Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2008) 9, 89—91 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
OPINION
Lombalgies chroniques. La désescalade thérapeutique Chronic back pain. Downgrading treatment Claude Thurel a,b a
Service de neurochirurgie, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris cedex 10, France b Fédération de la douleur et de médecine palliative, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris cedex 10, France Disponible sur Internet le 18 avril 2008
Cette appellation s’applique aux douleurs lombaires qui durent depuis plus de trois mois avec mise en échec de deux traitements (le plus souvent médicamenteux et kinésithérapiques). Ces lombalgies peuvent apparaître spontanément et progressivement ou faire suite à un ou plusieurs épisodes aigus, ce qui souligne l’importance qu’il faut accorder aux mesures préventives représentées essentiellement par un programme de réadaptation physique et des mesures hygiénodiététiques.
Aspects cliniques L’interrogatoire de ces patients représente l’élément essentiel de l’examen : il précise l’ancienneté, le mode de début et l’évolution des lombalgies ainsi que leur retentissement sur l’activité familiale professionnelle et sociale. Cette enquête parfaitement classique et sur laquelle il est inutile d’insister doit, en général, être complétée par l’étude du volumineux dossier qu’apportent le plus souvent ces patients où sont répertoriés, rangés, classés de fac ¸on méticuleuse toutes les investigations paracliniques (radios, scanners, IRM, EMG. . .) et tous les traitements déjà entrepris. Sur le plan « objectif », l’examen est généralement pauvre et souvent discordant avec l’ancienneté et l’importance de la plainte. À cet égard, il est capital de regarder ce patient, la manière dont il se présente, marche, se déshabille, s’assoit, s’allonge et se relève. Ces gestes de la vie courante, réalisés de fac ¸on automatique, sont parfois discordants avec l’importance des « signes objectifs » nombreux et variés que va retrouver l’examen clinique.
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L’importance de cette discordance permet d’apprécier la composante « fonctionnelle » ou « affective » d’autant plus prononcée que la lombalgie chronique s’inscrit souvent dans un contexte dépressif, sinistrosique voire revendicatif (accident de travail, recherche de bénéfices secondaires. . .) Sans vouloir minimiser ni l’intensité des douleurs ni le handicap qu’entraînent ces lombalgies chroniques, il faut, cependant, être particulièrement vigilant dans l’appréciation de l’importance respective de la part organique et fonctionnelle, car de cette évaluation découlent des implications thérapeutiques souvent très différentes. Théoriquement et idéalement pour ces patients, l’évaluation repose sur le modèle biopsychosocial. Celuici explore les variables biologiques (somatiques), cognitives (pensées, croyances, représentation), affectives (anxiété, dépression), comportementales (déconditionnement, capacités d’adaptation) et environnementales (stress, facteurs culturels, sociaux). Cette évaluation globale des patients devrait permettre une prise en charge multidisciplinaire mais dans la pratique quotidienne du médecin généraliste une telle approche relève plus du rêve ou de l’utopie que de la réalité. Entre le souhaitable et le possible, il y a souvent un fossé difficile à franchir (barrière de la compréhension, barrière de la communication, barrière de la langue, barrière du temps disponible. . .).
Approche thérapeutique Il faut ici souligner d’emblée que les lombalgiques chroniques qui se présentent dans les consultations de la douleur sont quasiment toujours déjà polytraités (et même hélas ! parfois polyopérés) et le plus souvent, initialement, de manière paradoxale, l’essentiel de la prise en charge est ou devrait être représenté par la « désescalade thérapeutique ». « Je crois fermement que toutes les médications utilisées actuellement pourraient être jetées au fond de la mer pour le plus grand bien de l’humanité et le plus grand malheur des poissons ». Cette évidence pleine de sagesse, énoncée par Oliver Wendell Holmes en 1891, devrait toujours servir de référence dans l’approche thérapeutique des lombalgies chroniques.
Stratégie thérapeutique Sur le plan pratique, il faut convaincre ces patients que la prise au long cours d’antalgiques, d’AINS, de myorelaxants et bien sûr à fortiori d’opioïdes comporte des effets délétères évidents alors que le bénéfice réel est tout à fait discutable. Ces prescriptions, AINS en particulier, deviennent bien évidemment utiles en courtes cures lors des poussées aiguës qui émaillent l’évolution de cette affection chronique. Concernant le repos au lit, celui-ci est à éviter, car il risque de renforcer les comportements d’évitement et donc, le déconditionnement musculaire. De même, la prescription pendant des semaines, des mois, voire des années (!!) de séances de « massages » ou de « kinésithérapie » est particu-
lièrement néfaste, puisqu’elle sert trop souvent d’alibi au patient qui n’aura, dès lors, pas d’autre activité physique que cette séance hebdomadaire de « rééducation ». De fac ¸on plus simple, on ne saurait trop souligner l’importance que revêtent la réadaptation physique active du patient et l’acquisition de mesures de protection rachidiennes par la pratique personnelle, sérieuse et quotidienne, d’exercices de posture, d’assouplissement lombaire et de tonification musculaire. L’apprentissage de ces techniques au mieux réalisé par les Écoles du dos et auquel on peut adjoindre initialement un soutien psychologique temporaire devrait permettre, en quelques semaines, de mettre au point un « programme de travail » dont la réalisation nécessite obligatoirement l’assentiment et la participation effective du patient. Ici plus qu’ailleurs, « l’important est de participer ». Malheureusement, l’expérience a montré que dans notre pays, « exception franc ¸aise » oblige, le patient ne veut pas et ne peut pas se passer du médecin qu’il consulte au moindre trouble, à la moindre alerte et au moindre doute et ce « shopping médical » incessant limite grandement l’intérêt éducatif potentiel des « Écoles du dos ». L’utilisation ponctuelle d’une contention lombaire souple au cours de situations considérées comme dangereuses est acceptable, mais son utilité réelle est discutable. Pratiquement, le traitement est donc particulièrement difficile, d’autant que tout médecin confronté à un patient douloureux ne peut pas ne pas prescrire quelque chose même s’il n’est guère convaincu de l’efficacité de sa prescription. Quant au patient douloureux, il ne peut pas ne pas prendre quelque chose même si les thérapeutiques usuelles, qu’il connaît souvent fort bien, se sont, avec le temps, avérées inopérantes. Ces propos nullement agressifs confirment un fait connu de tous à savoir qu’en matière de douleur chronique, le médecin est souvent impuissant mais il est toujours nécessaire. Dès lors, il faut respecter ce vieux principe, primum non nocere, et savoir se contenter de médicaments comportant le moins d’effets adverses ou délétères possibles. Les antalgiques banaux : Le paracétamol est le medicament de premier choix à la posologie usuelle de 3 à 4 g/j. Les prises doivent être espacées de quatre heures, voire huit heures, en cas d’insuffisance rénale. Pas plus de 1 g par prise. Rappelons le risque d’hépatotoxicité dans les traitements au long cours ou chez les sujets à risques (cirrhose, insuffisance hépatique. . .). Les antalgiques du palier 2 (opioïdes faibles : tramadol, dihydrocodéine) et du palier (1 et 2) (paracétamol et codéine, paracétamol et dextropropoxyphène, paracétamol et tramadol) ne se justifient que si les antalgiques du palier 1 sont insuffisants. Leur prescription au long cours doit tenir compte de leurs effets secondaires non négligeables, en particulier chez le sujet âgé (somnolence, fatigue, constipation. . .). Dans le cadre de la prise en charge antalgique des lombalgies chroniques dont les mécanismes sont complexes et multifactoriels, une mention particulière doit être accordée à l’association paracétamol—tramadol en raison de son action multimodale : • action périphérique du paracétamol ; • action opioïde faible du tramadol ;
Lombalgies chroniques. La désescalade thérapeutique • action monoaminergique par inhibition de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. On ne saurait néanmoins ignorer le fait que ces associations (palier 1 et 2) à posologies fixes (par exemple : paracétamol 500 mg et codéine 30 mg ou paracétamol 325 mg et tramadol 37,5 mg. . .) ne permettent que rarement de prescrire les drogues à leurs doses optimales. La prescription séparée de génériques devrait donc permettre d’adapter au mieux la posologie en fonction de chaque patient ou de chaque pathologie. Bien que plus logique, mais plus fastidieuse, cette démarche n’est que rarement mise en œuvre dans la pratique quotidienne. Les AINS n’ont d’indications que lors des poussées aiguës qui émaillent souvent l’évolution chronique (périodes de 15 jours à trois semaines). Ils doivent cependant être utilisés avec la plus grande prudence chez les sujets âgés (supérieur à 70 ans) en respectant scrupuleusement les contre-indications habituelles et en associant un gastroprotecteur, si nécessaire. Les inhibiteurs sélectifs de la COX-2 (coxibs) devaient faciliter la prescription des AINS mais leurs complications, en particulier cardiovasculaires, en limitent bien évidemment l’utilisation au long cours. Les opioïdes forts (palier 3 de l’OMS) n’ont à notre avis aucune indication dans ces formes chroniques et pourtant, le nombre de lombalgiques chroniques sous morphiniques depuis des mois et parfois meme, depuis des années ne cesse de croître et d’ « enlaidir » avec un risque d’addiction non négligeable et donc un « bénéfice » tout à fait discutable, pour ne pas dire plus. . . Un patient lombalgique chronique vu récemment était, depuis dix ans, sous morphiniques à la dose de 300 mg/j avec des « pointes » à 1500 mg/j ! Et une femme de 55 ans avec la même pathologie était depuis huit ans sous patch de fentanyl 75. . . Dans les deux cas, il s’agissait, hélas, de prescriptions médicales. Les antidépresseurs tricycliques n’ont qu’un effet antalgique modeste dans cette indication et leur prescription ne se justifie que dans un contexte dépressif patent. La stimulation électrique transcutanée (Tens) apporte souvent initialement une amélioration non négligeable mais
91 l’efficacité à moyen ou long terme ne peut être garantie. Différentes zones d’application des électrodes (zones paravertébrales, zones gâchettes) sont essayées en faisant varier les paramètres pour obtenir une stimulation perc ¸ue dans la zone douloureuse comme des paresthésies confortables. Si le test paraît bénéfique, un appareil est loué pendant un mois pour confirmer cet effet positif. Ce traitement ne comporte évidemment ni effets adverses ni effets secondaires. Rhizolyse : la thermocoagulation de la branche médiale du rameau postérieur à parfois une action positive à court et moyen terme mais ce résultat n’est guère supérieur aux infiltrations d’anesthésiques locaux et de corticoïdes sous contrôle scopique. Son indication est donc maintenant exceptionnelle. Chirurgie de fixation (arthrodèse) : elle ne peut être raisonnablement proposée que dans les cas d’instabilité rachidienne patente après échec de tous les traitements médicaux et un test d’immobilisation par lombostat positif. Même dans ces cas, le résultat ne peut être garanti et le patient doit impérativement en être prévenu. Chirurgie discale (conventionnelle, laser. . .) : elle n’a pas d’indication dans les lombalgies sans irradiations radiculaires. . . et pourtant, combien de « saillies » ou de simples « protrusions » ont justifié des interventions inéluctablement vouées à l’échec et trop souvent même responsables d’aggravations. On peut ici rappeler l’adage classique : « Quelle que soit l’intensité ou l’ancienneté d’une douleur. . . la chirurgie peut toujours l’aggraver ». Reste la réinsertion en principe indispensable dans les métiers à risque mais qui, en période de « chômage » de masse, est plus un vœu pieu qu’une réalité applicable sans difficulté. Rappelons que la probabilité de reprise du travail est évaluée à 40 % après six mois d’arrêt, à 20 % après 12 mois et nulle après deux ans. Enfin, on ne saurait énumérer de fac ¸on exhaustive la liste des thérapeutiques bénéfiques ou miraculeuses qui ont été et sont toujours préconisées (sans avoir jamais fait la preuve de leur efficacité réelle) et dont le nombre est probablement proportionnel à la manne financière que représente la prise en charge de ce fléau des temps modernes.