Annales de chirurgie plastique esthétique (2012) 57, 549—557
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ARTICLE ORIGINAL
Énophtalmie de la cavité anophtalme : incidence de la morphologie orbitaire et implications thérapeutiques. Étude clinique de 86 cas Enophtalmos of the anophtalmic socket: Incidence of the orbital morphology and therapeutic implications. Clinical study of 86 cases A. Lemaire a,*, S. Dakpé a, J. Lafitte b, E. Sorrel-Déjerine c, S. Testelin a a
Service de chirurgie maxillo-faciale et stomatologie, CHU d’Amiens, place Victor-Pauchet, 80054 Amiens cedex 1, France 172, rue de Charonne, 75011 Paris, France c Clinique Lambert, 63/67, avenue Foch, 92250 La Garenne-Colombes, France b
´ le 30 mai 2012 Rec¸u le 19 avril 2012 ; accepte
MOTS CLÉS Énophtalmie ; Anophtalmie ; Morphologie orbitaire
Résumé But de l’e´tude. — De l’asymétrie discrète au regard « creux » inesthétique, la grande disparité des résultats après appareillage d’une cavité anophtalme acquise interpelle : quels sont donc les facteurs influant sur le degré d’énophtalmie résiduelle ? Alors que la littérature s’appuie sur la physiopathologie des modifications architecturales intraorbitaires, notre étude propose une approche plus géométrique en relation avec l’existence de différents types morphologiques d’orbite. Patients et me´thode. — Les dossiers de 86 patients énucléés ou éviscérés ont été étudiés et soumis à une analyse photographique. Une étude préliminaire a défini quatre types d’orbite en fonction de leur forme et leur degré d’ouverture : deux types opposés IA et III, un type II intermédiaire et un type IB particulier. Une classification des grades cliniques d’énophtalmie permet l’analyse des paramètres choisis afin d’identifier des facteurs prédictifs. Re ´sultats. — L’étude statistique confirme l’incidence de la morphologie orbitaire sur le degré d’énophtalmie et ne fait pas écho aux théories impliquant l’altération de l’architecture septale intraorbitaire. Dans une relation contenant—contenu à géométrie variable, la perte de volume se répartit sur toute la surface orbito-palpébrale des cadres orbitaires ouverts ou reste concentrée sur la dimension antéropostérieure de l’implant des cadres plus fermés. À l’opposée du type III, le type IA n’est pas favorable à l’anophtalme et prédispose à un grade d’énophtalmie plus important. Cette nouvelle approche a des implications thérapeutiques en chirurgie de première
* Auteur correspondant. 16, allée du Bosquet, 59650 Villeneuve d’Ascq, France. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Lemaire). 0294-1260/$ — see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2012.05.007
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A. Lemaire et al. intention comme en chirurgie secondaire de restitution du volume manquant. Conclusion. — Le succès d’une réhabilitation de cavité anophtalme est influencé par la morphologie orbitaire, dimension à prendre en compte dans la démarche thérapeutique. # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Enophtalmos; Anophtalmia; Orbital morphology
Summary Aim of the study. — From a light asymmetry to a sunken eye aspect, a great disparity between the results after anophtalmic socket rehabilitation is noticeable: what are the factors involved in the degree of residual enophtalmos following excision of the eye? The litterature’s response is based on physiopathological considerations around intraorbital architectural disturbance. We propose a geometrical approach related to the existence of different morphological types of orbit. Patients and method. — Eighty-six records of eviscerated and enucleated patients have been studied and submitted to a statistical analysis. A preliminary study has defined four types of orbit depending on the shape and operture of the orbital ‘‘window’’: two opposite types IA and III, a type II intermediate and a particular one, the type IB. A classification of enophtalmos’ degree allows to analyze the parameters chosen and to identify the predictive factors. Results. — The statistical analysis confirms the incidence of the orbital morphology on the degree of enophtalmos but do not support the theories based on the intraorbital septal architecture changes. Depending on the orbital shape and the container—content relation, the volume loss is more visible on the whole orbitopalpebral surface of opened and high orbit but remains centered on the anteroposterior position of the implant of a closed and lengthened orbit. At the contrary to the type III, the type IA is not favorable for the anophtalmic patient and predispose to a higher degree of enophtalmos. This new approach has therapeutic implications on primary and secondary surgery for volume loss replacement. Conclusion. — The success of anophtalmic socket rehabilitation is influenced by the orbital morphological type that has to be considered in the therapeutic strategy. # 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
But de l’étude Il y a une certaine ambiguïté à vouloir poser la question de « l’énophtalmie » d’une cavité orbitaire anophtalme. Le sujet concerne ces patients éviscérés ou énucléés reconstruits mais au regard « étrange ». L’organe amputé a fait l’objet d’une substitution par la conjonction subtile d’un implant orbitaire et d’une prothèse oculaire, mais le regard excavé et asymétrique trahit la déficience du couple implant—prothèse à remplacer l’œil dans ses fonctions d’apparence. Il y a bien chez l’anophtalme réhabilité un recul du contenu intraorbitaire quantifiable de manière comparative controlatérale (différence de projection de la prothèse par rapport à la cornée controlatéral). Cette « pseudoénophtalmie », témoin du volume manquant, est néanmoins plus ou moins manifeste selon les cas. C’est cette disparité dans les résultats qui a motivé notre étude. Comment expliquer la perfection de certaines corrections rendant le handicap invisible alors que d’autres, pris en charge dans les mêmes conditions, restent marqués par un regard creux (Fig. 1). Quels sont donc les facteurs influant sur le degré d’énophtalmie de l’anophtalme ? Alors que les données de la littérature s’appuient sur la physiopathologie des modifications architecturales intraorbitaires (atrophie de la graisse orbitaire [1], fibrose et rétraction cicatricielle [2] ou encore théorie de la rotation des volumes [3]), notre étude invite à une approche plus géométrique autour de la forme du contenant osseux et de la relation contenant—contenu. Et c’est l’observation précise des orbites déshabitées de 86 patients qui a rendu
« visible » l’existence de différents types de morphologie orbitaire et permis l’élaboration d’une classification (Fig. 2). Son incidence sur la pathologie et la prise en charge de l’anophtalme n’a encore jamais été abordée. Pourtant le volume manquant s’exprime à la surface d’une cavité à géométrie variable dont la forme semble jouer un rôle essentiel.
Figure 1 Patients anophtalmes réhabilités à droite : a : bon résultat ; b : mauvais résultat.
Enophtalmie de la cavité anophtalme: incidence de la morphologie orbitaire
Figure 2
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Série de patients anophtalmes : morphologie apparente des orbites déshabitées.
Patients et méthodes Cette étude a concerné une série de 86 patients (sans discrimination d’âge ou de sexe) pris en charge pour énucléation ou éviscération entre 1998 et 2008 au CHU d’Amiens indifféremment dans les services de chirurgie maxillo-faciale et ophtalmologie, et réhabilités sur le plan prothétique par le même oculariste (Fig. 3). Les patients inclus présentaient un
Figure 3 Réhabilitation : partage des volumes entre implant et prothèse.
dossier médical complet comprenant les archives photographiques indispensables. Vingt-sept patients ont répondu favorablement à un examen clinique secondaire. Une analyse préliminaire des clichés photographiques a conduit à l’élaboration de deux classifications, celle des types morphologiques orbitaires puis des grades d’énophtalmie clinique.
Classification par grades d’énophtalmie L’énophtalmie, en réalité « pseudoénophtalmie », correspond au recul de l’extrémité antérieure de la prothèse oculaire associé à l’apparition d’un creux sus-tarsal sous le rebord orbitaire supérieur et à l’abaissement par manque de soutien du bord libre palpébral alors appelé « pseudoptosis ». Ce qui se traduit par un allongement de la distance du bord libre au pli palpébral supérieur (segment A décrit par Smerdon et Sutton [4]). Cet allongement est lié, soit à l’accentuation du creux sus-tarsal qui fait remonter le pli palpébral, soit au déroulement du releveur qui abaisse le bord libre. Le syndrome de l’énucléé [5] associe à ce tableau clinique une bascule de la prothèse. Ces constatations permettent d’établir un score clinique d’énophtalmie, davantage la traduction du recul des structures périoculaires et d’un « aspect énophtalme » plutôt que de celui de la prothèse seule par rapport au globe controlatéral, comme l’exigerait la définition princeps (différence supérieure à 3 mm [6]). Il est ainsi plus représentatif des conséquences sur l’aspect esthétique. Arbitrairement, le segment A est défini par la distance du bord libre ciliaire
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au pli palpébral supérieur à la verticale de la pupille dans le regard primaire centré. Nous lui opposons le segment B qui correspond à la hauteur du bord libre ciliaire au rebord orbitaire supérieur toujours sur cette même ligne et le rapport A/B pour une approche précise à la fois intra- et interindividuelle. La classification est établie en cinq grades (de 0 à 4) de gravité croissante, en fonction de la profondeur du creux sus-tarsal et du rapport des segments A et B (Fig. 4).
Classification des morphologies orbitaires par type La conception d’une classification des types morphologiques s’inspire de l’indice orbitaire de Broca (hauteur/ largeur 100) utilisé depuis 1874 et des travaux de l’anthropologue Russe Guérassimov [7] publiés en 1965 (et repris par Marchac [8]). Celui-ci avait décliné la forme du rebord orbitaire en verticale, neutre, horizontale. Mais il avait surtout retrouvé de façon discriminative, une variabilité du degré d’ouverture de l’orbite sur l’extérieur. Nous avons donc intégré cette dimension à notre typologie (Fig. 5) : le type IA : la fenêtre orbitaire est largement ouverte et haute, l’œil est davantage exposé alors que le rebord orbitaire est élevé et reculé. La paupière supérieure est longue et déplissée. Le segment A est important jusqu’à s’effacer parfois, laissant alors une paupière plate sans véritable repli. La paupière inférieure est également haute. Le globe a davantage tendance à la protrusion et son relief est très visible sous la surface palpébrale ;
Figure 4
Classification des grades d’énophtalmie clinique.
Figure 5 Classification des types morphologiques orbitaires : modèles squelettiques issus de la collection Tessier institut Faire Faces et correspondance clinique (quatre patients anophtalmes côté droit).
Enophtalmie de la cavité anophtalme: incidence de la morphologie orbitaire le type IB est différencié du type IA. Il s’agit de « l’œil rond » globuleux qui bien qu’exposant également généreusement le globe présente un rebord supérieur abaissé et reculé. Les paupières sont déplissées et moulées sur le relief du globe ajusté dans une cavité bien ronde. De profil, le bombement de la paupière inférieure marque la « vallée des larmes » ; le type III est une orbite fermée qui cache un globe oculaire légèrement reculé dans une cavité allongée. Le rebord orbitaire supérieur est bas, plus proche de la fente palpébrale. La forme du rebord se rapproche davantage de celle d’un parallélépipède rectangle. Le pli palpébral peut être parfois caché par une paupière lourde, basse et repliée, ramenant le segment A à zéro. La fermeture de cette orbite porte le rebord orbitaire supérieur en avant et le rebord inférieur à l’aplomb ou en avant du globe ; enfin, le type II se situe aux frontières des types IA et III. L’ouverture de la fenêtre sur le globe est intermédiaire. Sa forme est allongée mais ovale avec un rebord orbitaire équilibré. Le pli palpébral supérieur est bien limité avec un segment A visible entre le rebord orbitaire et le bord libre palpébral. Les quatre types définis ici ont été différenciés parmi les crânes normaux de la collection Tessier de l’institut Faire Faces (Fig. 5).
Autres outils de l’analyse Le type morphologique et le grade d’énophtalmie ont été obtenus par l’analyse photographique de chaque patient de face, de profil et de trois-quarts (sur des clichés réalisés de façon systématique selon les recommandations standards [9]). Le logiciel Photoshop1 et ses nombreuses fonctions ont été mis à profit pour l’évaluation du rapport des segments A et B sur photographies de face, comparativement au côté sain. L’examen des patients reconvoqués a permis d’obtenir des informations sur les caractéristiques de la prothèse, le centrage du moignon dans la cavité conjonctivale, l’évolution des signes dans le temps et de réaliser des mesures à l’exophtalmomètre de Hertel. Cet instrument donne le degré de projection du globe et de la prothèse par rapport au rebord orbitaire externe en millimètres. Outil de mesure contesté [4,10], il n’en reste pas moins le plus utilisable en pratique courante lors de l’examen clinique. Une différence supérieure à 3 mm entre la prothèse et la cornée controlatérale a été considérée comme révélatrice d’énophtalmie (définition princeps). Le calibrage de la prothèse comprend la mesure de l’épaisseur et du diamètre maximal par une règle avec pied à coulisse et la pesée sur une balance électronique précise au millième de gramme près.
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de chirurgie orbitaire, étiologie, phtyse oculaire ou buphtalmie, procédure chirurgicale, taille de l’implant, expérience du chirurgien, inflammation postopératoire, délai de pose de la prothèse), et « grade clinique d’énophtalmie » puis pour les 27 cas reconvoqués les variables « prothèse » (diamètre, épaisseur, poids), « temps » (évolution des signes cliniques), « centrage de l’implant », « exophtalmométrie de Hertel », « grade d’énophtalmie clinique ». L’analyse statistique a été menée en deux temps tenant compte de l’ensemble des variables qualitatives et quantitatives détaillées plus haut. Les variables « prothèse », « temps », « centrage de l’implant » et « exophtalmométrie de Hertel » ont été testées sur la population des patients reconvoqués et confrontées au grade d’énophtalmie évalué le jour de l’examen. Une analyse univariée a été réalisée à l’aide des tests Wilcoxon (variables quantitatives), Mann-Withney, test x2, et test exact de Fisher (variables qualitatives) pour la détermination de différences significatives et à l’aide du test de corrélation de Spearman pour la détermination de corrélation avec un niveau de significativité p 0,05. Certains facteurs influant ont donc ainsi été identifiés. Une analyse multivariée a ensuite été effectuée à l’aide des tests de régression logistique binaire (variables qualitatives) et de régression multiple (variables quantitatives) pour la détermination de facteurs indépendants prédictifs du grade d’énophtalmie.
Résultats Statistiques descriptives La série se compose de 33 femmes (38 %) et 53 hommes (62 %) âgés de 20 à 92 ans avec une moyenne d’âge de 57 ans. La répartition des types morphologiques est en faveur du type II (36 %), suivi du type IA (34 %), puis du type III (27 %) et enfin du type IB (3 %) peu représenté (Fig. 6). Bien que la pathologie ophtalmologique soit la première étiologie retrouvée (47 cas : mélanome, œil douloureux non fonctionnel secondaire à un glaucome néovasculaire ou congénital, à une myopie maligne, un ulcère perforé ou une complication chirurgicale), les traumatismes sont également largement représentés (32 cas) suivi des infections (sept cas : abcès cornéen, endophtalmie et fonte purulente de l’œil). Les modifications de volume du globe concernent 20 patients : 15 phtyses oculaires et cinq buphtalmies. Six patients présentent des antécédents de chirurgie orbitaire avant l’intervention initiale.
Étude statistique Les paramètres sont recueillis sur les dossiers des 86 patients, l’examen des 27 patients reconvoqués et sur l’analyse photographique. Les variables quantitatives et qualitatives testées sont : pour les 86 patients les variables « patient » (âge, sexe, type morphologique), « médico-chirurgical » (antécédents
Figure 6
Répartition des types morphologiques orbitaires.
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Figure 7
Répartition des grades d’énophtalmie.
Tous ont bénéficié d’un remplacement du globe oculaire par un implant le plus souvent de taille moyenne 18 mm (35 cas) ou 20 mm (16 cas) (minimum 14 mm, maximum 20 mm, médiane 18 mm), soit par éviscération (62 cas), par énucléation (17 cas), ou éviscération sur table (six cas). Dans un seul cas, la reconstruction a fait appel à une greffe dermo-graisseuse. L’intervention a été menée dans 45 % des cas par un chirurgien expérimenté (praticien hospitalier, praticien attaché, praticien hospitalier universitaire) et dans les autres cas par un chirurgien en formation. Les complications postopératoires relevées ne diffèrent pas de celles rapportées dans la littérature [11] : hématome (un cas), infection (trois cas), kyste et papillome (trois cas), ophtalmie sympathique (un cas), avec un taux d’exposition d’implant de 9,3 % (neuf cas dont un cas d’expulsion traité par greffe dermo-graisseuse) et un taux d’inflammation de la cavité de 23 % (20 cas). Le délai entre l’intervention et la pose de la prothèse est compris entre deux et huit mois avec une moyenne de trois mois et demi, temps indispensable à la cicatrisation. Après réhabilitation prothétique, trois patients présentent un syndrome de l’énucléé complet (énophtalmie aggravée d’une bascule de la prothèse). La répartition des grades d’énophtalmie clinique confirme qu’il ne s’agit pas là d’une complication inéluctable : bien qu’un tiers des patients présentent une énophtalmie majeure (grades 3 et 4 dans 26 cas sur 86), le deuxième tiers n’a aucun signe d’énophtalmie (grade 0 dans 27 cas sur 86) (Fig. 7). Chez les 27 patients reconvoqués, l’exophtalmomètre de Hertel a identifié 18 cas d’énophtalmie. Dans 10 cas, l’implant est excentré dans la cavité conjonctivale. Avec un recul de six mois à un an, les signes d’énophtalmie se sont améliorés dans six cas sur 27. Les valeurs moyenne, médiane, minimum et maximum des différentes mesures de calibrage des prothèses sont détaillées dans le Tableau 1.
Tableau 1
Figure 8 talmie.
Répartition des types au sein des grades d’énoph-
Tests de corrélation : analyse uni- et multivariée Les premiers résultats confirment la validité du grade d’énophtalmie comme outil d’évaluation objective : le grade clinique est significativement corrélé aux mesures obtenues à l’exophtalmomètre de Hertel avec p = 0,05. L’incidence de la morphologie orbitaire sur le grade d’énophtalmie est pertinente (Fig. 8). Ainsi, le type morphologique IA, orbite ouverte haute, prédispose à un grade d’énophtalmie élevé (corrélation établie avec p < 0,001). À l’opposé les patients anophtalmes de type III, porteurs d’orbites allongées sont moins sujets à cette complication ( p = 0,003) (aucune corrélation n’a été retrouvée pour les types IB et II). Le faible effectif des patients de type IB ne permet pas d’obtenir d’informations concernant ce groupe. Le temps améliore significativement les signes d’énophtamie des orbites allongées (type III) ou intermédiaires (type II) ( p = 0,01 dans les deux cas). Il est intéressant d’observer que la corrélation entre la taille de l’implant et le grade d’énophtalmie ne concerne que le type II intermédiaire ( p = 0,05). Les autres paramètres corrélés dans le sens d’une aggravation du grade d’énophtalmie sont : l’âge ( p < 0,001), le sexe féminin ( p < 0,001), le mauvais centrage peropératoire de l’implant ( p = 0,02) et le délai de pose de la prothèse oculaire ( p < 0,001). Étant donné les corrélations établies entre le grade et le type, le grade et l’âge, le grade et le sexe, nous avons testé la relation entre le type morphologique et les paramètres âge et sexe. L’analyse est informative : l’homme a plus fréquemment une morphologie de type III ( p = 0,005) avec une orbite basse. La morphologie orbitaire est corrélée à l’âge de façon significative : les orbites allongées (III) et intermédiaires (II) sont plus représentées dans la population jeune ( p = respectivement 0,037 et 0,006) à l’opposé des orbites ouvertes hautes plus fréquentes chez les patients âgés ( p < 0,001).
Calibrage des prothèses (sur 27 patients reconvoqués) : poids, épaisseur, grand diamètre.
Poids (g) Épaisseur de prothèse (mm) Grand diamètre de prothèse (mm)
Moyenne
Minimum
Maximum
Médiane
2,8 11 30
2 6 24
4 17 34
2,75 12 30
Enophtalmie de la cavité anophtalme: incidence de la morphologie orbitaire Tous les facteurs susceptibles de désorganiser l’architecture intraorbitaire fragile de septa et fascias, (antécédents de chirurgie orbitaire, de traumatisme violent, phtyse oculaire ou buphtalmie, énucléation plutôt qu’éviscération) n’ont pas été retenus comme facteurs de risque. Il n’existe pas non plus de corrélation significative entre l’apparition d’une énophtalmie et l’expérience du chirurgien reconnu senior. Alors qu’un délai trop long avant la pose de la prothèse est responsable d’une rétraction progressive du sac conjonctival délétère au résultat final (différence significative avec < 0,001), les complications inflammatoires qui entraînent également des phénomènes de contraction n’ont pas fait la preuve de leur incidence sur l’énophtalmie. Enfin, ni le périmètre de la prothèse ni son épaisseur ni son poids n’ont une influence significative ce qui trahit les limites de l’appareillage dans ses capacités de compensation du volume perdu.
Discussion Les types de morphologie orbitaire Nous avons défini deux types morphologiques opposés (type IA, orbite ouverte haute et type III, basse allongée), un type intermédiaire (type II ovale) et un type particulier (type IB ouverte ronde) avec seulement trois cas mais qui méritent d’être différenciés. Cette classification a permis de répertorier tous les cas de la population étudiée. Elle est en majorité de types II et IA, en accord avec les travaux anthropologiques de Guérassimov [7] qui décrit chez les Caucasiens des orbites majoritairement « verticales ». Mais notre typologie intègre une nouvelle dimension, le degré de projection du globe dans le cadre orbitaire, paramètre incontournable d’une démarche analytique qui se veut thérapeutique. Concernant la discrimination sexuelle et l’incidence de l’âge, nos résultats rejoignent les travaux de Farkas [12—14] consacrés à l’anthropométrie du visage : les hommes ont un rebord orbitaire plus bas que les femmes et la forme de l’orbite s’arrondit avec l’âge pour les deux sexes. L’étude scanographique de Pessa et al. [15] illustre le recul du rebord orbitaire au cours du vieillissement. Notre classification, sera appuyée par une étude fondamentale biométrique scanographique dont les résultats seront soumis à publication.
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qu’une énucléation soit incontestablement plus traumatisante et déstructurante qu’une éviscération, aucune différence significative entre les populations d’éviscérés et d’énucléés n’a été prouvée. Ce qui corrobore les résultats récents de Nakra et al. [17] sur une série de 84 patients. L’apparition d’une atrophie graisseuse de la cavité anophtalme, autre hypothèse avancée par Soll [1], a été remise en question par les travaux de recherche de Kronish et al. [2] sur modèle animal. Son analyse volumétrique scannograghique et anatomopathologique n’a pas seulement montré l’absence de diminution du volume graisseux mais au contraire la présence d’une graisse plus lourde et plus fibreuse issue des processus de cicatrisation. Et l’auteur soutient plutôt la thèse d’une redistribution des tissus mous, mécanisme bien décrit par Smit et al. [3], qui inclinerait la prothèse d’avant en arrière, signant le syndrome de l’énucléé. Pourtant cette bascule n’a été relevée que sur trois cas de notre série alors que 30 % des patients présentent une énophtalmie importante de grade 3 ou 4 (mais l’on pourrait invoquer ici l’insuffisance d’un recul de dix ans). Cette rotation des volumes serait selon une hypothèse ancienne mais toujours soutenue [18], précédée d’une rétraction du complexe muscle droit supérieur-releveur de la paupière supérieure qui n’est pas compatible avec la physiopathologie du pseudoptosis retrouvé dans 18 % de nos cas. L’une et l’autre de ces théories semblent donc s’adapter au cas par cas, et peut-être selon la forme de l’orbite ou se succéder dans le temps. Mais leur application n’est probablement pas uniforme et le retentissement esthétique des modifications architecturales est au sein de notre étude davantage sous-tendu par la morphologie orbitaire : redistribution des volumes contraints par la géométrie des espaces. La place relative du globe et de la périorbite dans des cadres osseux à géométrie variable conditionne la traduction en surface du volume manquant en profondeur. La perte de volume sera répartie sur l’ensemble de la surface orbitopalpébrale des cadres osseux ouverts (type IA) et concentrée sur la dimension antéropostérieure de l’implant des cadres plus fermés (type III) (Fig. 9). Ce raisonnement a des implications thérapeutiques non négligeables concernant le choix de l’implant en chirurgie primaire puis la stratégie chirurgicale en reconstruction secondaire.
Les facteurs d’énophtalmie
Type morphologique et implications thérapeutiques
Alors que le manque de précision de l’exophtalmomètre de Hertel [4,10] ne permet pas de différencier des stades de gravité entre les patients, le grade d’énophtalmie tel qu’il a été établi est un outil d’analyse clinique fiable. Notre étude statistique confirme le rôle déterminant de la morphologie orbitaire sur la survenue de l’énophtalmie et conforte dans une théorie géométrique autour de la relation contenant— contenu. Aucune référence bibliographique n’évoque l’incidence de la forme du contenant osseux sur l’échec (relatif) d’une réhabilitation qui laisse apparaître un œil creux. Ainsi, notre étude ne fait pas écho à l’approche physiopathologique déclinée dans la littérature : atrophie graisseuse, rotation des volumes autour de l’implant, altération de l’architecture fine de fascias et septa décrite par Koornneef [16]. Bien
L’orbite de type IA est ouverte et haute, avec un large espace consacré au creux sus-tarsal. La perte du volume oculaire transparait donc davantage sur l’ensemble de la surface orbitopalpébrale que sur la projection de la prothèse (Fig. 9). La paupière étalée se creuse rapidement. Pour combler l’exposition du creux sus-tarsal, un implant de gros calibre doit être positionné plus en arrière afin de déployer les compartiments graisseux vers l’avant. Ce rôle ne pourrait être assumé par le seul fait de la prothèse oculaire dont la forme, alors déséquilibrée par un opercule supérieur volumineux (destiné à projeter la paupière supérieure), serait délétère à la mobilité comme à la préservation des culsde-sac conjonctivaux soumis à des forces de distorsion. En chirurgie secondaire, les techniques de comblement du
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Figure 9 Expression du volume manquant dans la dimension antéropostérieure (flèche horizontale rouge) ou sur la hauteur de la surface (flèche verticale bleue) en fonction du type morphologique.
creux sus-tarsal (greffe d’adipocytes, greffe dermo-graisseuse) parfois associées à une correction du pseudoptosis améliorent considérablement le résultat esthétique. L’orbite de type III à l’opposé plus fermée et allongée, consacre une plus faible surface aux tissus périglobulaires. Le lit du creux sus-tarsal est caché derrière le rebord orbitaire supérieur par une paupière courte et repliée. La perte de volume s’exprime essentiellement dans la dimension antéropostérieure avec un recul de la prothèse (Fig. 9). Lors de la prise en charge initiale, l’insuffisance de l’implant pourra être plus facilement compensée par l’appareillage : son opercule supérieur comble facilement un creux sustarsal modéré et l’accentuation de son bombé antérieur corrige l’insuffisance de projection. La chirurgie secondaire de restitution du volume fera donc davantage appel aux procédures d’agrandissement de l’espace prothétique (greffe des culs-de-sac par de la muqueuse jugale ou palatine). Comme l’illustre notre travail, l’orbite allongée de type III est favorable à l’anophtalme. Le type II est intermédiaire avec une périorbite plus exposée que sur le cas précédent. Il subit les conséquences de la perte de volume à la fois dans le plan frontal de façon périphérique et dans la dimension antéropostérieure. Le manque de volume est rapidement visible sur l’ensemble de la surface orbitopalpébrale et ne peut être corrigé par la seule prothèse oculaire qui ne la comble que partiellement
(Fig. 9). Il faut insister sur la nécessité de réhabiliter d’emblée par des implants de grande taille pour restituer le volume dans les deux dimensions. Notre étude a d’ailleurs mis en évidence pour cette seule classe morphologique une corrélation significative entre le volume de l’implant choisi et l’apparition d’une énophtalmie. Au cours du temps, l’amélioration de l’aspect esthétique des anophtalmes de types II et III (corrélation significative) peut s’expliquer par l’affaissement progressif de la paupière supérieure (blépharochalasis), qui constitue sur un cadre allongé ou intermédiaire un artifice de dissimulation du creux sus-tarsal favorable à l’équilibre global. Ce paramètre est à prendre en compte avant d’envisager trop rapidement des gestes secondaires de correction sur des asymétries discrètes. Enfin, le type IB rare et particulier par le caractère proéminent du globe dans un cadre rond ajusté présente une énophtalmie vraie. La perte de volume retentit exclusivement dans la dimension antéropostérieure sur le degré de projection de la prothèse (Fig. 9). Le pli palpébral supérieur normalement effacé, se marque et crée l’asymétrie. La prothèse qui occupe ici l’ensemble de la surface orbitopalpébrale pourra harmonieusement combler le volume manquant et replacer le pli palpébral parfois au prix d’une chirurgie secondaire d’agrandissement du sac conjonctival. La cure du pseudoptosis ou la remise en tension
Enophtalmie de la cavité anophtalme: incidence de la morphologie orbitaire du bord libre palpébral inférieur finissent d’apporter les corrections nécessaires. Dans tous les cas, la reconstruction primaire pose les bases de l’édifice. La forte corrélation statistique entre l’axe du moignon et le résultat souligne l’importance du centrage et du positionnement de la bille lors du premier temps chirurgical. Placé plus en arrière l’implant développe vers l’avant les compartiments graisseux périphériques, alors qu’en avant il projette la prothèse. Bien qu’aucune corrélation n’ait été retrouvée entre le calibre de l’implant et la survenue d’une énophtalmie sur la population globale de la série, elle a en revanche été établie pour les orbites intermédiaires de type II. La même conclusion concernant les orbites hautes (type IA) pourrait probablement être tirée sur une série plus conséquente avec des différences de taille d’implant plus importantes (jusqu’à 23 mm). Si pour certains auteurs [19] une évaluation volumétrique préopératoire ou peropératoire est recommandée, le choix de l’implant nous semble moins déterminé par la nécessité d’une restitution volume pour volume que par l’obligation d’envisager son calibre en fonction de la géométrie du contenant. Le chirurgien esthétique facial est davantage concerné par la chirurgie secondaire de restitution du volume. Face à la diversité des techniques disponibles engageant, soit le contenant (greffes d’apposition des parois orbitaires), soit le contenu (changement de taille d’implant, chirurgie d’agrandissement des culs-de-sac, techniques de comblement), l’approche morphologique guide la stratégie thérapeutique chirurgicale.
Conclusion La morphologie orbitaire d’une cavité anophtalme a une incidence majeure sur le degré d’énophtalmie résiduel après réhabilitation. De ce paramètre dépend le résultat esthétique final. Notre étude a également permis de confirmer l’existence de types morphologiques d’orbite à partir d’une série de patients anophtalmes et d’établir une classification prenant en compte l’ouverture du cadre orbitaire et le degré de projection du globe. Considérer cette dimension permet d’adapter la démarche thérapeutique en chirurgie primaire de remplacement du globe oculaire comme en chirurgie secondaire de correction du volume manquant.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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