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L’évolution psychiatrique 77 (2012) 519–529
Article original
Éléments d’introduction à la question du rêve dans la psychose夽 Elements of introduction about dreams in psychosis Nicolas Brémaud a,∗,b a
Psychologue clinicien, docteur en psychopathologie, membre associé « laboratoire recherches en psychopathologie, nouveaux symptômes et lien social », EA 4050, université Rennes-2 – Haute-Bretagne, IME « Le Marais », 13, rue Saint-Dominique, 85300 Challans, France b IME « Les Terres Noires », route de Mouilleron, 85000 La Roche/Yon, France Rec¸u le 19 mai 2010
Résumé Dans la mesure où un certain nombre de patients psychotiques apportent en séance des éléments de rêves, et que bien souvent le clinicien ne sait trop que faire de ce matériel (faut-il l’interpréter, faut-il encourager le patient à raconter son rêve, à associer, etc.), il nous a semblé utile de reprendre cette question des rêves dans la psychose, et de tenter de répondre à ce qui peut faire problème en pratique. L’auteur propose pour commencer de revenir sur les références freudiennes incontournables qui articulent la question du rêve à celle des psychoses. L’accent est mis ensuite sur certains travaux qui font état du rôle que peuvent jouer les rêves chez certains sujets psychotiques. Ce sera l’occasion de marquer l’écart entre rêve et délire (la psychose n’est pas une forme de rêve continu), et de souligner l’importance de l’usage qui est fait par le patient de son propre rêve. Nous reviendrons de fac¸on nécessaire aussi sur l’« ombilic du rêve » freudien, en l’articulant au réel lacanien et au concept de semblant, deux concepts importants qui nous aideront à mieux saisir la structure du rêve dans la psychose, son statut, sa fonction, et l’idée que nous nous faisons quant au maniement des rêves de patients psychotiques. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Psychanalyse ; Rêve ; Psychose ; Réel ; Freud S. ; Lacan J. ; Semblant ; Étude théorique ; Cas clinique
夽 Toute référence à cet article doit porter mention : Brémaud N. Éléments d’introduction à la question du rêve dans la psychose. Evol psychiatr 2012;77(4). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
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0014-3855/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2012.04.010
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Abstract Many psychotic patients bring into psychotherapy or into psychoanalytic treatment some elements of dreams. Sometimes, psychoanalysts or psychologists are quite embarrassed by these elements: should we interpret them? Should we encourage these patients to associate? For beginning, the author proposes few Freudian references concerning relations between dreams and psychosis. Then, we’ll see how many authors consider the role of dream into psychosis. Therefore, we’ll show the difference between dream and delirium, and we’ll insist on which utilization of his dream the psychotic patient can make. At last, we’ll consider three psychoanalytic concepts: the “umbilicus of dream”, the Real (Réel, in French), and the “semblant” (these two last concepts are lacanian concepts). With these concepts, we’ll apprehend the structure of psychotic dream, his statute, his function, and how it could help us in our profession. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Psychoanalysis; Dreams; Psychosis; Real; S. Freud; J. Lacan; Semblant; Theorical research; Clinical case
Nous travaillons à faire la lumière sur les psychoses lorsque nous nous effor¸cons d’élucider le mystère du rêve (S. Freud, L’interprétation des rêves) Dès ce moment, je m’appliquais à chercher le sens de mes rêves, et cette inquiétude influa sur mes réflexions de l’état de veille. Je crus comprendre qu’il existait entre le monde externe et le monde interne un lien (. . .). La conscience que désormais j’étais purifié des fautes de ma vie passée me donnait des jouissances morales infinies ; la certitude de l’immortalité et de la coexistence de toutes les personnes que j’avais aimées m’était arrivée matériellement (Nerval, Aurélia) 1. Introduction Le rêve met-il à l’épreuve la théorie psychanalytique des psychoses ? On sait que le rêve, pour Freud, est une formation de l’inconscient, que sa structure est commune à celle qui répond aux lois de l’inconscient. À suivre la théorie freudienne du rêve, on voit donc assez difficilement au premier abord comment l’on pourrait articuler et soutenir la question du rêve dans les psychoses. Or les psychotiques rêvent aussi. Pourquoi le sujet psychotique rêve-t-il ? Si le rêve c’est du refoulé – ou plutôt un retour du refoulé – s’il est directement le témoin des processus inconscients, alors comment se fait-il qu’il y ait des rêves dans la psychose ? La question n’est pas que théorique mais aussi clinique, pratique, puisqu’il n’est pas rare, par exemple, d’entendre que tel sujet ne peut être diagnostiqué psychotique dans la mesure où il rapporte en séances certaines productions oniriques. Et puis si les psychotiques rêvent, que sont ces rêves ? Quel statut leur donner ? Ont-ils une fonction particulière ? Les rêves des psychotiques jouent-ils un rôle ou ont-ils une influence quelconques sur le tableau clinique ? Renseignent-ils sur la question diagnostique1 ?
1 C’était une évidence pour Ferenczi : « Les rêves ont une valeur diagnostique incontestable, ou du moins l’auront lorsque l’on parviendra à une connaissance systématique de la psychologie et aussi de la pathologie du rêve » ([1], p. 91).
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Quarante années durant, la question du rêve n’a pas quitté Freud. Sans être exhaustif on citera pour rappel qu’après la magistrale Traumdeutung (L’interprétation des rêves, 1899–1900) [2]2 Freud a consacré de nombreux articles, ouvrages ou chapitres de livres à cette question du rêve : 1901 : Sur le rêve [4] ; 1909 : troisième lec¸on des Cinq le¸cons sur la psychanalyse [5] ; 1912 : « Le maniement de l’interprétation du rêve » [6] ; 1915 : « Complément métapsychologique à la théorie du rêve » [7] ; 1916 : deuxième partie de l’Introduction à la psychanalyse [8] ; 1933 : Conférences 29 et 30 des Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse [9] ; 1938 : « À propos de l’interprétation du rêve », dans l’Abrégé de psychanalyse [10]. On considérera ici les thèses freudiennes du rêve comme connues (en deux mots : pour Freud le rêve exprime l’accomplissement d’un désir inconscient, ce sont des pensées chiffrées procédant par voie de condensation et de déplacement), aussi mettrons-nous pour commencer davantage le projecteur sur les rapports entre rêve et psychose établis par Freud au fil de quelques unes de ces références. 2. Freud, le rêve et la psychose La partie H du premier chapitre de L’interprétation des rêves (1900) s’intitule « Relations entre le rêve et les maladies mentales ». Freud y poursuit sa revue de la littérature scientifique sur les problèmes du rêve, et retient notamment deux références : C. Hohnbaum (1780–1855), qui « rapporte que souvent la première irruption de la folie remonte à un rêve d’effroi et d’angoisse, et que l’idée prédominante est en relation avec ce rêve » ; puis Sante de Sanctis (1862–1935), qui, à partir de certaines observations cliniques de cas de paranoïaques extraits de sa pratique, déclare que le rêve est la « vraie cause déterminante de la folie ». Freud commente alors : « la psychose peut entrer dans la vie d’un seul coup avec le rêve efficient qui contient l’explication du délire, ou bien se développer lentement à travers d’autres rêves qui ont encore à lutter contre le doute » [2]. On doit également noter que dans L’interprétation des rêves, Freud fait mention d’une étude de W. Griesinger (1817–1868) datée de 1861 dans laquelle l’auteur « dévoile en toute clarté que l’accomplissement de souhait est un caractère de l’activité de représentation commun au rêve et à la psychose », et, précise Freud : « mes propres investigations m’ont enseigné que c’est ici que se trouve la clé d’une théorie psychologique du rêve et des psychoses » [2]. En 1909, dans ses Cinq Le¸cons sur la psychanalyse, Freud rappelle que « l’interprétation des rêves est la voie royale de la connaissance de l’inconscient, la base la plus sûre de nos recherches » [5]. Freud fait un parallèle entre le rêve et les maladies mentales : « il convient de noter, écrit-il, que nos productions oniriques − nos rêves − ressemblent intimement aux productions des maladies mentales, d’une part, et que, d’autre part, elles sont compatibles avec une santé parfaite » [5]. Le rêve est très directement corrélé avec la notion de refoulement : « le “contenu manifeste” du rêve peut être considéré comme la réalisation déguisée de désirs refoulés » [5]. Comprendre le mécanisme psychique qui permet de transformer les idées inconscientes du rêve en un contenu manifeste doit « retenir toute notre attention » car cela nous conduit, écrit Freud, à « étudier comme nulle part ailleurs quels processus psychiques insoupc¸onnés peuvent se dérouler dans l’inconscient », processus psychiques parmi lesquels les plus importants sont la « condensation » et le « déplacement ». En 1915, dans sa Métapsychologie, Freud publie un chapitre intitulé « Complément métapsychologique à la théorie du rêve » [7]. C’est une référence importante de Freud en ce qui concerne 2 On le sait, Freud s’intéressait aux rêves depuis déjà un certain nombre d’années. L’on peut lire, par exemple, ses Lettres à Fliess, qui témoignent dès 1895 de sa découverte du sens des rêves en tant qu’accomplissement de désirs [3].
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notamment la schizophrénie, texte venant compléter le précédent, celui sur « L’inconscient », dans lequel Freud donne des pages fondamentales sur les représentations de mots et représentations de chose. Dans son « Complément métapsychologique » c’est précisément cette distinction établie dans le processus du rêve qui va venir introduire celle sur la schizophrénie : « On sait, écrit Freud, depuis L’interprétation des rêves, de quelle manière procède la régression des restes diurnes préconscients dans la formation du rêve. Des pensées y sont transposées en images (. . .), donc des représentations de mot sont ramenées aux représentations de chose qui leur correspondent (. . .). C’est seulement lorsque les représentations de mots parmi les restes diurnes sont des restes frais et actuels de perceptions, et non pas l’expression de pensées, qu’elles sont traitées comme des représentations de chose et subissent en elles-mêmes les effets de la condensation et du déplacement (. . .). Il est très remarquable de voir combien le travail du rêve s’attache peu aux représentations de mot ; il est à chaque instant prêt à échanger les mots les uns pour les autres jusqu’à ce qu’il trouve l’expression qui s’offre à la figuration plastique le plus de commodité » [7] ; et Freud poursuit : « ici apparaît la différence décisive entre le travail du rêve et la schizophrénie (. . .). Dans le rêve, la circulation est libre entre investissement de mot (Préconscient) et investissements de chose (Inconscient) ; il est caractéristique de la schizophrénie que cette circulation soit coupée » [7]. Ainsi, pour Freud, le processus onirique se distingue radicalement du processus schizophrénique, autrement dit le rêve n’est pas une psychose, et inversement la psychose n’est pas assimilable à un rêve3 . Un an plus tard, dans ses conférences d’Introduction à la psychanalyse, en 1916, Freud consacre une partie entière (l’ouvrage en comprend trois) au rêve. Dès les toutes premières lignes, on mesure combien notre question de départ prend tout son intérêt : « nous allons, à titre de préparation à l’étude des névroses, démontrer le sens des rêves (. . .). Non seulement l’étude des rêves constitue la meilleure préparation à celle des névroses, mais (. . .) le rêve lui-même est un symptôme névrotique » [8]4 . La question semble réglée : le rêve est un symptôme névrotique, son étude permet de saisir au mieux le mécanisme des névroses, les désirs refoulés qui s’y expriment de fac¸on voilée rendent compte de l’inconscient propre aux névrosés. Or, répétons-le, les psychotiques rêvent, et Freud ne l’ignore pas. Dans ces pages consacrées au rêve (de la conférence 5 à la conférence 15), c’est encore sur les rêves d’enfants que nous pourrons peut-être nous appuyer pour répondre à notre interrogation initiale. De fait, dans sa huitième conférence, celle intitulée « Rêves enfantins », et après avoir rappelé que ces rêves n’ont subi « aucune déformation », Freud précise qu’en ces cas « le rêve manifeste et le rêve latent se confondent et coïncident » [8] (ce qui l’amène d’ailleurs à apporter ce nouvel élément qui est que la déformation ne constitue donc pas un caractère naturel du rêve). Freud souligne ensuite l’un des caractères fondamentaux du rêve : le désir est l’excitateur du rêve, et la réalisation de ce désir en forme le contenu. Autre caractère fondamental : « le rêve, non content d’exprimer une pensée, représente ce désir comme réalisé, sous la forme d’un événement psychique hallucinatoire » [8]5 . Aussi, même dans les 3 Notons au passage que la conception d’E. Bleuler sur le sujet était bien éloignée de celle de Freud : « l’unique différence que j’ai pu voir jusqu’à maintenant entre les phénomènes schizophréniques et le rêve consiste dans la plus forte dislocation (Spaltung) de la personnalité ». Cette citation, tirée de Dementia Praecox ou le groupe des schizophrénies (1911) est rapportée par H. Ey ([11], p. 232) dans son Étude Psychiatrique no 8 (« Le rêve : “fait primordial” de la psychopathologie ») où l’auteur, rejoignant son maître, écrit : « la pensée schizophrénique (. . .) n’est qu’une pensée infiltrée de rêve » ([11], p. 252). 4 Freud écrira encore un peu plus loin : « les mécanismes qui président au travail d’élaboration du rêve sont les prototypes de ceux qui règlent la production des symptômes névrotiques » ([8], p. 167). 5 Freud prend l’exemple suivant pour illustrer son propos : « Je voudrais voyager en mer : tel est le désir excitateur du rêve. Je voyage sur mer : tel est le contenu du rêve ».
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rêves d’enfants très simples, persiste « une différence entre le rêve latent et le rêve manifeste, une déformation de la pensée latente du rêve : c’est la transformation de la pensée en événement vécu »6 . Et l’on sait combien le petit enfant au réveil est persuadé d’avoir vu, entendu et vécu réellement son rêve. Avanc¸ons à grands pas pour arriver aux Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse (1933), et précisément à la conférence 29 : « Révision de la théorie du rêve ». On relèvera ici le point commun au rêve et aux psychoses, à savoir le détournement du monde extérieur : « l’état de sommeil nous fait nous détourner du monde extérieur réel, et ainsi est donnée la condition qui convient au déploiement d’une psychose. L’étude la plus attentive des psychoses graves ne nous fera découvrir aucun trait qui soit plus caractéristique de cet état pathologique » [9], Freud prenant soin toutefois de séparer radicalement le mode et le type de retrait du monde extérieur dans le rêve et dans la psychose (notamment en ce que le retrait, dans le rêve, est « consciemment voulu et seulement temporaire »). Voilà donc dans leurs grandes lignes les points essentiels de la théorie freudienne du rêve, dans ses articulations théoriques avec la psychose. On admettra volontiers que ce parcours est trop rapide, mais il nous dit cependant : • qu’alors même que la conception freudienne du rêve rattache celui-ci au refoulement névrotique (Lacan dira en ce sens, dès son premier séminaire, que « s’il y a rêve, c’est qu’il y a refoulement » [12]) force est de constater que les psychotiques rêvent aussi7 ; • que Freud ne s’opposait pas, bien au contraire, aux études qui avanc¸aient que le rêve du psychotique pouvait être la cause du déclenchement de la psychose ; • que la psychose ne peut être conc¸ue comme une sorte de rêve éveillé ou de rêve continu (les processus psychiques du rêve et de la psychose sont différents) et le « retrait de la réalité », présent dans les deux cas, est à distinguer absolument ; • tout rêve enfin, « a au-moins un point où il est insondable, en quelque sorte un ombilic par lequel il est en corrélation avec le non-connu », tout rêve « repose sur le non-connu » [2]. 3. De l’intention et de l’ombilic du rêve dans la psychose Dans les années post-freudiennes, certains cliniciens se sont penchés sur la question. On peut citer par exemple G. Pankow (voir aussi sa bibliographie) qui tente en 1956, dans L’être-là du schizophrène, d’analyser 17 rêves et deux cauchemars de la jeune Suzanne, schizophrène hébéphrène selon Pankow [14]. À notre sens, il n’y a sans doute pas à attraper la question du rêve dans la psychose par le biais d’une interprétation du rêve, ou de ses éléments. D’une part, ce serait sans doute stérile, mais en outre, cela risquerait fort probablement de menacer l’équilibre précaire du sujet. Alors par où attraper cette question du rêve dans la psychose ? Et les rêves dans la psychose peuvent-ils nous servir ? Peuvent-ils servir le sujet lui-même ? Y a t-il un quelconque intérêt pour la pratique du clinicien à s’arrêter sur cette question ? Enfin, que nous disent les rêves de la structure du sujet, et que peuvent être ces rêves pour lui ? Avant de voir par quel biais nous proposons d’aborder la question, il faut tout de même ici rendre compte rapidement du travail de thèse de Lacan qui, en 1932, consacre un certain nombre 6
L’italique est de Freud. C. Soler dit en ce sens – en s’inspirant de la formule de Descartes (premières lignes du Discours de la méthode) – que « le rêve est la chose au monde la mieux partagée, et il n’y a pas tellement d’expériences subjectives dont on puisse dire qu’elles sont pour tout sujet » [13]. 7
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de lignes à cette question du rêve dans un cas de psychose, le cas Aimée. Dès cette époque, donc, Lacan soulignait – dans une observation clinique très fine – à quel point les rêves de sa patiente n’étaient pas pour rien dans l’évolution de sa pathologie. En effet, Lacan écrivait à l’époque8 que : « chez notre malade (. . .) le rôle joué par les rêves est avéré dès avant le premier internement : rêves anxieux, rêves de mort, rêves menac¸ants (. . .). L’état morbide spécifique commence au réveil et dure un temps variable. Il se traduit par une objectivation des contenus du rêve et par la croyance qui y répond : la malade, par exemple, vit plusieurs heures après son réveil dans la crainte du télégramme qui lui annoncera la mort de son fils, mort qu’elle a vu en rêve. Elle exprime encore des phénomènes plus subtils où se montre le passage avec les interprétations délirantes complexes (. . .) » [15]. L’on reviendra sur certains points notés ici, mais indiquons encore que quatre ans plus tard, dans L’Évolution Psychiatrique, J. Rouart publie un rapport intitulé « Rôle de l’onirisme dans les psychoses de type paranoïaque et maniaque-dépressif » [16]. Le rapport est fort intéressant à lire, et la discussion qui s’ensuit ne l’est pas moins. Participent notamment à cette discussion, outre Rouart et Lacan : Borel, Lowenstein et Lagache. Retenons que ce dernier évoque l’idée de « l’intervention des rêves dans la production et l’organisation de la psychose ». Quant à Borel, il pense que « les rêves peuvent, chez des sujets pathologiques, jouer un grand rôle », et Lowenstein souligne de son côté qu’ « il y a certainement des rêves qui s’achèvent dans la vie éveillée et la pénètrent »9 (ce qui fait penser au fameux « épanchement du songe dans la vie réelle » de Gérard de Nerval). Pour appréhender la question du rêve et de la psychose, peut-être pouvons-nous nous aider de la « boussole » lacanienne, celle des trois registres du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Le réel, plus précisément, retiendra notre attention pour traiter du rêve dans les psychoses. Comme Lacan le signalait : « le réel, c’est au-delà du rêve que nous avons à le rechercher, dans ce que le rêve a enrobé, a enveloppé, nous a caché, derrière le manque de la représentation dont il n’y a là qu’un tenant-lieu. C’est là le réel qui commande plus que tout autre nos activités » [17]. C’est donc sur ce que Freud nommait l’« ombilic du rêve » qu’il nous faut revenir. Pour tout sujet qui fait l’expérience de rapporter, de raconter un rêve, inévitablement il se confronte à une butée, à un impossible à dire, à un indicible, à un innommable. C’est le point réel du rêve. Dans le champ du langage en effet, tout ne peut se dire, il y a toujours un manque (identifié au refoulement originaire), c’est l’incomplétude du symbolique. L’ombilic du rêve, dit Lacan, « c¸a veut dire qu’il y a un point qui n’est pas saisissable dans le phénomène, le point de surgissement du rapport du sujet au symbolique » [18] ; ce point de réel, dans le rêve, établit une « relation abyssale au plus inconnu (. . .) où le réel est appréhendé au-delà de toute médiation, qu’elle soit imaginaire ou symbolique » [18]. La structure même du rêve comporte donc un manque, de sorte qu’il y aura toujours un reste dans le discours du sujet sur son rêve, un reste à dire. Aussi le travail d’association libre sur le rêve est, à cet égard, infini. Il semble bien que c’est cet innommable que rencontre le psychotique dans le rêve, il semble bien que le réel du rêve dans la psychose soit à l’état brut, si l’on peut dire. Et là où l’on peut saisir que cet innommable n’a pas la même « valeur » que dans la névrose, c’est qu’il ne pousse pas le sujet à associer sur le rêve. C’est très 8
C’est donc un an avant les Nouvelles Conférences et six ans avant l’Abrégé de psychanalyse, de Freud. Insistant ainsi sur l’un des points mis en avant par Rouart dans son étude : « dans certains cas, écrit Rouart, le rêve fait de subites irruptions dans la vie éveillée ou, de manière plus durable, s’y implante étrangement ». À cet égard, notons qu’il peut y avoir dans la clinique des psychoses, une difficulté particulière à différencier rêve, délire et hallucinations dans les propos tenus par le sujet. 9
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flagrant dans la clinique de la schizophrénie. Le sujet peut certes rapporter des éléments de son rêve, mais cela tourne toujours très court : « je sais pas », « je vois pas », etc., lorsque ce n’est pas tout bonnement un simple mutisme au sens du négativisme schizophrénique, alors même qu’un rêve, comme disait Lacan, « c¸a se lit dans ce qui s’en-dit » [19]. Dans la schizophrénie, donc, effectivement, la circulation est coupée entre investissements de mots et investissement de chose. Outre donc le rapport altéré du sujet au langage, au symbolique, qui forcément ne donne pas un caractère de « récit » au rêve, celui-ci, en tant que rêve, ne lui dit rien, et c’est à entendre au pied de la lettre. Tel n’est pas le cas du paranoïaque. Là, les exemples sont nombreux, et après avoir mentionné le cas Aimée de Lacan, après avoir tout juste cité Nerval qui mériterait à lui seul une étude approfondie, c’est au Président Schreber qu’il convient de s’intéresser. Il nous semble que la question du rêve chez Schreber fut peu travaillée, pourtant il est indéniable là encore (au regard de ce qu’on vient de lire de Lacan et de Rouart par exemple) que le rôle des rêves fut prépondérant, et a quelque chose à nous enseigner. Freud le soulignait pourtant : « au mois de juin 1893, on annonc¸a à Schreber sa prochaine nomination à la présidence de la Cour d’Appel ; il entra en fonction le 1er octobre de la même année. Entre ces deux dates il eut quelques rêves auxquels il ne fut amené que plus tard à attribuer de l’importance » [20]. Cette dernière indication est fondamentale. Écoutons Schreber lui-même : « quelques rêves me vinrent à cette époque, auxquels je ne prêtais pas alors une attention particulière, et je ne leur en aurais jamais accordé davantage (. . .) si, à la suite des expériences que je fis entre-temps, je n’eusse dû penser au moins à l’éventualité qu’ils puissent être de quelque fac¸on en rapport avec un raccordement de nerfs divins sur ma personne » [21], et, quelques années plus tard, en 1900, le délire ayant eu le temps de se développer : « au cours d’une de ces dernière nuits (. . .) se fit à nouveau un rêve pendant mon sommeil une démente apparition miraculeuse (. . .). Je consignai la chose sur un papier (. . .), l’événement me paraissait tout de même très instructif, tant pour la connaissance de l’essence des miracles divins que pour distinguer de fac¸on plus précise jusqu’à quel point mes visions analogues passées étaient basées ou non sur des faits objectifs (. . .) ». Et relativement aux éléments du rêve : « ils me laissent percevoir clairement dans quelle intention on me dépêchait ces rêves » [21]. C’est à partir de ces exemples que l’on peut dire que le rêve, dans la névrose, présente un caractère d’incomplétude. Le névrosé, qui a « perdu l’objet » qui cause son désir, va, à travers son rêve, être poussé à le retrouver. Il va avoir tendance à vouloir « comprendre » son rêve, y trouver une signification, et l’association libre, dans le cadre d’une analyse, va l’y aider. Dans la psychose, à suivre tout au moins l’orientation freudienne et lacanienne, le sujet n’ayant pas perdu l’objet primordial (aliénation à l’Autre, non séparation), le rêve ne présentera pas ce caractère d’incomplétude. Du coup, le rêve n’y est plus en tant que tel teinté de mystères – ou ne le restera pas très longtemps – les images du rêve, les phrases du rêve seront interprétées comme des signes à l’intention (voir les mots de Schreber ci-dessus) du sujet. Les images, les scènes, les éléments qui s’y déploient ne font pas, pour le sujet, métaphores ; leur caractère opaque, énigmatique, tend – sur le versant paranoïaque – vers la révélation de l’être, vers la clarté dans l’après-coup d’un message à lui adressé. Autrement dit, la question que doit se poser tout clinicien lorsqu’un sujet lui apporte en séance un rêve, ou des éléments de rêves, est selon nous la suivante : quel usage le sujet fait-il de son rêve ? Il y a là, nous semble t-il, un parallèle à faire avec l’interprétation que fait le sujet de l’hallucination verbale dans la psychose. Le 25 janvier 1956, dans son séminaire consacré aux psychoses, Lacan disait ceci : « nous sommes très épatés qu’un sujet [psychotique] entende des choses que nous n’entendons pas, comme s’il ne nous arrivait pas à nous, à tout instant, d’avoir des visions, comme s’il ne nous descendait pas dans la tête des formules qui ont pour nous une valeur saisissante, orientante, voire quelquefois fulgurante, illuminante. Évidemment, nous n’en faisons pas le même usage que le psychotique » [22]. C’est à notre sens un point central de la problématique du rêve dans les
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psychoses : quel est l’usage qu’en fait le sujet ? Ces « choses » que le sujet psychotique entend et que nous n’entendons pas, ajoute Lacan, « ont lieu dans l’ordre verbal et sont ressenties par le sujet comme rec¸ues par lui (. . .). Le caractère imposé, extérieur, de l’hallucination verbale, demande à être considéré à partir de la fac¸on dont le malade réagit » [22]. De la même manière, très exactement – on l’a vu au sujet de Schreber – les rêves dans la psychose sont eux aussi vécus comme des messages rec¸us par le sujet, qui lui sont adressés et qui lui signifient quelque chose, une fois passé le temps premier de l’énigme. C’est du reste dans ce moment de vide énigmatique de signification quant au rêve que peut se repérer la forclusion psychotique. La situation est donc inversée par rapport à celle du sujet névrosé. Ce dernier fait le mouvement de recherche d’une signification, alors que dans la psychose il n’y a pas cette recherche, c’est la signification qui s’impose avant même qu’une question se formule quant à ce que le rêve pourrait bien vouloir dire. Il n’y a pas là une supposition de savoir, il n’y a pas un « vouloir dire » du rêve ; il y a la certitude du sujet que c¸a veut lui dire quelque chose. Les images du rêve, ou les phrases du rêve, sont donc interprétées comme des signes. Le rêve du psychotique se distingue ainsi des formations de l’inconscient du névrosé. Oublis, rêves, ou « lapsus » (qui sont pour ces derniers en l’occasion plutôt erreurs de langage pour le psychotique, qui n’a pas l’intuition que le mot dit à la place d’un autre peut signifier une vérité cachée, inconsciente) n’y trouvent pas le même usage, pouvant ainsi d’ailleurs rester « lettres mortes ». En bref, le névrosé croit que son rêve lui dit quelque chose, et le paranoïaque, lui, sait que son rêve lui dit quelque chose. On serait même enclin à penser que, à l’instar des phénomènes élémentaires de la psychose qui, de par leur caractère brusque, soudain, imposé et énigmatique, poussent le sujet à l’interprétation, à la surinterprétation, voire à l’élaboration du délire, le rêve lui aussi dans son caractère énigmatique et imposé donne les conditions idéales au psychotique pour interpréter ou pour construire son délire. Et comme pour le phénomène élémentaire, plus il y aura dans le rêve un caractère énigmatique (plus l’énigme sera grande aux yeux du sujet) qui provoquera la perplexité du sujet, et plus – dans un second temps10 – il aura la certitude de ses interprétations. Ce caractère imposé du rêve, donc – d’un réel dans le rêve, nous allons y venir – qui pour certains sujets psychotiques ne laisse pas le temps à la moindre élaboration, est connu depuis longtemps. J. Rouart, par exemple, que nous mentionnions plus haut, observait en effet que « les phénomènes oniriques ou oniroïdes, et même le rêve (. . .) m’ont paru présenter, dans les psychoses (. . .) un intérêt particulier (. . .). Ils y apparaissent comme des révélations brusques au sujet de certains éléments de sa personnalité dont il n’a pas conscience qu’ils lui appartiennent » [16]. On conc¸oit ainsi que de par l’usage du rêve opéré par le sujet, nous pourrions sans nul doute nous orienter dans le diagnostic. Disons que pour ce faire, ce n’est ni plus ni moins que le discours seul du patient sur son rêve qui compte, et non les images ou les scènes qu’il y aurait à interpréter. . . Encore une fois, pour rappeler la formule de Lacan citée plus haut : « un rêve, c¸a se lit dans ce qui s’en dit ». 4. Catégorie du semblant Si l’ombilic du rêve est bien ce « point obscur », comme dit Freud, cet innommable, cet impossible à dire, c’est – dans une perspective lacanienne – qu’il a à voir avec le réel. Or, dans la névrose, l’imaginaire du rêve (les images) sont articulées, nouées au symbolique (les signifiants
10 Il faut relire le texte sublime de Nerval, Aurélia : « Ce rêve si heureux à son début me jeta dans une grande perplexité. Que signifiait-il ? Je ne le sus que plus tard ».
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que le sujet associe aux scénarios et aux images de son rêve). Ce qui n’est pas le cas pour ce qui concerne la psychose, où l’imaginaire du rêve est détaché du registre symbolique, c’est pourquoi la certitude réelle de l’interprétation éventuelle du sujet paranoïaque est nécessitée et appelée. Si le sujet ne peut associer, articuler quoi que ce soit autour de son rêve, il n’y a pas à l’y inciter. Pourquoi ? Parce que l’imaginaire du rêve y joue un rôle protecteur. De fait, on le sait, on l’observe, le psychotique, au quotidien, peut trouver un certain « béquillage » en s’appuyant sur le registre imaginaire (identifications diverses, fonctionnement « comme si », importance de la vêture, etc.) ; l’on peut de la même manière faire l’hypothèse que cet imaginaire, dans le rêve, vient protéger le sujet. Si l’on suit ici ce que dit C. Soler à propos du rêve, à savoir qu’il « tient à distance la jouissance brute », que rêver « est une défense, un cas particulier de la défense contre le réel », et que « la fonction imaginaire [du rêve] peut pallier l’impasse du symbolique, plus précisément la déliaison du signifiant et du réel de la jouissance » [13], l’on peut effectivement penser qu’il vaut mieux laisser le sujet psychotique tranquille du côté des associations qu’il pourrait faire sur son rêve. L’on peut ainsi considérer que l’imaginaire du rêve dans la psychose vient protéger le sujet du réel brut, d’une jouissance que l’interprétation de l’Autre pourrait venir à faire jaillir. Les images du rêve, en quelque sorte, masquent le réel. Ce qui vient ainsi masquer le réel dans le rêve, le voiler, ce qui vient y faire barrage a à voir avec le semblant. Lacan disait, au sujet du semblant : « un discours, de sa nature, fait semblant », sans la référence au semblant « il est impossible de qualifier ce qu’il en est du discours », « il n’est discours que de semblant », ou encore : « ces discours (. . .) ont la propriété de s’ordonner toujours à partir du semblant » [23]11 . Les mots, les signifiants viennent représenter la chose, mais ne viennent que la représenter ; il y a toujours un hiatus entre le mot et la chose, il y a toujours une perte. Le mot n’est jamais vraiment la chose, ne dit pas vraiment la chose, sauf dans la psychose, et spécialement dans la schizophrénie (le mot pris au pied de la lettre). Aussi, dans une perspective lacanienne – que nous ne déplierons pas ici – dans la mesure où le psychotique se situe « hors discours » [24]12 (dans la mesure, par exemple, où le schizophrène « se spécifie d’être pris sans le secours d’aucun discours établi » [24]), il se situe du même coup hors-semblant, puisque dans la théorie lacanienne, le semblant est directement corrélé à la castration13 , disons qu’il vient la voiler ; il faut donc que le sujet soit divisé, ait subi la castration symbolique pour pouvoir « faire semblant » qu’il ne l’est pas (castré), ce qui n’est pas le cas du psychotique. J.-A. Miller disait en ce sens que « le Nom-du-Père, c’est du semblant. Qu’est-ce qui le montre mieux précisément que la psychose, où l’on voit opérer, dans la lumière la plus crue, un père comme réel ? (. . .). La forclusion du Nom-du-Père veut dire qu’il n’y a pas le semblant du Nom-du-Père (. . .). La psychose, c’est l’échec du semblant »14 . Le semblant vient donc comme une réponse au manque, nécessitée par la structure de la névrose. Le rêve du psychotique, lui, n’est pas pris dans les semblants véhiculés par le discours. Le « jeu » même, chez les enfants psychotiques, est dépourvu de cette dimension du semblant. Il ne joue pas, à proprement parler, à « faire semblant » (et cela questionne au passage l’impact que peuvent 11 Respectivement : pages 18, 25, 146 et 163. Les discours, pour Lacan, sont au nombre de quatre (Discours du Maître, de l’Hystérique, de l’Analyste, et discours Universitaire). 12 Le « hors-discours » signifie pour Lacan : « hors lien social », voir ce même texte à la page 474. Voir également par exemple la page 32 du séminaire XX, Encore, dans lequel Lacan dit explicitement que le discours, comme tel, est « un mode de fonctionnement, une utilisation du langage comme lien » [19]. 13 Il faudrait pouvoir détailler les rapports entre castration/objet a/semblant. Pour en avoir une idée ramassée ici : « un discours se supporte de quatre places privilégiées, parmi lesquelles une d’entre elles précisément restait innommée, justement celle qui, par la fonction de son occupant, donne le titre de chacun de ces discours (. . .). Cette place en quelque sorte sensible (. . .), c’est très précisément la place du semblant » ([23], p.25). 14 Miller J.-A. De la nature des semblants. Cours inédit (1991–92), séance du 27 novembre 1991.
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avoir les jeux vidéos sur ces enfants) : ce n’est pas pour lui « pour de faux » ou « pour de vrai », c’est toujours « pour de vrai ». 5. Conclusion Dans la psychose, le rêve est, pour certains, laissé en l’état lorsque le sujet ne parvient en aucune manière à articuler ensemble les éléments déchaînés (hors chaîne signifiante) de son rêve ; pour d’autres, ces éléments peuvent être interprétés en tant que signes (annonciateurs, révélateurs, etc.) concernant le sujet, comme éléments susceptibles d’être intégrés à ses idées délirantes ou à son délire. À notre sens, au regard de ce que nous venons d’esquisser ici rapidement, nous posons donc que ce que dit le sujet sur son rêve peut être un indice important et fiable pour la question diagnostique. Dans le fond, le rapport du sujet à son rêve, l’usage qu’il en fait, nous indique de quelle manière le sujet parvient – ou non – à se défendre du réel présent dans tout rêve. Le rêve du névrosé est une défense contre le réel, contre ce qui n’est pas symbolisable, et ses associations viendront par la suite éventuellement tisser, ordonner des idées pour tendre vers un sens particulier ; le psychotique, lui, trouvera dans son rêve trop de sens, ou pas de sens, selon le type de psychoses. Enfin, il n’y a pas à s’étonner du fait qu’un rêve, comme on l’a vu – et comme cela a été observé depuis longtemps – puisse déclencher une psychose, car le rêve, dans son fond, conduit toujours à un sens sexuel. Dans la mesure où le rêve « repose sur le non-connu », pour reprendre l’expression de Freud citée plus haut, dans la mesure où rêver implique la castration – ou l’absence de castration – du fait qu’il renvoie au manque de la castration névrotique ou au trou de la forclusion psychotique, il va sans dire qu’interpréter un rêve de psychotique (ou bien simplement inciter le sujet psychotique à associer sur ses rêves) peut effectivement l’amener à se confronter à ce trou innommable et angoissant, et ainsi à déstabiliser l’édifice qu’il s’était construit, en ébranlant gravement son rapport au monde. Le rêve est certes la voie royale qui conduit à l’inconscient pour le sujet qui relève de la névrose, mais pour ce qui concerne la psychose, lorsque le sujet n’est pas délirant, la prudence est certainement de mise pour que le rêve ne devienne pas la voie royale (et la voix impérative, qui commande, qui dicte les conduites) qui mènerait à l’effondrement du monde du sujet et qui l’obligerait à réinventer la réalité. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Ferenczi S. « Interprétation scientifique des rêves » 1909. Psychanal Œuvres Complètes 1968;1:1908–12 [Paris: Payot; p. 73–92]. [2] Freud S. L’interprétation des rêves (1900). Paris: PUF Quadrige; 2010. [3] Freud S. Lettres à Fliess. In: La naissance de la psychanalyse. Paris: PUF; 1991. p. 47–309. [4] Freud S. Sur le rêve (1901). Paris: Folio essais; 1988. [5] Freud S. Cinq lec¸ons sur la psychanalyse (troisième lec¸on) (1909). Paris: Payot; 2001. p. 39–55. [6] Freud S. Le maniement de l’interprétation des rêves en psychanalyse (1912). In: La technique psychanalytique. Paris: PUF; 1989. p. 43–9. [7] Freud S. Complément métapsychologique à la théorie du rêve (1915). In: Métapsychologie. Paris: Gallimard, coll. « Folio essais »; 1968. p. 123–43. [8] Freud S. Introduction à la psychanalyse (1916) [deuxième partie]. Paris: Payot; 1973. p. 69–224.
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[9] Freud S. Conférences 29 et 30. In: Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse (1933). Paris: Folio essais; 1984. p. 13–79. [10] Freud S. À propos de l’interprétation du rêve (1938). In: Abrégé de psychanalyse. Paris: PUF; 1992. p. 28–36. [11] Ey H. Étude psychiatrique no 8 : le rêve : « fait primordial » de la psychopathologie. In: Études Psychiatriques (vol. 1). Paris: Desclée de Brouwer; 1952. p. 187–283. [12] Lacan J. Séminaire I, les écrits techniques de Freud (1953–54). Paris: Seuil; 1975. [13] Soler C. L’ombilic et la chose. En-Je Lacanien 2004;2:171–80. [14] Pankow G. L’être-là du schizophrène (1956). Paris: Champs Flammarion; 2006. [15] Lacan J. De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité (1932). Paris: Seuil, coll. « Points »; 1980. [16] Rouart J. Rôle de l’onirisme dans les psychoses de type paranoïaque et maniaque-dépressif. Evol Psychiatr 1936;4:61–94. [17] Lacan J. Séminaire XI, les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1964). Paris: Seuil; 1973. [18] Lacan J. Séminaire II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse (1954–55). Paris: Seuil; 1978. [19] Lacan J. Séminaire XX, encore (1972–73). Paris: Seuil; 1975. [20] Freud S. Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (Le Président Schreber) (1911). In: Cinq psychanalyses. Paris: PUF; 1992. p. 263–324. [21] Schreber DP. Mémoires d’un névropathe (1903). Paris: Points Seuil; 1983. [22] Lacan J. Séminaire III, les psychoses (1955–56). Paris: Seuil; 1981. [23] Lacan J. Séminaire XVIII, d’un discours qui ne serait pas du semblant (1971). Paris: Seuil; 2006. [24] Lacan J. L’étourdit (1972). In: Autres écrits. Paris: Seuil; 2001. p. 449–95.