Évaluation quantitative du risque de cancer du poumon et de mésothéliome pleural chez les mécaniciens de véhicules automobiles

Évaluation quantitative du risque de cancer du poumon et de mésothéliome pleural chez les mécaniciens de véhicules automobiles

© Masson, Paris, 2005. Rev Epidemiol Sante Publique, 2005, 53 : 491-500 Évaluation quantitative du risque de cancer du poumon et de mésothéliome ple...

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© Masson, Paris, 2005.

Rev Epidemiol Sante Publique, 2005, 53 : 491-500

Évaluation quantitative du risque de cancer du poumon et de mésothéliome pleural chez les mécaniciens de véhicules automobiles Quantitative assessment of the risk of lung cancer and pleural mesothelioma among automobile mechanics E. IMBERNON, J.-L. MARCHAND, L. GARRAS, M. GOLDBERG Département Santé Travail — Institut de Veille Sanitaire, 12, rue du Val d’Osne, 94415 Saint-Maurice Cedex. Email : [email protected] (Tirés à part : E. Imbernon).

Background: A quantitative assessment of the risk of lung cancer and pleural mesothelioma among mechanics exposed to dust released from automobile asbestos-containing parts was performed. Methods: The population of automobile mechanics in France, according to profession and industrial sectors codes, was estimated from the data of the 1999 census. Risks were computed for a total male population of 242,360 automobile mechanics aged 16 to 60 years. Exposure to asbestos among these workers comes from maintenance tasks involving asbestos-containing parts produced before 1997 (date of the asbestos ban in France). Airborne asbestos concentration data available from the literature were highly variable. No data reporting the distribution of time spent for such tasks over a typical week of work were available. Therefore, different weekly exposure profiles were simulated, based on data from the 1994 SUMER survey. Risk models were those used for assessing asbestos health effects by all national and international agencies. Exposure scenarios mixed different levels of exposure, periods of time, proportions of exposed workers and dates of the “natural” disappearance of the automobile fleet built before asbestos was banned in brakes and other parts. The most realistic scenario hypothesizes that all automobile mechanics were exposed to asbestos, that the exposure levels ranged from 0.06 and 0.25 fibers/liter per week for the period before 1997, and between 0.01 and 0.06 fibers/liter per week afterwards until 2010. Results: According to this scenario, the number of lifelong cancer deaths (lung and pleura) induced by asbestos exposure in this population is estimated at 602 “unavoidable” cases, due to exposure experienced before 2003; 43 other cases will occur if asbestos is not removed from existing automobiles. Asbestos. Risk assessment. Lung cancer. Pleural mesothelioma. Automobile mechanics.

Position du problème : Une évaluation quantitative du risque de cancer (poumon et mésothéliome pleural) dû à l’exposition à l’amiante dans la population des mécaniciens automobiles a été effectuée. Méthodes : La population a été sélectionnée à partir des données du recensement de 1999 (INSEE), par classe d’âge de 5 ans, selon les secteurs d’activité et les professions et catégories sociales dans la population active. Les calculs de risque ont été effectués chez 242 360 hommes âgés de 16 à 60 ans. L’exposition à l’amiante des mécaniciens est essentiellement associée au travail sur les organes friables des véhicules antérieurs à 1997. Les mesures d’empoussièrement disponibles étaient d’une très grande variabilité. Aucune donnée caractérisant le temps consacré à ces interventions au cours d’une Texte reçu le 23 septembre 2004. Acceptation définitive le 17 mai 2005.

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E. IMBERNON ET COLLABORATEURS

semaine de travail n’existant, des profils hebdomadaires d’exposition ont été simulés à partir de différents niveaux associés aux tâches et de données issues de l’enquête SUMER 1994. Les modèles appliqués sont ceux habituellement utilisés par les autorités sanitaires internationales pour évaluer les effets cancérogènes du chrysotile. Les scénarios d’exposition introduits dans les calculs combinent différents niveaux attachés aux tâches effectuées avec deux périodes, différentes répartitions des proportions de mécaniciens exposés et deux dates d’extinction du parc automobile. Le scénario le plus réaliste suppose que tous les mécaniciens ont été exposés à l’amiante à un niveau se situant entre 0,06 et 0,25 fibres/ml hebdomadaires en moyenne pendant la période antérieure à 1997, et entre 0,01 et 0,06 pendant la période allant de 1998 à 2010. Résultats : Selon ce scénario, le nombre de décès par cancer du poumon et par mésothéliome dû à l’exposition à l’amiante (vie entière) dans cette population de mécaniciens serait de 602 décès d’ores et déjà « fixés » par l’exposition subie antérieurement à 2003 et donc inévitables, et 43 décès supplémentaires si aucune mesure ne venait modifier l’état du parc automobile. Amiante. Évaluation de risque. Cancer du poumon. Mésothéliome. Mécaniciens automobiles.

INTRODUCTION

L’amiante est un puissant facteur de risque de mésothéliome pleural. L’exposition à l’amiante est également reconnue comme un facteur favorisant l’apparition de cancers broncho-pulmonaires [1]. L’exposition professionnelle à l’amiante a concerné un grand nombre d’hommes en France : deux études indépendantes ont montré que près de 25 % des hommes de plus de 60 ans avaient été exposés à cette nuisance au moins une fois au cours de leur vie professionnelle, tous niveaux d’exposition confondus [2, 3]. De nombreuses activités professionnelles ont pu ou peuvent encore être concernées : industries de transformation des fibres d’amiante (fabrication de fibrociment, industrie textile par exemple), utilisation d’amiante dans des activités de flocage (interdite depuis mars 1978), de calorifugeage et d’isolation, et lors d’interventions sur des matériels contenant de l’amiante. C’est le cas notamment des travailleurs de maintenance des bâtiments ou des mécaniciens de véhicules automobiles. Un certain nombre d’études épidémiologiques ont analysé plus particulièrement le risque de pathologies liées à l’exposition à l’amiante chez des mécaniciens automobiles. Certaines ont montré un excès de plaques pleurales [4, 5] ou des modifications de la fonction respiratoire [6] ; d’autres ont analysé le risque de cancer (mésothéliome pleural ou cancer du poumon) [5, 7-15]. Aucune n’apporte de résultats concluants, et la plupart ne disposent que de très peu d’information sur les niveaux d’exposition des mécaniciens aux fibres d’amiante. Les études d’analyse des

causes de décès par profession ne concluent pas non plus clairement à un excès de décès par mésothéliome chez les mécaniciens de véhicules automobiles, alors que cette profession exposée à diverses nuisances présente globalement un excès de décès par cancers [16-18]. Malgré l’absence de données d’observations épidémiologiques concluantes, on ne peut rejeter l’existence d’un excès de risque de cancer. En effet, on considère comme le modèle le plus plausible un effet cancérigène sans seuil de l’amiante [1], qui rend vraisemblable que les faibles niveaux d’exposition rencontrés dans le secteur de la mécanique automobile s’accompagnent d’un faible accroissement du risque de cancer, difficile à mettre en évidence. Or, une élévation faible du risque n’est pas incompatible avec l’existence d’un nombre non négligeable de cas de cancer dans cette catégorie professionnelle, du fait de l’importante population concernée [19]. C’est pourquoi, en complément des observations épidémiologiques, des évaluations quantitatives de risque par modélisation sont utiles dans ce type de population dont les expositions ne sont pas massives. Le présent travail propose une évaluation quantitative du risque de cancer du poumon et de mésothéliome pleural chez les mécaniciens de la réparation automobile induit par la présence d’amiante dans les véhicules automobiles, avec l’objectif de quantifier le nombre de cas potentiellement évitables par l’arrêt éventuel de la commercialisation des véhicules d’occasion contenant des fibres d’amiante au 1er janvier 2003. En effet, le décret 96-1133 du 1er janvier

ÉVALUATION DU RISQUE DE CANCER CHEZ LES MÉCANICIENS AUTOMOBILES

1997 qui prohibe toute cession et commercialisation de produits, matériels ou dispositifs contenant de l’amiante est entré en application en France. Une période transitoire de cinq ans avait alors été prévue pour la revente des véhicules automobiles construits avant 1997, puis une prolongation d’une année a été accordée afin d’évaluer les conséquences de cette mesure. À l’échéance de ce moratoire, fin 2002, un certain nombre d’experts ont été sollicités par les pouvoirs publics afin d’éclairer la décision d’interdire ou pas la commercialisation des véhicules contenant des pièces amiantées en termes économiques et sanitaires. POPULATION ET MÉTHODES La réalisation de cette évaluation s’est basée entièrement sur des données disponibles et rapidement accessibles, dont le recensement a été effectué. Ces informations concernaient : i) la population des mécaniciens automobiles en France ; ii) les expositions et les niveaux d’exposition auxquels ils avaient été soumis ; iii) les risques associés aux différents niveaux d’exposition.

POPULATION CONCERNÉE La population de mécaniciens automobiles existante en décembre 2002 a été reconstituée à partir de la base de don-

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nées du recensement de 1999. Cette base, constituée par tirage au sort avec redressement, donne par classe d’âge de 5 ans pour les hommes, la répartition par secteur d’activité selon la nomenclature des activités françaises (NAF) [20] et selon la profession et catégorie sociale (PCS) [21] de la population active. La population des mécaniciens a été sélectionnée sur les critères suivants : 1) Code NAF : 502.Z (réparation automobile) associé aux codes PCS : 21 (artisans), 47 et 48 (techniciens, contremaîtres et chefs d’atelier), 62-63-65 (ouvriers qualifiés) et 67-68 (ouvriers non qualifiés) ; 2) Tous NAF (sauf 502.Z) associés aux PCS 2161 (artisans mécaniciens réparation automobile) et 6323 (mécaniciens automobiles qualifiés : entretien, réparation). Tous les hommes appartenant aux catégories précitées ont été classés comme mécaniciens automobiles. De cette façon, on a pu reconstituer la population des individus exerçant la profession de mécanicien automobile en 1999 en France, puis, en faisant vieillir chacun des sujets de trois ans, la population des mécaniciens en décembre 2002. De plus, une simulation de sortie des effectifs (retraite ou décès) remplacés par une population fictive de jeunes mécaniciens âgés de 20 ans au moment de l’entrée dans la profession a été réalisée. Les calculs de risque ont ainsi été effectués sur une population de 243 200 hommes âgés de 16 à 60 ans exerçant en 2002 le métier de mécanicien automobile (tableau I). En l’absence de toute donnée disponible sur le cursus professionnel moyen d’un mécanicien automobile, nous avons considéré dans un premier temps que tous les sujets exerçaient cette profession durant toute leur vie professionnelle ; dans un second temps, la vérification de cette hypothèse a été

TABLEAU I. — Effectif des mécaniciens automobiles sélectionnés selon leur secteur d’activité (NAF) et leur profession et catégorie sociale (PCS) par classe d’âge (recensement 1999). NAF 502.Z : Réparation et mécanique automobile a

Tous autres NAF

21

47

48

62

63

65

67

68

2 161

6 323

Total

15-19

28

42

6

18

1 723

25

133

6 723

60

3 150

11 923

20-24

235

160

37

93

4 695

108

203

4 398

343

11 605

21 897

25-29

1 057

347

289

104

6 501

258

209

3 163

1 527

17 483

30 963

30-34

2 462

235

491

155

6 254

262

198

2 637

3 597

16 604

32 925

35-39

3 953

177

614

155

6 104

218

180

2 258

5 781

16 807

36 282

40-44

4 660

207

533

164

5 021

192

105

1 620

7 268

16 000

35 810

45-49

5 325

163

577

128

4 023

137

132

1 130

7 952

12 888

32 500

50-54

5 182

117

528

122

2 554

163

117

839

7 748

9 105

26 525

55-59

3 280

57

284

72

1 273

93

96

380

4 741

4 044

14 375

26 182

1 505

3 359

1 011

38 148

1 456

1 373

23 148

39 017

107 686

243 200

PCS Âge

Total a

PCS = Profession et catégorie sociale : 21 = artisans ; 47, 48 = techniciens, contremaîtres et chefs d’atelier ; 62, 63, 65 = ouvriers qualifiés ; 67, 68 = ouvriers non qualifiés ; 2 161 = artisans mécaniciens réparation automobile ; 6 323 = mécaniciens automobiles qualifiés : entretien, réparation.

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E. IMBERNON ET COLLABORATEURS

réalisée sur un échantillon de 253 mécaniciens issus de l’étude ESPACES, pour lesquels on disposait d’un cursus professionnel individuel complet [22].

EXPOSITION À L’AMIANTE Données disponibles L’exposition des mécaniciens automobiles est essentiellement associée au travail sur les organes friables qui engendrent une diffusion des fibres d’amiante dans l’atmosphère des locaux de travail. Ces éléments sont essentiellement les freins à disque (plaquettes) et à tambour (garnitures), antérieurs à 1997 (pour les voitures françaises), ainsi que les garnitures d’embrayage. Les autres pièces pouvant contenir de l’amiante (joints de culasse, joints de carter, bagues d’alternateur, joints de collecteur et de circuits fluides, joints de brides et enduits bitumeux) n’engendrent que de très faibles émissions de poussière et ne se démontent que très rarement (tous les 10 à 20 ans). D’autres organes pouvant contenir de l’amiante existent en outre dans les poids lourds, telles les garnitures des limitateurs de couple, et les garnitures de freins d’arbre de commande [23]. Les interventions sur les freins sont réalisées environ une fois tous les 2 à 4 ans sur les véhicules légers et tous les 6 mois sur les poids lourds. Les interventions sur les disques d’embrayage sont quant à elles moins fréquentes, environ tous les 5 à 10 ans sur les véhicules légers [23]. Les résultats disponibles de mesures d’empoussièrement, exprimées en fibres par millilitre d’air (f/ml) lors d’interventions sur les freins et embrayages montraient une très large étendue des valeurs observées et une grande variété dans les méthodes de mesure utilisées [5, 6, 14, 23-31]. De plus, un grand nombre d’entre elles ont été effectuées en microscopie optique (MO) qui ne permet pas l’identification de la nature des fibres, contrairement à la microscopie électronique à transmission (MET). Pour ce qui concerne les prélèvements individuels aux postes de travail, les mesures concernant les opérations d’interventions usuelles sur les freins à disque et à tambour s’étalent entre 0,002 f/ml (réparation de freins à tambour avec aspiration — MET [29]) à 7,09 f/ml (soufflage de freins à air comprimé — MO — [30]), la moyenne de ces mesures se situant à environ 0,8 f/ml. Pour ce qui concerne les véhicules lourds, l’étendue des mesures est encore plus grande puisqu’elle va de 0,01 f/ml (démontage de garniture par perçage de rivets avec buse d’aspiration [31]) à 56 f/ml (meulage de garnitures de freins sans captage [24]), la moyenne de ces mesures se trouvant à 1,5 f/ml en tenant compte de la valeur extrême supérieure, et à 0,5 f/ml sans en tenir compte. L’indicateur d’exposition à l’amiante pertinent pour évaluer les risques de cancer du poumon est l’exposition cumulée (voir plus loin : Modèles de calcul de l’excès de risque), c’està-dire ici la somme des expositions attachées à chaque tâche, pondérée par la durée totale d’exécution de celles-ci. Cependant, aucune donnée sur la répartition des différentes activités et tâches de mécanique automobile dans une semaine typique de travail n’étant disponible, il n’a pas été possible d’utiliser directement les données de mesure citées plus haut pour estimer l’exposition cumulée. Les données issues de l’enquête SUMER 1994, qui décrit les conditions de travail et les expositions d’un échantillon de plus de 48 000 salariés à des nuisances physico-chimiques, ont donc été utilisées [32].

L’enquête SUMER ne détaille pas les tâches effectuées, mais fournit une évaluation globale de l’exposition à l’amiante. Parmi les salariés du commerce et réparation automobile exposés à l’amiante, 70 % le sont moins de 2 heures par semaine, 17 % de 2 à 10 heures, 11 % plus de 10 heures, la durée d’exposition étant inconnue pour 2 % d’entre eux. En classant ces 2 % dans la catégorie supérieure, la durée moyenne d’exposition est de 5 heures par semaine. Enfin, concernant l’évolution du parc automobile en France et celle des véhicules concernés par les organes susceptibles de libérer de l’amiante, il a été évalué qu’en 2002 la part des véhicules du parc mis sur le marché avant 1997 est d’environ 55 %. Compte tenu de la fréquence de remplacement des pièces (plaquettes, garnitures de freins et d’embrayage), on retrouvera en janvier 2003 environ 5 % du parc automobile contenant des éléments d’amiante dans les freins (1 million de véhicules) et 40 % dans l’embrayage (8 millions de véhicules). On considère en outre qu’en 2005 les véhicules contenant de l’amiante dans les freins ne seront plus que quelques milliers et un million contiendront de l’amiante dans l’embrayage [23]. On peut estimer que le parc de véhicules français concernés par les pièces émettrices d’amiante sera vraisemblablement éteint entre 2010 et 2015, date à laquelle les véhicules français concernés les plus jeunes auront entre 13 et 18 ans, ce qui suppose leur sortie du marché.

Scénarios d’exposition retenus pour l’évaluation des risques Des scénarios d’exposition ont été construits, par combinaison de différentes hypothèses concernant les paramètres qui déterminent l’exposition cumulée dans la population des mécaniciens. Ces hypothèses sont les suivantes : – toute la population des mécaniciens a été exposée à l’amiante de l’âge de 18 ans jusqu’à 65 ans au plus ; – dates de fin « naturelle » d’exposition : deux dates ont été retenues (2010 et 2015) ; – périodes d’exposition : deux périodes ont été définies (avant 1997, date de l’interdiction de l’amiante en France et d’une réglementation plus contraignante concernant les travailleurs et après 1997) ; – durée hebdomadaire d’exposition : pour la période antérieure à 1997, on a retenu deux évaluations : (i) les données de SUMER ont été appliquées (durée hebdomadaire moyenne d’exposition de 5 heures/semaine) ; (ii) on a considéré que SUMER sous-estime l’exposition à l’amiante ; un coefficient correcteur calculé à partir de l’examen de l’analyse de l’activité de 53 mécaniciens inclus dans une étude cas-témoins en cours, a été appliqué (correspondant à 7,3 heures/semaine). Pour la période postérieure à 1997, compte tenu des mesures réglementaires prises en 1996, il est très plausible que les salariés aient été beaucoup mieux informés des dangers de l’exposition à l’amiante et que certaines mesures préventives (aspiration à la source, aspersion, protections individuelles) aient été mises en œuvre dans un nombre non négligeable de garages. De plus, le parc automobile contenant des pièces d’amiante a commencé à diminuer à cette date, c’est pourquoi, il a été envisagé une diminution des durées d’exposition. Deux hypothèses ont été retenues : (i) diminution de 60 % des durées hebdomadaires d’exposition sur l’ensemble de la période (87 % exposés moins de 2 heures par semaine, 8 % de 2 à 10 heures et 5 % plus de 10 heures par semaine), soit une

ÉVALUATION DU RISQUE DE CANCER CHEZ LES MÉCANICIENS AUTOMOBILES

exposition hebdomadaire moyenne de 2,6 heures/semaine ; (ii) diminution de 70 % sur l’ensemble de la période, soit une moyenne d’exposition de 1,2 heures par semaine ; – niveaux d’exposition durant les activités de mécanique : plusieurs hypothèses de niveaux moyens d’intensité associés aux tâches de mécanique ont été introduites : 0,1 f/ml, 0,5 f/ml, 1 f/ml et 2 f/ml, et combinées aux hypothèses sur les périodes et les durées hebdomadaires d’exposition ; les centres des classes de durée hebdomadaire d’exposition ont été utilisés pour les calculs. Au total, ce sont trois scénarios qui ont été retenus : Scénario A : extinction de l’exposition en 2015 ; proportions de mécaniciens exposés hebdomadairement à l’amiante : 70 % exposés 1 heure/semaine jusqu’en 1997 et 87 % de 1998 à 2015 ; 17 % exposés 6 heures/semaine jusqu’en 1997 et 8 % de 1998 à 2015 ; 13 % exposés 25 heures/semaine jusqu’en 1997 et 5 % de 1998 à 2015. Scénario B : extinction de l’exposition en 2010 ; proportions de mécaniciens exposés hebdomadairement à l’amiante : 70 % exposés 1 heure/semaine jusqu’en 1997 et 95 % de 1998 à 2010 ; 17 % exposés 6 heures/semaine jusqu’en 1997 et 5 % de 1998 à 2010 ; 13 % exposés 25 heures/semaine jusqu’en 1997 et 0 % de 1998 à 2010. Scénario C : extinction de l’exposition en 2015 ; proportions de mécaniciens exposés hebdomadairement à l’amiante : 50 % exposés 1 heure/semaine jusqu’en 1997 et 70 % de 1998 à 2015 ; 30 % exposés 6 heures/semaine jusqu’en 1997 et 17 % de 1998 à 2015 ; 20 % exposés 25 heures/semaine jusqu’en 1997 et 13 % de 1998 à 2015.

MODÈLES DE CALCUL DE L’EXCÈS DE RISQUE Cancer du poumon Le modèle utilisé dans ce travail est celui le plus généralement admis par la communauté scientifique. Ce modèle considère que l’excès de décès par cancer du poumon est proportionnel au nombre de décès attendus avec une pente de variation du risque relatif de décès égale à + 0,01 par unité supplémentaire d’exposition cumulée (1 f/ml/année) [1]. Sa mise en œuvre implique deux étapes : 1) calcul du nombre de décès par cancer du poumon attendus dans la population concernée, vie entière, après 2002. Le calcul a été fait année après année, par classe d’âge, en tenant compte de la mortalité par autres causes dans chaque classe d’âge, à partir des taux de mortalité de la population française du CépiDc — INSERM pour l’année 1998, sans tenir compte de l’exposition à l’amiante ; 2) calcul du nombre de décès supplémentaires par cancer du poumon dus à l’exposition à l’amiante en tenant compte du niveau cumulé d’exposition dans la population à un moment donné, jusqu’à 65 ans (mortalité dite prématurée) et vie entière (de 20 ans à 80 ans). Le calcul a été fait année par année à partir de 2002 (tous les sujets sont supposés vivants au 31 décembre 2002), en utilisant la formule suivante : Np = (Kp) × (EC) × (cas attendus) où : – Np = nombre de décès par cancer du poumon attribuables à l’exposition à l’amiante dans la population étudiée ;

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– Kp = coefficient de variation du risque relatif de mortalité par cancer du poumon par unité supplémentaire d’exposition cumulée (1 f/ml/année) ; ce coefficient est estimé à + 0,01 ; – EC = exposition cumulée dans la population à un moment donné, exprimée en f/ml/année ; – Cas attendus = nombre de cas attendus dans cette population en dehors de l’exposition à l’amiante.

Mésothéliome pleural Le modèle utilisé ne dépend pas de la mortalité attendue dans la population, mais permet d’estimer directement l’incidence des mésothéliomes attribuables à l’exposition à l’amiante. Ce modèle est linéaire par rapport au niveau d’exposition hebdomadaire moyen (f/ml/semaine), et cubique en fonction du temps écoulé depuis l’exposition, réduit d’un décalage temporel de 10 ans (pour tenir compte du temps de latence avant l’apparition d’un mésothéliome) [1]. Le calcul du nombre de mésothéliomes attribuables à l’exposition à l’amiante dans la population concernée, avant 65 ans et vie entière (de 20 à 80 ans), a été fait année par année à partir de 2002, en utilisant les formules suivantes : Nm = (Km) × (f) × [(t – t0)β – (t – t0 – d)β] × (P) pour une exposition terminée depuis t0 années ou plus, et : Nm = (Km) × (f) × [(t – t0)β] × (P) pour une exposition dont la fin date de moins de t0 années ; où : – Nm = nombre de mésothéliomes attribuables à l’exposition à l’amiante dans la population étudiée ; – f = niveau d’exposition en fibre/ml ; – d = durée totale d’exposition en années ; – t = nombre d’années écoulées depuis le début de l’exposition ; – Km, t0 et β sont des coefficients respectivement estimés à 1 × 10– 8 pour Km (chrysotile), 10 ans pour t0 et 3 pour β ; – P = nombre de sujets à risque dans la population. Le paramètre Km spécifique du chrysotile a été utilisé, car l’amiante présent dans les véhicules automobiles est très majoritairement de ce type. Des simulations ont également été réalisées avec le coefficient correspondant aux expositions mixtes à différentes variétés de fibres d’amiante (Km = 1,5 × 10– 8). Les modèles ont été appliqués à la population des mécaniciens définie plus haut, pour laquelle les risques de décéder par cancer du poumon et par mésothéliome ont été calculés séparément, en tenant compte de différentes hypothèses de niveau d’exposition à l’amiante, de la répartition de la population dans les différentes classes d’âge et des décès pour autres causes.

RÉSULTATS

Le nombre de décès supplémentaires par cancer attribuables à l’exposition professionnelle à l’amiante diffère sensiblement selon les scénarios retenus. Il faut de plus noter qu’un certain nombre de décès par cancer dus à l’exposition à l’amiante qui surviendraient sont d’ores et déjà « fixés » par l’exposition subie antérieurement à

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E. IMBERNON ET COLLABORATEURS

2003. Seuls les cancers dus à une exposition à partir de 2003 sont donc évitables par des mesures modifiant l’état du parc automobile. Le nombre de décès par cancer du poumon attendus dans la population des mécaniciens après 2002, hors exposition, a été calculé dans un premier temps ; il est de 13 487 décès attendus vie entière, dont 5 270 avant 65 ans (tableau II). Les décès par cancer du poumon associés à l’exposition à l’amiante antérieure à 2003 sont compris entre 34 et 1 047 selon les scénarios envisagés, et le nombre évité par l’arrêt de l’exposition à partir de 2003 entre 10 et 396 (tableau III). Le nombre de cas de mésothéliome pleural associés à l’exposition professionnelle à l’amiante antérieure à 2003 est compris entre 29 et 888 selon les hypothèses. Le nombre de mésothéliomes évités par l’arrêt de l’exposition à partir de 2003 se situe entre 3 et 107. DISCUSSION

Selon le scénario utilisé, le nombre de cancers « vie entière » évités par un arrêt de l’exposition fin 2002 dans cette population de 243 200 hom-

TABLEAU II. — Nombre de décès toutes causes et par cancer du poumon de 20 à 80 ans attendus à partir de 2003 dans la population des mécaniciens en dehors de toute exposition à l’amiante (taux de référence : année 1998). Classe d’âge

Décès toutes causes

Décès par cancer du poumon

20-24

67

0,05

25-29

194

0,5

30-34

442

3,8

35-39

952

32,2

40-44

2 036

173,7

45-49

3 927

461,1

50-54

6 456

885,8

55-59

10 160

1 509,9

60-64

15 772

2 138,3

65-69

21 669

2 735,5

70-74

29 252

2 962,8

75-79

36 408

2 582,7

Ensemble

127 335

13 486,3

mes varie notablement, puisqu’il se situerait pour les scénarios extrêmes, entre 10 et 396 pour le cancer du poumon, et entre 3 et 107 pour le mésothéliome de la plèvre. Comme c’est souvent le cas pour les évaluations quantitatives de risque, les résultats sont sensibles à des hypothèses qui présentent un certain niveau d’incertitude. Ces incertitudes portent ici sur la population étudiée, sur les niveaux et la durée d’exposition et sur les modèles de calcul de l’excès de risque choisis. POPULATION DES MÉCANICIENS AUTOMOBILES La population a été extraite des données du recensement de 1999 sur la base d’une sélection de secteurs d’activité spécifiques et des catégories socioprofessionnelles « Ouvriers, Techniciens et Chefs d’ateliers ». En l’absence de données sur le cursus professionnel moyen typique d’un mécanicien automobile, nous avons considéré que tous les sujets de cette population avaient exercé la profession de mécanicien automobile tout au long de leur vie professionnelle (de 18 à 65 ans). Nous avons favorisé cette hypothèse en supposant qu’il s’agit d’une profession spécialisée, nécessitant une formation de base. Une vérification de cette hypothèse a été effectuée sur un groupe de 253 mécaniciens automobiles retraités issus d’un échantillon aléatoire de retraités du régime général de Sécurité sociale pour lesquels on disposait du cursus professionnel complet [22]. La durée moyenne de la vie professionnelle de ces retraités était de 36,9 ans (écart-type : 13,1) et la durée moyenne dans la mécanique automobile de 12,9 ans (écart-type : 13,7). Ces retraités avaient passé 35 % de l’ensemble de leur carrière professionnelle dans la profession de mécanicien et seulement 10 % d’entre eux avaient exercé cette profession tout au long de leur carrière. Bien que ces résultats ne soient pas directement extrapolables à la présente étude du fait que les affiliés du Régime général de Sécurité sociale ne représentent pas toute la profession de la mécanique automobile constituée, pour une partie, de professionnels indépendants (environ 26 % dans la population sélectionnée), ils suggèrent une importante surestimation du temps passé à la mécanique dans la présente étude. De plus, cette population est supposée avoir été stable dans le temps, aucune projection démographique de la population des mécaniciens n’étant possible à partir des données

ÉVALUATION DU RISQUE DE CANCER CHEZ LES MÉCANICIENS AUTOMOBILES

497

TABLEAU III. — Évaluation du nombre de décès par cancer du poumon et par mésothéliome pleural dus à l’exposition à l’amiante dans la population des mécaniciens automobiles selon différentes hypothèses d’exposition. Cancer du poumon

Mésothéliome pleural

Niveaux moyens d’exposition (fibres/ml) Niveaux moyens d’exposition (fibres/ml) Nombre de décès vie entière Décès dus à l’exposition antérieure à 2003

Total des décès dus à l’exposition si elle est poursuivie après 2003

Décès évités par arrêt de l’exposition en décembre 2002

Scénarios d’expositiona

0,1

0,2

0,5

1

A

34

68

172

B

32

64

160

C

52

104

A

44

89

B

35

70

176

353

706

29

58

146

292

585

C

72

144

360

721

1 443

49

99

248

497

995

A

10

21

51

103

207

3

5

14

28

56

B

3

6

16

33

65

1

2

5

10

20

C

20

40

101

198

396

5

11

26

53

107

2

0,1

0,2

0,5

1

2

343

686

29

59

147

295

590

320

641

28

56

141

282

565

261

523

1 047

44

88

222

444

888

223

446

893

32

64

161

323

646

a

Scénario A : extinction de l’exposition en 2015 ; proportions de mécaniciens exposés hebdomadairement à l’amiante : 70 % 1 heure/sem jusqu’en 1997 et 87 % de 1998 à 2015 ; 17 % 6 heures/sem jusqu’en 1997 et 8 % de 1998 à 2015 ; 13 % 25 heures/sem jusqu’en 1997 et 5 % de 1998 à 2015. Scénario B : extinction de l’exposition en 2010 ; proportions de mécaniciens exposés hebdomadairement à l’amiante : 70 % 1 heure/sem jusqu’en 1997 et 95 % de 1998 à 2010 ; 17 % 6 heures/sem jusqu’en 1997 et 5 % de 1998 à 2010 ; 13 % 25 heures/sem jusqu’en 1997 et 0 % de 1998 à 2010. Scénario C : extinction de l’exposition en 2015 ; proportions de mécaniciens exposés hebdomadairement à l’amiante : 50 % 1 heure/sem jusqu’en 1997 et 70 % de 1998 à 2015 ; 30 % 6 heures/sem jusqu’en 1997 et 17 % de 1998 à 2015 ; 20 % 25 heures/sem jusqu’en 1997 et 13 % de 1998 à 2015.

disponibles. Enfin, nous avons considéré que tous les sujets de la population concernée étaient exposés à l’amiante, sans tenir compte de la répartition par catégories socioprofessionnelles, ce qui à l’évidence n’est pas exact. L’ensemble de ces hypothèses va dans le sens d’une maximalisation de l’exposition. NIVEAUX D’EXPOSITION Aucune donnée décrivant la fréquence et la durée moyenne des différentes tâches des mécaniciens exercées au cours d’une semaine de travail n’étant disponible, il n’a pas été possible de calculer des niveaux d’exposition basés directement sur les métrologies publiées correspondant aux différentes activités des mécaniciens automobiles. Les données de distribution hebdomadaire des durées d’exposition à l’amiante qui ont été utilisées proviennent de l’enquête SUMER 94 [32]. Bien qu’il semble que l’enquête SUMER 94 sous-estime globalement la proportion de salariés

exposés à l’amiante en 1994, si on compare ses résultats à ceux d’autres études plus spécifiques [8, 10], il est vraisemblable que, lorsque cette exposition était détectée, les proportions de temps hebdomadaires d’exposition devaient être relativement bien évaluées. Par ailleurs, SUMER est la seule enquête d’envergure nationale disponible permettant une évaluation des expositions des salariés à différentes nuisances. C’est pourquoi nous avons utilisé ces informations pour évaluer les niveaux d’exposition hebdomadaires de la période antérieure à 1997. SUMER 94 évalue à environ 5 heures par semaine la durée moyenne d’exposition à l’amiante d’un mécanicien automobile. Une vérification de cette estimation a pu être faite à partir de l’analyse de l’activité de 57 mécaniciens automobiles inclus dans une étude cas-témoins en cours (Communication personnelle de D. Luce et I. Stucker). Ces sujets avaient exercé 183 épisodes professionnels en mécanique, dont 57 comme mécaniciens automobiles, 11 comme mécaniciens poids lourds et 3

498

E. IMBERNON ET COLLABORATEURS

comme mécaniciens sur d’autres véhicules à moteur. Sur l’ensemble des épisodes professionnels de ces sujets, le temps passé à une activité sur les freins et les embrayages de véhicules correspondait à environ 7,3 heures par semaine, toutes périodes confondues. C’est pourquoi nous avons introduit cette valeur dans un des scénarios d’évaluation de risque. Par ailleurs, une diminution de l’exposition à l’amiante à partir de 1997 a été introduite dans les trois scénarios tenant compte du moindre nombre de véhicules concernés et de la mise en place progressive de mesures préventives efficaces aux postes de travail. Certains auteurs qui ont tenté d’évaluer l’exposition moyenne des mécaniciens automobiles lors d’une journée de travail (8 heures/jour) estiment que cette exposition journalière moyenne (tenant compte de pics d’exposition à des niveaux élevés, notamment lors des interventions de nettoyage à l’air comprimé des freins de véhicules) est inférieure à 0,1 f/ml, quelle que soit la période considérée [13, 19-21, 23]. Récemment, Paustenbach et al. [33] ont évalué le niveau d’exposition journalière moyenne des mécaniciens à 0,04 f/ml pour la période allant de 1960 à 1980 en compilant de nombreuses données. Ces niveaux confortent les hypothèses retenues dans la présente étude, les niveaux moyens journaliers variant, selon les scénarios, de 0,012 à 0,05 f/ml pour la période antérieure à 1997, et de 0,003 à 0,012 f/ml pour la période postérieure jusqu’en 2010. MODÈLES DE CALCUL DE L’EXCÈS DE RISQUE Les modèles de calcul de l’excès de risque appliqués dans ce travail sont ceux utilisés jusqu’à présent par tous les organismes nationaux et internationaux ayant procédé à des évaluations quantitatives du risque de cancer dû à l’amiante. Pour le cancer du poumon, certains auteurs ont contesté le coefficient d’accroissement du risque Kp utilisé (0,01 pour une augmentation d’exposition cumulée de 1 fibre/semaine/année), en considérant que ce coefficient surestimait l’excès de cas attendus en relation avec l’exposition d’un facteur 10 [34]. D’autres auteurs ont considéré plus récemment que cette relation, au contraire, sous-estimerait le risque d’un facteur 14 [35]. Nous avons conservé la valeur 0,01 dans le pré-

sent travail, car aucun autre modèle scientifiquement plausible n’est accepté actuellement. Par ailleurs, les cas de cancer du poumon attendus hors exposition ont été calculés à partir des données de mortalité de l’année 1998 disponibles au CépiDc de l’INSERM, aucune projection de l’évolution « naturelle » de la mortalité toutes causes, ni par cancer du poumon, dans les années postérieures à cette date n’étant disponible au moment de la réalisation de cette étude. Ceci a pu influencer les résultats, mais vraisemblablement de façon marginale. L’excès de mésothéliomes attendu a été modélisé en utilisant le coefficient Km, égal à 1 × 10– 8, qui correspond à une exposition à l’amiante de type chrysotile, car cette fibre est celle qui a été très majoritairement utilisée dans les organes friables des automobiles concernés. Ce coefficient est inférieur à celui retenu pour les fibres de type amphibole, considérées comme ayant un pouvoir cancérigène supérieur vis-à-vis du mésothéliome [1]. Afin de vérifier l’impact de ce paramètre sur les résultats obtenus, une analyse complémentaire a été effectuée en utilisant le coefficient Km associé aux expositions mixtes (1,5 × 10– 8). Cette analyse, non montrée ici, ne modifie que très peu les résultats présentés. Il faut par ailleurs noter que les modèles de calcul de l’excès de risque de mésothéliome pleural s’appliquent à une seule période d’exposition à l’amiante. C’est pourquoi, nous avons appliqué le modèle deux fois (période antérieure à 1997 et période postérieure à 1997), et additionné les nombres de mésothéliomes ainsi estimés. CONCLUSION

Les scénarios qui ont été définis génèrent des résultats variant dans une large fourchette. Ces scénarios reposent cependant sur des hypothèses qui ne sont pas toutes aussi vraisemblables. C’est le scénario B qui nous apparaît comme le plus réaliste compte tenu des données disponibles. Il considère que l’extinction de l’exposition surviendra en 2010. Cette date peut être considérée comme réaliste, car le véhicule le plus jeune considéré comme pouvant encore être équipé de freins et embrayages contenant de l’amiante aurait alors 13 ans, et que la plupart seraient plus âgés. De plus, si l’on considère que les embraya-

ÉVALUATION DU RISQUE DE CANCER CHEZ LES MÉCANICIENS AUTOMOBILES

499

TABLEAU IV. — Décès par cancer du poumon et par mésothéliome évités par l’arrêt de l’exposition à l’amiante selon le scénario B, vie entière (jusqu’à 80 ans) et avant 65 ans. Niveau d’exposition quotidien moyen (f/ml) Avant 1997

Décès dus à l’exposition à l’amiante antérieure à 2003

1998-2010

Vie entière a

Np + Nm

a

b

Avant 65 ans a

Np + Nm

b

Décès évités par arrêt de l’exposition à l’amiante en décembre 2002 Vie entière a

Np + Nm

b

Avant 65 ans Npa + Nmb

0,012

0,003

160 + 141 = 301

60 + 45 = 105

16 + 5 = 21

8 + 2 = 10

0,02

0,006

320 + 282 = 602

120 + 90 = 210

33 + 10 = 43

16 + 3 = 19

0,05

0,012

239 + 181 = 420

66 + 20 = 86

32 + 6 = 38

1 206 + 1 291 = 2 497 b

Np = Nombre de cancers du poumon. Nm = Nombre de mésothéliomes.

ges doivent être changés environ tous les cinq à dix ans et les garnitures et plaquettes de freins tous les deux à quatre ans, l’hypothèse selon laquelle pratiquement aucun amiante ne persisterait dans les freins et embrayages du parc en 2010 est tout à fait plausible [23]. Ce scénario considère également que les proportions de mécaniciens exposés hebdomadairement à l’amiante sont de 70 % jusqu’en 1997 et de 95 % de 1998 à 2010 pour 1 heure/semaine ; de 17 % jusqu’en 1997 et 5 % de 1998 à 2010 pour 6 heures/semaine ; de 13 % jusqu’en 1997 et 0 % de 1998 à 2010 pour 25 heures/semaine. Le niveau d’exposition varie de 0,012 à 0,05 fibres/ml par jour avant 1997, et de 0,003 à 0,012 fibres/ml de 1998 à 2010. Cependant, les données métrologiques disponibles suggèrent qu’une valeur réaliste serait un niveau moyen d’empoussièrement par tâche de 1 f/ml, ce qui correspond à un niveau moyen d’exposition journalière de 0,02 f/ml pour les personnels concernés durant toute la période antérieure à 1997 et à un niveau moyen de 0,006 f/ml durant la période allant de 1998 à 2010. Ce scénario évalue le nombre de décès par cancer (cancer du poumon et mésothéliome) dus à l’exposition à l’amiante qui surviendraient (vie entière) chez ces mécaniciens à 602 décès (dont 210 survenant avant l’âge de 65 ans) d’ores et déjà « fixés » par l’exposition subie antérieurement à 2003 et donc inévitables, et à 43 décès supplémentaires (dont 19 décès « prématurés » survenant avant l’âge de 65 ans) si aucune mesure ne venait modifier l’état du parc automobile (tableau IV). Cet excès de cas correspond à un excès de risque individuel, vie entière moyen pour l’ensemble de la population des mécaniciens, tout âge confondu,

de 1,7 × 10– 4. Dans cette population, en dehors de toute exposition professionnelle à l’amiante, le nombre de cancers du poumon attendus vie entière est de 13 487 dont 5 270 avant l’âge de 65 ans. Ce travail est un exemple d’évaluation quantitative de risque dans une population professionnelle reconstituée à partir d’informations démographiques nationales, dont les expositions ont été évaluées en utilisant des données disponibles issues d’autres études. La mortalité a été simulée en utilisant des modèles de risque de la littérature avec plusieurs scénarios d’exposition, élaborés selon les données existantes. Ceci a permis d’estimer l’importance de l’impact de l’exposition professionnelle à l’amiante dans une population de travailleurs et du nombre de décès évitables par une modification réglementaire. REMERCIEMENTS : Les auteurs remercient D. Luce et I. Stücker, qui leur ont permis d’utiliser les données d’une étude en cours, ainsi que P. Rolland et S. Ducamp pour leur travail sur les données du programme national de surveillance du mésothéliome, qui ont permis d’effectuer des vérifications des hypothèses introduites dans l’évaluation présentée ici.

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500

E. IMBERNON ET COLLABORATEURS

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