Urgences 1996;XV: 157-l 61 0 Elsevier, Paris
Fait clinique
La forme douloureuse des myocardiopathies hypertrophiques R Habbal, M Zahraoui, N Chraibi Centre de cardiologie,
centre hospitalier universitaire Casablanca, Maroc
Ibn Rochd,
(Repu le 23 juillet 1996)
R&urn6 - La myocardiopathie hypertrophique represente un vaste cadre nosologique. Elle peut se <asous des tableaux cliniques cardiologiques tres divers. Parmi ces masques, ii existe une forme clinique de type algique, avec une symptomatologie pouvant simuler un angor instable ou un infarctus du myocarde. Notre travail rapporte trois observations. La premiere est une myocardiopathie hypertrophique non obstructive, qui s’est manifestee par des douleurs thoraciques de type angineux et des modifications electriques qui ont deroute le diagnostic vers un infarctus du myocarde. C’est l’echocardiographie et surtout la coronarographie qui ont permis de corriger le diagnostic. La patiente est decedee de mar-t subite. La deuxieme observation est une myocardiopathie obstructive douloureuse avec des modifications electriques qui ont fait penser a une insuffisance coronaire aigue. L’echocardiographie a note des signes d’hypertrophie parietale avec obstruction intracavitaire. Le bilan a ete complete par une coronarographie qui s’est rev& normale. Le patient a ete mis sous traitement medical, il a bien evolue avec un recul de 3 ans. La troisieme observation est celle d’une jeune patiente de 30 ans se plaignant de douleurs thoraciques. Le bilan electrique a montre des troubles de repolarisation qui ont fait penser au diagnostic d’angor. Le diagnostic a ete redresse par I’echocardiographie qui a visualise une myocardiopathie hypertrophique. La coronarographie ne montrait pas de lesion coronaire. La malade a bien evolue sous betabloquants. myocardiopathie
,
hypertrophique
La myocardiopathie hypertrophique est une hypertrophie primitive du myocarde. Elle serait d’origine genetique et se transmettrait selon le mode autosomique dominant, avec une penetrance variable [3]. Elle represente un vaste cadre nosologique, ou coexistent des maladies du myocarde et/au des coronaires, responsables de tableaux cliniques varies. Parmi tous ces aspects possibles, il existe une forme clinique de type douloureux qui peut etre confondue avec une insuffisance coronarienne (angor instable) ou meme un infarctus du myocarde). Cette confusion est d’autant plus frequente que l’electrocardiogramme est souvent anormal. Nous rapportons trois observations qui illustrent ce probleme de diagnostic differentiel avec I’insuffisance coronaire aigue.
OBSERVATION Cas no 1 Madame MR, agee de 62 ans, de race noire, sans profession, a ete hospitalisee dans le service de cardiologie pour syndrome de menace. Ses antecedents ne notaient pas de pathologie patticuliere. L’histoire de sa maladie remontait a 18 mois, et consistait en des douleurs thoraciques constrictives retrosternales, de moins de 5 minutes, surtout a I’effort. Elles etaient.associees a une dyspnee d’effort stade II de la NYHA. A I’examen clinique la patiente avait une tension arterielle de 150/90 mmHg. Elle etait en insuffisance cardiaque globale. L’electrocardiogramme (ECG) a montre une arythmie complete par fibrillation auriculaire (ACFA), une ischemie sous-epicardique en posterolaterale et une onde Q en posterodiaphragmatique (fig 1). La patiente
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R Habbal et al
Fig 1. ECG montrant une ACFA avec ischemie sous-epicardique en posterolaterale et onde Q en posterodiaphragmatique.
Fig 2. Radiographie thoracique : gros cceur avec surcharge pulmonaire.
a ete mise sous traitement digitalodiuretique, anticoagulants, aspirine et derives nitres. Un mois plus tard la patiente est revenue avec une symptomatologie fonctionnelle faite de douleurs thoraciques constrictives au repos, plus intenses et prolongees (de 15 a 20 minutes). La dyspnee d’effor-t s’etait aggravee et quelques episodes de suboedeme pulmonaire etaient apparus. Elle a ete rehospitalisee avec le
Fig 3. khocardiographie 2D montrant une hypertrophie de I’ensemble du septum saris signe d’obstacle intraventriculaire.
diagnostic d’infarctus du myocarde. L’ECG montrait une discrete aggravation de I’ischemie en lateral. La radiographie du thorax a montre un gros cceur avec des signes de surcharge pulmonaire (fig 2). Le bilan biologique n’a pas note d’elevation enzymatique. L’echocardiographie a montre en mode TM un septum franchement hypertrophie alors que la paroi posterieure etait peu epaissie. Le rapport septum/paroi posterolaterale etait d’environ 1,7. Ceci plaidait en faveur d’une hypertrophie asymetrique avec une masse ventriculaire de 364,14 g. En mode bidimentionnel (2D) I’echocardiographie a montre une hypertrophie de I’ensemble du septum sans signe d’obstacle intraventriculaire (fig 3). Le doppler a revele une discrete fuite mitrale sur des valves non remaniees avec inversion du rapport E/A. La vitesse du flux sous-aortique etait de I,5 m/s. La coronarographie de cardiomyopathie hypet-trophique a ete retenu. Le bilan a ete complete par un holter tensionnel qui a montre une hypertension arterielle de type diastolique a predominance diurne sans inversion du cycle nycthemeral. La pression arterielle moyenne etait de 145/98 mmHg. La patiente a ete mise sous inhibiteurs de I’enzyme de conversion, aspirine, digitaline et diuretiques. Un an plus tard, la patiente a ete rehospitalisee pour des douleurs epigastriques. L’ECG montrait un aspect pratiquement similaire a I’ECG precedent. Le contrdle echographique montrait le meme aspect. Le bilan a ete complete par une fibroscopie gastrique qui a revele une gastrite atrophique. Un holter rythmique a note de multiples extrasystoles ventriculaires (ESV) polymorphes avec quelques doublets et des tachycardies ventriculaires non soutenues avec une arythmie complete par fibrillation auriculaire. Cette patiente a ete mise sous Cordarone” associee aux diuretiques et aux inhibiteurs de I’enzyme de conversion. L’evolution a ete marquee par la regression des signes d’insuffisance cardiaque avec normalisation des chiffres tensionnels au holter tensionnel avec une PA moyenne de 131/88 mmHg. Le holter rythmique a note moins d’ESV sans TV ni bigeminisme. Six mois plus tard la patiente est decedee chez elle de mort subite.
Myocardiopathies
hypertrophiques
Fig 5. khographie TM montrant une hypertrophie valve mitrale qui butte contre les VG (SAM).
du VG et la
Fig 4. &ectrocardiogramme montrant une onde Q en lateral et une ischemie sous-epicardique en posterodiaphragmatique, avec un courant de lesion-ischemie en anterieur.
Cas no 2 Monsieur DM, age de 54 ans, presentait un tabagisme chronique chiffre a 38 paquets-annee. Un Were gastrique avait ete traite 4 ans plus tot. II a ete hospitalise pour des precordialgies apparues 24 heures avant. A I’admission la tension arterielle etait a 140/80 mmHg. Le rythme etait regulier, sans souffle ni signes d’insuffisance cardiaque.
L’electrocardiogramme a montre une onde Q en lateral et une ischemie sow-epicardique en posterodiaphragmatique, avec un courant de lesionischemie en anterieure (fig 4). Ce tableau clinique et electrique a fait retenir le diagnostic d’angor de novo, et le patient a ete mis sous heparine, derives nit&, et betabloquants. Le bilan biologique etait sans par-ticularites, notamment sans elevation enzymatique. L’echocardiographie a redresse le diagnostic en montrant un VG de dimension normale (38/l 7 mm), une hypertrophie septale de 15 mm, une paroi posterieure en diastole de 15 mm et une fraction d’ejection de 86 %. II s’agissait done d’une hypertrophie concentrique du VG, avec une bonne contractilite globale. La valve mitrale butait contre le VG (fig 5), sans fermeture prematuree des sigmo’ides aortiques. Les valves mitroaortiques etaient fines. Le flux aortique, en lame de sabre, avec un gradient maximal ventricule gaucheaorte de 62 mmHg et un gradient moyen de 42 mmHg, a fait retenir le diagnostic de cardiomyopathie obstructive. La coronarographie a revele des coronaires normales, et une hypertrophie obstructive du VG. L’evolution a ete excellente sous betabloquants avec un recul de 3 ans.
Cas no 3 Une jeune patiente de 30 ans, sans aucun antecedent pathologique particulier, a ete admise dans le service de cardiologie pour des douleurs thoraciques constrictives augmentant en inspiration for&e. Ceci a fait penser en premier a une pericardite ou a un angor. L’examen clinique n’a pas trouve de fievre. la tension
Fig 6. ilectrocardiogramme docardique en apicolaterale
montrant une ischemie sous-enanterieur.
arterielle etait de 120/70 mmHg. L’auscultation cardiaque a montre un rythme regulier sans souffle ni frottement pericardique. La patiente n’etait pas en insuffisance cardiaque. L’ECG a revele une ischemie apicolaterale sans onde Q (fig 6). Le bilan biologique a montre une discrete elevation des enzymes cardiaques. Ce tableau clinique et electrique a alors fait retenir le diagnostic d’angor de novo, et la patiente a ete mise sous heparine, derives nitres, et betabloquants. L’echocardiographie a montre une hypenrophie concentrique du ventricule gauche (septum a 14 mm, paroi posterieure a 13 mm), avec une bonne contractilite septale. Le ventricule avait une dimension correcte. II n’y avait pas de signes d’obstruction. Le pericarde etait sec. Le bilan a ete complete par une coronarographie qui etait normale. Un bilan de depistage familial (parents, freres et sceurs)
n’a pas note de cas similaire.
La patiente
a
bien evolue sous betabloquants.
DISCUSSION Les differentes formes cliniques que peut revetir la myocardiopathie hypertrophique entrainent parfois une difficulte diagnostique. Les douleurs thoraciques font pat-tie du tableau clinique de la cardiomyopathie dans seulement 40 a 50 % des cas [l, 21. Elles ne posent que rarement des problemes diagnostiques lorsqu’elles sont liees A une pathologie coronarienne grave evolutive. Parfois, au
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contraire, liees ou non a I’effort, elles semblent caracteristiques d’angine de poitrine. Cependant, dans ce cas, elles ne sont pas calmees, voire aggravees, par la prise de derives nitres [3]. Les douleurs precordiales pseudo-infarctoi’des sont diversement appreciees dans les manifestations cliniques des CMH. Dans certaines series un diagnostic differentiel de I’infarctus du myocarde n’a pas ete evoque [4, 51. Elles ont en revanche parfois pose des problemes de diagnostic importants. Un infarctus du myocarde ou un angor instable ont ete evoques et le diagnostic n’a ete redresse qu’apres plusieurs jours, lors de la coronarographie. D’autres cas ont ete pris pour une insuffisance coronaire aigue et ont ete trait& par fibrinolyse [6]. II est exceptionnel mais non exclu que I’electrocardiogramme (ECG) soit normal. En fait I’ECG est anormal dans 92 % des cas, ce qui explique la frequence des formes asymptomatiques decouvertes a I’occasion d’un trace systematique [3]. Differentes anomalies electriques ont ete decrites : - I’hypertrophie cavitaire represente l’anomalie la plus frequemment retrouvee. Elle est le plus souvent ventriculaire gauche (74 a 94 % des cas), parfois biventriculaire (20 % des cas) et rarement ventriculaire droite isolee [l]. L’association d’une hypertrophie ventriculaire gauche et d’une hypertrophie auriculaire droite est frequente et suggestive ; - les troubles de la conduction existent dans 56 % des cas [7]. Ils se presentent le plus souvent sous forme d’un bloc incomplet de la branche gauche (40 % des cas). Cette forme est d’autant plus frequente que les malades avancent en age. Le bloc de branche droit incomplet existe dans 14 % des cas, le bloc auriculoventriculaire dans 2 % des cas. Le bloc de branche gauche complet est exceptionnel [7] ; - des troubles primaires de la repolarisation de divers types sont notes. Les plus frequents sont a type d’ischemie sous-epicardique, patfois impressionnante. On rencontre aussi des ischemies sous-endocardiques, plus rarement des lesions sous-endocardiques ou sous-epicardiques. L’ensemble de ces troubles est note dans les trois observations. Les CMH purement apicales presentent une forme tres particuliere. On enregistre alors des ondes T negatives geantes, superieures a 10 mm et des complexes QRS de haut voltage dans les derivations precordiales laterales [8] ; - les ondes Q sont presentes dans 36 a 56 % des cas [9]. Elles sont souvent fines et profondes [9]. Elles peuvent etre observees dans toutes les derivations, mais suttout dans le territoire inferieur ou lateral [3]. Cet aspect est retrouve dans les deux premieres observations : une onde Q en posterodiaphragmatique pour I’observation no 1 et une onde Q en laterale pour I’observation no 2 ;
- les autres anomalies electriques sont plus rares. Lafibrillation auriculaire permanente est rare chez le sujet jeune mais sa frequence augmente avec I’age et elle est mal toleree. Les enregistrements electriques continus ont montre la frequence de I’hyperexcitabilite ventriculaire a type d’extrasystoles ventriculaires frequentes ou polymorphes et surtout acces de tachycardie ventriculaire. Les tachycardies ventriculaires monomorphes soutenues sont rares dans les myocardiopathies hypertrophiques [lo]. En revanche, la tachycardie ventriculaire non soutenue est frequente. Elle est retrouvee chez pres de 25 % des patients [ll]. Bien que ce trouble de rythme paraisse benin, des etudes ont demontre qu’il constitue, a lui seul, le meilleur facteur predictif du risque de mot-t subite chez I’adulte [ll]. C’est le cas de la premiere patiente qui presentait de multiples extrasystoles ventriculaires et qui a succombe a une mart subite. L’echographie permet d’apprecier l’etendue de I’hypertrophie de la CMH. Elle serait correlee avec la s&&rite des arythmies [12]. Lazzeroni et al ont montre que les patients ayant une hypertrophie &endue a I’ensemble du ventricule gauche ont une frequence de troubles du rythme ventriculaire graves et defibrillation auriculaire chronique significativement superieure a celle des patients ayant une hypertrophie septale asymetrique. Avant de conclure nous insisterons sur les tableaux cliniques pseudoangineux qui sont I’une des formes des CMH. Les mecanismes exacts responsables de cette ischemie restent discutes. Plusieurs possibilites ont ete d&rites : une pathologie des petits vaisseaux intramyocardique [I 31, une compression des (c perforantes a>septales en systole [14], des spasmes des petites art&es coronaires [15], une limitation a la possibilite d’extraction de I’oxygene en cas d’augmentation des besoins et, enfin, une densite capillaire insuffiSante [15]. CONCLUSION II faut Qtre vigilant avant de poser le diagnostic d’infarctus du myocarde ou d’angor instable sur de simples elements cliniques et electriques. En effet, le diagnostic differentiel avec la forme algique des myocardiopathies hypertrophiques est reel, et en particulier avec I’infarctus du myocarde par atteinte d’unecoronaire epicardique. Si l’echocardiographie revele I’hypet-trophie du septum, elle n’apporte pas toujours la solution diagnostique, sut-tout lorsque les signes electriques se situent dans le territoire septal, car a ce niveau existe souvent une hypokinesie echocardiographique. L’infirmation ulterieure dune n&rose myocardique reposera sur I’evolution des enzymes cardiaques et non sur celle de la douleur et des modifications electriques.
Myocardiopathies
hypertrophiques
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