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Éditorial
Gammapathie monoclonale et myélome multiple : quelles nouveautés ? quelles perspectives ? New insights into monoclonal gammopathy and multiple myeloma B. Grosbois Service de médecine interne, CHU de Rennes–hôpital Sud, 16, boulevard de Bulgarie, BP 90347, 35203 Rennes cedex 02, France Reçu le 21 mars 2007 ; accepté le 26 avril 2007 Disponible sur internet le 22 mai 2007
Mots clés : Gammapathie monoclonale ; Myélome multiple ; Chaînes légères libres sériques ; Génomique ; Traitement Keywords: Monoclonal gammopathy; Multiple myeloma; Free light chains; Genomic; Treatment
Le concept de gammapathie monoclonale apparaît en 1937 avec la mise au point par Tiselius de l’électrophorèse des protides sériques [1]. Le lien entre gammapathie monoclonale et syndromes immunoprolifératifs malins (myélome multiple, maladie de Waldenstroëm) sera rapidement fait. Dès 1955, l’immunoélectrophorèse décrite par Grabar et Williams [2] permet de caractériser la gammapathie monoclonale par son type de chaîne lourde (IgG, IgA, IgM, IgD ou IgE), et son type de chaîne légère (kappa ou lambda). Après avoir décrit la maladie qui de nos jours porte encore son nom, Jan Waldenstroëm sera le premier à préciser le classement nosologique des gammapathies monoclonales et à attirer l’attention sur des cas où cellesci ne sont pas liées à un syndrome immunoprolifératif malin [3]. Ce concept de gammapathie monoclonale « bénigne » sera transformé par Kyle en gammapathie monoclonale de signification indéterminée du fait de l’observation de cas de transformation maligne au cours de la surveillance [4]. De nos jours, la prévalence des gammapathies monoclonales est importante puisqu’estimée à 1 % dans la population générale et à 3 % chez les sujets de plus de 50 ans [5]. L’augmentation de la détection des gammapathies monoclonales depuis deux décennies n’est toutefois pas univoque. Elle a
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une explication évidente, liée au vieillissement de la population puisque la prévalence augmente avec l’âge. Mais il ne faut pas négliger l’impact de l’augmentation de la détection liée, d’une part, à la prescription plus fréquente de l’électrophorèse des protides en pratique ambulatoire et à l’amélioration de la sensibilité des techniques d’électrophorèse d’autre part. Les gammapathies monoclonales de signification indéterminée, dont l’acronyme est GMSI en français et MGUS en anglais, constituent la situation nosologique la plus fréquente (environ deux sur trois des cas). Cette fréquence est d’autant plus importante que l’on se situe dans un contexte de soins primaires. La prise en charge des GMSI constitue un enjeu médicoéconomique non négligeable eu égard à leur fréquence (probablement plusieurs centaines de milliers de cas en France). Le premier enjeu est la nécessité d’une stratégie diagnostique fondée sur des données cliniques et biologiques simples permettant de limiter les investigations diagnostiques, et de les réserver à une minorité de patients. Le second est constitué par une surveillance adaptée au risque de transformation maligne estimé globalement à 1 % par an mais relativement hétérogène [6]. Ainsi, chez la majorité des patients à faible risque, il sera possible de limiter au maximum les paramètres de surveillance et la fréquence de leur répétition. À l’inverse, chez la minorité de patients à haut risque, la surveillance devra être renforcée.
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L’arsenal de l’exploration des gammapathies monoclonales s’est enrichi de nouveaux outils biologiques, en particulier le dosage des chaînes légères libres sériques (CLLS) et les techniques d’hybridation in situ (FISH). La technique du dosage des chaînes légères libres sériques a été rapportée en 2001 par Bradwell et al. [7]. Cette technique de réalisation simple a maintenant sa place dans le diagnostic, l’évaluation de la réponse et le pronostic. Ainsi, le dosage des CLLS a considérablement amélioré le diagnostic du myélome à chaînes légères, du myélome non secrétant, et de l’amylose AL [8]. Cette technique va très probablement permettre de supprimer l’électrophorèse des protides urinaires. De plus, dans les situations décrites, elle permet d’assurer un suivi plus fiable de l’efficacité thérapeutique. En revanche, l’intérêt du dosage des CLLS dans l’évaluation de la réponse et le dépistage de la rechute dans les myélomes à immunoglobuline intacte doit être évalué dans le cadre d’études prospectives. Dans la prise en charge des GMSI, l’intérêt pronostique du dosage des CLL a été démontré [9]. Cependant, pour les raisons évoquées plus haut, il nous semble que ce dosage ne doit pas être réalisé systématiquement devant toute GMSI mais réservé aux patients présentant au moins un des critères suivants : âge inférieur à 65 ans, taux de composant monoclonal supérieur à 15 g/l, ou composant monoclonal non IgG. Ce dosage permet ainsi d’améliorer la détection des patients à haut risque de transformation maligne. L’utilisation des techniques de FISH sur les plasmocytes médullaires a considérablement amélioré nos connaissances sur la génétique des gammapathies monoclonales. Le premier apport a été la description d’anomalies dépistées précocement au cours des GMSI permettant d’éclairer d’un jour nouveau la conception de la myélomagenèse. Les anomalies rapportées au cours du myélome multiple ont démontré un impact pronostique important. La délétion du bras long du chromosome 13 (del 13) couplée au dosage de la β2-microglobuline a permis ainsi d’établir un modèle pronostique efficace [10]. Cependant, les données les plus récentes ont montré que, plus que la del 13 en elle-même, ce sont les anomalies associées (translocation 4– 14, translocation 14–16, délétion du bras court du chromosome 17) qui ont le poids pronostique le plus important [11]. Depuis la dernière décennie du XXe siècle les avancées dans le traitement du myélome ont connu une très importante accélération. De 1960 à cette date, le traitement du myélome a reposé sur la chimiothérapie conventionnelle de type melphalan–prednisone (MP). Dans les années 1990, l’intérêt de la chimiothérapie à hautes doses associée à l’autogreffe de moelle osseuse a constitué un progrès important limité cependant aux patients âgés de moins de 65 ans [12]. Depuis 1998, sont apparues trois substances d’intérêt majeur faisant intervenir des mécanismes d’action innovants. Le chef de file en a été le thalidomide, à la fois immunomodulateur et antiangiogénique [13], suivi par le bortézomib [14], inhibiteur du protéasome, et par le lénalidomide [15], analogue du thalidomide de moindre toxicité. Après avoir démontré leur intérêt en monothérapie dans le traitement des rechutes du MM, ces médicaments se positionnent aujourd’hui à différentes étapes du traitement ini-
tial du myélome : traitement d’induction, association à la chimiothérapie à haute dose et traitement d’entretien. Ainsi, l’étude IFM 99.06 a démontré la supériorité de l’association MP plus thalidomide sur le traitement de référence par MP chez les patients de 65 à 75 ans [16] et l’étude IFM 99.01, l’intérêt d’un traitement d’entretien par thalidomide après autogreffe [17]. Certes le myélome reste encore en l’état actuel une maladie considérée comme incurable (à l’exception d’un traitement par allogreffe à conditionnement myéloablatif, voire avec un conditionnement non myéloablatif comme le suggère l’étude de Bruno et al. [18]) mais progressivement émerge le concept d’une maladie chronique avec l’utilisation successive de différents médicaments en première intention puis lors des rechutes. Pour l’avenir, l’apport de la génomique ouvre des perspectives passionnantes. Dans les GMSI, des études prospectives et longitudinales devraient permettre de mettre en évidence de nouveaux critères prédictifs de transformation maligne. Ainsi, sur une population à très haut risque, il pourrait être licite de mettre en œuvre un « traitement préventif de la transformation ». Dans la prise en charge thérapeutique, la pharmacogénomique pourra aider à la sélection des médicaments les plus efficaces non pas de façon probabiliste mais de façon adaptée à chaque patient. Ainsi, tout en se gardant de verser dans un optimisme excessif, il paraît raisonnable d’espérer que d’ici la fin du e XXI siècle, le myélome deviendra une maladie curable. Références [1] Tiselius A. Electrophoresis of serum globulin: electrophoretic analysis of normal and immune sera. Biochem J 1937;31:1464–77. [2] Williams CA, Grabar P. Immunoelectrophoretic studies on serum proteins. III. Human gamma globulin. J Immunol 1955;74:404–10. [3] Waldenstroëm J. The occurrence of benign, essential monoclonal (M type), non-macromolecular hyperglobulinemia and its differential diagnosis. IV. Studies in the gammapathies. Acta Med Scand 1964;176:345–65. [4] Kyle RA. Monoclonal gammopathy of undetermined significance: natural history in 241 cases. Am J Med 1978;64:814–26. [5] Kyle RA, Therneau TM, Rajkumar SV. Prevalence of monoclonal gammopathy of undetermined significance. N Engl J Med 2006;354:1362–9. [6] Kyle RA, Therneau TM, Rajkumar SV, Offord JR, Larson DR, Plevak MF, et al. A long-term study of prognosis in monoclonal gammopathy of undetermined significance. N Engl J Med 2002;346:564–9. [7] Bradwell AR, Carr-Smith HD, Mead GP, Tang LX, Showell PJ, Drayson MT, et al. Highly sensitive, automated immunoassay for immunoglobulin free light chains in serum and urine. Clin Chem 2001;47:673–80. [8] Katzmann JA, Abraham RS, Dispenzieri A, Lust JA, Kyle RA. Diagnostic performance of quantitative kappa and lambda free light chain assays in clinical practice. Clin Chem 2005;51:878–81. [9] Rajkumar SV, Kyle RA, Therneau TM, Melton LJ, Bradwell AR, Clark RJ, et al. Serum free light chain ratio is an independent risk factor for progression in monoclonal gammopathy of undetermined. Blood 2005;106:812–7. [10] Facon T, Avet-Loiseau H, Guillerm G, Moreau P, Genevieve F, Zandecki M, et al. Chromosome 13 abnormalities identified by FISH analysis and serum beta2-microglobulin produce a powerful myeloma staging system for patients receiving high-dose therapy. Blood 2001;97:1566–71. [11] Avet-Loiseau H, Attal M, Moreau P, Charbonnel C, Garban F, Hulin C, et al. Genetic abnormalities and survival in multiple myeloma: the expe-
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