménologique à la thèse, avec une référence à l’essai que venait de publier Ludwig Biswanger, « Uber Ideenfhudt » que celui d’un texte surréaliste. Comme nous avons esquissé ailleurs l’histoire des relations quelque peu surréalistes entre Dali et Lacan autour de la paranoïa, bornons-nous à signaler ici que le second publiera un dernier article dans le Minotaure : « Motif du crime paranoïaque. Le crime des sœurs Papin. » Le ton est très différent vis-à-vis du Docteur Georges Dumas, pourtant adversaire de Freud, et du Docteur Logre. Lorsqu’en 1976 Lacan acceptera que soit republié dans la collection « Le champ freudien », qu’il dirige lui-même au Seuil, le texte de sa thèse, il le fera suivre de ses « Premiers écrits sur la paranoïa ». Ceux-ci comprennent la communication à la Société médico-psychologique de novembre 1931 ainsi que les deux articles du Minotaure dont nous venons de parler. En revanche, il n’y adjoint point l’article sur la structure des psychoses paranoïaques. Pourtant, il écrira de son maître, lorsqu’il le désignera comme le seul qu’il ait eu en psychiatrie : « Son automatisme mental, avec son idéologie mécanistique de métaphore, bien critiquable assurément, nous paraît, dans ses prises du texte subjectif, plus proche de ce qui peut se construire d’une analyse structurale qu’aucun effort clinique dans la psychiatrie française. » Il rejoint ainsi quarante ans plus tard l’opinion exprimée par Eugène Minkowski, dès le congrès de Blois, à savoir que la description de

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l’automatisme mental, qu’il propose de nommer désormais « Syndrome de Clérambault », constitue en fait l’une des premières analyses structurales en psychopathologie. C’est dans ses « Propos sur la causalité psychique », rapport au colloque organisé à Bonneval en 1946 sur la psychogenèse des névroses et des psychoses, que Lacan s’est affirmé le plus clairement comme disciple de Clérambault, mais ces propos sont les derniers qu’il tient en tant que psychiatre dialoguant avec d’autres médecins. Lorsqu’il entreprend en 1951 son enseignement privé, c’est par la seule parole du psychanalyste qu’il s’exprime et la plupart des noms que nous avons mentionnés disparaîtront du discours. Dans les notices que nous allons leur consacrer, nous tenterons de reconstituer la trame du commerce des idées à ce moment crucial de l’histoire de la psychiatrie qu’ont été les années de l’avant et de l’après-guerre.

Pour en savoir plus Binswanger L. Uber Ideenfhecht. Zurich: Orell-Fussli, 1933. Breton J. La médecine mentale devant le surréalisme. Le surréalisme au service de la révolution 1930 : 2. Dali S. Interprétation paranoïaque-critique de l’image obsédante. L’Angélus de Millet. Minotaure, 1, 65-7. Paris : Albert Skira ; 1933. Garrabé J. La psychiatrie et la méthode psychopathologique (1902–1952). Cent cinquantenaire de la Société médicopsychologique. Ann méd-psychol 160 ; 2002 : 746-54. Garrabé J. Dali, Lacan et la paranoïa, 1930–1976. Cahiers Henri Ey 2003 : 3-4. Lévy-Valensi J., Migault et Lacan J. Troubles du langage écrit chez une paranoïaque présentant des éléments délirants du type paranoïde (schizographie). Ann méd. Psychol. 1931, 2, 407-8. Lacan J. Le Problème du style et la conception psychiatrique des formes paranoïaques de l’expérience. Minotaure, 1, 68-9. Paris : Albert Skira ; 1933. Lacan J. Propos sur la causalité psychique. Le problème de la psychogenèse des névroses et des psychoses. Paris : Desclée de Brouwer ; 1950. Lacan J. La chose freudienne ou sens d’un retour à Freud en psychanalyse. L’Évolution psychiatrique 1956 : 1. Lacan J. Écrits. Paris : Le Seuil ; 1966. Lacan J. De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité. Paris : Le François, 1932. Rééd. Suivie des Premiers écrits sur la paranoïa. Paris : Le Seuil, 1975. J. Garrabé