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ScienceDirect www.sciencedirect.com Journal de Traumatologie du Sport 31 (2014) 219–223
Cas clinique
Luxations carpo-métacarpiennes irréductibles des doigts longs. Présentation et revue générale de la littérature. (À propos d’un cas) Carpo-metacarpal irreducible dislocations of the long fingers. Case report with literature review H. Boussakri a,∗,b , F. Dusserre a , J.-L. Roux a , A. Elibrahimi b , A. Elmrini b , Y. Allieu a a
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Institut montpelliérain de la main, clinique Clémentville, 34000 Montpellier, France Service de chirurgie osteoarticulaire (B4), faculté de médecine et de pharmacie Sidi Mohammed Ben Abdullah, centre hospitalier universitaire Hassan II, 30000 Fès, Maroc Disponible sur Internet le 6 novembre 2014
Résumé Nous rapportons un cas de luxations multiples des articulations carpo-métacarpiennes des doigts longs survenues après un traumatisme fermé de la main droite lors d’un match de volley-ball. Il s’agit de luxations dorsales carpo-métacarpiennes des doigts longs (pouce exclu), sans aucune fracture associée. Nous les avons traitées par une réduction à foyer ouvert, après échec du traitement orthopédique puis stabilisation par embrochage suivie d’une immobilisation de 4 semaines. La rééducation a été débutée précocement et poursuivie plusieurs semaines après ablation des broches. Au dernier recul de 8 mois, le résultat fonctionnel était satisfaisant, avec une bonne force musculaire et une récupération complète de la mobilité du poignet, des doigts en flexion-extension. Le patient a pu reprendre ses activités quotidiennes et sportives. La difficulté du diagnostic, le mécanisme de survenue ainsi que le traitement sont discutés. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Articulations carpo-métacarpiennes ; Luxations irréductibles ; Traitement
Abstract We report a case of traumatic multiple dislocations of the carpo-metacarpal joints without dislocation of the first metacarpal base joint during a volleyball game. This injury is uncommon and has been reported rarely. We performed open reduction and wire fixation after failure of the orthopedic treatment. At 8 months follow-up, the functional outcome was satisfactory with good muscle strength and good range of motion was preserved. The patient has been able to return to all his daily and sports activities. The difficulty of diagnosis, mechanism of the injury and treatment are discussed. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Carpo-metacarpal joints; Irreducible dislocations; Treatment
1. Introduction Les luxations multiples des articulations carpométacarpiennes sont rares [1]. La luxation isolée du 4e ou 5e métacarpien est connue. Celle intéressant le 2e ou 3e est moins décrite [2]. La luxation carpo-métacarpienne
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (H. Boussakri).
http://dx.doi.org/10.1016/j.jts.2014.10.006 0762-915X/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
est provoquée par un traumatisme à haute énergie appliqué directement sur la main. Le déplacement palmaire ou dorsal des métacarpiens est déterminé par la direction de la force traumatisante [3]. Nous rapportons un cas de luxations carpo-métacarpiennes irréductibles des quatre doigts longs (sans le pouce) chez un sportif, traitées chirurgicalement. À travers cette observation, nous allons faire une revue générale de la littérature en soulignant l’intérêt d’une prise en charge précoce afin d’obtenir des résultats fonctionnels satisfaisants.
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2. Observation Il s’agissait d’un patient âgé de 22 ans, sans antécédent pathologique notable, droitier, consultant pour une tuméfaction douloureuse de la main droite dans les suites d’un traumatisme direct survenu le jour même lors d’un match de volleyball. L’examen clinique a retrouvé une déformation de la main en dos de fourchette (Fig. 1a et b), avec œdème important, sans trouble neurologique ni souffrance cutanée, associée à une limitation partielle de la mobilité des doigts. La mobilisation spontanée du poignet était impossible. Les radiographies ont révélé une luxation carpométacarpienne dorsale des quatre doigts longs (Fig. 2a et b), confirmée par des coupes tomodensitométriques (TDM) (Fig. 3a–d). Nous avons tenté une réduction orthopédique sous-anesthésie qui s’est soldée par un échec, puis nous avons opté pour un abord chirurgical par voie dorsale. Le geste chirurgical a été réalisé sous-anesthésie locorégionale et garrot pneumatique à la racine du membre. Par une incision dorsale (Fig. 4), une réduction a été faite sous contrôle de la vue, découvrant des incarcérations intra-articulaires (capsule et parties molles). La stabilisation a été réalisée par des broches de Kirschner placées dans la base des métacarpes et fixées dans les os du carpe, associée à des sutures capsulo-ligamentaires supplémentaires (Fig. 5a–c). Le poignet a été immobilisé dans une orthèse thermoformée pendant 4 semaines. Une ablation des broches à la 6e semaine a permis d’entreprendre une rééducation : force musculaire et amplitudes articulaires de la main et du poignet. À 8 mois de recul, le résultat fonctionnel était satisfaisant avec une bonne force musculaire (force de serrage, force de préhension et pince pollici-digitale : 90 % par rapport au côté controlatéral) et une
Fig. 1. a et b : déformation en dos de fourchette de la main droite.
Fig. 2. a et b : radiographie de la main (face + profil), qui montre une luxation carpo-métacarpienne dorsale des 4 doigts longs.
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Fig. 3. a–d : coupes scannographiques qui confirment le diagnostic de luxation carpo-métacarpienne dorsale des 4 doigts longs.
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3. Discussion
Fig. 4. Voie d’abord chirurgicale dorsale.
récupération complète de la mobilité du poignet et des doigts en flexion-extension. Le poignet était indolore. Le pouce droit présentait une mobilité cotée à 9 selon Kapandji avec une perte modérée de la force de préhension. Le test auvigorimètre pinch test montrait une force chiffrée à 35 mmHg pour un pouce gauche à 45 mmHg. La radiographie de contrôle n’a pas montré d’anomalie, notamment pas de signe d’arthrose.
Fig. 5. a–c : contrôle radiologique peropératoire, sous amplificateur de brillance, après réduction et stabilisation par brochage : a : incidence de face ; b : incidence oblique ; c : profil strict.
Les articulations carpo-métacarpiennes ont une configuration anatomique complexe. Les bases des métacarpiens s’articulent entre eux et avec la rangée distale des os du carpe, et sont stabilisées par des ligaments dorsaux, palmaires et interosseux permettant de soutenir cette architecture osseuse, d’où la fréquence des fractures-luxations par rapport aux luxations pures [4,5]. La luxation complète des quatre articulations carpométacarpiennes de la main (sans le pouce) est une lésion rare qui touche essentiellement le sujet jeune actif, faisant suite à un traumatisme violent [6,7]. Le diagnostic est toujours difficile vu l’installation rapide de l’œdème qui masque la déformation pouvant expliquer le retard de diagnostic et de la prise en charge thérapeutique [7]. L’examen clinique permet de suspecter la lésion que confirmera l’imagerie. La radiographie standard de la main (face et oblique) est d’interprétation difficile [7–10]. Elle montre une disparition de l’interligne articulaire carpo-métacarpien et une superposition des bases métacarpiennes avec les os de la 2e rangée du carpe ; elle permet aussi de détecter une fracture ou un arrachement osseux associés. Nous recommandons une radiographie de profil strict devant toute suspicion de luxation carpo-métacarpienne, ou devant un œdème important de la face de la main à la recherche des signes radiologiques de la luxation. Par ailleurs, la tomodensitométrie permet une meilleure analyse de la luxation, ainsi que le diagnostic d’une éventuelle lésion carpienne ou ostéochondrale associée, passée inaperc¸ue lors de l’interprétation des clichés radiologiques standard [10]. Concernant le traitement de ce type de lésion, aucun consensus n’est établi. La réduction anatomique des articulations carpo-métacarpiennes est essentielle pour obtenir un poignet indolore, mobile et libre. La réduction orthopédique est toujours possible et doit être systématiquement tentée dans les luxations pures fraîches. Elle consiste en une simple traction dans l’axe ou par doigtier japonais, complétée par une pression manuelle directe sur la base des métacarpiens concernée. En cas d’irréductibilité, d’incoercibilité ou d’instabilité [11,12], un abord chirurgical est nécessaire. Une stabilisation complémentaire par brochage et suture de la capsule est souvent indispensable. Un traitement approprié à foyer fermé ou ouvert donne, toute méthode confondue, généralement des résultats excellents dans plus de 80 % des cas. Peace W.J. et al. [13], utilisant une réduction à foyer ouvert avec brochage, ont trouvé un score fonctionnel de DASH excellent chiffré à 1,7 (absence de douleur, force de préhension complète, retour au travail antérieur sans gêne). La possibilité de persistance de douleurs résiduelles s’explique par des lésions ligamentaires et ostéochondrales. La prise en charge précoce de la luxation permet d’éviter une compression vasculonerveuse ou une souffrance cutanée [14]. L’immobilisation postopératoire pendant 4 à 6 semaines est préconisée par plusieurs auteurs [13]. Les broches sont retirées à la 6e semaine [15]. Concernant les résultats fonctionnels à long terme de ces lésions post-traumatiques de la main, ils sont globalement satisfaisants [1]. Lawlis J.F. et al. [1] ont rapporté une série de
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20 patients, avec un recul moyen très important de 6,5 ans (extrêmes de 1,5 à 20,5 années). Les résultats à long terme étaient excellents chez 13 patients. Les mauvais résultats étaient associés initialement à d’autres lésions (type lésion de nerf cubital). On insiste sur la prise en charge de la luxation fraîche qui est de bon pronostic comparé à celui des luxations négligées dont la conduite thérapeutique est compliquée [1]. Le traitement est toujours chirurgical par un abord dorsal, libérant les différentes structures articulaires du tissu fibreux d’interposition. La réduction est souvent difficile et stabilisée par un brochage carpo-métacarpien. En cas de destruction articulaire, d’incoercibilité, de cal vicieux carpo-métacarpien, des alternatives thérapeutiques peuvent être proposées à type d’arthrodèse avec greffon osseux iliaque, ou des interventions de résectionarthroplastie avec interposition tendineuse (palmaris longus) [16]. 4. Conclusion La luxation multiple carpo-métacarpienne des doigts longs est une lésion rare. Le diagnostic en urgence reste difficile vu l’œdème et les difficultés d’interprétation radiologique. La réduction à foyer fermé doit être toujours tentée. L’échec du traitement orthopédique impose une prise en charge chirurgicale. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Contributions des auteurs : tous les auteurs ont contribué à la réalisation de ce travail. Les auteurs ont également lu et approuvé la version finale du manuscrit.
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