JCC Open (2014) 2, 12—15
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CAS CLINIQUE
Pancytopénie mégaloblastique en l’absence d’atrophie gastrique : une forme de maladie de Biermer Megaloblastic pancytopenia without atrophic gastritis: A particular type of pernicious anemia F. Thuillier a,∗, C. Salas a, P. Blanc b, A. Gérardin a a
Service de médecine interne, centre hospitalier Roland-Mazoin, 12, rue Chateaubriand, 87200 Saint-Junien, France b Service de médecine nucléaire, CHU de Limoges, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France evrier 2013 ; rec ¸u sous la forme révisée le 4 juillet 2013; accepté le 30 juillet 2013 Rec ¸u le 24 f´
La prévalence du déficit en cobalamine varie selon les études de 5 à 40 % chez les patients âgés hospitalisés ou vivant en institution. La maldigestion des cobalamines alimentaires prédomine dans les pays industrialisés contrairement à la carence d’apport touchant des sujets jeunes, dans les pays en voie de développement. Sa répartition étiologique a évolué ces dernières années, la classique maladie de Biermer passant dans certaines études au second rang après le syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 et de ses protéines porteuses (NDB 12PP), compliquant les approches diagnostiques. Les multiples et inhabituelles présentations cliniques, hématologiques de la maladie de Biermer sont aussi sources de confusion [1—3]. Nous rapportons l’observation d’un homme ayant une maladie de Biermer atypique par son mode de révélation et surtout l’absence d’anomalies typiques gastriques endoscopiques.
∗ ∗ Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Thuillier).
2212-0149/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jcco.2013.07.001
Pancytopénie mégaloblastique en l’absence d’atrophie gastrique
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Observation Un homme de 80 ans était adressé par son médecin traitant pour bilan de pancytopénie. Ses antécédents comportaient une hypertension artérielle, un diabète de type 2, une dyslipidémie, un tabagisme sevré, et son traitement habituel de la nicardipine, de la metformine, de la sitagliptine, de l’atorvastatine, et un antiagrégant plaquettaire. L’interrogatoire révélait une altération marquée de l’état général avec anorexie et amaigrissement de 5 kg en 1 mois. S’y associait une dyspnée de repos (NYHA IV) d’aggravation progressive. À l’examen clinique, il existait une pâleur cutanéomuqueuse intense, un subictère conjonctival et des signes de mauvaise tolérance de l’anémie à type d’insuffisance cardiaque gauche. Il n’existait ni trouble neurologique, ni atteinte des phanères, ni signes fonctionnels digestifs. L’hémogramme montrait une anémie (hémoglobine 6,9 g/dL) macrocytaire (VGM 103 3 ), une leucopénie (2120/mm3 ) avec neutropénie (1170/mm3 ) et lymphopénie (500/mm3 ), une thrombopénie (101 000/mm3 ). Le frottis sanguin mettait en évidence de nombreux schizocytes et le bilan biochimique des signes d’hémolyse marqués : bilirubine totale à 98 mol/L à prédominance libre 87 mol/L, avec lacticodéshydrogénase élevée à 1522 UI/L, haptoglobine basse < 0,08 g/L. Le test de Coombs direct était négatif. Il existait une insuffisance rénale de stade 3 (clearance de la créatinine MDRD 55 mL/min). Le tableau clinique et biologique était évocateur d’une pseudo-microangiopathie thrombotique. Devant la réticulocytose anormalement basse, un myélogramme était réalisé révélant une hyperplasie érythroïde majeure avec aspect mégaloblastique typique (mégaloblastes, asynchronisme de maturation, dystrophies nucléaires), la présence de métamyélocytes géants à noyaux rubanés et des polynucléaires rares hypersegmentés (Fig. 1 et 2). Ces aspects étaient compatibles avec une maladie de Biermer avec un taux sanguin de vitamine B12 montrant une carence profonde (< 20 pg/mL) malgré des apports alimentaires antérieurs normaux. L’endoscopie gastro-duodénale mettait en évidence une muqueuse macroscopiquement normale (Fig. 3 et 4), sans aspect d’atrophie gastrique, ce qui était confirmé
Figure 1.
Aspect du myélogramme : mégaloblastose.
Figure 2.
Myélogramme : dystrophies nucléaires.
Figure 3.
Jonction antre-fundus gastrique : aspect normal.
à l’examen histologique. Les biopsies gastriques multiples en particulier fundiques ne révélaient aucun signe de gastrite atrophique, aucun signe métaplasique, ni infiltration lymphoplasmocytaire, ni infection à Helicobacter pylori. Les biopsies duodénales associées ne retrouvaient aucun signe en faveur d’une maladie cœliaque (pas d’atrophie villositaire, pas d’infiltrat lymphoplasmocytaire, pas d’hypertrophie cryptique). Ceci était complété par
Figure 4.
Fundus gastrique : aspect normal.
14 l’absence d’anticorps anti-endomysium et d’anticorps antitransglutaminase. La recherche d’anticorps anti-facteur intrinsèque était positive, à l’inverse des anticorps anti-cellules pariétales gastriques négatifs, et il existait une hyperhomocystéinémie asymptomatique à 36 mol/L, témoin d’une carence fonctionnelle en vitamine B12. Le diagnostic porté de cette pancytopénie était une carence en cobalamine par maladie de Biermer. Le patient a eu au début de sa prise en charge d’une transfusion de 2 culots globulaires en raison de la mauvaise tolérance de l’anémie, puis d’une supplémentation vitaminique B12 (1000 i.m./jour). L’évolution était marquée par une amélioration significative de son état général en 10 jours et une correction complète de l’hémogramme dans les mêmes délais après une crise réticulocytaire (43 2000/mm3 ) au 4e jour. À 4 mois du diagnostic, sous traitement substitutif en B12, la numération formule sanguine était strictement normale (hémoglobine 12 g/dL, VGM 90 3 ), avec un taux sanguin de B12 dans les normes physiologiques (220 pg/mL) et un abaissement de l’homocystéinémie à 10,4 mol/L. Une nouvelle endoscopie gastro-duodénale avec biopsies multiples en particulier fundiques ne retrouvait pas de gastrite atrophique tant macroscopique qu’histologique.
Discussion L’aspect clinico-biologique initiale associant anémie mal tolérée hémodynamiquement, signes d’hémolyse, thrombopénie, insuffisance rénale et schizocytose évoquait en première intention une microangiopathie thrombotique (MAT). De telles manifestations de pseudo-MAT, qui ne sont que le témoin d’une hémolyse intramédullaire marquée, sont décrites dans la littérature, mais à taux faible (2,5 % dans la série de Federici) [4,5]. La mégaloblastose observée (Fig. 1) et les valeurs effondrées de la cobalamine réorientaient le diagnostic vers une pancytopénie carentielle. D’autres diagnostics que la maladie de Biermer étaient initialement discutés, en raison en particulier de l’absence d’atrophie gastrique : carence d’apports (absente), carence d’absorption. Une maladie cœliaque était exclue en raison de l’absence de syndrome clinique et/ou biologique de malabsorption, des données endoscopiques et immunologiques, de même qu’une pancréatopathie chronique ou une cause médicamenteuse. Dans l’attente des résultats immunologiques, une étiologie particulière : le syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 et de ses protéines porteuses (NDB 12PP) était évoquée. Il représente plus de 50 % des causes de carence en vitamine B12 chez le sujet âgé [1,6]. Son mode de présentation peut être similaire, réalisant des tableaux cliniques neuropsychiatriques variés (altérations des fonctions supérieures, neuropathies périphériques, sclérose combinée médullaire) ou hématologiques (purpura thrombopénique, pseudo-MAT). Notre patient répondait aux critères diagnostiques de ce syndrome, et la prise au long cours de metformine représentait un facteur prédisposant. Les autres facteurs de risque classiquement rapportés (gastrite atrophique, infection chronique à Helicobacter pylori, insuffisance pancréatique exocrine, éthylisme chronique, vascularites)
étaient cependant absents [1,7,8]. La correction des désordres hématologiques sous vitamine B12 malgré la poursuite des biguanides allait à l’encontre de ce diagnostic. La maladie de Biermer est responsable de 20 à 50 % des carences en cobalamine de l’adulte. Elle associe habituellement la présence d’anticorps sériques et dans le liquide gastrique (anti-facteur intrinsèque, anti-cellules pariétales gastriques) et une gastrite atrophique autoimmune à médiation cellulaire de type A en particulier fundique. L’histologie révèle classiquement une atteinte de la muqueuse fundique avec un infiltrat inflammatoire dense, lymphoplasmocytaire, une atrophie glandulaire sévère et des foyers de métaplasie intestinale. La présentation des anémies de Biermer est caractérisée par un grand polymorphisme clinique. Une des particularités de notre observation est l’absence de toute atrophie gastrique tant macroscopique qu’histologique. Ce critère est pourtant retrouvé dans plus de 85 % des cas décrits dans la littérature [9—11]. Une hypergastrinémie réactionnelle peut être retrouvée (sensibilité > 80 %, spécificité < 50 %) ainsi qu’une élévation de la chromogranine A [6]. Ces 2 dosages étaient normaux (respectivement 14 mol/L et 32 ng/mL), allant de pair avec les constatations endoscopiques et histologiques. L’absence d’atrophie gastrique contraste avec la sévérité du tableau biologique. Elle n’a pu aggraver le déficit fonctionnel en cobalamine, et donc les désordres hématologiques. En effet, les hypochlorydries secondaires aux gastrites atrophiques empêchent la libération de vitamine B12 des protéines alimentaires ou intestinales de transport comme dans le syndrome de non-dissociation de la vitamine B12. En l’absence d’atrophie, notre patient présente pourtant une pancytopénie marquée, alors qu’elle n’est décrite habituellement que dans 10 % des cas de Biermer, et toute cause de carence en vitamine B12 confondue, chez seulement 5 % des patients [4,11]. La discordance entre la sévérité des paramètres clinico-biologiques et l’absence de signes endoscopiques illustre une présentation très atypique de maladie de Biermer. Concernant la fréquence des cytopénies habituellement observées, elle est de l’ordre de 32,6 % (thrombopénie < 150,103 /mm3 ) et 16,8 % (leucopénie < 4000/mm3 ) [4,11]. La positivité des anticorps anti-facteur intrinsèque a permis la confirmation du diagnostic de Biermer, de part leur spécificité > 98 %. Ils peuvent être cependant retrouvés chez 2 à 5 % de sujets sains, ainsi que chez les parents au 1er degré d’un sujet atteint [6,11—13]. Le traitement de référence est l’administration prolongée de cyanocobalamine intramusculaire 1000␥/jour pendant une semaine puis 1000␥/semaine pendant un mois puis 1000␥/mois à vie. Une administration de cyanocobalamine orale est possible, aussi bien dans le cadre d’une maladie de Biermer que dans les syndromes de nondissociation de la vitamine B12 [6,7,14]. Notre observation illustre les difficultés diagnostiques des carences vitaminiques B12, dont la maladie de Biermer. Celles-ci sont liées à la grande hétérogénéité de leurs présentations cliniques, biologiques, et endoscopiques. La multiplication des cadres nosologiques concernant ses diagnostics différentiels impose une approche diagnostique rigoureuse.
Pancytopénie mégaloblastique en l’absence d’atrophie gastrique
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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