Le potentiel épileptogène du sévoflurane : réalité ou fantasme ?**

Le potentiel épileptogène du sévoflurane : réalité ou fantasme ?**

Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 435-7 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801003926/EDI Éditorial ...

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Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 435-7 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801003926/EDI

Éditorial

Le potentiel épileptogène du sévoflurane : réalité ou fantasme ?* C. Lejus** Service d’anesthésie-réanimation chirurgicale, Hôtel Dieu, CHU, 44093 Nantes cedex, France

potentiel épileptogène / sévoflurane

Le sévoflurane est utilisé depuis plus d’une décennie et plusieurs millions d’enfants en ont bénéficié. Le premier cas de mouvements tonico-cloniques a été rapporté dans la littérature occidentale en 1992 chez une fillette de 9 ans [1]. La même année, dans la revue japonaise Masui, une incidence de 6 % de convulsions était notée, durant l’induction anesthésique de 180 enfants âgés de 1 à 6 ans [2]. Depuis, des observations cliniques et quelques enregistrements électriques, fortuits, d’activités épileptiformes ont été sporadiquement rapportés chez l’enfant [3-7] aussi bien que chez l’adulte [8-11]. L’analyse systématique de l’activité électroencéphalographique n’a été entreprise que très récemment. Dans deux séries de 30 patients adultes, une activité épileptiforme a été enregistrée chez 47 à 60 % des patients, alors que des mouvements tonicocloniques n’étaient observés que dans 7 à 10 % des cas [12, 13]. L’incidence de ces mouvements est majorée par l’hyperventilation [9]. Il en est de même pour la fréquence des activités épileptiformes, qui peut alors atteindre 87 à 100 % des patients [12, 13]. Les effets protecteurs du midazolam, administré en prémédication, pourraient expliquer les résultats rassurants de la première étude électro-encéphalographique, menée chez 32 enfants : aucun tracé ou mouvement suspect, en dehors de l’habituelle agitation passagère, n’est enregistré [14]. L’absence de prémédication et une exposition à des concentrations *Voir aussi article dans ce numéro fi p 95-7. **Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (C. Lejus).

de sévoflurane supérieures à 2 CAM, expliquent les observations de cette seconde série pédiatrique. Le mécanisme de cet effet indésirable, qui rappelle fortement ce qui a été décrit avec l’enflurane, n’est pas clair. Parmi les études animales [15-17], seule celle réalisée chez le chat [17], suggère un potentiel épileptogène. L’activité électrique de base des structures corticale et limbique est progressivement inhibée de façon dose-dépendante (burst suppression puis activité isoélectrique). À l’inverse, l’amplitude des potentiels évoqués somesthésiques est majorée. Le sévoflurane présente donc une double action, l’une de suppression de l’activité de base et l’autre de facilitation des réponses induites par les stimulations. Ce dernier effet est identique à ce qui avait été observé avec l’enflurane, mais survient avec une fréquence plus faible. Selon certains auteurs, la vitesse d’induction modifierait la balance neuronale synaptique d’inhibition-excitation. L’analyse encéphalographique, des effets du sévoflurane chez l’adulte atteint d’une épilepsie réfractaire, suggère que les propriétés neuro-excitatrices sont dose-dépendantes et manifestes pour des concentrations proches de celles qui génèrent des burst suppression (1,5 CAM) et sont absentes ou minimes pour les faibles concentrations [18]. L’intérêt soudain et grandissant pour le potentiel épileptiforme du sévoflurane, suspecté dès les premières phases du développement, est certainement lié à l’extension récente de la technique d’induction par inhalation à l’adulte. On peut s’interroger sur la raison pour laquelle, jusqu’aux deux études françaises, aucun travail n’a été mené pour documenter de façon systématique les effets électriques du sévoflurane chez l’enfant. La possibilité de modifications de l’activité électro-encéphalographique cérébrale n’est

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même pas mentionnée dans le Vidal. La principale explication réside probablement dans l’absence totale de retentissement clinique et de séquelle neurologique associée jusqu’à présent à ce potentiel épileptogène et l’engouement massif des anesthésistes pour un halogéné qui simplifie considérablement l’anesthésie pédiatrique. Une stratégie de marketing particulièrement efficace n’y est probablement pas totalement étrangère. Ces observations ne sauraient évidemment remettre en question la très large utilisation qui est faite en pédiatrie de cet agent anesthésique pour l’induction comme pour l’entretien. Cependant, l’utilisateur doit être averti de la survenue potentielle d’un effet indésirable qui n’est probablement pas exceptionnel et peut fort bien passer inaperçu, l’activité électrique épileptiforme ne s’accompagnant pas toujours de mouvements tonico-cloniques évocateurs. Les propriétés neuro-excitatrices du sévoflurane s’expriment essentiellement pour les fortes concentrations. L’effet pervers de son excellente tolérance hémodynamique est d’inciter à l’administration prolongée de concentrations excessives, dont les effets indésirables peuvent ne pas s’extérioriser cliniquement. Le principe de précaution impose une vigilance accrue pour éviter l’exposition de nos jeunes patients à des concentrations aussi élevées que celles qui sont rapportées dans l’étude publiée dans ce même numéro [19], même si l’intubation est réalisée sans l’aide d’un autre agent anesthésique. Tout mouvement tonicoclonique au cours de l’anesthésie doit certainement conduire sinon à l’interruption, au moins à la diminution des concentrations administrées. La prémédication par le midazolam, pratique très répandue en pédiatrie, possède probablement des vertus préventives. La confirmation de cette hypothèse par une étude clinique randomisée comportant un monitorage EEG systématique serait d’une grande utilité. Comme pour l’enflurane [20], l’hypocapnie induite par l’hyperventilation diminue les concentrations nécessaires pour induire une activité épileptogène et doit être évitée. La pratique de l’anesthésie locorégionale en association avec une anesthésie générale est très répandue en anesthésie pédiatrique. La survenue de mouvements tonico-cloniques durant l’injection d’anesthésique local peut faire craindre à tort un passage vasculaire [21]. Pour éviter cette situation, il faut

veiller à limiter les concentrations inspirées de sévoflurane pendant cette période. La question qui demeure est la pertinence du choix du sévoflurane comme agent d’induction chez l’enfant ayant des antécédents épileptiques ou atteint d’une encéphalopathie convulsivante. Bien que des antécédents de convulsions n’aient été retrouvés que pour deux des cas pédiatriques [3], il est logique de supposer que de tels antécédents majorent le risque. Néanmoins, cette hypothèse n’a pas été évaluée en pédiatrie. En revanche, une étude menée sur une série de 24 adultes, dont 12 patients épileptiques, ne met en évidence des tracés épileptiformes que chez ceux ayant des antécédents convulsifs avec un effet d’excitation dose-dépendant [22]. Dans cette situation, l’induction par voie intraveineuse, quand l’état veineux et la coopération du patient l’autorisent, apparaît comme un choix sécurisant. Si l’induction par inhalation est incontournable, un relais très précoce du sévoflurane par un autre agent halogéné ou du propofol, peut être une alternative raisonnable. En tout cas, l’administration de concentrations élevées doit être exclue. Durant les décharges épileptiques, la valeur du BIS est majorée de façon importante [10]. Le monitorage systématique de l’index bi-spectral pourrait constituer un moyen simple de dépistage. RE´ FE´ RENCES 1 Adachi M, Ikemoto Y, Kubo K, Takuma C. Seizure-like movements during induction of anaesthesia with sevoflurane. Br J Anaesth 1992 ; 68 : 214-5. 2 Haga S, Shima T, Momose K, Andoh K, Hashimoto Y. Anesthetic induction of children with high concentrations of sevoflurane. Masui 1992 ; 41 : 1951-5. 3 Komatsu H, Taie S, Endo S, Fukuda K, Ueki M, Nogaya J, Ogli K. Electrical seizures during sevoflurane anesthesia in two pediatric patients with epilepsy. Anesthesiology 1994 ; 81 : 1535-7. 4 MacLeod A, Cupples P. Adverse response to sevoflurane induction followed by enflurane maintenance. Anaesthesia 1997 ; 52 : 603-4. 5 Bosenberg AT. Convulsions and sevoflurane. Paediatr Anaesth 1997 ; 7 : 477-8. 6 Woodforth IJ, Hicks RG, Crawford MR, Stephen JP, Burke DJ. Electroencephalographic evidence of seizure activity under deep sevoflurane anesthesia in a nonepileptic patient. Anesthesiology 1997 ; 87 : 1579-82. 7 Schultz A, Schultz B, Grouven U, Korsch G. Epileptiform activity in the EEGs of two nonepileptic children under sevoflurane anaesthesia. Anaesth Intensive Care 2000 ; 28 : 205-7. 8 Terasako K, Ishii S. Postoperative seizure-like activity following sevoflurane anaesthesia. Acta Anaesthesiol Scand 1996 ; 40 : 953-4.

Le potentiel épileptogène du sévoflurane

9 Vakkuri AP. Lindgren l, Korttila KT, Yli-Hankala AM. Transient hyperdynamic response associated with controlled hypocapneic hyperventilation during sevoflurane-nitrous oxide mask induction in adults. Anesth Analg 1999 ; 88 : 1384-8. 10 Kaisti KK, Jaaskelainen SK, Rinne JO, Metsahonkala L, Scheinin H. Epileptiform discharges during 2 MAC sevoflurane anesthesia in two healthy volunteers. Anesthesiology 1999 ; 91 : 1952-5. 11 Hilty CA, Drummond JC. Seizure-like activity on emergence from sevoflurane anesthesia. Anesthesiology 2000 ; 93 : 1357-8. 12 Yli-Hankala A, Vakkuri A, Sarkela M, Lindgren L, Korttila K, Jantti V. Epileptiform electroencephalogram during mask induction of anesthesia with sevoflurane. Anesthesiology 1999 ; 91 : 1596-603. 13 Vakkuri A, Jantti V, Sarkela M, Lindgren L, Korttila K, Yli-Hankaka A. Epileptiform EEG during sevoflurane mask induction : effect of delaying the onset of hyperventilation. Acta Anaesthesiol Scand 2000 ; 44 : 713-9. 14 Constant I, Dubois MC, Piat V, Moutard ML, McCue M, Murat I. Changes in electroencephalogram and autonomic cardiovascular activity during induction of anesthesia with sevoflurane compared with halothane in children. Anesthesiology 1999 ; 91 : 1604-15. 15 Scheller MS, Tateishi A, Drummond JC, Zornow MH. The effects of sevoflurane on cerebral blood flow, cerebral metabolic rate for oxygen, intracranial pressure, and the electroencephalogram are similar to those of isoflurane in the rabbit. Anesthesiology 1988 ; 68 : 548-51.

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16 Scheller MS, Nakakimura K, Fleischer JE, Zornow MH. Cerebral effects of sevoflurane in the dog : comparison with isoflurane and enflurane. Br J Anaesth 1990 ; 65 : 388-92. 17 Osawa M, Shingu K, Murakawa M, Adachi T, Kurata J, Seo N, et al. Effects of sevoflurane on central nervous system electrical activity in cats. Anesth Analg 1994 ; 79 : 52-7. 18 Watts AD, Herrick IA, McLachlan RS, Craen RA, Gelb AW. The effect of sevoflurane and isoflurane anesthesia on interictal spike activity among patients with refractory epilepsy. Anesth Analg 1999 ; 89 : 1275-81. 19 Conreux F, Best O, Preckel MP, Lhopitault C, Beydon L, Pouplard F, et al. Effets électroencéphalographiques du sévoflurane à l’induction chez le jeune enfant : étude prospective sur 20 cas. Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 438-45. 20 Flemming DC, Fitzpatrick J, Fariello RG, Duff T, Hellman D, Hoff BH. Diagnostic activation of epileptogenic foci by enflurane. Anesthesiology 1980 ; 52 : 431-3. 21 Saitoh K, Tsukamoto N, Mitsuhata H, Hirabayashi Y, Shimizu R. Convulsions associated with epidural analgesia during sevoflurane anaesthesia. Paediatr Anaesth 1996 ; 6 : 495-7. 22 Lijima T, Nakamura Z, Iwao Y, Sankawa H. The epileptogenic properties of the volatile anesthetics sevoflurane and isoflurane in patients with epilepsy. Anesth Analg 2000 ; 91 : 989-95.