J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004 ; 33 (suppl. au n° 1) : 1S72-1S78.
Troisième table ronde Prise en charge des prématurés entre 24 et 28 semaines d’aménorrhée
Le pronostic neurologique à moyen et long terme des prématurés d’âge gestationnel inférieur à 28 semaines d’aménorrhée D. Valleur, J.-F. Magny, V. Rigourd, F. Kieffer Service de Néonatologie, Institut de Puériculture, 26, boulevard Brune, 75014 Paris. RÉSUMÉ L’étude du devenir des prématurissimes présente des difficultés spécifiques liées à l’hétérogénéité de la littérature. Les études divergent par le mode de recrutement (Inborn ou outborn), l’étude du devenir en fonction du poids de naissance par opposition au terme seul, le type de prise en charge obstétrico-pédiatrique immédiate et les modalités de décision d’arrêt de réanimation très variables selon les équipes. Nous rapportons le devenir de 204 enfants d’âge gestationnel inférieur à 28 SA hospitalisés à l’Institut de Puériculture entre janvier 1992 et décembre 1997. Le recul est au minimum de 6 ans. Quatre-vingt-deux enfants (40,2 %) sont décédés en période néonatale. Les variables significativement associées au décès néonatal sont l’absence de corticothérapie anténatale, le sexe masculin, un acide lactique élevé à la naissance, la survenue de complications pulmonaires. En cas de lésions neurologiques majeures (HIV III, IV et/ou leucomalacie cavitaire), la majorité des enfants sont décédés à la suite d’une décision médicale d’interruption de soin. Sur 114 enfants survivants et suivis, 17 (14,9 %) ont une infirmité motrice cérébrale (IMC) ou un quotient intellectuel bas, 31 (27,2 %) ont des troubles mineurs et 66 (57,9 %) sont normaux. Les seuls facteurs prédictifs d’un risque d’IMC sont les lésions cérébrales majeures, un acide lactique élevé et les grossesse multiples. Nous détaillons ici les séquelles neurologiques mineures, cognitives, les troubles comportementaux et psychologiques ainsi que les séquelles sensorielles des grands prématurés. Nous évoquons enfin la nécessité d’une prise en charge spécifique et l’urgence de moyens complémentaires. Mots-clés : Prématurité • Suivi • Handicap. SUMMARY: Mid- and long-term neurological prognosis of less than 28-week preterm infants. The study of the long-term outcome of extremely premature babies is specially difficult because data in the literature is very heterogeneous. Recruitment (inborn, outborn), type of obstetrical management, and criteria and means used for interrupting curative treatment have varied greatly. We present the outcome of 204 infants born before 28 weeks of gestation between 1992 and 1997. The minimal follow up is 6 years. 82 infants (40.2%) died during the neonatal period. Significantly associated with neonatal death were absence of prenatal steroid course, male gender, elevated lactic acid at birth, and occurrence of pulmonary complications. When major neurological lesions (ventricular hemorrage stage III or IV and kryptic leucomalacia) developed, most infants died following a decision to stop active treatment. Out of the 114 survivors, 17 (14.9%) developed cerebral palsy (CP) or a low IQ. 31 (27.2%) had minor disorders, 66 (57.9%) were completely normal. The predictive factors of CP were major brain lesions, elevated lactic acid at the time of birth and multiple pregnancy. We also detail the minor neurological sequelae, cognitive behavioral, and psychological disorders observed in this population of extremely premature children and discuss the need for early and continuous care for these high risk babies. Key words: Prematurity • Follow-up • Handicap • Neurological sequelae.
Depuis les années 1990, l’usage du surfactant, des corticoïdes anténataux et les progrès des techniques de ventilation ont entraîné une augmentation de la survie des prématurés, et particulièrement des très grands prématurés qui représentent 1,2 à 1,45 pour 100 des naissances. La réanimation de ces enfants est entreprise dans certains pays dès le terme de 23, voire 22 semaines d’aménorrhée (SA). Le devenir psychomoteur des prématurissimes constituant une source
majeure d’interrogation, il est nécessaire de connaître leur devenir. Les questions fondamentales auxquelles obstétriciens, néonatologistes et pédiatres se trouvent confrontés sont de plusieurs types : au moment de la naissance, à partir de quel terme est-il légitime de réanimer ces enfants, doit-on les faire naître dans des centres de niveau III, au risque de surcharger ces services ? Jusqu’où doit-on poursuivre les soins en période néonatale en cas de lésions neurologiques et/
Tirés à part : D. Valleur, à l’adresse ci-dessus.
© MASSON, Paris, 2004.
Troisième table ronde • Le pronostic neurologique à moyen et long terme des prématurés
ou pulmonaires sévères ? Comment suivre, accompagner et prendre en charge ces enfants, en sachant que si la majorité des handicaps sont repérés avant deux ans, d’autres troubles du développement surviennent dans les années suivantes ? DIFFICULTÉS D’INTERPRÉTATION ET LIMITES DU SUIVI
Plusieurs raisons rendent les études de la littérature difficiles à interpréter : — un grand nombre d’études concernent l’expérience d’un seul centre et peu d’études sont régionales, voire nationales. Elles sont à apprécier en fonction du type de recrutement, de la réflexion éthique et des moyens mis en œuvre. Trop d’études sont encore réalisées en fonction du poids de naissance (PN) et non du terme. — le suivi jusqu’à deux ou trois ans est insuffisant, car des troubles, en particulier cognitifs, peuvent apparaître plus tard. Il est donc nécessaire de suivre ces grands prématurés au moins jusqu’à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, voire plus. Les études portent dans ces cas sur des méthodes de prise en charge anciennes. — en France, le niveau socio-économique est rarement évalué alors que de nombreuses études ont montré que celui-ci joue un rôle prépondérant pour le développement cognitif au-delà de trois ans. ÉTUDE DE L’INSTITUT DE PUÉRICULTURE ET DE PÉRINATALOGIE DE PARIS
Rétrospectivement, nous avons repris les enfants nés à un terme < à 28 SA entre le 01/01/1992 et le 31/12/1997 « inborn soit outborn » admis à l’IPP au cours des 24 premières heures de vie. Deux cent quatre enfants ont été inclus dont 20 étaient inborn (10 %). Quatre-vingt-deux (40,2 %) sont décédés en période néonatale. Une régression logistique a été effectuée avec, comme variable dépendante, le risque de décès, et comme variables indépendantes : le sexe, la naissance outborn, l’âge gestationnel (AG), une grossesse multiple, la corticothérapie anténatale, un acide lactique élevé, une maladie des membranes hyalines (MMH), un pneumothorax, une hémorragie pulmonaire, une infection materno-foetale certaine. Les variables significativement associées au risque de décès en période néonatale sont l’absence de corticothérapie anténatale (OR = 3,3 IC 95 % = [1,4-7,5]), le sexe
masculin (OR = 2,4 IC 95 % = [1, 2-4,9], un acide lactique élevé à la naissance (OR = 3,2 IC 95 % = [1,6-6,5]), une MMH (OR = 5,2 IC 95 % = [2,212,3]), la survenue d’un pneumothorax (OR = 13,1 IC 95 % = [1,6-110]) ou d’une hémorragie pulmonaire (OR = 4,5 IC 95 % = [1,1-18,6]). En cas de lésions neurologiques majeures [HIVIII, IV et leucomalacie cavitaire (LMPV)], la majorité des enfants sont décédés à la suite d’une décision éthique. Cent vingt-deux enfants ont survécu et à long terme, 114 enfants ont été suivis. Huit (6,6 %) ont été perdus de vue. Ces enfants ne diffèrent pas des autres en terme d’AG, poids de naissance, sexe ratio, taux de retard de croissance intra-utérin (RCIU), de grossesse multiple, anomalies du RCF, acide lactique à la naissance élevé. Sur les 114 enfants (59 garçons et 55 filles) survivants et suivis, 17 (14,9 %) ont une infirmité motrice d’origine cérébrale (IMOC) ou un Quotient Intellectuel (QI) bas, 31 (27,2 %) ont des troubles mineurs et 66 (57,9 %) sont normaux. Les seuls facteurs prédictifs d’un risque d’IMC/Quotient de Développement (QD) bas retrouvés sont un acide lactique élevé et les grossesses multiples en dehors des lésions cérébrales majeures type HIV III, IV ou leucomalacie périventriculaire cavitaire (LMPV). LA MORTALITÉ ET LES SURVIVANTS EN PÉRIODE NÉONATALE
Les chances de survie des grands prématurés sont étroitement liées à l’âge gestationnel et aux manœuvres entreprises dans la période néonatale. En Europe, le taux de mortalité est très élevé à 23 et 24 SA (> 70 %) mais le taux de survie augmente rapidement ensuite pour atteindre 70 à 80 % à 27 SA [1]. Les décès sont essentiellement liés à une cause neurologique ou à une cause respiratoire. Le taux des survivants est optimisé dans des centres de niveau III par rapport à des études géographiques qui ne sélectionnent pas leur population (tableau I). Dans les facteurs pronostiques individuels, la majorité des auteurs retiennent comme facteur positif la corticothérapie anténatale, la naissance inborn, comme facteur négatif une chorioamniotite. À l’IPP, corticothérapie anténatale et sexe masculin sont des variables associées au risque de décès en période néonatale ainsi qu’un acide lactique élevé dans les premières heures et une maladie respiratoire sévère (MMH, pneumothorax, hémorragie pulmonaire).
J Gynecol Obstet Biol Reprod / Volume 33, supplément au n° 1, 2004
1S73
D. Valleur et collaborateurs
Tableau I
AG
Survivants en fonction du terme de naissance. Survivors by term at birth.
Lefebvre
Hack
Doyle
Cartlidge
Draper
Tommiska
IPP
Epipage
87/92 Canada
90/92 États-Unis
91/92 Australie
93/94 Pays de Galles
94/97 Angleterre
96/97 Finlande
92/97
97 France
23
0%
4%
5%
4%
6%
5%
0 enf. surv
0 enf surv
24
33 %
40 %
33 %
26 %
16 %
40 %
30 %
40 %
25
50 %
62 %
58 %
58 %
33 %
57 %
62 %
48 %
26
64 %
77 %
72 %
69%
54 %
58 %
61 %
57,7 %
27
78 %
83 %
77 %
74%
72 %
75 %
63 %
65,5 %
DIFFÉRENTS TYPES DE SÉQUELLES
Le classement des séquelles neurologiques dans la littérature et a fortiori du handicap n’est pas harmonisé et les études sont subjectives et souvent imprécises. Les séquelles peuvent être classées en quatre grandes rubriques : motrices, cognitives, comportementales et neurosensorielles. Ceci ne tient pas compte de l’importance du handicap qui n’est pas évalué de manière précise. C’est la raison pour laquelle d’autres auteurs classent les séquelles en séquelles majeures, modérées, mineures et absence de séquelles. Séquelles motrices
L’ensemble des séquelles motrices liées à la prématurité sont regroupées en France sous le nom d’infirmité motrice d’origine cérébrale (IMOC) et dans les pays anglo-saxons sous le terme de « cerebral palsy » qui intègre les handicaps moteurs associés à une déficience intellectuelle comportant toutes les étiologies (malformations cérébrales, foetopathies). Les différentes données de la littérature suggèrent une légère baisse de l’IMOC sauf pour les très grands prématurés où elle reste stable. Tableau II
Pour tous, les lésions cérébrales influencent le devenir : corrélation entre IMOC et anomalies cérébrales échographiques de la période néonatale (HIV III, HIV IV et LMPV cavitaire d’autant qu’elles sont étendues, bilatérales et pariéto-occipitales). Selon certains [2], seulement 3 % des prématurés sans anomalies échographiques ont une infirmité motrice. D’autres facteurs de risque sont retrouvés : une grossesse multiple avant 29 SA, une rupture prématurée des membranes surtout en cas de chorioamniotite et LMPV. Certains facteurs (sexe, césarienne et prise en charge active à la naissance) interviendraient plus sur le devenir à long terme [3]. À l’IPP, acide lactique élevé et grossesses multiples sont prédictifs d’un risque d’IMC/QI bas ; les lésions échographiques ne sont pas significatives, la majorité des enfants porteurs d’une HIV III ou IV ou LMPV étant décédés. D’autres facteurs n’auraient pas d’influence sur le risque d’IMOC : la pré-éclampsie qui jouerait un rôle plutôt protecteur, et les hémorragies maternelles. Pour ce qui est du retard de croissance intra-utérin, il jouerait plutôt sur le développement intellectuel en cas de la mauvaise croissance du PC, mais il est très difficile à affirmer chez le très grand prématuré [4] (tableau II).
Prévalence des infirmités motrices d’origine cérébrale (IMOC). Prevalence of cerebral palsy.
Auteur
Pays
Années
Suivi
Terme
N
% IMOC
83-89
18 mois
< 29 SA
129
26 %
95
30 mois
< 26 SA
283
18 %
Synnes
Canada
Epicure (Wood)
Angleterre Irlande
Lefebvre
Canada
87-92
18 mois
< 29 SA
217
17 %
Doyle
Australie
91-93
24 mois
< 28 SA
225
11,3 %
Epipage
France
97
24 mois
< 27 SA
221
20,6 %
IPP
France
92-97
6 ans
< 28 SA
114
14,9 %
1S74
© MASSON, Paris, 2004.
Troisième table ronde • Le pronostic neurologique à moyen et long terme des prématurés
Si l’on compare le devenir semaine par semaine, il apparaît que plus l’enfant est prématuré, plus le risque de séquelles neurologiques sévères est grand. Dans la majorité des études, la prévalence de l’IMOC se situe entre 15 et 26 %. La prévalence du handicap majeur porte sur un nombre limité d’enfants pour les 23-24 SA. Dans cette population d’extrêmes prématurés, elle est en moyenne de 40 % à 23 SA, 35 % à 24 SA et 30 % à 25 SA [5]. Aux Pays-Bas, plusieurs études [1, 6, 7] ont montré une vision plus pessimiste du devenir des très grands prématurés. Entre 22 et 24 SA, la grande majorité des enfants décèdent (75 %). Le devenir concerne donc très peu d’enfants et 75 % des survivants présentaient des séquelles majeures et 25 % des séquelles plus modérées. À 25 et 26 SA, le développement neurologique est très pathologique pour 30 % d’entre eux ; il est modérément pathologique pour 30 % et il est normal pour 40 %, en sachant que le devenir à deux ans ne permet pas de repérer les troubles cognitifs. À 27 SA, le pronostic rejoint celui des enfants nés après 28 SA [8] (tableau III). Séquelles intellectuelles, neurologiques mineures et cognitives
Selon certains, entre 13 % à 20 % des prématurés de moins de 27SA présentent un retard mental rarement homogène [4]. Par ailleurs, chez les prématurissimes, même chez ceux qui ne présentent pas de difficultés, le QI performance est toujours plus bas que dans une population témoin d’enfants nés à terme [9]. La prévalence des anomalies mineures augmente avec l’âge après deux ans. Parallèlement à l’augmentation des anomalies neurologiques mineures, la prévalence des enfants qui reçoivent une éducation
Tableau III
Auteur
spécialisée augmente aussi. Douze pour cent des enfants âgés de 5 ans reçoivent une éducation spécialisée et 27 % à 14 ans [10]. Les troubles neurologiques dits mineurs sont des troubles de la motricité globale, de la motricité fine, du langage, des difficultés à type de dyspraxies et/ou d’agnosie dont nous parlerons au chapitre suivant. L’incidence des troubles du développement cognitif serait de 72 % pour une naissance à 24 SA, de 53 % à 25 SA, et de 29 % à 26 SA [11]. À l’IPP, 27,2 % des enfants ont, à six ans, soit des troubles cognitifs soit des troubles du comportement. D’autres facteurs que la grande prématurité interviennent dans la genèse de ces troubles : l’existence d’un RCIU ante ou post-natal, une dysplasie bronchopulmonaire, le milieu socio-économique après trois ans. Ce dernier est très souvent mal analysé dans la littérature. Les enfants grands prématurés des milieux sociaux défavorisés ont un risque accru d’échec scolaire et de nécessité d’un recours à des structures spécialisées [12]. Les troubles du langage sont fréquents (30 %). Ils sont rarement des retards simples de parole ou de langage ; ils s’associent à une apraxie et à des troubles moteurs bucco-faciaux et sont prédictifs de dyslexie, dyscalculie à 8 ans. Trente-huit pour cent des moins de 29 SA présenteraient des difficultés scolaires dès le CP [13]. Les troubles comportementaux et psychologiques
Les troubles comportementaux et les difficultés psychologiques et psychiatriques concerneraient entre 20 et 50 % des très grands prématurés. L’hyperactivité et les troubles de l’attention sont nettement plus fréquents que dans la population générale : 18 %
Infirmité motrice d’origine cérébrale en fonction du terme de naissance. Cerebral palsy by term at birth.
Rijken
Doyle
EPIPAGE
96/97
91/92
1997
30 surv
225 surv
Pays
Pays Bas
Australie
Île-de-France
23 SA
45 %
40 % 5 (5 enf)
0
24 SA
33 %
20,6 %
25 SA
25,5 %
26 SA 27 SA
21 %
24 % 7%
J Gynecol Obstet Biol Reprod / Volume 33, supplément au n° 1, 2004
9,7 %
1S75
D. Valleur et collaborateurs
versus 5 % [8]. Ces troubles sont le plus souvent notés dès l’entrée en petite section de maternelle, rendant le comportement à l’école inadapté et les apprentissages laborieux, voire impossibles ; ils sont très souvent intriqués avec des difficultés psychologiques à type d’angoisses, de troubles de la conduite alimentaire, d’attitudes d’opposition. Ces difficultés intriquées nécessitent de trouver un équilibre entre une prise en charge psychologique et une prise en charge plus rééducative car chez des enfants présentant fréquemment des troubles cognitifs neuropsychologiques associés. Plus rarement, on retrouve des pathologies plus sévères à type de psychose précoce, de syndromes névrotiques graves. Séquelles sensorielles
Visuelles Les prématurés sont une population à haut risque de troubles visuels. Les troubles de la réfraction et le strabisme sont rarement ignorés et le plus souvent repérés et pris en charge, même si parfois ils le sont trop tardivement. Pour Darlow, 77 % des prématurés de moins de 28 SA présentent des difficultés visuelles de tout type. Les troubles neuro-visuels sont très souvent méconnus d’autant plus que le développement neurologique est globalement satisfaisant. Troubles de réfraction, strabisme, amblyopie Tous ces troubles sont plus fréquents s’ils sont associés à une rétinopathie (ROP). L’incidence des troubles de réfraction est liée au terme de naissance : 57 % chez les moins de 28 SA contre 10 % chez les plus de 32 SA. Entre 28 et 32 SA, l’incidence est globalement la même que chez les grands prématurés (50 %). La myopie apparaît vers 6 mois, et sa sévérité augmente jusqu’à environ trois ans, puis se stabilise. Son incidence à deux ans augmente avec la sévérité de la ROP : 81 % en cas de ROP contre 13 % en son absence [14]. Entre 7 et 10 ans, dans une autre étude, l’incidence est de 25 % s’il y a une ROP cicatricielle versus < 5 % en cas contraire [15]. L’incidence de la ROP augmente avec la grande prématurité et le faible PN : plus de 90 % des enfants avec un PN < 750 g présentent une rétinopathie, tout stade confondu. Selon Todd, 58,8 % des prématurés nés avant 29 SA présentent une ROP dont 17,4 % de stade 3. Néan-
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moins, il y a peu de cas de cécité, ceci étant lié au dépistage et au traitement. L’astigmatisme n’est pas plus fréquent chez le prématuré. Le strabisme est presque toujours un strabisme convergent. C’est une affection grave qui nécessite un dépistage précoce avant l’âge de 9 mois d’âge corrigé [16]. Il atteint environ 15 % des prématurés. Le strabisme est significativement associé avec la prématurité (significative en dessous de 29 SA) et avec une ROP. Sa fréquence augmente de manière significative chez les enfants IMOC. L’association à une ROP est discutée : peu vraisemblable pour certains [17], elle paraît importante pour d’autres : 5,6 % de strabisme sans ROP versus 22 % chez les enfants avec ROP et troubles moteurs, mais n’est vraisemblablement pas influencé par l’existence d’une ROP. L’amblyopie atteint 32 % des prématurés de moins de 28 SA. Fonctionnelle, elle est secondaire à un défaut de réfraction ou à un strabisme. Elle peut s’aggraver très rapidement et réalise une urgence thérapeutique afin de préserver la vision binoculaire. Plus la prise en charge est précoce, meilleur est le pronostic. Il est indispensable de faire passer cette notion aux parents pour qui l’appareillage précoce, parfois mal accepté par l’enfant et par eux-mêmes est indispensable s’il y a indication de correction. Les troubles neurovisuels et praxiques Très fréquents chez les prématurés, il est indispensable de les rechercher et de les prendre en charge car ils ont un retentissement important sur les apprentissages scolaires. Le pourcentage de ces troubles, n’étant pas toujours diagnostiqués, est difficile à estimer. Avant de parler d’une déficience globale chez un enfant, il faut avoir, par des bilans précis, évalué la part de chacune des difficultés. C’est souvent à l’école, en moyenne ou grande section, que les professeurs attirent l’attention des parents sur un retard graphique, une lenteur inhabituelle, un enfant qui s’intéresse peu aux images, contrastant avec un langage riche et adapté [18]. Les troubles oculomoteurs Ils se manifestent dans un premier temps, soit par un strabisme souvent alternant, soit par un nystagmus. Ces troubles perturbent la saisie visuelle, l’exploration de la scène et de certaines notions spatiales. La poursuite oculaire est lente, irrégulière, la fixation d’un objet est instable, brève, entrecoupée de sacca-
© MASSON, Paris, 2004.
Troisième table ronde • Le pronostic neurologique à moyen et long terme des prématurés
des involontaires avec des anomalies positionnelles pour s’adapter. Il se constitue en particulier des troubles de l’organisation dans l’espace à deux dimensions (la page, le tableau, l’écran), alors que des notions spatiales de langage, d’espace en trois dimensions sont mieux appréhendées. La saisie précise d’une information est compromise, surtout si l’environnement visuel est très riche. Ces enfants voient et regardent mais ont une prise d’informations gravement perturbée qui leur fournit de fausses informations. Les troubles des gnosies visuelles Ils sont définis comme l’impossibilité à décoder ce qui est vu. Il en existe différents types : agnosie des images, des visages, des couleurs, des objets. L’agnosie des images est la plus fréquente et passe volontiers inaperçue. Rarement isolée et souvent partielle, elle entraîne chez l’enfant une confusion de désignation de certaines images proches. Il y a alors une grande hétérogénéité dans les réponses données, ce qui doit attirer l’attention. De même, un enfant de trois ans qui se désintéresse de la télévision est hautement suspect d’agnosie des images. Les photographies sont toujours mieux reconnues que les dessins plus abstraits. Normalement, un enfant de trois ans doit reconnaître 90 % d’images tout venant, y compris des images inscrites sur un fond complexe et des images utilisées dans des magazines. Un ancien grand prématuré, qui a un bon niveau de langage et des difficultés à l’école, doit interpeller et faire rechercher par un bilan neuropsychologique des troubles gnosiques. Les dyspraxies visuo-spatiales La dyspraxie est définie comme un trouble de la pré-programmation du geste. Les praxies visuo-spatiales sont des pré-programmations spatiales et temporelles d’action suivant un projet volontaire. Les dyspraxies visuo-spatiales se traduisent par une maladresse, un défaut d’organisation gestuelle. Les grands prématurés ont un risque de développer ce type de dyspraxie entraînant une motricité maladroite, des troubles de reconnaissance à l’école, troubles qui sont actuellement mal appréciés et surtout mal recherchés. Séquelles auditives
Le déficit auditif est fréquent chez ces enfants. La surdité de perception est estimée à 12 % chez les moins de 28 SA [19], avec de nombreux facteurs de risque : asphyxie périnatale, ventilation assistée prolongée, oxygénothérapie supérieure à 90 jours.
La surdité de transmission est aussi très fréquente et favorisée par l’intubation prolongée, la dysplasie broncho-pulmonaire (22 % versus 7,7 % dans un groupe témoin). De nombreux enfants échappent au diagnostic précoce de surdité, 60 % pour certains [19]. DIFFICULTÉS SPÉCIFIQUES AU SUIVI ET À LA PRISE EN CHARGE DES GRANDS PRÉMATURÉS
Les grands prématurés nécessitent un suivi prolongé sur le plan respiratoire et neurologique. Ce suivi demande des moyens, du temps, des compétences humaines et devrait dans l’idéal être un suivi de proximité réalisé par une équipe qui aurait, à la fois des connaissances en néonatalogie, et à la fois des connaissances spécifiques neurodéveloppementales. Les neuropsychologues et les pédiatres doivent être formés au repérage des troubles cognitifs et en même temps attentifs aux difficultés psychologiques des enfants et des familles. Ceci nécessite une collaboration importante entre médecins hospitaliers, médecins libéraux, PMI, et équipe spécialisée (CAMSP, SESAD…) autour de ces enfants. Dans notre expérience, le retour au domicile de ces prématurissimes est le plus souvent difficile, et un accompagnement très régulier au domicile dans les premiers mois est un soutien pour enfant et parents. La durée du suivi dans le temps demande de la part des parents et des professionnels une grande motivation. Comment faire comprendre à des parents dont l’enfant marche et parle que la surveillance n’est pas terminée et qu’ils doivent continuer des visites biannuelles, sans par ailleurs trop les inquiéter ? Il existe dans les services spécialisés des listes d’attente de souvent plusieurs mois, voire une année. Une prise en charge libérale est souhaitable pour certaines familles, nécessaire en cas de manque de structures, et il faut regretter le nombre insuffisant de rééducateurs compétents dans ce domaine ; ils travaillent souvent seuls, avec une non-reconnaissance de leur travail sur le plan moral et financier (séances longues de 45 minutes à une heure) et certaines prises en charge ne sont toujours pas remboursées par la Sécurité Sociale (psychomotricité, psychologue, ergothérapeute…). Pour les enfants porteurs de troubles spécifiques, la prise en charge est très laborieuse, tant au niveau des soins, qu’au niveau de la scolarité. Ces enfants, s’ils sont repérés, ne sont pas prioritaires dans les services adaptés pour enfants handicapés moteurs en raison du manque de place, et les méthodes d’appren-
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tissage scolaires demandent des techniques spécifiques avec des enseignants formés. Actuellement, un enfant porteur d’une dyspraxie a des difficultés très importantes pour trouver un lieu de soin et une scolarisation adéquate car le plus souvent, il ne relève pas d’un CP standard mais pas non plus d’un établissement spécialisé pour déficients intellectuels. On ne peut pas s’empêcher de se poser parfois la question de savoir à quoi sert un dépistage précoce si l’on ne peut aider ces enfants ensuite, enfants qui ne guériront pas de leur trouble mais qui pourront trouver des stratégies pour les contourner. La surveillance de ces enfants demande une réflexion au niveau régional avec une meilleure coordination entre les différents partenaires. Un risque persiste : celui « d’oublier » les enfants moins prématurés.
2.
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4. 5.
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7.
8.
CONCLUSION
Il est encore difficile de se faire une idée exacte du pronostic à long terme des enfants nés avant 27 SA, ce qui ne facilite pas la réflexion de l’adéquation des soins pour les enfants nés entre 25 et 26 SA. En deçà de 25 SA, le pronostic vital reste très grave et très souvent une décision éthique de l’équipe soignante devant les problèmes neurologiques graves ou une détresse respiratoire majeure s’impose. Il nous semble, qu’au moins en Ile-de-France, le suivi de ces enfants présente de nombreuses carences liées aux moyens insuffisants, au mode d’organisation du suivi et aussi aux difficultés familiales rencontrées. La prise en charge de ces enfants implique une réflexion portant sur l’information à donner aux parents, tant en anténatal, que pendant le séjour en néonatalogie, sur l’attitude éthique en néonatalogie et sur l’organisation du repérage précoce des difficultés et leur prise en charge. Les handicaps moteurs sont en grande majorité reconnus et traités tôt, mais la déficience intellectuelle, les troubles neuropsychologiques et comportementaux sont encore trop souvent mal reconnus et laissés pour compte. Les structures de soins sont trop souvent surchargées et les structures éducatives mal adaptées.
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RÉFÉRENCES 19. 1. Rijken M, Stoelhorst GM, Martens SE, van Zwieten PH, Brand R, Wit JM et al. Mortality and neurologic, mental, and
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© MASSON, Paris, 2004.