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Neurochirurgie 53 (2007) 501–507
Libre opinion
Histoire de la chirurgie du rachis History of spinal surgery
L’histoire de notre chirurgie doit être connue de tous non seulement pour le devoir de mémoire, mais également pour bien mettre en valeur les éclipses de la science, les redécouvertes, comme l’avait fait Arthur Koestler dans « Les Somnambules » concernant les découvertes astronomiques. Cet aspect du va et vient de la connaissance, des avancées et des oublis doit toujours rester présent à l’esprit à une époque où la recherche semble vouloir tendre vers une rentabilité immédiate ou à court terme. Loin de vouloir en déduire que nous arrivons trop tard dans un monde trop vieux où tout a été découvert, cette mémoire de la science est aussi une source de fertilité pour les avancées nouvelles. Merci à Jean-Marc FUENTES d’avoir bien voulu faire cette revue de l’historique de la chirurgie du rachis. F. Lapierre
Si l’histoire moderne de la chirurgie du rachis ne démarre réellement qu’avec l’invention de la radiologie par Conrad Röntgen (1895), les travaux de Semmelweis (1847) et l’emploi par Lister des antiseptiques (1867), on trouve, dans les siècles précédant le xxe siècle, une série d’observations pertinentes sur la pathologie rachidienne. La première allusion à une fracture du rachis cervical avec troubles neurologiques se trouve dans le papyrus Smith. 1. L’héritage de l’Égypte 1.1. Le papyrus Smith Le papyrus Smith (du nom de son acquéreur) est une copie de documents plus anciens, effectuée vers 1650 av. J.-C., sous le règne du pharaon hyksos Auserré, au milieu du xviiie siècle av. J.-C. Il est constitué de 22 colonnes. Les 17 colonnes du verso sont un traité de chirurgie traumatologique, et les obser0028-3770/$ – see front matter doi:10.1016/j.neuchi.2007.08.004
vations 31, 32 et 33 traitent des fractures du rachis cervical. La tétraplégie y est décrite avec son pronostic sombre : « Instructions concernant une luxation dans une vertèbre du cou. Si tu examines un homme ayant une luxation dans une vertèbre de son cou, et si tu trouves qu’il n’a plus le contrôle de ses deux bras et de ses deux jambes à cause de cela, alors que sa verge est en érection à cause de cela, et que l’urine tombe de son membre sans qu’il en ait conscience ; si sa chair, par ailleurs, a re¸cu de l’air, et ses yeux sont remplis de sang ; c’est une luxation d’une vertèbre de son cou, s’étendant jusqu’à sa colonne vertébrale, qui est cause qu’il n’a plus le contrôle de ses deux bras et de ses deux jambes. Et si c’est la vertèbre du milieu de son cou qui est luxée, c’est une émission de sperme qui survient à son membre. Tu diras, à son sujet : un homme qui a une luxation dans une vertèbre de son cou, tandis qu’il n’a plus le contrôle de ses deux jambes et de ses deux bras et que son urine s’échappe goutte à goutte, c’est une maladie pour laquelle on ne peut rien faire ». Dans les autres cas, le repos allongé est conseillé ainsi que le traitement des plaies par bandages enduits de gomme ou de résine. Les vertus hémostatiques de la viande fraîche sont maintes fois signalées en application locale sur les plaies récentes. (Rappelons que Harvey Cushing emploiera des muscles de pigeons dans ses interventions crâniennes et que cette pratique se maintiendra jusqu’en 1960.) Les soins étaient pratiqués par des médecins spécialistes, issus d’une formation familiale et de la fréquentation de Maisons de Vie (regroupant différents intervenants réputés), et parfois des prêtres (comme les prêtres de Sekhmet), s’il faut en croire Strabon. À noter encore que nombre de momies de nos musées et du British Museum sont porteuses d’une atteinte par tuberculose vertébrale (qui sera décrit par Percival Pott (1714–1788)) et rénale avec lithiases calicielles. De même, on constate chez elles des fractures rachidiennes par chute de char ou de cheval ou par accidents de chantiers et des déformations scoliotiques. Du fait que ces manuscrits ont été copiés sur plusieurs siècles, on va observer, comme pour notre Moyen Âge, une sclérose lente
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de la pensée médicale en Égypte car il était hors de question pour les médecins de l’époque de s’écarter de ces recommandations. C’est là la première grande amnésie, dont nous verrons, au fil du temps, d’autres cas. La renaissance viendra avec Hérophile d’Alexandrie, 1300 ans plus tard.
2. L’héritage gréco-romain Les compilations de Celse (De Re Medica), écrites pendant le règne de Tibère (14–37 ap. J.-C.), n’apportent rien de nouveau sur le rachis. 2.1. Galien (129 [130 ou 138]–200 [ou 201] ap. J.-C.)
1.2. Hippocrate 460–377 (ou 356) av. J.-C. Il fit un long séjour en Égypte, à Memphis. Ses connaissances anatomiques et son expérience thérapeutique proviennent de l’observation de cadavres de guerriers tués au combat dans les nombreux conflits de l’époque (fin des guerres médiques, conflits entre cités (guerre du Péloponèse) et probablement de dissections animales. Il s’intéressa aux fractures sans troubles neurologiques mais avec cyphose évolutive. Le patient était étendu sur le ventre et placé en traction par le jeu de deux rouleaux crantés. Le praticien s’asseyait sur le dos du patient ou lui transmettait la force de son propre poids par l’intermédiaire d’une planche. En décubitus dorsal, il était conseillé de placer une outre pleine d’eau sous le sommet de la cyphose. Cette même idée sera reprise par Rauchfuss (1835–1915) et Bölher (1885–1973), en utilisant un cadre pour réduction posturale. Cette technique, connue sous le nom de « planche d’Hippocrate », est relayée par celle dite « de l’échelle », dans laquelle le sujet attaché sur une échelle est suspendu par les pieds. Outre la description des cyphoses post-traumatiques, le traité des articulations du Corpus Hippocraticum (72 livres dont six consacrés à la chirurgie) fait état de scolioses, de fractures d’épineuses, de sidérations médullaires (concussion) et de dislocations vertébrales, de douleurs sciatiques. 1.3. Alexandrie Par la pratique des autopsies de criminels autorisées par Ptolémé I Soter (dit le Sauveur, 323–283 av. J.-C.), la ville d’Alexandrie fut, durant 40 ans, le berceau des pères de l’Anatomie (Hérophile) et de la Physiologie (Erasistrate). Ptolémée II Philadelphe groupa tout le savoir d’alors dans une bibliothèque de 500 000 volumes. L’héritage gréco-égyptien nous apporte, grâce à Hérophile (325 ou 340–255 av. J.-C.) et Erasistrate (310 ou 330–250 av J.-C.), deux notions nouvelles : le siège de la pensée est situé dans le cerveau et les nerfs (dissociés des tendons) sont conducteurs de l’influx moteur et de la sensibilité. Les dissections reprendront, plus tard, de manière ponctuelle : à Montpellier en 1342, et avec Vésale (1514–1564), 1800 ans plus tard. C’est là la deuxième grande amnésie. Dans la Bible, dans la lutte de Job contre l’Ange, il est clair que le rôle moteur du nerf sciatique est connu (Genèse, 32 : 25–32). En résumé, le rôle du cerveau, de la moelle épinière contenue dans le rachis et des nerfs est bien identifié dès le IIe siècle av. J.-C.
Né à Pergame, il a décrit correctement la colonne vertébrale, avec ses 24 vertèbres. Mais son décompte de 58 nerfs rachidiens est faux (29 paires, alors qu’il y en a 31). Sa connaissance de la pathologie traumatique lui viendrait de ses fonctions de médecin des gladiateurs et, surtout, de ses vivisections animales. En effectuant des sections étagées de la moelle chez le singe et le cochon, il a évalué la sévérité du déficit, d’autant plus grande que la lésion est plus haut située. Il a isolé les cyphoses, les lordoses, les scolioses et, comme Hippocrate, a rattaché certaines cyphoses à la présence de « tubercules » dans les poumons, le pronostic étant meilleur dans les localisations sous-diaphragmatiques en raison de la possibilité d’évacuation spontanée d’abcès ossifluents dans le pli de l’aine. Il fit un voyage d’étude à Alexandrie qui lui permit de connaître les travaux d’Hérophile. Mais comme les dissections de corps humains étaient interdites, beaucoup de ses extrapolations de l’animal à l’humain sont entachées d’erreur. Ainsi, en ce qui concerne le sacrum, il décrit trois ou quatre pièces sacrées et trois vertèbres coccygiennes. Au ive siècle, Aurelianus Caelius décrit la douleur sciatique et ses traitements empiriques. 2.2. Après la chute de l’Empire Romain (invasions des ve et vie siècles) Le refuge de la pensée médicale est, pour un temps, l’empire d’Orient. Le médecin byzantin Paul d’Egine (viie siècle), dans son sixième livre consacré à la chirurgie, guidera les opérateurs médiévaux. La connaissance médicale va donc se trouver concentrée jusqu’à la Renaissance dans les travaux d’Hippocrate et de Galien diffusés par Celse (25 av. J.-C.–50 ap. J.-C.) et Paul d’Egine. Ces compilations gréco-latines seront traduites en arabe quand l’Empire d’Orient s’effondrera à son tour : dès 830, les Aphorismes d’Hippocrate et les œuvres de Galien font l’objet de traductions et d’apports personnels par Rhazès, Avicenne, Ali Abbas, Albucasis, Avenzoar, Averroès. L’ouvrage de techniques chirurgicales le plus complet est le Kitab al-Tasrif d’Abulcasis (Abu’l Qasim Khalaf ibn Abbas Az-Zahrawi, né à Cordoue en 926), avec le traitement des fractures et des luxations vertébrales ainsi que celui des caries rachidiennes. Les médecins arabes vont sauvegarder les enseignements grecs et latins, qui parviendront en Europe par les traductions des arabisants. 2.3. Le Moyen Âge : 987–1460 (pour Georges Duby) En 1150, Gérard de Crémone donne une version latine de la Chirurgie d’Abulcasis. Vers 1235, le catalan Arnold de Villeneuve traduit les textes d’Avicenne et d’Avenzoar.
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La chirurgie est alors généralement pratiquée par des barbiers-chirurgiens dont l’enseignement est assuré par compagnonnage. L’enseignement de l’anatomie est fait au cours de rares séances de dissections, à Montpellier, Padoue, Salerne, Paris, Bologne, quatre à cinq fois par an, en hiver, sur des criminels suppliciés : un enseignant, du haut d’une chaire, lit et commente des passages de Galien tout en donnant quelques indications à un démonstrateur d’anatomie qui effectue la dissection. Les auteurs d’ouvrages consacrés à la chirurgie de l’époque—Henri de Mondeville (1260–1320) : Cyrurgia, Guy de Chauliac (1300–1368) : La Grande Chirurgie ou Guidon (1363)—ne traitent pas de la pathologie vertébrale de manière originale. 3. xvie siècle et renaissance 3.1. André Vésale (1514–1564) De sa description de la colonne (De Humani Corpori Fabrica, 1543) et des illustrations de Van Calcar, on retient l’identification du couple atlas-axis dans la rotation de la tête sur le cou. En revanche, Vésale retient 34 vertèbres puisque, pour lui, le sacrum est formé de six pièces (cinq pièces pour Léonard de Vinci) et le coccyx de quatre osselets cartilagineux. La colonne vertébrale (dorsum) est représentée sans courbures. Les trous de conjugaison sont dénommés foramina nervi emittendis parata. La même année, Copernic (1543) sort la compréhension du monde céleste de l’interprétation d’Aristote avec son ouvrage : De Revolutionibus Orbium Celestium. 3.2. Ambroise Paré (1517 ou 1510–1590) C’est en suivant les armées, durant les guerres d’Italie, qu’il a eu à traiter des lésions traumatiques rachidiennes et a décrit une méthode de réduction en suspendant le patient par la partie supérieure de son corps, les membres inférieurs pendant dans le vide. On lui devrait le terme de « trou de conjugaison » (les nerfs sortent de la colonne par paires qui se conjuguent de chaque côté). Relevons, déjà, la conjonction fertile de la guerre et de la chirurgie, qui se vérifiera dans le dernier conflit européen de 1939–1945 avec Seddon et Gutman. Relevons aussi la probité de Maître Amboise Paré de Laval qui répondit à Henri II, qui l’exhortait à s’occuper de lui mieux que de ses autres patients, que c’était impossible car il les soignait tous comme des rois.
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culation capillaire, Antonie van Leeuwenhoek (1632–1723) le microscope, Thomas Willis (1621–1675) la vascularisation cérébrale. 5. xviiie siècle : le siècle des lumières Dionis, dans sa Cinquième démonstration au Jardin Royal—cours « à portes ouvertes et gratuits », donnés entre 1673 et 1706, et intitulés : Cours d’opérations de chirurgie démontrées au Jardin Royal—évoque le traitement des gibbosités par des corsets ingénieux. Il compte 30 vertèbres et sépare les déformations rachidiennes de causes externes (traumatismes, activités pénibles) des causes internes (relâchements des ligaments). Pourfour du Petit, chirurgien de l’armée des Flandres, décrit en 1727—soit 125 ans avant Claude Bernard et 142 ans avant Horner—les conséquences oculaires de la section du nerf sympathique cervical. En 1728, Pierre Chirac crée le diplôme de MédecinChirurgien, scellant ainsi la scission complète entre barbierchirurgien et chirurgien. Le Collège Royal de Chirurgie est fondé en 1741. En 1745, William Cheselden obtient des résultats semblables en Angleterre. Dans son travail consacré à l’ostéologie (Osteologia), il décrit les courbures normales de la colonne vertébrale et les cypho-scolioses. En 1747, à Montpellier, Lapeyronie lègue au Collège, l’Hôtel Saint-Côme avec un amphithéâtre d’anatomie. Cotugno [Domenico Felice Antonio (1736–1822)], en 1764, décrit la névralgie sciatique et la cruralgie (De Ischialde Nervosa Commentarus), avec une interprétation erronée sur leurs origines (irritation des gaines par des agents nocifs). En 1779, Pott fait la description, restée classique, des paralysies consécutives à la tuberculose rachidienne. Herbineaux, en 1782, reconnaît le spondylolisthésis comme facteur d’obstacle aux accouchements. Sir Percival Pott (1713–1788) et Clyne préconisent le drainage des abcès tuberculeux paravertébraux, mais les infections postopératoires constituent un obstacle considérable au début de la chirurgie rachidienne : le malade de Clyne, qui effectue la première laminectomie en 1814, décède d’infection. Ne quittons pas le xviiie siècle sans rappeler que Nicolas André, en 1741, forge le terme orthopédie (orthos : droit et paideia : éducation) qui va désigner cette partie de l’art médical dédié à la correction des déformations du corps. Le frontispice de son traité L’orthopédie (1741, Paris), qui représente un échalas redressant un jeune plant tordu, deviendra le logo de nombreuses sociétés d’orthopédie et de groupes d’étude de la scoliose.
4. xviie siècle 6. xixe siècle Borelli Giovani Alfonso (1608–1679) dans De Motu Animalium étudie les articulations du rachis et reconnaît le rôle essentiel des disques. Il montre que le centre de gravité est situé en avant de la première vertèbre sacrée (en 1990, White et Panjabi le placeront 4 cm en avant de S1). En 1695, A.-M. Vasalva décrit le liquide céphalo-rachidien. Au cours de ce siècle, William Harvey (1578–1657) découvre la circulation sanguine, Marcello Malpighi (1628–1694) la cir-
En 1804, Rousset, cité par Dubarry, note les troubles sensitifs apparaissant lors des douleurs sciatiques. Charles Bell (1774–1842) distingue la paraplégie flasque de la paraplégie spastique ; la phase du choc spinal est identifiée avec ses conséquences urinaires et rectales. En 1816, il dénoncera et condamnera la laminectomie en raison de ses mauvais résultats.
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En 1829, en Amérique du Nord, Alban Gilpin Smith (1788–1869) réalise, avec succès, la première laminectomie lombaire pour fracture avec aggravation secondaire. En 1841, Valleix note que la douleur sciatique peut être réveillée par pression sur le trajet du nerf. Entre 1846 et 1848, Brown-Séquard (1817–1894) décrit le tableau clinique de l’hémi-section de la mœlle cervicale qui porte son nom. En 1864, Lasègue précise une manœuvre permettant de diagnostiquer la souffrance du nerf sciatique. Malgaigne (1806–1865) préconise la trépanation du canal rachidien pour enlever les séquestres osseux compressifs et ouvre la voie à William Mac Ewen (1848–1924) qui guérit son malade porteur d’une compression médullaire (probablement une épidurite tuberculeuse), par laminectomie, en 1883. En 1853, Desormenaux, considéré comme le père de l’endoscopie, perfectionne le matériel de l’époque en utilisant des lentilles et un liquide alcoolique pour améliorer la luminosité. En 1856, Chassaignac recommande le drainage des voies d’abord. Les travaux de Semmelweis (1818–1865) et de Pasteur (1822–1895) sur l’asepsie, de Lister (1882–1912) sur l’antisepsie (1867) vont permettre le développement de la chirurgie. En 1882, Robert Koch isole le bacille tuberculeux, mais l’antibiothérapie ne sera disponible que 60 ans plus tard. En 1891, Hadra (1842–1903) réalise la (probablement) première ostéosynthèse du rachis cervical, en effectuant un lac¸age au fil d’argent entre C6 et C7. Victor Horsley (1857–1916), en 1887, réussit l’ablation d’une lésion d’origine méningée, sur les indications de sa localisation proposées par William Gowers, chez un patient de 42 ans ; entre 1893 et 1895, il opèrera, par laminectomies, trois patients pour des pachyméningites tuberculeuses et quatre autres patients pour des traumatismes cervicaux. En 1891, Abbe ponctionne un kyste médullaire syringomyélique. En 1893, Chipault précise la topographie vertébromédullaire à partir des processus épineux comme repères. Il décrira une voie d’abord transorale, qui ne sera utilisée qu’en 1918 par Lefort, puis par Fang et Ong, en 1962. En 1895, Wilhelm Konrad Röentgen décrit les rayons X. En juin de la même année, Harvey William Cushing (1869–1939), le fondateur de la neurochirurgie moderne, décroche son diplôme de médecin. V. Ménard, toujours en 1895, réalise les premières costotransversectomies dans les paraplégies pottiques avec drainage latéral. En 1897, il indique qu’une aréflexie achilléenne peut accompagner certaines douleurs sciatiques. 7. xxe siècle Böhler (1885–1973) précise les règles de la réduction orthopédique des fractures et planifie un programme de rééducation en lordose. L’invention des rayons X par Röntgen en 1895 sera pleinement exploitée par Sudeck, un élève de Böhler (1866–1945), et
surtout par Davis, qui demandera systématiquement un cliché de face et de profil dans l’inventaire des fractures rachidiennes (premier cliché de profil de la colonne en 1925 ! Antérieurement, les radiographies étaient prises de face uniquement). En 1904, Dejerine et Lortat-Jacob décrivent la « sciatique radiculaire ». En 1911, Albee réalise des fusions postérieures interépineuses avec des greffons autologues tibiaux. La même année, Russel Hibbs met au point sa technique de greffe posterolatérale avec décortication, pour le traitement de la scoliose et du mal de Pott. Elsberg, en 1916, codifie la laminectomie bilatérale et insiste sur la fermeture étanche de la dure-mère en cas d’exploration intrathécale. Toujours en 1916, Queckenstedt-Stookey décrivent une méthode manométrique permettant de mesurer la pression du liquide céphalo-rachidien et de déceler un blocage des espaces sous-arachnoïdiens. En 1921, Sicard et Forestier utilisent la bascule d’une bille de lipiodol pour localiser les compressions médullaires. Cette technique sera utilisée jusqu’en 1965, avant d’être supplantée par la myélographie gazeuse et les hydrosolubles iodés en 1970 (Pantopaque, Dimer X) ; les deux techniques cohabiteront jusqu’en 1975. C’est donc à partir de la troisième décennie du XXe siècle que l’histoire moderne de la chirurgie du rachis va démarrer et imploser dans des directions couvrant toute la pathologie de la colonne vertébrale. 8. Histoire des dynasties (1932 à nos jours) 8.1. La dynastie du disque intervertébral 8.1.1. Le disque lombaire En 1932, Mixter (William Jason Mixter, 1880–1958) opère un malade de 27 ans, porteur d’une hernie discale L5-S1 gauche, et référé par Joseph S. Barr. En 1934, Mixter et Barr présentent une série d’observations similaires et reconnaissent l’origine discale des enchondromes, nodules de Smorl et autres dénominations de l’époque, dans une communication, restée célèbre, à la New England Surgical Society. Ralph B. Cloward (1908–2000) : présent lors de l’attaque de Pearl Harbour le 7 décembre 1941, il a eu à traiter les « low-back pain » des reconstructeurs de la base et, dès 1943, il développe les PLIF (arthrodèse intersomatique par voie postérieure), publiées en 1953 dans le Journal of Neurosurgery. Son intérêt pour le rachis cervical lui fait développer une instrumentation originale pour les arthrodèses par voie antérieure (1958). Sans modestie, il se surnommait lui-même « le Michel-Ange de la neurochirurgie ». Quelques années plus tard, Shealy (1975), puis Mac Culloch (1980) et Bogduk (1987) popularisent la thermocoagulation facettaire par radio-fréquence. Les prothèses discales lombaires imaginées par Schellnac et Buttner (ex-RDA) apparaissent en 1980, et sont implantées pour la première fois par Zippel en 1984.
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8.1.2. Le disque cervical La chirurgie par voie antérieure du disque cervical débute aux États-Unis, en 1955, avec Robinson et Smith, et en Europe, en 1956, avec Dereymaker et Munier. En 1957, Cauchoix, Binet et Evrard proposent l’abord antérieur de la jonction cervico-dorsale par cervico-sternotomie. En 1970, Orosco et Lovet imaginent l’ostéosynthèse par plaque antérieure vissée des lésions traumatiques du rachis cervical. Jacques Sénégas en 1972, P. Galibert, P. Grunewald et W. Caspar perfectionnent la technique. Les cages de fusion apparaissent en 1993 (G. Robert, P. Kehr, Weidner), rapidement déclinées en titane en 1997 (Bagby et Kuslich, Harms, J. Bénèzech), ou en carbone (Ray) puis en PEEK (polyétherétherkétones) avec des masselottes de substituts osseux. La recherche sur les protéines ostéo-inductrices (BMP) et leurs applications cliniques permettent de diminuer les risques de pseudarthroses. Après les années arthrodèses, en 1989, Brian Cummings imagine une prothèse métal-métal (Bristol disk), idée reprise en 1990 par Vincent Bryan. 8.1.3. Les sténoses rachidiennes 1949 : Henk Verbiest, dans son « Hommage à Clovis Vincent », précise le rôle du canal lombaire étroit dans la claudication neurologique intermittente et José Aboulker, en 1965, fait une revue des causes des myélopathies cervicales d’origine rachidienne. 8.2. La dynastie du vissage pédiculaire C’est en 1963 que Raymond Roy-Camille (1927–1994) introduit le « vissage pédiculaire droit devant », à un moment où les plaques de Wilson et de Meurig-Williams posées sur les épineuses étaient plus qu’insuffisantes. Le principe du « droit devant » a été peu à peu modifié (René Louis, Argenson, J.-M. Fuentès, Magerl, Dick, Kluger, Weinstein), pour être, actuellement, plus oblique en dedans, avec une porte d’entrée plus haute et plus externe. Les montages, initialement rigides (toujours d’actualité dans le traitement des tumeurs et en traumatologie), se sont complétés par les ostéosynthèses semi-rigides (B. Lasalle, G. Perrin, R. Cavagna, C. Mazel), puis dynamiques (Gilles Dubois, 1994). En même temps, Jacques Sénégas a développé, en 1986, dans les sténoses lombaires, l’implant inter-épineux flottant, idée qui verra une seconde naissance avec le X-Stop en 2004, 18 ans plus tard.
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La même année, Cotrel et Dubousset généralisent la dérotation, avec un matériel original qui rendra d’énormes services en traumatologie, également pour les réductions difficiles. En 1964, Dwyer propose la correction des scolioses par voie antérieure, suivi par Zielke en 1975 et par Kaneda en 1991 (dérotation ventrale). L’abord antérieur thoracolombaire avait été prôné dès 1955 par Hogdson. Les travaux de Passuti, Chopin, Stagnara, Guillaumat, Nachemson, Weinstein, Kostuik, Lonstein ont permis une meilleure compréhension des problèmes, sans oublier la contribution de Roussouly et Duval-Beaupère sur les troubles de l’équilibre sagittal. 8.4. La cimentoplastie Elle voit le jour, en 1984, avec Pierre Galibert et Deramond. La kyphoplastie apparaîtra quelques 12 ans plus tard (1996). Primitivement destinée au traitement des hémangiomes vertébraux, les indications de la vertébroplastie ont été élargies au traitement percutané des métastases et des tassements ostéoporotiques. 9. Fin du xxe siècle : la chirurgie endoscopique rachidienne La chirurgie endoscopique rachidienne débute en 1983 (Forst et Haussman) par la nucléotomie par voie postérieure interlamaire (J. Destandau) ou par voie transforaminale (Mathews, 1996). Avec le perfectionnement des endoscopes, elle sera élargie aux traitements des lésions du rachis thoracique (hernie discale dorsale, métastases) et lombaire par Regan (1994), Rosenthal, Mario Brock, Zdeblik (1995) et Le Huec (1996). Associée aux techniques et voies d’abord mini-invasives avec Mayer (1996) et Onimus (1996), elle a donné un nouvel essor à la chirurgie rachidienne de la dernière décennie du xxe siècle, avec le développement également de la chirurgie percutanée (ostéosynthèses et arthrodèses intersomatiques percutanées). 10. Histoires parallèlles Il n’est guère possible de dissocier l’histoire de la chirurgie en général et celle de la chirurgie du Rachis en particulier, sans y associer l’essor de l’anesthésie et de l’imagerie. 10.1. L’anesthésie
8.3. La dynastie des déformations rachidiennes En 1958, Harrington développe un matériel de réduction par voie postérieure des scolioses. Eduardo Luque (1982) propose des lac¸ages sous-lamaires pour réduire, de manières polysegmentaires, les déformations rachidiennes. Un développement avec le Hartshill System sera rapidement abandonné en raison d’une incidence élevée de troubles neurologiques.
Les progrès de l’anesthésie générale, d’abord par inhalation (éther, chloroforme), puis par voie veineuse, la pratique de l’intubation endotrachéale (1914–1918) finiront par supplanter l’anesthésie locale qui perdurera quelque temps en neurochirurgie crânienne (un assistant de Böhler, Schneck, l’utilisait dans les réductions de fractures rachidiennes). L’emploi des curares se généralisant permettra également un plus grand confort opératoire.
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10.2. L’imagerie rachidienne 1970–1973 : début de l’utilisation du scanner (Godfrey N. Housfield, A.- M. Cormack et Ambrose James) en utilisant les travaux d’Oldendorf (1961). 1980 : l’angiographie médullaire (René Djindjan) et la phlébographie complètent l’approche diagnostique et thérapeutique (embolisation des tumeurs très vascularisées et des malformations vasculaires). 1983–1986 : l’IRM rachis-médullaire. Le principe en est défini en 1946 par Bloch et Purcel, puis développé par Damadian en 1971 et les premières images utilisables en 1974 par Lauterbur. Outre les services rendus en pathologie tumorale et infectieuse, elle est devenue indispensable en pathologie dégénérative (Modic M, 1991). La neuronavigation rachidienne, la radiothérapie guidée par ordinateur sont les acquis les plus récents ainsi que la fluoronavigation. 10.3. L’antibiothérapie et la rééducation Elles complètent l’arsenal thérapeutique du chirurgien du rachis. 11. Le futur La chirurgie du rachis est en passe de devenir une sur-spécialité. Exercée par deux corporations issues de la neurochirurgie et de l’orthopédie, elle sera bientôt une spécialité en soi. Les ateliers de formation, générés par la Société francophone de neurochirurgie du Rachis et par la Société franc¸aise de chirurgie du Rachis, l’enseignement d’un DIU sont autant de garanties pour assurer l’avenir de cette spécialité à hauts risques. Il n’était pas inutile de rappeler ses origines et les hommesphares qui ont été ses pères. Les rapports de la médecine avec l’argent, la gloire, les responsabilités civiles ou pénales, la formation et les guerres ont toujours été, depuis le début, des zones d’ombres. L’argent était déjà un problème pour Mondeville qui exigeait d’être payé sitôt le soin prodigué. Les implications entre l’industrie des matériels et les concepteurs laissent à penser qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. La gloire de soigner les grands de son temps (Vésale fut médecin de Charles Quint, Guy de Chauliac celui des Papes d’Avignon) est une tentation forte, mais dangereuse en cas d’échec. Hippocrate refusa de soigner Xerxès car, en cas de non-résultat, la mort du médecin pouvait s’en suivre. On a vu des morts professionnelles dans certains procès récents. Les progrès de la chirurgie suivent les guerres : faut-il continuer les conflits armés de par le monde pour pouvoir sauver d’autres vies ? Amboise Paré fut écarté de la faculté de Paris car il ne parlait pas latin. Certaines carrières de notre époque rappellent cet ostracisme, car il faut apprendre un nouveau latin. Combien d’idées fécondes ont été redécouvertes plusieurs siècles plus tard. Et si on faisait le compte de celles qui ont
été définitivement perdues dans l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie et les grands holocaustes modernes ? Pour en savoir plus Aboulker, J., Metzger, J., David, M., Engel, Ph, Ballivet, J., 1965. Les myélopathies cervicales d’origine rachidienne. Neurochir 11, 89– 198. Aminoff, M.J., 1996. Brown-Séquard and his work on the spinal cord. Spine 21, 113–140. Argenson, C., Lovet, J., Peretti, F (de), Vidal, H., Frehel, M., D’Hondt, 1990. Évolution de la fixation chirurgicale des arthrodèses lombo-sacrées. Rev Chir Orthop, S1:103. Benini, A., 1996. Historical Perspective: Andreas Vesalius. Spine 21, 1388–1393. Boni, Th, Benini, A., Dvorak, J., 1994. Domenico Felice Antonio Cotugno. Spine 19, 1767–1770. Calot, J.F., 1897. Sur les moyens de corriger la bosse du mal de Pott, d’après 37 opérations et sur les moyens de la prévenir. Archives Provinciales de Chirurgie. Paris 6, 65–79. Cier, J.F., 1980. Le syndrome de Brown-Sequard. Cah. Med 6 (10), 605– 608. Cushing H., 1962 A Bio-bibliography of Andreas Vesalius.1943. Londres.Facsimile: Hamden. Djindjian, R., 1981. Angiography of spinal column and spinal cord tumors. Georg Thieme Verlag. Galibert, P., Deramont, H., Rosat, P., Le Gars, D., 1987. Note préliminaire sur le traitement des angiomes vertébraux par vertébroplastie acrylique percutanée. Neurochirurgie 233, 100–108. Harrington, P.R., 1988. The history and development of Harrington instrumentation. Clin Ortho Rel Res 227, 3–5. Keller, T., 1996. Victor Horsley’s surgery for cervical caries and fracture. Spine 21, 398–401. Knoeller, S.M., 2000. History of spinal surgery. Spine 21, 2838–2843. Kostuik, J.P., Errico, T.J., Gleason, T.F., 1986. Techniques of internal fixation for degenerative conditions of the lumbar spine. Clin Orthop Relat Res 203, 219–231. Leu, H.J., Hauser, R.K., Schreiber, A., 1997. Lumbar percutaneous endoscopic interbody fusion. Clin Orthop Relat Res 337, 58–63. Lin P.M., 2001 In Memorium: Ralph B. Cloward, MD. Spine 26:2000–2001. Louis, R., 1982. Chirugie du Rachis. Springer-Verlag. Marketos, S.G., 1999. Hippocrates. The father of spine surgery. Spine 24, 1381–1387. Marketos, S.G., Panagiotis, A., 1999. Galen: a pioneer of spine research. Spine 24, 2358–2362. Menard, V., 1895. Traitement de la paraplégie du mal de Pott par le drainage lateral ; costotransversectomie. Rev Orthop. Paris, 6134–6146. Mixter, W.J., Barr, J.S., 1934. Rupture of the intervertebral disc with involvement of the spinal canal. New Engl J Med 211, 210–215. Parisien, R.C., 1998. William Jason Mixter. Spine 23, 2363–2366. Provencher, M.T., Abdu, W.A., 2000. Giovanni Alfonso Borelli: “Father of spinal biomechanic”. Spine 25, 131–136. Regan, J.J., Guyer, R.D., 1997. Endoscopic techniques in spine surgery. Clin Orthop 335, 122–129. Robinson, J.S., 1983. Sciatica and the lumbar dusc syndrom. South Med J 76, 232–237. Robinson, R.A., Smith, G., 1955. Anterolateral disk removal and interbody fusion for cervical disk syndrome. Bull Johns Hopkins Hosp 96, 223. Roy-Camille, R., Roy-Camille, M., Demeuleaere, C., 1970. Ostéosynthèse du rachis dorsal, lombaire et lombo-sacré par plaques métalliques vissées dans les pédicules vertébraux et les apophyses articulaires. Presse Med T 78 (32), 1447–1448. Sanders, M.A., 1999. William Cheselden: anatomist, surgeon, an medical illustrator. Spine 24, 2282–2289. Sicard, A., 1959. Chirurgie du rachis Masson et Cie.. Steffee, A.D., 1994. A tribute to Raymond Roy-Camille. Spine 19, 2489.
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Jean-Marc Fuentes Centre de neurochirurgie, clinique du millénaire, 220, boulevard Pénélope, CS 59523, 34960 Montpellier cedex 2, France Adresse e-mail :
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