Le priapisme : une complication pédiatrique grave de la maladie de Fabry

Le priapisme : une complication pédiatrique grave de la maladie de Fabry

La Revue de médecine interne 31 (2010) S217-S219 ISSN 0248-8663 Décembre 2010 Vol. 31 - Suppl. 2 p. S205-S291 3e Rencontres Multidisciplinaires sur ...

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La Revue de médecine interne 31 (2010) S217-S219 ISSN 0248-8663

Décembre 2010 Vol. 31 - Suppl. 2 p. S205-S291

3e Rencontres Multidisciplinaires sur la maladie de Fabry Paris, les 23-24 mai 2008

que : Pr Dominique P. Germain Centre de référence de la maladie de Fabry et des maladies héréditaires du tissu conjonctif à expression cutanéo-articulaire Hôpital Raymond Poincaré, Garches, France

Pédiatrie et génétique

Le priapisme : une complication pédiatrique grave de la maladie de Fabry Priapism: a severe paediatric complication of Fabry disease F. Labarthea,b,*, C. de Bodmana, A. Maruania, C. Szwarca, R. Froissartc, G. Lorettea, H. Lardya aCHRU

de Tours, Université François Rabelais, Tours, France U921, Tours, France civils de Lyon, France

bINSERM

cHospices

I N F O

A R T I C L E

Mots clés Maladie de Fabry Priapisme Enfant Enzymothérapie substitutive

R É S U M É La maladie de Fabry est une maladie de surcharge lysosomale liée à l’X et due à un déficit en α-galactosidase A. Bien que les premiers symptômes soient présents dès l’enfance, le diagnostic est souvent retardé jusqu’à l’âge adulte, voire non fait, probablement du fait du manque de spécificité des symptômes et de l’absence de complications graves durant l’enfance. Nous rapportons le cas d’un enfant atteint de maladie de Fabry et ayant présenté un priapisme à l’âge de 9 ans, d’évolution favorable après des aspirations-lavages répétées des corps caverneux. Il s’agit du cinquième cas rapporté, suggérant que le priapisme peut être une complication vasculaire grave de la maladie de Fabry à l’âge pédiatrique. Cette observation souligne l’importance de faire un diagnostic précoce et de débuter un traitement spécifique, incluant l’enzymothérapie substitutive, afin de prévenir les complications graves et d’améliorer le devenir des patients. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

A B S T R A C T Keywords: Fabry disease Priapism Children Enzyme replacement therapy

Fabry disease is an X-linked recessive lysosomal storage disorder caused by α-galactosidase A deficiency. Although the disease presents in childhood, diagnosis is often delayed to adulthood or missed, presumably due to the lack of specificity of the symptoms and to the absence of major complication during the paediatric years. We report a 9-year-old boy known to have a Fabry disease who presented an episode of priapism. Successful treatment was achieved by repeated corporeal aspiration under general anaesthesia. This case is the fifth report of priapism in children with Fabry disease, suggesting that priapism may be a severe vascular complication of the disease during infancy. This report emphasizes the importance of an early diagnosis and treatment

*Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Labarthe) © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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of Fabry disease, including enzyme replacement therapy, to prevent major diseaseassociated morbidity and to optimize patient outcomes. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1.

Introduction

La maladie de Fabry est symptomatique dès l’enfance chez la plupart des patients, mais elle n’est souvent diagnostiquée qu’à l’âge adulte par méconnaissance des symptômes initiaux souvent peu spécifiques, et du fait de la rareté des complications graves chez l’enfant [1-4]. Toutefois, le pronostic chez le garçon est lié à la précocité du diagnostic et de la mise en route d’un traitement spécifique par enzymothérapie substitutive. Nous rapportons le cas d’un patient ayant présenté un priapisme à l’âge de 9 ans, quelques mois après que le diagnostic de maladie de Fabry ait été posé et avant la mise en route d’un traitement spécifique.

2.

Cas clinique

Un enfant de 9 ans était hospitalisé pour une érection douloureuse et persistante depuis plus de 5 heures, faisant porter le diagnostic de priapisme. Ce garçon était le 4e enfant d’une fratrie de 6, issus de parents non consanguins (Fig. 1). Les antécédents familiaux révélaient que 3 frères de sa grand-mère maternelle étaient décédés avant l’âge de 40 ans d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques précoces, et que son oncle maternel était atteint d’insuffisance rénale terminale. Sa mère avait des troubles psychiatriques complexes, avec une récurrence de phases dépressives et parfois de délires hallucinatoires. Ce garçon avait été exploré 6 mois auparavant en raison de l’apparition de discrètes lésions vasculaires des membres inférieurs, prédominant sur les orteils, les genoux et les hanches, et évocatrices d’angiokératomes. Il se plaignait également depuis plus de 2 ans de douleurs palmoplantaires, à type de picotements ou de décharges électriques, spontanées ou le plus souvent déclenchées par un effort physique ou par la chaleur. Ces manifestations cliniques, ainsi que l’histoire

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familiale, étaient évocatrices d’une maladie de Fabry, confirmée par la démonstration d’une activité α-galactosidase A effondrée dans le plasma et les leucocytes et la découverte d’une mutation c.1086_1098del13 dans le gène GLA. L’exploration ophtalmologique avait montré des opacités cornéennes n’affectant pas la vision et caractéristiques d’une cornée verticillée, alors que le fond d’œil était normal. Les investigations cardiovasculaires (électrocardiogramme, échocardiographie et IRM cardiaque), la fonction rénale (filtration glomérulaire, recherche d’une protéinurie), l’IRM cérébrale et les tests audiométriques étaient normaux, sans signe de complication de cette maladie. Un traitement antalgique symptomatique par carbamazépine avait été instauré en raison des acroparesthésies, et il avait été décidé de ne pas débuter d’enzymothérapie substitutive en accord avec les recommandations pédiatriques, considérant que ce jeune patient ne présentait que des symptômes mineurs [5,6]. L’enquête familiale confirmait par la suite qu’un de ses frères aînés était également atteint de maladie de Fabry, et que sa mère et sa sœur aînée étaient conductrices. Lors de l’admission pour priapisme, ce jeune garçon avait une croissance staturo-pondérale normale. L’examen clinique retrouvait les angiokératomes dans leur localisation précédemment décrite, sans autre signe de maladie de surcharge. Le pénis était en érection douloureuse, avec des corps caverneux rigides et un gland de couleur violacée. Le reste de l’examen génital était normal, sans signe évocateur d’un traumatisme local. La numération formule sanguine et les facteurs de coagulation étaient normaux. Plusieurs manœuvres visant à réduire le priapisme étaient essayées sans succès, comprenant l’application locale de glace, l’analgésie par nalbuphine et la sédation par diazépam. Il était finalement nécessaire de réaliser à 3 reprises successives sous anesthésie générale des aspirations-lavages des corps caverneux, qui ramenaient un sang rouge, fluide et sans caillot, avant d’obtenir une réduction complète du priapisme. L’enfant était ensuite surveillé pendant 48 heures dans l’unité de chirurgie pédiatrique, sans récurrence du priapisme. Rétrospectivement, il rapportait avoir déjà eu plusieurs épisodes d’érections douloureuses et prolongées d’environ 2 à 4 heures, dans les mois précédents, et résolus à domicile par l’application locale de glace. Les autres étiologies classiques de priapisme de l’enfant, telles qu’une hémoglobinopathie ou une leucémie, étaient écartées. Une enzymothérapie substitutive était débutée à la suite de cet épisode. Au cours des 12 mois suivants, le garçon rapportait quelques épisodes d’érection matinale prolongée, mais toujours de durée inférieure à 1 heure, sans récidive de priapisme, et l’examen génital restait normal.

3.

Cas index Fig. 1. Arbre généalogique d’une famille atteinte de maladie de Fabry.

Discussion

La maladie de Fabry est une maladie lysosomale bien connue des médecins d’adultes, en raison des risques d’insuffisance rénale et de complications ischémiques cardiaques ou cérébrales chez l’adulte jeune. En revanche, elle est beaucoup moins connue des

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pédiatres du fait du manque de spécificité des signes cliniques chez l’enfant, et du faible risque de complication grave durant l’enfance [1,2]. Les patients diagnostiqués à l’âge pédiatrique, le plus souvent à l’occasion d’une enquête familiale, décrivent en fait souvent des symptômes. Ainsi, des manifestations neurologiques, principalement des douleurs chroniques et des acroparesthésies, sont rapportées chez 60 à 90 % des garçons, et débutent habituellement avant l’âge de 10 ans [1-4]. Des manifestations digestives, à type de douleurs abdominales chroniques, diarrhées et nausées, sont également fréquentes et précoces. Enfin, des angiokératomes sont présents chez près de la moitié des patients, en moyenne à partir de l’âge de 7 à 9 ans. Malgré une altération de la qualité de vie de ces patients, les signes cliniques sont souvent négligés à cet âge, du fait de leur manque de spécificité et de la méconnaissance de la maladie [1-3]. Par conséquent, la plupart des patients sont diagnostiqués à l’âge adulte, mais l’enquête rétrospective retrouve très fréquemment la présence de signes cliniques durant l’enfance, et le délai moyen entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic est de près de 15 ans [2,7]. Ce retard diagnostique est possiblement délétère pour le patient, l’efficacité de l’enzymothérapie substitutive étant liée à la précocité avec laquelle elle est instaurée [8,9]. Afin de permettre un diagnostic plus précoce, il est donc primordial de mieux décrire les spécificités pédiatriques de la maladie de Fabry, et d’en informer les médecins généralistes et les pédiatres. Nous rapportons l’observation d’un enfant atteint de maladie de Fabry et qui a présenté un priapisme à l’âge de 9 ans. Le priapisme, défini par une érection prolongée de plusieurs heures et douloureuse, est un symptôme rare chez l’enfant. En l’absence de traumatisme local ou de prise de traitement à risque, il doit classiquement faire rechercher une drépanocytose ou une leucémie [10]. Toutes ces étiologies ont été exclues dans l’observation que nous rapportons, ce qui pose la question d’un éventuel lien entre le priapisme et la maladie de Fabry. En fait, plusieurs cas de priapisme ont déjà été rapportés chez des enfants atteints de maladie de Fabry [11-14]. Ces patients étaient tous âgés de 10 à 12 ans. Le priapisme est le symptôme qui a permis de diagnostiquer la maladie dans un cas [13], et est survenu pour deux autres chez des enfants pauci-symptomatiques et diagnostiqués précédemment sur l’histoire familiale [11,14]. Ces quelques observations suggèrent donc un lien entre priapisme de l’enfant pré-adolescent et maladie de Fabry. La physiopathologie du priapisme dans ce contexte reste toutefois incertaine. D’une manière générale, un priapisme peut être lié soit à une occlusion veineuse avec phénomènes ischémiques, comme cela est le cas dans les états d’hyperviscosité sanguine de la drépanocytose ou la leucémie, soit à un hyper-débit sanguin, par exemple par shunt artério-caverneux après un traumatisme. Dans le cas de la maladie de Fabry, des phénomènes ischémiques ont été initialement suspectés [13,14]. En effet, le déficit en α-galactosidase A est responsable d’une accumulation progressive de glycosphingolipides neutres, principalement du globotriaosylcéramide ou Gb3, dans une grande variété de tissus, notamment dans les cellules endothéliales et musculaires lisses, ce qui aboutit à des manifestations ischémiques cardiaques, cérébrales et rénales. Toutefois, le priapisme est survenu chez un patient après l’administration de vasodilatateurs systémiques [12], et un hyper-débit vasculaire a été démontré par un doppler couleur dans un autre cas [11], faisant

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suspecter que ce dernier mécanisme pourrait être le phénomène physiopathologique principal du priapisme dans la maladie de Fabry [11,13]. Ce phénomène d’hyper-débit vasculaire pourrait être lié à un dysfonctionnement endothélial et à une surproduction de radicaux libres, comme cela a été démontré au niveau de la circulation cérébrale des patients atteints de maladie de Fabry [15]. Le traitement du priapisme peut se faire par des ponctions-lavages des corps caverneux comme dans notre cas, mais la participation d’un hyper-débit pourrait également faire proposer une embolisation sélective [11]. Dans tous les cas, le traitement est urgent et doit être le plus conservateur possible, afin de prévenir toute séquelle et notamment le risque d’impuissance ultérieure. En conclusion, le priapisme semble être une complication pédiatrique vasculaire grave de la maladie de Fabry. Cette observation souligne à nouveau l’intérêt de faire au plus tôt le diagnostic de maladie de Fabry et est un argument supplémentaire pour proposer précocement une enzymothérapie substitutive chez les garçons, bien que l’efficacité de ce traitement sur la prévention du priapisme ne soit pas démontrée [9].

Conflit d’intérêt Aucun. Références [1]

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