La Nétrine-1 et ses récepteurs à dépendance: rôle dans les cancers colorectaux

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Pathologie Biologie 53 (2005) 328–333 http://france.elsevier.com/direct/PATBIO/

Actualité biologique

La Nétrine-1 et ses récepteurs à dépendance: rôle dans les cancers colorectaux Netrin-1 and its dependence receptors: role in colorectal cancers A. Bernet *, P. Mehlen Apoptose, cancer et développement, laboratoire labellisé ‘La Ligue’, FRE CNRS, centre Léon-Berard, 28, rue Laennec 69008 Lyon, France Reçu le 1 octobre 2004 ; accepté le 19 octobre 2004

Résumé Actuellement, un nombre de plus en plus important de récepteurs semble appartenir à la famille des récepteurs à dépendance. Ces récepteurs ont la capacité d’induire un programme d’apoptose, mais cela uniquement en l’absence de leur ligand. La cellule qui exprime ces récepteurs est donc dépendante de la présence du ligand pour survivre. L’hypothèse très générale de l’observation d’une perte de ces récepteurs dans de très nombreux cancers serait que cette perte corresponde à un avantage sélectif permettant à ces tumeurs de ne plus être dépendante pour leur survie de la présence du ligand. Nous nous proposons de nous focaliser sur le rôle de certains de ces récepteurs dont l’étude à fait l’objet de nombreux travaux : les récepteurs à dépendance qui fixent la nétrine-1. Après avoir rappelé leur rôle dans le développement du système nerveux et dans l’apoptose nous nous intéresserons à leur dysfonctionnement dans le contexte pathologique de l’échappement tumoral et plus particulièrement dans celui conduisant aux cancers colorectaux. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Currently, an increasing number of receptors appear to belong to the dependence receptors family. These proteins have the capacity to induce a program of apoptosis in settings of absence of their ligand. A cell that expresses one of these receptors is thus dependent on the presence of the ligand to survive. The observation that these receptors are lost in many cancers is then suggesting that this loss is a selective advantage for tumor development because it leads tumor cells not to be dependent for survival on the presence of the ligand. We propose to focus this review on the role of some of these receptors that have been intensively studied: the dependence receptors that bind the netrin-1. After having pointed out their role in the development of the nervous system and in cell death induction, we will discuss their putative role in the pathological context of tumorigenesis and more particularly in the control of colorectal cancers. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Récepteurs à dépendance ; Nétrine-1 ; DCC ; UNC5H ; Cancers colorectaux Keywords: Netrin-1; Colorectal cancer; UNC5H; DCC; Dependence receptors

Il existe un grand nombre de différents types de cancers. Ceux-ci partagent cependant des mécanismes moléculaires et cellulaires communs qui peuvent se résumer par la manifestation de plusieurs altérations essentielles de la physiologie normale des cellules. Ces altérations correspondent : aux * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Bernet). 0369-8114/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.patbio.2004.10.008

voies de signalisation des facteurs de croissance, à l’angiogénèse, aux signaux d’adhésion cellulaires, à la réplication de l’ADN, et enfin à la mort cellulaire par apoptose (pour revue [13]. Un nombre croissant de gènes impliqués dans ces différents processus ont leur fonction perdue dans les cancers d’où leur implication possible en tant que gènes dits « suppresseur de tumeurs » [21]. Dans cette revue, nous nous intéresserons plus particulièrement aux gènes codant pour

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des récepteurs particuliers, les récepteurs à dépendance. Ces récepteurs ont la capacité d’induire un programme d’apoptose, mais cela uniquement en l’absence de leur ligand. La cellule qui exprime ces récepteurs est donc dépendante de la présence du ligand pour survivre. L’hypothèse très générale de l’observation d’une perte de ces récepteurs dans de très nombreux cancers serait que cette perte corresponde à un avantage sélectif permettant à ces tumeurs de ne plus être dépendante pour leur survie de la présence du ligand. Bien que le rôle de ces gènes en tant que suppresseurs de tumeurs ait été soumis à controverse, certaines évidences aujourd’hui permettent de lever ces ambiguïtés. Actuellement, un nombre de plus en plus important de récepteurs semble appartenir à cette famille des récepteurs à dépendance : le récepteur de faible affinité aux neurotrophines P75ntr [33] le récepteur aux androgènes [8], DCC [29], RET (REarranged during Transfection) [2], les récepteurs UNC5H [24], les intégrines avb3 et a5b1 [41], Patched [44], néogénine [25]. De manière intéressante, si le rôle de ces récepteurs en l’absence de ligand est le déclenchement de la mort cellulaire par apoptose, en présence de ligand, chacun de ces récepteurs joue un rôle dans le développement du système nerveux. Nous nous proposons de nous focaliser sur le rôle de certains de ces récepteurs dont l’étude à fait l’objet de nombreux travaux : les récepteurs à dépendance qui fixent la nétrine-1. Après avoir rappelé leur rôle dans le développement du système nerveux et dans l’apoptose nous nous intéresserons à leur dysfonctionnement dans le contexte pathologique de l’échappement tumoral.

La nétrine-1 et ses récepteurs Le système nerveux central (SNC) mature résulte de la mise en place de circuits neuronaux très complexes. Le SNC des organismes supérieurs est bilatéralement symétrique. Le transfert des informations entre les deux côtés du système nerveux s’effectue grâce à des commissures formées par des neurones qui projettent des axones traversant la ligne médiane (aussi appelée plaque du plancher) jusqu’à l’autre côté du SNC. Une phase critique dans le développement du système nerveux précoce est l’établissement de connexions entre les neurones et les cellules cibles. Lors de l’établissement de ces connexions, les axones croissent jusqu’à leur destination finale, guidés par des molécules présentes dans l’environnement extracellulaire. Pour répondre à ces signaux, les axones possèdent des récepteurs à la surface de leur cône de croissance, une structure spécialisée située à l’extrémité distale de l’axone. Ce phénomène appelé guidage axonal est essentiel à la mise en place du système nerveux. La nétrine1 a été la première des nombreuses molécules chimiotropique décrite pour guider la migration des axones [6,13,19,36]. Les nétrines constituent une famille de protéines sécrétées de 60-80kDa apparentées à la laminine, une protéine de la matrice extra-cellulaire. Cette famille comprend actuellement cinq membres chez les mammifères : nétrine-1,

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nétrine-3, nétrine-G1, nétrine-G2 et nétrine-4/b-nétrine [20,31,36,37,46].Ces protéines sont toutes constituées de trois domaines (V,VI et C, les domaines V et VI étant homologues aux domaines des laminines) ainsi que d’un peptide signal caractéristique des protéines sécrétées. Ces protéines sont conservées au cours de l‘évolution, et chez le nématode C.elegans la mutation du gène codant la seule protéine nétrine appelée UNC6, confère aux vers un phénotype « uncoordinated » (unc), dû à des défauts dans la migration des axones [14]. La nétrine-1 est une molécule de guidage axonal bifonctionnelle produite par les cellules de la ligne médiane du SNC, elle attire par exemple les axones commissuraux [37] et repousse les axones du nerf trochléaire [6]. Elle fonctionne non seulement comme molécule d’orientation des axones mais permet aussi la migration des neurones [28]. L’inactivation du gène codant pour la nétrine-1 chez la souris provoque des défauts dans les projections des axones de la commissure spinale et des défauts dans la formation de plusieurs commissures dans le cerveau [36]. Si le rôle de la nétrine-1 au cours du développement est largement documenté, son rôle chez l’adulte est peu connu. Pourtant, chez l’homme adulte, l’expression de la nétrine-1 est retrouvée dans de nombreux tissus avec des niveaux assez élevés dans le cerveau, le cœur, l’intestin grêle, le colon, le foie, la rate, et la prostate indiquant probablement un rôle important de cette molécule [30,26]. Les analyses génétiques chez C.elegans ont permis de mettre en évidence deux protéines de surface UNC-5 et UNC-40 impliquées dans la migration cellulaire dépendante de la nétrine (UNC-6) [14,3]. Depuis, chez les vertébrés, ont été mis en évidence quatre protéines homologues à UNC-5 (UNC5H1, H2, H3 et H4) nommés collectivement UNC5H [1,9,22,45] et une protéine homologue à UNC-40, la protéine DCC (Deleted in Colorectal Cancer). Aujourd’hui, on peut compter sept récepteurs à nétrine-1 transmembranaires répartis en trois familles de protéines différentes. La première comprend DCC et son homologue néogénine comportant des motifs homologues à la fibronectine de type III dans leur domaine extracellulaire. Ce sont des récepteurs de type I homologues aux protéines de la famille N-CAM (neural cell adhesion molecule) [4,18]. La seconde correspond aux récepteurs de la famille UNC5H également de type I contenant dans leurs domaines extracellulaires deux domaines homologues à la thrombospondine de type I ainsi que des motifs immunoglobuline [22]. Enfin le récepteur adénosine A2b, un récepteur à sept domaines transmembranaires couplé aux protéines G a été mis en évidence lors de la recherche de partenaires intracellulaires à DCC par la méthode du double hybride. Il existerait une interaction entre la partie C-terminale de A2b et la partie transmembranaire de DCC et ce uniquement lorsque la nétrine-1 se fixe sur A2b, déclanchant la production d’AMPc [7]. Si des expériences sur des explants de moelle épinière in vivo laissent à penser que A2b serait impliqué dans la pousse des axones commissuraux [7] son rôle exact est encore à démontrer [38,40]. Concernant le

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rôle de DCC et UNC5H, il semble clair que DCC transmet le signal d’attraction des axones alors que les récepteurs UNC5H transmettent la répulsion des axones lorsqu’ils sont associés avec DCC [16]. Très peu de choses sont connues concernant le rôle de la neogénine et deux études très récentes viennent remettre en cause son rôle de récepteur physiologique de la nétrine-1 puisqu’il a été montré qu’un autre ligand RGM (Repulsive Guidance Molecule) possède une affinité pour la néogenine 100 fois plus élevée que la nétrine-1 [34]. Au cours du développement, alors que A2b est présent à un niveau basal dans toutes les cellules, l’expression des récepteurs UNC5H et DCC est détectée principalement dans le SNC et périphérique, à différents stades du développement et dans différents types de neurones en différenciation. En effet, UNC5H1 est exprimé principalement au niveau de la moelle épinière ventrale du tube neural tandis que UNC5H2 est retrouvé à un stade plus tardif au niveau de la moelle épinière ventrale et dans les neurones sensoriels. Ces deux transcrits sont aussi retrouvés dans le cervelet, la rétine et le cortex en développement [22,9]. UNC5H3 est exprimé dans le cervelet en développement tandis que UNC5H4 serait essentiellement exprimé dans le système nerveux périphérique. De plus, l’inactivation du gène UNC5H3 (rostral cerebellar malformation, rcm) [1,32] indique que UNC5H3 est nécessaire pour la migration des précurseurs des cellules de Purkinje au cours du développement du cervelet et pour le guidage des axones corticospinaux [11]. Les souris homozygotes pour la mutation sont ataxiques mais peuvent survivre. DCC est quant à lui fortement exprimé au cours du développement dans le cerveau et le tube neural, par les neurones commissuraux situés dans la moelle épinière dorsale [18]. Par conséquent, l’inactivation du gène DCC conduit à des défauts drastiques du développement du SNC similaire à ceux observés pour les souris inactivées pour le gène nétrine-1. Les souris homozygotes pour la mutation ne survivent pas plus de 24 heures. Le fait que les défauts liés à l’inactivation de DCC soient très similaires à ceux observés pour l’inactivation de la nétrine-1 confirme l’interaction entre le récepteur DCC et son ligand dans la mise en place du système nerveux [10]. Un niveau plus faible de transcrits des gènes UNC5H et DCC est également retrouvé chez l’embryon dans différents tissus non nerveux et ces transcrits, comme ceux de la nétrine-1, sont également toujours présents chez l’adulte, cependant leur rôle est à ce jour indéterminé.

UNC5H et DCC comme récepteurs à dépendance Le rôle de DCC et UNC5H comme récepteurs de la nétrine-1, une molécule impliquée dans le guidage des axones et la migration des neurones, suggérait une vision monolithique de la transduction du signal de ces récepteurs c’est à dire sans signalisation lorsque le ligand nétrine-1 est absent

et avec au contraire, une signalisation lorsqu’il est présent, traduisant ainsi un engagement de DCC et UNC5H dans un signal de guidage. Cependant nos travaux ont permis d’identifier DCC et UNC5H comme des molécules beaucoup plus complexes. Nous avons en effet proposé que DCC et UNC5H soient des récepteurs à dépendance et comme tels actifs même en absence de ligand, cette absence conduisant à la mort de la cellule exprimant ces récepteurs. En effet, dans des expériences de transfection cellulaires ou d’infection virales, UNC5H tout comme DCC, exprimés en absence de nétrine-1, induisent la mort des cellules alors que la présence de nétrine-1 suffit à bloquer cette activité pro-apoptotique [29,12,24,23,42,45,47]. Si la mécanistique de l’activité pro-apoptotique de ces récepteurs est encore peu connue, une caractéristique commune semble cependant être leur capacité à être clivés par des protéases majeures de l’apoptose : les caspases. Les caspases sont des protéases à cystéines qui clivent après un acide aspartique. Les caspases impliquées dans l’apoptose peuvent être classées en deux groupes : les caspases initiatrices (e.g. caspase-8 et 9) et les caspases effectrices (e.g. caspase-3,6,7). L’activation des caspases initiatrices, par la voie des récepteurs de mort pour la caspase 8 et la voie mitochondriale pour la caspase 9, entraîne l’activation en cascade des caspases effectrices, amorçant ainsi rapidement la phase irréversible d’exécution de l’apoptose ; ce qui in fine conduit au démantèlement de la cellule [35]. Les récepteurs UNC5H, DCC possèdent des sites de clivage reconnus par la caspase 3 in vitro –ce qui ne signifie pas que in vivo ce soit nécessairement la caspase-3 qui clive ces récepteurs- (en position 412 pour UNC5H, 1290 pour DCC) [29,24]. Puisque la mutation du site de clivage abolit l’activité pro-apoptotique de ces récepteurs, il a été suggéré que ce clivage permette d’induire la mort des cellules en libérant/ exposant un domaine pro-apoptotique nommé ADD (Addiction Dependence Domain). Dans le cas de UNC5H cet ADD serait situé après le site de clivage et contiendrait un domaine de mort ou « death domain » très similaire à celui qui existe au sein de diverses protéines comme les récepteurs Fas et TNFR classiquement considéré comme le médiateur d’un signal pro-apoptotique [24]. Dans le cas de DCC, le clivage entraînerait l’exposition d’une partie de la protéine suffisante pour déclancher la mort des cellules par apoptose [29]. Il a été montré que le domaine ainsi exposé de DCC pouvait interagir avec la caspase 9 en l’absence de nétrine-1 [29,12] déclenchant l’activation de caspases effectrices (démontré pour DCC in vitro [29]) créant ainsi une boucle d’amplification conduisant à la mort de la cellule par apoptose. Outre le « death domain », les récepteurs UNC5H possèdent également un autre domaine impliqué dans la mort cellulaire, ce domaine nommé ZU-5 est homologue à Zona Occludens-1, une protéine de la jonction intercellulaire impliquée dans la transmission du signal. Il a été décrit récemment que le gène UNC5H1 interagissait spécifiquement au niveau de ce domaine ZU-5 avec une protéine de la famille MAGE (Melanoma Antigen) régulatrice de l’apoptose, la

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protéine N-Rage. Une hypothèse pourrait être que l’interaction entre N-Rage et UNC5H1 permettre l’induction de la voie apoptotique soit en dégradant la protéine XIAP (Xlinked inhibitor of apoptosis), soit en activant la voie JNK (cJun N-term Kinase) [47]. Par ailleurs, des études in vivo sont venues compléter les observations impliquant que les cellules exprimant DCC et UNC5H sont dépendantes de la nétrine-1 pour survivre. En effet, dans les souris invalidées pour la nétrine-1, on observe une augmentation significative de l’apoptose au niveau des cellules du tronc cérébral et particulièrement pour celles qui expriment DCC et/ou les gènes UNC5H [24]. De plus, il est intéressant de noter que l’équipe dirigée par M.TessierLavigne a été contrainte d’utiliser un mutant UNC5H délété de son domaine de mort afin de pouvoir observer l’effet sur le guidage axonal de UNC5H dans les neurones de Xénopes car l’expression du récepteur sauvage produisait la mort des neurones [16]. Si le rôle positif de ces récepteurs dans le guidage axonal en présence de nétrine-1 semble très clairement démontré (cf plus haut), plusieurs hypothèses du rôle négatif –i.e., mort cellulaire- peuvent être apportées. Une des hypothèses pourrait être que la mise en place des mouvements des axones lors du développement du système nerveux est une résultante des deux effets conjugués positifs et négatifs produits par ces récepteurs. En effet on peut imaginer que l’effet négatif soit un mécanisme de « surveillance » capable d’éliminer toute cellule qui s’éloignerait de sa source de ligand. Dans le cas des cellules du SNC, ces récepteurs permettraient la croissance et l’orientation des neurones par chimio-attraction ou -répulsion (selon le récepteur exprimé à la surface) par rapport à la source de nétrine-1. Cette réponse s’effectuant par leur capacité à fixer la nétrine-1. Dans le cas où les neurones s’éloigneraient de la source de nétrine-1, les récepteurs, devenus « inoccupés » induiraient la mort de la cellule évitant ainsi toute migration dans des territoires « interdits ». Un tel mécanisme pourrait exister dans d’autres types cellulaires exprimant les récepteurs non seulement au cours du développement mais également dans les tissus adultes en renouvel-

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lement (prolifération et différenciation) tel que les villosités intestinales. En effet, le profil d’expression de la nétrine-1 et de DCC dans l’intestin et le colon normaux pourrait suggérer pour le couple DCC/nétrine-1 un rôle régulateur de la survie cellulaire. En effet, dans ces tissus, la nétrine-1 est produite à la base de la crypte intestinale alors que DCC est présent tout le long des villosités [17,26]. Dans la crypte, les cellules en phase de prolifération qui sont à la base exprimant DCC dans un environnement riche en nétrine-1 seraient préservées de la mort cellulaire alors que les cellules intestinales qui cessent de proliférer pour se différencier et gagner le sommet de la villosité intestinale se retrouveraient progressivement dans un environnement dépourvu en nétrine-1 conduisant ainsi à une mort des cellules par apoptose (Fig. 1). En ce sens, nous avons observé qu’une surexpression de la nétrine-1 dans tout l’épithélium intestinal engendre une diminution de l’apoptose de plus de 50 % [26]. Le système de dépendance généré par DCC permettrait donc de réguler « le temps » de survie des cellules épithéliales afin que celles-ci ne soient pas soumises trop longtemps aux multiples agressions qu’elles subissent (tension mécanique de l’intestin et agression chimique de la lumière). Ce mécanisme pourrait alors éviter l’accumulation de mutations conduisant à de potentiels phénomènes de tumorigénèse.

Les récepteurs à dépendance UNC5H et DCC dans la tumorigénèse Par ce mécanisme de dépendance, DCC et UNC5H pourraient être de potentiels suppresseurs de tumeurs. En effet, la nétrine-1, tout comme DCC et UNC5H, sont exprimés dans la plupart des tissus et pourraient correspondre à un système de surveillance de l’échappement tumoral des cellules en prolifération ou différenciation. Ainsi, toute cellule quittant anormalement son environnement cellulaire (isolement au sein d’une tumeur, migration anormale dans d’autres tissus) se retrouverait éloignée de son ligand déclenchant l’activité pro-apoptotique de DCC et/ou de UNC5H conduisant à la

Fig. 1. Schéma de villosités intestinales normales. Les cellules prolifèrent à partir du bas de chaque villosité au niveau des cryptes puis migrent tout en se différenciant vers la surface (côté lumière intestinale) où elles sont éliminées. L’expression de nétrine-1 est plus forte au niveau des cryptes mais celle de son récepteur DCC est uniforme le long des villosités. La fixation de nétrine-1 sur DCC au niveau des cellules des cryptes contribue à la survie des cellules alors que l’absence de nétrine-1 à la surface des villosités conduit à la mort des cellules par apoptose.

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Fig. 2. Schéma de villosités intestinales dans le cas d’une sur-expression de nétrine-1. La présence uniforme de nétrine-1 le long des villosités empêche l’élimination des cellules par apoptose et favorise le développement tumoral.

mort de la cellule et donc à la régression tumorale. Dans un contexte pathologique, une délétion des gènes correspondant aux récepteurs conduirait à la perte de ce signal proapoptotique créant ainsi un avantage sélectif de l’échappement de la tumeur. En ce sens, DCC avait été identifié, il y a une dizaine d’années, comme un potentiel suppresseur de tumeurs puisque le gène DCC est délété dans plus de 70 % des cancers colorectaux ainsi que dans une multitude d’autres tumeurs [5]. De même, il a été observé que dans plus de 90 % des tumeurs colorectales mais aussi dans de nombreuses autres tumeurs, l’expression de UNC5H est fortement réduite, cette baisse d’expression étant essentiellement attribuée à UNC5H1 et UNC5H3 dans les cancers colorectaux [45]. Il a par ailleurs été montré que le suppresseur de tumeur p53 induit l’apoptose via l’induction de l’expression de UNC5H2 [42]. De plus in vitro, plusieurs études ont montré que l’expression de DCC et de UNC5H inhibe les manifestations classiques de la transformation (croissance indépendante du support-migration à travers une matrice de matrigel) [27]. Cependant, le fait que les inactivations chez la souris de DCC (-i.e., inactivation d’un seul allèle car l’homozygote est létal à la naissance) et de UNC5H3 ne soient pas associées à une augmentation de la tumorigenèse a laissé penser que ces gènes ne pouvaient être des suppresseurs de tumeurs [43,10,15]. Pourtant, récemment, une approche différente de l’inactivation classique du récepteur –i.e., qui inhibe à la fois le signal positif du récepteur mais aussi son signal négatif– a permis de mettre en évidence le rôle de ces récepteurs à dépendance dans la tumorigénèse. Cette approche a consisté en la surexpression du ligand nétrine-1 dans l’épithélium intestinal afin d’empêcher la mort cellulaire induite par les récepteurs. En effet, il a récemment été montré que la surexpression de nétrine-1 ciblée dans tout le système digestif conduit à une inhibition de l’ordre de 50 % de la mort cellulaire dans l’épithelium intestinal et à un développement significatif des hyperplasies focales et des adénomes (Fig. 2) [26]. De même, le croisement des souris sur-exprimant la

nétrine-1 avec des souris porteuses d’une mutation du gène APC (Adenopus Polyposis Coli), lesquelles sont connues pour déjà développer des adénomes colorectaux [39] a permis de montrer l’apparition d’un nombre important d’adénomes de haut grade allant jusqu’au stade adénocarcinome [26]. Ainsi, ces résultats démontrent que le blocage de la mort induite par la surexpression de la nétrine-1 entraîne à la fois une initiation de la tumorigénèse et une progression de celle-ci [26] permettant une confirmation du rôle des récepteurs à dépendance exprimés dans le système digestif, dans la tumorigénèse. Bien que cette étude soit ciblée dans le système digestif, elle permet de montrer que les récepteurs à la nétrine-1 tels que DCC et UNC5H sont probablement impliqués dans la surveillance de la progression tumorale des cellules en croissance ou en renouvellement. Si DCC et UNC5H peuvent par conséquent être considérés comme des suppresseurs de tumeurs, ils sont différents des suppresseurs de tumeurs classiques comme Rb qui inhibe la formation des tumeurs du fait de leur activité constitutive intrinsèque (e.g. inhibition du cycle cellulaire). DCC et UNC5H ne prennent leur activité « suppressive » que lorsqu’une cellule se développe « anormalement » dans un territoire « non autorisé ». C’est pour cette raison que nous les avons nommés des suppresseurs de tumeurs conditionnels. Références [1]

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