Annales de chirurgie plastique esthétique 51 (2006) 287–292
a v a i l a b l e a t w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / a n n p l a
Les hémangiomes cutanés : aspects cliniques Cutaneous hemangioma: clinical aspects D. Casanovaa,*, F. Noratb, J. Bardotb, G. Magalonb a b
Service de chirurgie plastique et réparatrice, hôpital Nord, Chemin-des-Bourrelly, 13015 Marseille, France Service de chirurgie plastique et réparatrice, hôpital de la Conception, Marseille, France
MOTS CLÉS Hémangiome ; Tumeur vasculaire bénigne
Résumé L’hémangiome cutané infantile est une tumeur vasculaire bénigne présente chez 10 % des nourrissons. Il fait partie du groupe des tumeurs vasculaires dans la classification de l’International Society for Vascular Anomalies (ISSVA). Son diagnostic clinique est facile dans sa forme typique triphasique avec une phase de croissance postnatale quelquefois brutale, une phase de stabilisation et une phase de régression secondaire lente. Classiquement, il se présente sous forme d’une masse ou tache cutanée rouge, d’une masse sous-cutanée ou, le plus souvent, d’une forme mixte associant les deux aspects.
© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Hemangioma; Vascular benign tumour
Abstract Infantile cutaneous hemangioma is a benign vascular tumour present at 10% of the infants. It forms part of the group of the vascular tumours in the classification of International Society for Vascular Anomalies (ISSVA). Clinical diagnosis is easy in its triphasic typical form with a phase of sometimes brutal postnatal growth, a phase of stabilization and a phase of slow secondary regression. Classically, it is presented in the form of a mass or stains cutaneous red, of a subcutaneous mass or, generally, of a mixed form associating the two aspects.
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L’hémangiome (HMG) est la tumeur la plus fréquente du nourrisson, retrouvée chez plus de 10 % d’entre eux. Il est formé par une prolifération hyperplasique transitoire du mésenchyme angioformateur, amas de cellules endothéliales alimenté et drainé par des néovaisseaux [1,2]. Le terme « immature » souligne son potentiel évolutif triphasique avec : ● une phase d’évolution comprise entre les deux premiers mois et le huitième mois de vie ; ● une phase de stabilisation jusqu’au 18e mois ; ● une phase de lente régression parfois prolongée jusqu’à l’âge de huit ans. * Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (D. Casanova).
Cliniquement, il se présente comme une masse ou une tâche cutanée, de couleur rouge-framboise et peu dépressible, caractérisée par un développement explosif durant la première semaine ou le premier mois de la vie. L’HMG involue et disparaît sans séquelle. Quelquefois, il laisse place à une peau flétrie en excès, un reliquat fibrograisseux, ou des télangiectasies, une cicatrice en cas d’ulcération au cours de son évolution.
Étiopathogénie L’origine de l’HMG ainsi que les stimuli angiogéniques modulant sa prolifération rapide et son involution ont fait l’objet de nombreuses études, aboutissant à des théories qui se complètent ou s’affrontent.
0294-1260/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2006.07.014
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D. Casanova et al.
L’origine de l’hémangiome
Aspects cliniques
Pour certains auteurs, les HMG seraient d’origine embryonnaire, reliquat mésodermique des précurseurs de l’arbre vasculaire [3,4]. Pour d’autres, ils seraient dus à une dysrégulation dans le contrôle de la croissance endothéliale [5], elle-même provoquée par une infection à papillomavirus [3,6].
Trois formes d’hémangiomes immatures peuvent être distinguées.
La prolifération Théorie de l’angiogénèse La formation de néovaisseaux est sous le contrôle des cellules endothéliales [5]. Un stimulus de l’angiogénèse pourrait ainsi entraîner les cellules endothéliales dans un programme de prolifération héparine sécrétée par les mastocytes, Basic Fibroblast Growth Factor (BFGF) [5,7–9]. Théorie hormonale Certains auteurs ont noté des niveaux élevés de la 17-βestradiol chez les enfants porteurs d’un HMG, ainsi qu’un grand nombre de récepteurs de l’estradiol au niveau du tissu provenant d’HMG en phase proliférative [10].
L’HMG cutané Il est purement cutané, constitué d’une nappe rouge d’abord lisse puis saillante, brillante, posée sur une peau saine. C’est « la fraise » du langage populaire [20], terme véhiculé au XVIIIe et XIXe siècles, né de la croyance d’Hippocrate que la mère pouvait marquer de ses envies son fœtus en gestation [21] (Fig. 1).
L’HMG sous-cutané Il constitue une tuméfaction, sous-cutanée, saillante, chaude mais non battante, sous une peau saine ou discrètement bleuté et/ou télangiectasique [11] (Fig. 2).
Théorie virale Le papillomavirus pourrait être impliqué dans la prolifération des HMG [3,6].
L’involution Certains auteurs expliquent l’involution l’acquisition d’une immunité au virus D’autres pensent qu’une diminution des sein de l’HMG provoquerait une diminution l’héparine, stimulus de l’angiogénèse [7].
de l’HMG par infectant [3]. mastocytes au de sécrétion de
Épidémiologie L’HMG est la tumeur la plus fréquente de l’enfant, atteignant 10 à 12 % des nourrissons [11]. Il est présent chez 30 % des prématurés de moins de 1800 g [12]. Sa présence à la naissance est difficile à quantifier, les données de la littérature étant discordantes : pour Bowers, 59 % des cas sont présents à la naissance [13], 51,8 % pour Maleville [14], et 70,5 % pour Samet [15]. Selon Eschwege, 19 % des HMG sont présents le premier jour de la naissance et 40 % apparaissent le premier mois de vie [16]. Pour Hidano, 75 % des HMG apparaissent après la troisième semaine de vie [17]. L’HMG atteint le plus souvent l’enfant de sexe féminin [11], le ratio variant de 2F/1G à 5F/1G selon les séries [13–15,18].Certains auteurs pensent que cette prépondérance féminine pourrait trouver une explication dans le fait que les consultations de nourrissons féminins sont plus fréquentes en raison de l’impact esthétique de l’HMG [19]. L’incidence est plus grande chez l’enfant blanc (1,7 %) que chez l’enfant noir (0,6 %) [14] et il ne semble pas y avoir de facteurs héréditaires [12,13].
Figure 1
Figure 2
Hémangiome cutané.
Hémangiome sous-cutané.
Les hémangiomes cutanés : aspects cliniques
L’HMG mixte C’est l’aspect le plus fréquemment rencontré, associant une composante cutanée et une composante sous-cutanée. Les trois quarts des HMG évoluent sur ce mode [21]. La nappe cutanée apparaît la première, la composante souscutanée se développe secondairement et soulève, en la débordant la zone rouge [11] (Fig. 3). L’HMG est souvent unique, parfois multiple avec en général deux ou trois éléments séparés, exceptionnellement plus [21] (Fig. 4). Dans de rares cas, l’HMG cutané est profus, réalisant alors le tableau d’hémangiomatose miliaire diffuse du nouveau-né, caractérisé par des dizaines voire des centaines de petites lésions angiomatoses éruptives, fréquemment associées à des localisations viscérales [22,23].
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Le siège de l’HMG est ubiquitaire [24]. Cependant la localisation cervicocéphalique paraît plus fréquente, variant de 49 à 75 % des cas [14,15,19,25], peut-être en raison des consultations plus fréquentes pour ce type de localisation. Les HMG de taille inférieure à 3 cm sont les plus fréquents (57 à 80 % des cas) [13–15,19], mais tout peut se voir, l’HMG pouvant être de la taille d’une tête d’épingle ou gigantesque [21]. Les formes étendues sont rares.
Aspects évolutifs L’HMG peut être absent ou présent à la naissance, et peut prendre dans ce cas différents aspects : télangiectasies ou petites papules érythémateuses regroupées, halo érythémateux, halo anémique, zone bleutée [24]. La lésion initiale peut être confondue avec un nævus anémique, une malformation capillaire, une ecchymose, une tache mongoloïde, etc. Le plus souvent, elle passe inaperçue ou est considérée comme banale. L’HMG évolue ensuite dans les premiers jours ou les premières semaines de la vie [26]. C’est une lésion dynamique évoluant sur un mode triphasique.
Le premier stade : la phase de croissance
Figure 3
Hémangiomes mixtes.
Figure 4
Elle dure au maximum trois mois [24], mais peut se prolonger jusqu’au sixième mois pour la composante cutanée ou jusqu’au huitième et dixième mois pour la composante sous-cutanée [1,26]. Durant cette période évolutive, 80 % des HMG doublent leur taille initiale, 5 % la triplent, et moins de 5 % se développent de façon dramatique mettant en jeu le pronostic vital, esthétique ou fonctionnel [24] (Fig. 5).
Hémangiomes multiples chez un enfant âgé de trois mois.
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plus lente et moins complète que celle des lésions cutanées [27] (Fig. 6). Dans les formes non compliquées et de volume relativement limité, les séquelles à long terme restent mineures : on pourra ainsi retrouver un piqueté télangiectasique pour la composante cutanée (Fig. 7), lésion accessible à un traitement complémentaire par laser, une peau fripée trop lâche si la composante sous-cutanée était volumineuse (Figs. 8 et 9).
Figure 5 a : HMG de la paupière supérieure. b : Évolution en quelques semaines.
Le deuxième stade : la phase de stabilisation À partir du sixième au huitième mois la lésion se stabilise, quelle que soit sa taille ou son siège, jusqu’au 18e–20e mois [27].
Le troisième stade : la phase d’involution Elle est lente et progressive. La composante cutanée pâlit en premier, la composante sous-cutanée s’affaissant plus lentement parfois incomplètement [26] en devenant dépressible et moins volumineuse. Cette phase résolutive dure jusqu’à l’âge de cinq à six ans [26,27]. La régression totale est la règle dans près de 80 % des cas après l’âge de six ans [12,24]. La régression des lésions sous-cutanées est
Figure 6 a : hémangiome du bras chez un enfant âgé de 15 jours. b : aspect à sept ans.
Les hémangiomes cutanés : aspects cliniques
Figure 7 a : HMG parotidien chez un enfant âgé de 8 mois. b : aspect à 8 ans.
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Figure 8 a : HMG de la joue gauche chez un enfant âgé de 18 mois. b : aspect en fin d’involution.
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Figure 9 a : HMG de l’hémiface chez un enfant âgé de 5 mois. b : aspect à 7 ans.
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