Journal de Chirurgie Viscérale (2011) 148, 3—11
MISE AU POINT
Hépatocarcinome sur foie non cirrhotique夽 Hepatocellular cancer in the non-cirrhotic liver B. Alkofer a,∗, V. Lepennec b, L. Chiche a a
Unité de chirurgie hépatobiliaire et transplantation, service de chirurgie digestive, CHU de Caen, Cote de Nacre, 14000 Caen, France b Service de radiologie, CHU de Caen, 14000 Caen, France Disponible sur Internet le 3 f´ evrier 2011
MOTS CLÉS Carcinome hépatocellulaire ; Foie sain ; Résection chirurgicale ; Récidive intrahépatique
KEYWORDS Hepatocellular carcinoma; Non-cirrhotic liver; Surgical resection; Intrahepatic recurrence
Résumé Le carcinome hépatocellulaire (CHC) se développe dans moins de 20 % des cas sur foie non cirrhotique (FNC). Le CHC sur FNC est évoqué chez un homme de 60 ans ou plus devant une tumeur souvent de grande taille et hypervascularisée au temps artériel de la scannographie avec injection de produit de contraste. L’alpha-fœtoprotéine est le plus souvent normale. La chirurgie est le seul traitement curatif et son indication est souvent possible du fait du caractère sain du foie adjacent. Le pronostic du CHC sur FNC est meilleur que celui du CHC sur cirrhose, avec une survie de l’ordre de 50 % à cinq ans. La survie est meilleure surtout si le patient peut avoir une résection R0 d’un petit CHC sans nodules satellites ni envahissement vasculaire, et sans transfusion peropératoire. La récidive intrahépatique est fréquente. Le traitement des récidives doit être agressif avec une place importante pour la rehépatectomie et une place réduite pour la transplantation hépatique qui permet une survie inférieure à celle obtenue pour CHC sur cirrhose. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Hepatocellular carcinoma (HCC) develops in the non-cirrhotic liver (NCL) in less than 20% of cases. The diagnosis of HCC in NCL is suggested by a large hypervascular tumor in a 60-75 year old patient (usually male), particularly if the alpha-fetoprotein (AFP) level is high. But AFP is normal more often than not. Surgical resection is the only curative therapy of HCC; resection is more commonly feasible in HCC in NCL due to the healthy parenchyma of the underlying liver. The prognosis of HCC in NCL is better than that for HCC on cirrhosis with a 5-year survival approaching 50%. Prognosis is best in the patient with a small HCC with no vascular invasion or satellite nodules for whom an R0 resection can be achieved without the need for intraoperative transfusion. While intrahepatic recurrence occurs frequently, it
DOI de l’article original : 10.1016/j.jviscsurg.2010.12.012. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original par dans le Journal of Visceral Surgery, en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (B. Alkofer). 夽
1878-786X/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jchirv.2010.12.015
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B. Alkofer et al. should be aggressively sought and treated; there is a major role for repeat hepatic resection and a lesser role for hepatic transplantation where results are poorer than those obtained for HCC on cirrhosis. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est de loin la tumeur primitive du foie la plus fréquente, sa principale caractéristique étant de se développer sur une cirrhose dans près de 80 % des cas. Il s’agit d’une tumeur hépatocytaire, hypervascularisée dont le développement est longtemps intrahépatique avec une capacité à envahir les vaisseaux hépatiques et un risque classique mais rare de rupture. Il s’agit de la cinquième tumeur maligne de l’homme (huitième chez la femme) mais de la troisième cause de mortalité chez l’homme (cinquième pour la femme) dans le monde [1,2]. Dans moins de 20 % des cas, le CHC se développe sur un foie non cirrhotique (FNC). Cette particularité du foie non tumoral en fait une entité très différente tant sur le plan épidémiologique et clinique que dans sa prise en charge et même pour son pronostic. Il est classique de dire que la CHC sur FNC est plus rare, découvert à un stade plus avancé, de traitement plus volontiers chirurgical, et de pronostic meilleur que le CHC sur cirrhose. Le but de cette mise au point est de préciser les caractéristiques du CHC survenant sur FNC ou « sain ».
Épidémiologie On oppose le CHC sur cirrhose et le CHC sur foie « sain ». La définition du foie sous-jacent est en réalité plus complexe : il faut distinguer en fait le CHC sur : cirrhose constituée ; foie sain ; foie pathologique mais non cirrhotique. Cette dernière entité comporte : la fibrose F2 et F3 ; la stéatose supérieure à 30 % et la stéatohépatite (NASH) ; la surcharge ferrique dont l’hémochromatose, non cirrhotique.
Fréquence Le CHC sur FNC est estimé à environ 15 à 20 % de l’ensemble des CHC [1—3]. Si l’on restreint l’entité aux foies strictement sains, le pourcentage est plutôt voisin des 10—12 % [1—3]. Dans la dernière enquête franc ¸aise de population [3], sur une cohorte de 1007 CHC, 15 % des patients n’avaient pas de cirrhose. Le traitement très souvent chirurgical de ces tumeurs fait que, dans les séries chirurgicales, le pourcentage des CHC sur foie sain est souvent artificiellement élevé (25 %) [4]. Sachant qu’on estime le nombre annuel de nouveaux cas de CHC dans le monde à 600 000, on peut considérer qu’il y a 90 000 à 120 000 nouveaux CHC sur FNC par an [1].
Âge et sex-ratio Les études épidémiologiques montrent que l’homme est deux à quatre fois plus touché par le CHC que la femme, mais cette répartition est aussi celles des cirrhoses [3,4]. Si l’on s’intéresse au CHC sur FNC, la prédominance masculine est moins marquée (75 % d’hommes pour le CHC sur FNC,
versus 85 % pour le CHC sur cirrhose) et surtout le sex-ratio s’équilibre au-dessous de 50 ans [4,5]. L’âge de survenue moyen dans les séries est plus bas pour le CHC sur FNC (60 ans) que sur cirrhose. Mais il existe une population de CHC sur foie sain appartenant à la deuxième et à la troisième décennie [5]. C’est aussi dans cette tranche d’âge que l’on trouve une forme particulière de CHC sur FNC : le CHC fibrolamellaire (survenant en moyenne à 27 ans) [6].
Facteurs de risque Certains facteurs de risque toxiques sont classiques mais en pratique rarement impliqués : aflatoxine B, androgène, chloride de vinyl. . . D’autres sont intriquées aux facteurs de risque de cirrhose : • l’infection par les virus de l’hépatite B et C : on sait que l’intégration de fragments d’ADN viral dans le génome des hépatocytes a un rôle carcinogène en soi. Ainsi, la présence d’anticorps anti HBs, même en absence d’ADN viral, est un facteur de risque de développement de CHC [3]. En revanche il ne semble pas que la présence d’anticorps HCV soit un facteur de risque en l’absence de cirrhose ; • l’obésité et le diabète, éventuellement associés à une stéato-hépatite non alcoolique (NASH), semblent être associés au développement du CHC [7,8]. Si ces facteurs sont clairement associés à une augmentation de fréquence du CHC en cas de cirrhose, en l’absence de cirrhose leur poids est plus controversé. Quoiqu’il en soit, le « syndrome métabolique » est de plus en plus reconnu comme un carcinogène hépatique. Dans la série de l’Association franc ¸aise de chirurgie (AFC), le « syndrome métabolique » était présent dans 29 % des CHC sur FNC [4]. De plus, les troubles du métabolisme glucidique sont probablement impliqués dans la carcinogénèse, comme le suggère la prévalence élevée du CHC dans les glycogénoses [9] ; • la surcharge en fer, notamment l’hémochromatose, est un facteur de risque important, le fer étant directement et indirectement impliqué dans la carcinogénèse [10]. Encore une fois, si cette donnée est établie en cas de cirrhose, elle reste plus controversée sur FNC ; • l’alcoolisme n’a pas été reconnu comme un carcinogène en soi.
Histoire naturelle et caractéristiques tumorales L’histoire naturelle du CHC sur FNC est mal connue, notamment le temps de doublement tumoral. Certaines observations d’erreurs diagnostiques ayant abouti à une « surveillance » de ces tumeurs, et la découverte à de stades avancés mais asymptomatiques, suggèrent que le temps de doublement est assez long, avec des évolutions pouvant s’étendre sur plusieurs années.
Hépatocarcinome sur foie non cirrhotique
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Figure 1. Carcinome hépatocellulaire sur foie sain dans sa forme typique : vue macroscopique opératoire avant hépatectomie, les flèches montrent la tumeur primitive et un nodule satellite (A) ; pièce de lobectomie gauche élargie à une partie du segment IV, la tumeur déforme les contours du lobe gauche (B).
Formes cliniques On peut individualiser plusieurs présentations cliniques [3—5] : • la forme classique : le patient consulte en général pour des symptômes douloureux liés à une volumineuse tumeur (en moyenne de 8 à 10 cm) souvent nécrotique et unique (plus de 50 % des cas). L’alpha-fœtoprotéine (AFP) est élevée dans 40 % des cas seulement (Fig. 1A, B) ; • la rupture hémorragique : les tumeurs sont en général volumineuses, et hypervascularisées, avec parfois une thrombose portale : l’hémopéritoine est une présentation rare mais classique (environ 5 % des cas, ce qui est plus fréquent que sur cirrhose) (Fig. 2) ; • la forme d’emblée « dépassée » ou « massive », souvent présente chez les sujets jeunes : le foie est le siège d’un envahissement tumoral majeur avec d’emblée des métastases ganglionnaires, pulmonaires ou osseuses. Ce tableau est fréquent dans les CHC sur FNC liées à une contamination néonatale par le virus B, en particulier chez les jeunes africains (Fig. 3) ; • la forme asymptomatique est de plus en plus fréquente : elle est découverte soit fortuitement par l’imagerie (la tumeur étant alors souvent, mais inconstamment, peu volumineuse), soit à l’occasion d’une anomalie biologique hépatique ou autre (par exemple un syndrome paranéoplasique comme une polyglobulie).
Figure 2. Vue macroscopique d’un carcinome hépatocellulaire sur foie sain rompu : présence de caillots en regard d’une zone de rupture capsulaire.
Histologie et formes particulières Les caractéristiques histologiques de la tumeur ne diffèrent pas du CHC sur cirrhose. On trouve les différents stades de différenciation, les nodules satellites, la capsule plus ou moins dépassée, les emboles vasculaires, voire les bourgeons portaux ou sus-hépatiques. Il existe toutefois trois cas particuliers qui sont rares mais qu’il faut connaître car ils peuvent poser des problèmes diagnostiques : • la dégénérescence d’un adénome : la transformation maligne de l’adénome est rare (moins de 8 %) et semble liée à une mutation de la bêtacaténine [11]. Au sein des CHC sur FNC, cette entité représente probablement une part infime, au vu de la fréquence de l’adénome ;
Figure 3. Scanner d’un carcinome hépatocellulaire sur foie sain dans sa forme massive au temps portal. Il existe de nombreux nodules hypodenses bilobaires et un thrombus portal droit (*).
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B. Alkofer et al.
Figure 4. Carcinome hépatocellulaire de forme kystique : scanner avec injection à la phase artérielle : il existe un aspect franchement hypodense de la lésion qui occupe tout le foie droit et une partie du segment 4, et qui contient quelques cloisons prenant le contraste (A) ; vue macroscopique (même patient) : la lésion a un aspect nécrotico-hémorragique et comporte quelques cloisons (B).
• le CHC fibrolamellaire : cette forme est particulière par son histologie avec sa composante fibreuse parfois trompeuse. Cela explique certaines erreurs diagnostiques avec l’hyperplasie nodulaire focale, ce d’autant qu’il s’agit de patients jeunes avec une légère prédominance féminine et que l’AFP est normale. Le CHC fibrolamellaire semble cependant de pronostic meilleur mais il récidive souvent, justifiant des traitements itératifs et agressifs [12,13] ; • le CHC à forme kystique : là encore le diagnostic peut être trompeur : il existe de rares formes, soit totalement nécrosées donc liquidiennes, mais également de véritables évolutions kystiques très trompeuses et de diagnostic histologique difficile [14] (Fig. 4).
Prise en charge La prise en charge de cette tumeur est fondée sur des données aujourd’hui acquises : • la chirurgie est le seul traitement curatif ; • les facteurs pronostiques les plus souvent trouvés dans la littérature sont le caractère R0 de la résection et
Tableau 1
les transfusions sanguines per opératoires ainsi que la taille tumorale et l’envahissement vasculaire (Tableau 1) [15—19] ; • le traitement des récidives doit être agressif car celles ci sont parfois accessibles à un nouveau traitement à visée curative et compatible avec une longue survie. Cela montre que devant un CHC sur FNC, l’objectif premier est la chirurgie de résection carcinologique et non hémorragique.
Étape diagnostique Le plus souvent, le diagnostic est aisé. Le scanner avec injection montre une volumineuse tumeur hétérogène, hypervascularisée au temps artériel (Fig. 5), avec des composantes nécrotico-hémorragiques, sans aucun argument pour une hépatopathie sous-jacente (Fig. 6). Le CHC fibrolamellaire a un aspect particulier : il est volontiers situé à gauche, avec une composante fibreuse souvent centrale, et des calcifications.
Facteurs pronostiques des carcinomes hépatocellulaires sur foie sain.
Auteurs (références)
Dates de l’étude
Survie globale à 5 ans (%)
Facteurs pronostics péjoratifs
116
1987—2005
40,0
Résection R1 Envahissement vasculaire Infection par HBV
Dupont-Bierre et al. [16]
84
1998—2003
44,4
Tumeurs multiples/ Envahissement vasculaire macroscopique
Lang et al. [17]
83
1998—2005
30,0
Stade UICC Envahissement vasculaire Grade tumoral
108
1987—2005
29,0
Transfusion sanguine Absence de capsule Nodules satellites Marge de résection < 1 cm
47
1985—2002
30,9
Taille > 10 cm Nodules satellites
Bege et al. [15]
Laurent et al. [18]
Capussotti et al. [19]
n patients
HBV : virus de l’hépatite B ; UICC : union internationale contre le cancer.
Hépatocarcinome sur foie non cirrhotique
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Figure 5. Scanner d’un carcinome hépatocellulaire sur foie sain : sans injection, lésion isodense déformant les contours du foie gauche (A) ; phase artérielle, lésion prenant le contraste avec un centre hypodense. Présence d’un nodule satellite sous-capsulaire dans le segment IV (B) ; phase portale avec aspect de wash out de la lésion (C).
L’imagerie par résonnance magnétique (IRM) fournit des arguments supplémentaires : en T1, la lésion est en isosignal avec une capsule en hyposignal ; en T2, elle est en isosignal avec la capsule en léger hypersignal. Après injection de gadolinium, au temps artériel, la lésion devient en hypersignal ; au temps portal elle est en isosignal par rapport au parenchyme adjacent et ; au temps tardif, elle devient en hyposignal. La capsule, bien vue au temps portal, est en faveur du diagnostic de CHC (Fig. 7). En cas de tumeurs hypervascularisées, par argument de fréquence, le CHC est évoqué en premier. L’augmentation de l’AFP suffit alors à affirmer le diagnostic, sinon une biopsie peut être réalisée (elle a été faite dans 50 % des cas dans la série de l’AFC). Le seul problème est de s’assurer de l’absence de cirrhose infraclinique, ce qui conduit parfois, selon le contexte — et notamment si le sujet est âgé — à réaliser également une biopsie en foie sain. Dans certains cas le diagnostic est plus difficile : c’est notamment le cas des tumeurs moins volumineuses et moins remaniées, de diagnostic fortuit appelant des diagnostics différentiels multiples : hyperplasie nodulaire focale, adénome, métastases endocrine ou autre. Le terrain est souvent différent mais la biopsie est en général plus souvent requise.
Évaluation de la résécabilité L’évaluation de la résécabilité est différente de celle du CHC sur cirrhose. Le point positif est que le foie est pas ou
peu malade ce qui permet des exérèses étendues et ce qui explique un taux de resécabilité assez élevé. Le point négatif est qu’il s’agit très fréquemment de tumeurs volumineuses aux rapports vasculaires étroits. C’est dire l’importance d’une évaluation précise : • des caractères de la tumeur notamment de ses rapports vasculaires (carrefour sus-hépatico-cave), de la recherche de nodules satellites, de l‘existence de thrombus tumoral dans une branche porte (élargissant la veine avec un signal artériel au Doppler et prise de contraste à la phase artérielle du scanner) ; • du foie sous-jacent avec l’évaluation de la volumétrie du foie restant, ce qui ne pose en général pas de difficulté ; • de l’extension extrahépatique : les métastases ganglionnaires, pulmonaires, ou osseuses n’étant pas rares Un scanner spiralé thoraco-abdominal de bonne qualité est donc indispensable, complété éventuellement par une IRM avec reconstruction vasculaire. L’objectif de ce bilan est de programmer le geste nécessaire pour une exérèse R0 en prévoyant les difficultés vasculaires. Cela rejoint la problématique de la chirurgie des volumineuses tumeurs malignes. Le foie étant non cirrhotique, il est rare de devoir recourir à l’embolisation portale mais ce geste est à réaliser sans hésitation si le pourcentage de foie restant est inférieur à 25 %. Dans les cas de resécabilité « limite », il nous semble indispensable d’avoir une biopsie en foie sain car, en cas de stéatose de fibrose débutante ou d’autre anomalie, il est
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B. Alkofer et al.
Figure 6. Scanner d’un carcinome hépatocellulaire sur foie sain avec remaniements nécrotico-hémorragiques : sans injection, lésion du foie droit avec centre hypodense en rapport avec la nécrose centrale (A) ; phase artérielle avec un centre hypodense qui persiste sans prise de contraste (nécrose). Présence d’un nodule satellite dans le segment IV (flèche) (B) ; phase portale : cette hypodensité persiste encore (C).
raisonnable d’exiger au moins 30—35 % de foie restant et donc de recourir à l’embolisation portale préopératoire. Il est également exceptionnel d’avoir à recourir à une chimio-embolisation préopératoire, car son utilisation en traitement néoadjuvant n’a pas été validée. Elle peut néanmoins se discuter à visée de réduction tumorale dans certains cas.
ver est le plus souvent suffisant, il faut savoir préparer et utiliser l’exclusion vasculaire totale du foie. L’abord antérieur semble actuellement, dans les volumineuses tumeurs, la technique à privilégier, d’autant plus que le pronostic à distance est amélioré par cette technique [20].
Le type de résection Prise en charge opératoire La voie d’abord doit être large et adaptée à la tumeur et au morphotype du patient, Une incision sous costale droite peut être suffisante en cas de tumeur à développement inférieur, ou en cas de tumeur à développement supérieur (segment VIII) ou gauche. Il est également important de pouvoir s’agrandir (bi-sous-costale avec ou sans refend xiphoïdien, incision en J). Parfois, il faut recourir à une thoraco-phréno-laparotomie qui permet, dans les très volumineuses tumeurs proches du carrefour, de contrôler la veine cave supra hépatique en toute sécurité. Les clampages doivent être réfléchis, préparés et utilisés à la demande. Il faut rappeler que la morbi-mortalité et même la survie à long terme sont liés à la perte sanguine peropératoire. Si un clampage sélectif de l’hémi-foie à enle-
Le mode d’extension endo-portale de cette lésion doit faire réaliser des résections anatomiques. Si, sur cirrhose, le chirurgien est limité par l’impératif d’épargne parenchymateuse, ce n’est pas le cas dans les CHC sur FNC. D’ailleurs, dans la série de l’AFC, 59 % des CHC sur FNC ont requis une hépatectomie majeure et 84 % une hépatectomie anatomique [4]. Il faut détecter et traiter les bourgeons portaux car, si cet envahissement vasculaire est incontestablement un facteur de mauvais pronostic, de nombreux auteurs ont montré un bénéfice de la chirurgie même dans ce cas [21]. Le plus important est de faire une chirurgie R0 au mieux avec une marge de 1 cm [18]. De même il paraît important de réaliser un examen des ganglions car l’envahissement ganglionnaire est plus fréquent que dans le CHC sur cirrhose. Un curage
Hépatocarcinome sur foie non cirrhotique
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Figure 7. Imagerie par résonnance magnétique d’un carcinome hépatocellulaire sur foie sain (même patient que la Fig. 6) : séquence T1, lésion hétérogène et capsule en hyposignal (A) ; séquence T2 (B) ; séquence T2 avec injection (C) ; temps tardif, la capsule est bien visible en hypersignal (D).
ganglionnaire associé à l’hépatectomie chez un patient jeune, surtout dans la forme fibrolamellaire, est justifié [6].
Prise en charge post opératoire La survie à distance après chirurgie pour CHC sur FNC est de l’ordre de 50 % à cinq ans, et donc meilleure que celle observée pour CHC sur cirrhose [4,15—19,22]. Cependant : cette survie baisse à dix ans. Ainsi elle n’est que 20 % dans la série de l’AFC [4], et ; 2) la survie sans récidive est plus faible de l’ordre de 30 % [4,15—19,22]. Cela signifie que les récidives sont fréquentes et peuvent être tardives [22]. Cette constatation amène à discuter l’opportunité d’un traitement adjuvant, du protocole de surveillance et du traitement des récidives.
Traitement adjuvant Il n’y a pas de traitement adjuvant recommandé après résection car aucun n’a prouvé son efficacité, notamment dans ce cadre rare du CHC sur FNC. Seule l’injection intra-artérielle postopératoire de lipiocis semble avoir amené un bénéfice dans l’expérience de l’équipe de Rennes (France) [16].
Prise en charge des récidives Il est important de surveiller ces patients régulièrement et à long terme. Le profil des récidives est connu depuis longtemps [20]. Ces récidives peuvent être intra hépatiques, accessibles à une rerésection, ou extrahépatiques (pulmonaires, surrénaliennes), également traitables
chirurgicalement. Ces récidives peuvent être tardives : elles sont plus fréquentes dans les deux premières années mais peuvent même apparaître quatre ou cinq ans après l’intervention. Il faut donc poursuivre la surveillance au-delà de cinq ans. Le traitement actif des récidives doit être discuté : les moyens sont en premier lieu la chirurgie si celle-ci peut être R0. Une récidive intrahépatique non resécable peut faire discuter une transplantation hépatique (TH) à visée curative [23], ou la chimioembolisation à visée palliative. En cas de récidive extrahépatique non résécable, une chimiothérapie systémique ou la prescription de Sorafénib (cependant non validé dans cette indication) peuvent être discutées. Des survies prolongées sont possibles même en cas de récidive [5].
Que faire en cas de CHC sur foie sain non résécable ? La place de la TH pour CHC sur FNC est moins bien définie que pour le CHC sur cirrhose. Le CHC sur FNC reste longtemps à développement purement intrahépatique et la récidive après résection est fréquente. Par ailleurs un certain nombre des CHC sur FNC se présente dans une forme multinodulaire non résécable. La TH est donc logiquement à envisager. La TH n’est actuellement pas indiquée en cas de CHC sur FNC resécable, ses résultats étant moins bons que ceux de la résection. Cela est toutefois à pondérer par l’état du foie non tumoral : en effet en cas de pathologie sous-jacente (hémochromatose, fibrose sévère -F3-), la
10 résection est plus risquée et la TH est probablement à discuter selon l’âge du malade et les caractéristiques tumorales. Il existe peu de données dans la littérature sur la TH pour CHC sur FNC, ces séries mêlent de plus CHC sur FNC et CHC fibrolamellaire. En effet, deux séries déjà anciennes (1991 et 1995) ont analysé leurs résultats de TH pour CHC sur foie « sain », en mêlant CHC fibrolamellaire et CHC sur FNC. Dans ces deux études, la survie globale moyenne était de 26 %, avec une survie à un, trois et cinq ans de 70 %, 32,5 % et 26 % respectivement. Les facteurs pronostiques étaient l’envahissement ganglionnaire, le caractère bilobaire et le stade TNM [23,24]. Contrairement à ces deux études, l’équipe de Paul Brousse a rapporté son expérience sur 34 transplantations pour CHC sur foie sain en excluant les CHC fibrolamellaires et CHC sur FNC. Huit de ces patients avaient eu une résection première. La survie globale était respectivement de 85 %, 60 % et 41 % à trois, cinq et dix ans. Les facteurs de bon pronostic étaient la résection chirurgicale des récidives et un délai entre la première résection et la TH supérieur à deux ans [25]. Quelques grands axes de décision peuvent être retenus : les indications de TH pour CHC sur foie sain sont constituées par les patients avec une tumeur non resécable d’emblée et par les récidives intrahépatiques non resécables sans maladie extrahépatique associée. Pour les récidives tumorales, l’indication de la TH doit principalement tenir compte des caractéristiques histopronostiques initiales et éventuellement lors de la récidive (différentiation, envahissement vasculaire ou ganglionnaire), ainsi que de l’histoire naturelle de la maladie après résection.
Place des traitements systémiques Le CHC est peu chimio-sensible. Cependant, c’est parfois la seule possibilité thérapeutique dans certaines formes dépassées. Il faut savoir que la chimiothérapie à base de 5-fluorouracile, d’épirubicine ou d’adriamycine et de sels de platine, selon des protocoles voisins de ceux utilisés pour l’hépatoblastome procure des réponses objectives dans 20 à 30 % des cas [26]. La place du Sorafénib mérite d’être évaluée dans cette indication.
B. Alkofer et al.
POINTS ESSENTIELS • Le carcinome hépatocellulaire (CHC) se développe rarement sur un foie non cirrhotique (FNC) (20 % des cas). Le foie non tumoral peut être sain mais peut également comporter une fibrose, une stéatose, ou d’autres anomalies comme une surcharge ferrique. • Le CHC sur FNC est évoqué devant une volumineuse tumeur hypervascularisée chez un patient (plutôt un homme) de 60 à 75 ans, ce d’autant que l’alpha-fœtoprotéine (AFP) sérique est élevée. Mais l’absence fréquente d’élévation de l’AFP sérique et le nombre élevé des diagnostics différentiels rendent la biopsie protégée souvent nécessaire. • Le carcinome fibrolamellaire est une forme caractérisée par un terrain particulier (jeune, sex-ratio proche de 1), la normalité de l’AFP, une fréquence élevée de l’envahissement ganglionnaire mais un pronostic plutôt favorable. • Le seul traitement curatif du CHC est la chirurgie, l’absence de cirrhose permettant souvent la résection. En cas de tumeur non resécable, la transplantation hépatique (TH) peut être discutée selon le terrain, et en l’absence d’envahissement vasculaire ou de métastases extrahépatiques. La chimiothérapie à base d’adriamycine et de sels de platine, ou les antiangiogéniques permettent d’obtenir des taux de réponses de 20 à 40 %. • Le pronostic après résection de cette tumeur atteint 50 % à cinq ans, soit un pronostic meilleur que celui du CHC sur cirrhose. La récidive après chirurgie est cependant fréquente et peut être tardive. Cette récidive peut être accessible à un traitement curatif ce qui justifie une surveillance prolongée après résection. • Les facteurs pronostiques du CHC sur FNC sont : le caractère R0 de la résection, les facteurs histologiques communs aux CHC sur cirrhose (taille, nodules satellites, envahissement vasculaire) et une transfusion peropératoire.
Conflit d’intérêt Pas de conflit d’intérêt.
Conclusion Le CHC sur FNC est une pathologie relativement rare et dans laquelle la chirurgie a une place prépondérante. En effet, seule la résection donne un espoir de guérison. En cas de résection R0, près d’un malade sur deux est vivant à cinq ans. Cependant les récidives sont fréquentes, probablement liées non-seulement aux caractéristiques de la tumeur au moment de sa découverte mais également de l’état du foie non tumoral qui peut être porteur d’une hépatopathie. Ces récidives doivent être dépistées et traitées, ce qui permet une amélioration de la survie. La place des traitements néoadjuvants et adjuvants doit continuer à être évaluée, les données étant à ce jour trop limitées.
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