La position fraternelle dans la psychothérapie de l’adolescent

La position fraternelle dans la psychothérapie de l’adolescent

Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2002 ; 50 : 281-6 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0222961702000983/SCO ...

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Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2002 ; 50 : 281-6 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0222961702000983/SCO

Cas clinique

La position fraternelle dans la psychothérapie de l’adolescent F. Houssier*1 Centre Médico-Psychologique pour Enfants et Adolescents, 5, rue Paulhan, 78140 Vélizy, France

Résumé En nous appuyant sur la psychothérapie d’un adolescent âgé de seize ans, nous montrons comment la relation fraternelle occupe une place centrale dans l’espace thérapeutique et la relation transférentielle. Les conflits de rivalité fraternelle constituent un premier temps dans l’élaboration des enjeux narcissiques, réévalués dans le contexte du processus d’adolescence. Le psychothérapeute est à ce moment là dans une position de grand frère, figure à la fois plus proche et à même d’apporter une reconnaissance narcissique. Le dépassement de la haine fraternelle permet dans un second temps d’aborder les figures parentales dans la relation thérapeutique, et notamment de traiter le lien au père. L’enjeu fondamental est de permettre à l’adolescent d’évoluer d’une position narcissique à une relation d’objet, ouvrant sur la différence des sexes et des générations. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS adolescence / psychothérapie / relation fraternelle / haine fraternelle

Summary – The brotherly position in the adolescent psychotherapy. From the psychotherapy of a sixteen year old adolescent, we explain the influence of the brotherly relation in the transference. The rivalry conflict constitutes the first step in understanding of narcissistic stakes. The therapist is placed in the big brother’s position, a person who can bring in narcissistic acknowledgement. As a second step, the overtaking of brotherly hate permits, to deal with the parental figures in the therapeutic relation, and notably to treat the father link. The adolescent can pass from a narcissitic position to an object relation, open to sex and generation differences. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS adolescence / psychotherapy / brotherly relation / brotherly hate

Depuis plusieurs années maintenant, la fratrie est envisagée comme un espace relationnel qui ne se résume pas à un lien de dépendance aux figures parentales. Cette vision du fraternel comme simple substitut des parents [2] est aujourd’hui complétée

par une conception narcissique qui nous fait passer d’ un axe vertical parent-enfant à la spécificité d’un axe horizontal. Les liens verticaux ne tiennent pas compte de ce que chaque parent, dans la singularité de son histoire

*Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (F. Houssier). 1

Psychologue clinicien, Docteur en Psychologie, Enseignant rattaché à l’Equipe de Recherche sur l’Adolescence, Université Paris 7.

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fraternelle, transmet inconsciemment à son enfant [6]. De même, le lien conjugal trouve dans certains cas ses fondements dans un lien fraternel incestueux qui possède sa propre dynamique et qui serait devenu aujourd’hui une figure socialement admise du couple. S. Freud, en choisissant un mythe centré sur Oedipe, un fils unique, a rejeté dans l’ombre le complexe fraternel. Le mythe de la horde primitive serait par conséquent une construction défensive, le meurtre œdipien du père préservant d’un désir préalable, celui du meurtre du frère [9]. La portée non restrictive du complexe d’Oedipe a cependant été relevée par S. Freud [3] lorsqu’il indiquait qu’à partir du second enfant, le complexe œdipien devient un complexe familial. Le propos de J. Lacan [7] met en évidence le rôle narcissique du frère, ce semblable, cet alter ego. La jalousie implique ainsi une identification à l’état de frère ; cette identification participe de la reconnaissance de l’autre comme objet. Ce lien de spécularité initialement peu différenciateur entre le sujet et l’objet cède la place à la perception progressive de l’image de l’autre, contribuant à l’appréhension d’une tendance étrangère : c’est l’intrusion narcissique. La reprise du texte lacanien nous oriente par conséquent sur le constat suivant : le frère constitue un objet primaire dans l’histoire des investissements libidinaux du sujet. De par l’intrusion qu’il vient à représenter dans le lien à la mère, dans cette ouverture sur la frustration et le manque qu’il génère, le frère est avant tout investi négativement. L’hostilité et la haine sont par conséquent premières dans la relation fraternelle, dans un rapport d’identification à l’« autre soi-même ». Le risque d’une condensation des deux images, de soi et de l’autre, serait primitivement impliqué dans la nécessité de repousser cet autre envahissant jusqu’à l’intrusion. Intrusion identitaire qui a pour effet une violence de rejet donc, mais qui permet également la mise au travail de la différenciation et de l’identification. Le vécu d’intrusion est une source de la violence fraternelle qui s’organise dans un temps narcissique de la relation. Si tuer le frère est un temps pouvant initier le meurtre symbolique du père, alors la relation fraternelle est un lien archaïque participant de la construction du scénario oedipien [9]. Nous proposons d’interroger la position fraternelle à l’adolescence en montrant comment l’adolescence reprend les investissements libidinaux de l’enfance ; cette reprise contribue au dépassement des conflits d’origine infantile, ouvrant la possibilité d’investissement d’objet extra-familiaux. Le cas de Julien illustre ce passage d’une relation fraternelle

narcissique à une modalité objectale, mouvement préalable à l’investissement d’un lien affectif extrafamilial ; nous suivons notamment l’évolution des fantasmes meurtriers de cet adolescent au cours de la psychothérapie, développés envers le frère avant de pouvoir être dirigés vers la figure paternelle. Dans ce contexte, l’espace psychothérapique permet de rejouer ces scènes familiales dans la relation transférentielle. Nous insistons sur l’importance, pour le thérapeute, de se laisser emmener à une place réduisant l’asymétrie initiale entre le psychologue et son patient : une place de grand frère. . JULIEN, OU LA HAINE DU FRÈRE Julien est âgé de seize ans lorsque je le reçois pour la première fois ; il m’est adressé par un psychiatre consultant pour une psychothérapie. Dans le contact, malgré une certaine inhibition, il fait part d’une certaine capacité d’insight. Issu d’un milieu socio-professionnel plutôt favorisé, il est l’aîné d’une fratrie de trois enfants : une sœur de treize ans et un frère de huit ans. Progressivement, il évoque les coups portés à son petit frère, à qui il reproche d’« avoir le dessus » à cause de la faiblesse de sa mère ; cette plainte résonne comme une absence d’intervention en sa faveur, en l’absence du père, le seul à pouvoir imposer son autorité. La relation avec son frère lui est insupportable : profitant de son statut de petit dernier, celui-ci le provoquerait sans cesse et insulterait sa mère qui ne réagirait pas. Il intervient souvent en lui criant dessus et en l’injuriant ; lorsqu’il se moque de lui, Julien le frappe, déclenchant la colère de sa mère. Sur le plan scolaire, il juge que son père ne s’occupe pas suffisamment de lui, alors, dit-il, « J’ai fait comme lui, j’ai lâché », à partir de la quatrième. Lorsque son père le lui reproche, il se tait, en associant sur la peur et l’envie de le défier, recouverte par le « respect ». Puis, dans la continuité, il évoque ce que serait un conflit ouvert avec son père, et la conséquence pour lui inévitable que le pire adviendrait, à savoir l’envie de le tuer. En dehors de cette évocation, Julien parle essentiellement de la relation avec son frère, laissant de côté les figures parentales, refusant toute intervention ou tentative de lien sur ce sujet. En revanche, l’envie émerge comme un élément important par rapport à son frère ; « Mon frère a des qualités que je n’avais pas quand j’avais son âge. Il est déjà fort physiquement et j’envie la chance qu’il a, ça me donne des complexes par rapport à lui ». Ces mêmes

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complexes qui reviennent régulièrement dans ses relations amicales. Ce petit frère a un double substitutif en la personne d’un adolescent âgé de quinze ans, qu’il nomme « le petit », puis « le roquet » ; cet adolescent et son frère ont notamment des qualités similaires, et sollicite un vécu persécutif chez Julien. L’adolescent qu’il croise parfois l’a menacé dans la rue, lui a fait « baisser les yeux », ce qu’il a vécu comme une humiliation. Une série de scénarii violents émerge : il s’imagine en train de le frapper, le « détruire », mais la bagarre devient au fur et à mesure une guerre de bandes. Pour résumer, il dit : « Je me fais un film : je bute le roquet et après je me suicide ». Les idées suicidaires, jusqu’ici sousjacentes, prennent alors une place importante dans la psychothérapie. Elles sont liées à ce qu’il rapporte, à la fin de cette séance : il évoque un ami dont il se sent très proche puis, il s’effondre, très ému, en disant : « J’ai imaginé une scène homosexuelle avec cet ami, c’est horrible, j’ai pris du plaisir à imaginer ça,… » « Je suis pas pédé », répète-t-il avec rage, comme pour s’en persuader et m’en convaincre. Le lien fraternel active une position homosexuelle qui ne peut être assumée que dans un rapport de violence masquant ces désirs. Les idées suicidaires représentent une façon de faire cesser ces représentations homosexuelles et de fuir leur caractère effractif traumatique. Souhaitant devenir dessinateur de bande-dessinée, Julien reproduit dans ses dessins un personnage mi-homme mi-bête, dont il regrette le caractère bestial et à qui il préfèrerait mettre des ongles sous la peau que des griffes. Cette interrogation sur son identité sexuelle se poursuit autour d’un dessin d’un visage avec un masque qui ne permet de voir que les yeux, sans bouche. J’interviens alors sur le fait qu’il représente un personnage qui ne peut pas parler et il associe alors sur son frère : la veille, il a hurlé sur lui. « Je ne me rappelle pas si je l’ai frappé… Après, j’ai regardé la télévision toute l’après-midi ». Julien commence la séance suivante en se demandant pourquoi il s’est fait cette nouvelle tête (les cheveux mis en pointe qui lui donnent un air de diable), avant de faire le récit suivant : son frère a provoqué à nouveau sa colère et Julien a commencé à lui crier dessus, le traitant de « démon ». Il ne peut pas reconnaître à ce moment là qu’il projette une image de lui-même sur son frère, alors qu’il évoque initialement sa coiffure et son aspect cornu. Le frère ne prenant pas assez en compte ses réflexions, Julien le tape deux fois, « mais pas trop fort ». Le petit frère se met alors à pleurer pendant un quart d’heure, ce qui le préoccupe beaucoup. Il vient le

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voir dans sa chambre pour tenter de comprendre, ce qui se passait étant très inhabituel. « Il faut qu’on parle tous les deux », dit Julien, pendant que la sœur réclamait de pouvoir dormir. Julien va prendre sa douche en laissant la porte de la salle de bain ouverte au cas où son frère viendrait pour parler. Mais rien ne se passe et il s’endort. Cette scène se passe le soir, en l’absence de ses parents. Lorsqu’il associe ensuite sur ses idées suicidaires et que je lui propose de les rattacher à la culpabilité vis-à-vis de son petit frère dont il vient de me parler, il refuse le lien mais enchaîne sur le fait qu’il s’est fait prendre cinq francs par trois types. S’il s’était défendu, c’est une suite ininterrompue de violences qui se serait déchaînée. Par conséquent, la seule alternative pour lui est d’être le chasseur ou la proie. Lui ne peut être que la proie car s’il tue l’agresseur, il doit ensuite tuer ses copains et sa famille pour être tranquille. Je lui propose l’idée selon laquelle se tuer viendrait remplacer le désir de tuer, en évoquant la scène avec son frère. A partir de cette séance émerge plus franchement un puissant sentiment de culpabilité lié à ses désirs violents. Cette culpabilité, et les affects dépressifs qui y sont rattachés, est associée à la scène où il se rend compte de la souffrance de son frère lorsque celui-ci pleure longuement. Nous nous arrêtons sur cette première partie de la psychothérapie — d’une durée d’un an et demi — pour en comprendre les principaux enjeux psychodynamiques dans le contexte du processus d’adolescence. . ADOLESCENCE, VIOLENCE ET COMPLEXE FRATERNEL Si l’adolescence constitue un temps de reprise du parcours infantile, elle ouvre également un espace de création d’un cheminement propre. La relation fraternelle se reprend donc au moment de l’adolescence, pour être confrontée à la nouveauté du pubertaire. Le frère haï n’est pas seulement un rival (œdipien ou pré-oedipien) ; il incarne les désirs incestueux que le sujet ne peut reconnaître mais qu’il identifie chez cet autre soi-même qu’est le frère. Le frère est une surface d’inscription projective, un miroir qui renvoie le caractère insupportable de ses propres désirs. La violence qui émerge dans la relation fraternelle montre que celle-ci fonctionne dans un rapport de symétrie, où le sentiment d’identité est attaqué. Or, trouver son identité est un enjeu majeur de l’adolescent dans son travail de subjectivation [1]. Il existe des éléments maillés entre le parcours d’adolescence et la relation fraternelle. Tous deux sollicitent la

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quête identitaire sur un registre narcissique, aboutissant à l’identification ; sur le plan objectal, la relation au socius est aussi à engager et à reprendre. Comme la naissance d’un frère altère le sentiment d’omnipotence, l’adolescence met à l’épreuve l’illusion et la toute-puissance dans sa confrontation au monde extérieur. Comme l’intrusion d’un frère implique pour l’aîné un renoncement à occuper une place privilégiée auprès de sa mère, l’adolescence nécessite une mise à distance des objets incestueux intra-familiaux, incluant le frère ou la sœur. L’adolescence partage avec le lien fraternel la présence d’un traumatisme lié au vécu d’intrusion : externe par la reconnaissance de l’autre dans la relation au frère ; interne par la génitalisation du corps au moment de la puberté. Le lien fraternel agirait comme un facteur redoublant le traumatisme pubertaire. Comme nous le montre le cas de Julien, le partage et la fraternité recouvrent une position initiale à élaborer, fondée sur la haine pré-ambivalentielle. Lorsque le sentiment d’identité n’est pas assuré, la violence opère comme une défusion vis-à-vis de l’objet persécutant. L’espace fraternel propose un support permettant d’étayer la survie psychique lorsque les parents font défaut. Il serait précédé d’un temps primaire de la relation où, avant que le père ne soit constitué en tant qu’objet œdipien, le désir fondamental serait de supprimer tout corps étranger faisant obstacle à l’union narcissique avec la mère. Il ne s’agit pas tant de prendre la place du père que de prendre toute la place auprès de la mère. Le frère joue pleinement ici son rôle de support permettant l’expression des fantasmes inconscients de Julien. Le désir de meurtre du frère revient à tuer le produit du couple parental [5], mais également à faire disparaître ce miroir régulièrement tendu à Julien, lui montrant sa face cachée, à savoir le lieu supposé du désir pour la mère. Julien oscille entre déni et reconnaissance de l’autre et de sa souffrance. Le père reste une figure idéalisée, à distance, à respecter — sinon à tuer. Le clivage qui opère alors consiste à ne pas parler dans la psychothérapie de la relation au père, de ne pas le critiquer, maintenant ainsi la séparation entre les représentations idéales et mauvaises attribuées à l’image du père. La violence parricide est reportée sur le frère, le clivage ne permettant pas la liaison du conflit d’ambivalence. Ce déplacement sur le frère se rejoue dans la relation au thérapeute. La distance relationnelle est plus réduite et Julien me montre régulièrement ses dessins ou lit ses poèmes, recherchant une complicité affective. Il exprime sa satisfaction lorsque je lui dis que je connais les bande-

dessinées de super-héros dont il me parle. Sa demande de reconnaissance narcissique est alors au premier plan : il reçoit ma réponse comme une confirmation que ce à quoi il s’intéresse—son monde interne—a de la valeur. Le partage d’une même production culturelle représente un rapprochement d’ordre fraternel, sur un mode d’étayage homosexuel. La bienveillante neutralité du psychothérapeute médiatise les enjeux fraternels violents ; je suis ici sollicité comme un grand frère protecteur, figure différenciée vis-à-vis du petit frère ou du père associés à des figures persécutives. Ce décalage dans le transfert permet à Julien d’intérioriser, par l’identification au thérapeute, d’autres modalités de réponses à l’agresseur supposé. Cette modification de sa position s’appuie sur la liaison progressive de ses agirs violents avec un sentiment de culpabilité. Lorsqu’il frappe son frère et qu’il s’inquiète par la suite de ce qu’il ressent, le couple violence-culpabilité est représenté, montrant la capacité de Julien à s’identifier à son frère. En reconnaissant l’autre comme objet total, l’identification est rendue possible, dans le sens d’un ressenti « à la place de ». C’est le passage du spéculaire à l’identificatoire. Le passage par la dépressivité et la culpabilité constituent un temps de pensée essentiel dans l’appropriation psychique de ses conflits et affects. Cette capacité à penser sa relation à son frère au lieu d’avoir à l’agir témoigne d’un mouvement d’élaboration marqué par le renoncement à éliminer le frère. Progressivement, le vécu persécutif, projection de ses désirs meurtriers, disparaît de son discours ; il n’évoque plus la relation avec l’adolescent qu’il surnommait « le roquet » ni avec son petit frère, si ce n’est pour dire qu’il a « l’impression d’être passé à autre chose avec lui ». . ÉLABORATION DE LA RELATION FRATERNELLE À L’ADOLESCENCE : UNE VOIE THÉRAPEUTIQUE Pour Julien, il est nécessaire de passer par le fraternel pour appeler la figure du père. Cette configuration met en jeu le triangle rivalitaire structuré autour de l’organisation sujet-parents-frère [8], fondamentale dans le complexe fraternel. La haine fraternelle a ceci de spécifique : tout en étant bornée par les représentations incestueuses, la figure fraternelle condense les enjeux pubertaires (incestueux et parricides) en permettant leur évolution. Le frère sert d’étayage au moment où Julien tente de désinvestir les figures parentales ; le frère permet de maintenir une relation investie en attendant que l’objet hétérosexuel soit désinvesti de sa

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dangerosité, c’est-à-dire de son équivalence avec un objet incestueux. La relation fraternelle est une voie de diversion à l’adolescence, en attendant l’ouverture à la relation sexuelle et à l’altérité. Il soutient le sujet dans le temps de réaménagement des imagos parentales tout en permettant, par le maintien du lien, d’éviter le repli narcissique. La transformation de la violence, temps de la persécution, en agressivité, temps de la relation ambivalente, dans la relation fraternelle s’inscrit dans une clinique de la transition ; cette position rend possible l’élaboration d’une relation d’objet non incestueux. Au début de la psychothérapie, le frère et les amis de Julien sont investis comme autant de doubles narcissiques. Après avoir relié violence et culpabilité, Julien finit par dire qu’il a le sentiment d’avoir retrouvé sa place de grand frère qu’il sentait menacée jusqu’ici. La possibilité de parler de ses désirs meurtriers, à travers la relation persécutante avec son frère ou ses pairs, lui permet de dépasser une position essentiellement narcissique et projective. Cette situation concorde avec une place retrouvée sur le plan de l’intergénérationnel : il reconnaît sa satisfaction à occuper cette place de grand frère, qui tient compte du principe de réalité. Dans la psychothérapie, lorsqu’il me dit avoir récupéré une place qu’il vivait comme attaquée, il m’indique que je n’ai plus à occuper une position grand-fraternelle. Quelques semaines après cette séance, il rencontre une jeune femme avec laquelle il fait l’amour pour la première fois. Il est surpris d’avoir envie de s’engager affectivement avec elle. À partir de ce moment là, les contenus concernant ses parents, et notamment son père, se développent. Le point essentiel de ce travail psychique concerne la possibilité de fantasmer le meurtre du père. Julien évoque alors un jeu de rôle où il est un personnage qui voit, enfant, son père mourir devant ses yeux et qui cherchera à le venger. Cette situation archétypique des bandes-dessinées qu’il lit, mais également de la situation oedipienne réactualisée par l’Œdipe pubertaire [4], montre l’issue de l’adolescence de Julien. Le scénario de ce jeu lui est proposé par un de ses amis ; ainsi est faite la liaison entre le pair, représentant du frère, et le père, mis en scène dans son jeu. La possibilité de rattacher ses désirs oedipiens meurtriers à une représentation venue de l’enfance rétablit le lien avec son histoire relationnelle infantile. Le scénario lui est proposé de l’extérieur, ménageant ses défenses intrapsychiques. De plus, sa position de passivité dans le scénario lui permet d’évoquer cette scène parricide en se préservant d’une position active plus culpabilisante. Cette scène s’inscrit dans un moment précis du processus

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psychothérapeutique ; à la suite de l’élaboration du conflit fratricide, le désir de meurtre du père réactivé par l’adolescence est devenu représentable, sous la forme déguisée d’un jeu de rôle. Dans le transfert, il signale que le transfert grand-fraternel peut se dissoudre pour s’affronter maintenant à une figure parentale. . CONCLUSION Dans le premier temps de la relation psychothérapique, trois frères sont mis en scène : Julien, son frère cadet et le lien grand-fraternel au psychothérapeute. C’est le seul lien familial qui apparaisse massivement dans le discours de cet adolescent. Accepter de passer par le fraternel a permis dans ce cas de restaurer les liens verticaux et transgénérationnels. L’oscillation narcissico-objectale propre à l’adolescence de Julien peut être mise en rapport avec ce que J. Lacan nomme une double issue [7], une alternative dans le complexe fraternel. Soit le sujet reste dans une position d’alliance narcissique avec la mère, repoussant dans la destructivité tout intrus. Soit il reconnaît l’autre avec lequel va s’engager une lutte rivale impliquant un rapport à l’objet ; il trouve alors à la fois autrui et l’objet socialisé. Dans la psychothérapie, l’évitement d’une parole sur le père fait jouer une protection vis-à-vis du pubertaire parricide. Avant que de pouvoir comprendre voire interpréter les liens verticaux, il peut être nécessaire de passer par le rapport au semblable, au frère comme au pair. Elaborer sa conflictualité narcissique semble être un premier temps indispensable avant que Julien puisse traiter ses conflits objectaux. Cet enjeu est régulièrement présent dans la psychothérapie de l’adolescent, formulé autour de la nécessité d’en passer par l’actuel pour pouvoir entendre le matériel infantile. La prégnance et la fréquence des contenus fraternels nous amènent à mettre en parallèle le fraternel, l’actuel et la relation au pair comme trois éléments préalables à l’analyse des liens verticaux. Dans le transfert, le fraternel serait un enjeu moins angoissant que le parental quant à l’élaboration des désirs incestueux et parricides. Alors que la rivalité fraternelle centrée sur l’élimination du rival relève d’une position narcissique, la possibilité de se dégager de cette position narcissique homosexuelle ouvre sur l’investissement de l’autre, dans sa différence sexuelle. La relation hétérosexuelle investie par Julien évoque cette ouverture à la différence, dont l’autre sexué est le représentant. Différences des générations, diffé-

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rence des sexes, deux enjeux essentiels pour traverser l’adolescence. RE´ FE´ RENCES 1 Cahn R. Adolescence et folie. Les déliaisons dangereuses. Paris : Presses Universitaires de France ; 1991. 2 Freud A. Survie et développement d’un groupe d’enfants : une expérience bien particulière. In : Lebovici S, Ed. L’enfant dans la psychanalyse. Paris : Gallimard ; 1951. p. 110-60.

3 Freud S. Introduction à la psychanalyse. Paris : Payot ; 1951. 4 Gutton P. Le pubertaire. Paris : Presses Universitaires de France ; 1991. 5 Houssier F. Fondements psychopathologiques du fratricide. Dialogue 2000 ; 149 : 19-28. 6 Kaës R. Le complexe fraternel, Aspects de sa spécificité. Topique 1993 ; 51 : 5-42. 7 Lacan J. Les complexes familiaux dans la formation de l’individu. Essais d’une fonction en psychologie. Paris : Navarin ; 1984. 8 Laplanche J. Vie et mort en psychanalyse. Paris : Flammarion ; 1970. 9 Marcelli D. Œdipe, fils unique. Adolescence 1993 ; 11 : 229-48.