Protocole de surveillance ophtalmologique des patients traités par antipaludéens de synthèse ou par vigabatrin au long cours

Protocole de surveillance ophtalmologique des patients traités par antipaludéens de synthèse ou par vigabatrin au long cours

Journal français d’ophtalmologie (2009) 32, 83—88 CONFÉRENCE-DÉBAT DE LA SFO Pathologies iatrogènes médicales et chirurgicales Protocole de surveill...

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Journal français d’ophtalmologie (2009) 32, 83—88

CONFÉRENCE-DÉBAT DE LA SFO Pathologies iatrogènes médicales et chirurgicales

Protocole de surveillance ophtalmologique des patients traités par antipaludéens de synthèse ou par vigabatrin au long cours Ophthalmological monitoring protocol for patients treated with long-term antimalarials or vigabatrin I. Ingster-Moati a,b,∗, C. Orssaud b a

Université Paris 7 Diderot, Faculté de Médecine, Paris, France Service d’Ophtalmologie, Hôpital Necker Enfants Malades, Assistance Publique Hôpitaux de Paris, Paris, France

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Rec ¸u le 22 aoˆ ut 2008 ; accepté le 14 novembre 2008 Disponible sur Internet le 4 f´ evrier 2009

MOTS CLÉS Rétinopathie ; Anti-paludéens de synthèse ; Vigabatrin



Résumé La rétinopathie aux antipaludéens de synthèse (hydroxychloroquine et chloroquine) est très rare. Sans possibilité thérapeutique, elle peut entraîner la cécité légale. Depuis 1957, tous les auteurs s’accordent sur la nécessité d’une surveillance des patients sous antipaludéens de synthèse (APS) au long cours. Le protocole préconisé est actuellement le suivant : information du patient, examen ophtalmologique clinique complet couplé à un champ visuel central et à un bilan électrophysiologique, et ce, avant traitement ou au plus tard dans les 6 premiers mois. Pendant le traitement, une surveillance comparative sera effectuée à un rythme déterminé par l’existence ou non de facteurs de risque, ceux-ci étant : une dose ingérée cumulée supérieure à 1,8 kg, une dose journalière supérieure à 6,5 mg d’hydroxychloroquine/kgIMC/jour, des antécédents ophtalmologiques, une insuffisance hépatique et/ou rénale, un âge supérieur à 65 ans et la prise de chloroquine. Cette rétinopathie peut toutefois survenir en l’absence de tout facteur de risque connu. Malgré la contrainte de ce suivi, le rapport bénéfice/risque reste très en faveur de l’usage des APS de synthèse. Le vigabatrin, antiépileptique puissant, est réservé au syndrome de West et aux épilepsies rebelles aux autres anti-comitiaux. Il améliore la qualité de vie, mais il peut entraîner une atteinte caractéristique du champ visuel avec un déficit nasal bilatéral et des altérations électrophysiologiques rétiniennes. Le protocole de surveillance de ces patients préconisé actuellement comprend : si possible avant mise sous traitement puis tous les 6 mois un examen

Auteur correspondant. Service d’Ophtalmologie, Hôpital Necker Enfants Malades, 151, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France. Adresse e-mail : [email protected] (I. Ingster-Moati).

0181-5512/$ — see front matter © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.jfo.2008.11.008

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I. Ingster-Moati, C. Orssaud ophtalmologique clinique complet avec un relevé du champ visuel et un bilan électrophysiologique. Cette surveillance est difficile car ces patients ne sont pas en mesure de réaliser un champ visuel ; parfois, seul l’examen électrophysiologique est possible. Le rapport bénéfice/risque reste pourtant nettement en faveur du vigabatrin. En pratique, les patients qui ont une diminution de la fréquence de leurs crises comitiales et qui présentent des changements minimes de leur fonction visuelle peuvent continuer leur traitement avec un suivi rigoureux, les autres doivent arrêter le vigabatrin. © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Retinopathy; Antimalarials; Vigabatrin

Summary Treatment with the antimalarials chloroquine or hydroxychloroquine rarely causes retinopathy. Chloroquine and hydroxychloroquine toxicity are untreatable and can progress to legal blindness. Since 1957, there has been a consensus on the need to monitor patients on long-term chloroquine or hydroxychloroquine therapy. Currently, the procedure for follow-up includes collection of patient information, complete ophthalmological exam with automated central perimetry, and retinal electrophysiology. Screening should take place before treatment or no more than 6 months after initiation of antimalarial therapy. During treatment, monitoring relative to the baseline should be at a frequency determined by whether there are risk factors for development of toxicity, such as a cumulative dose greater than 1.8 kg, a daily dose greater than 6.5 mg of hydroxychloroquine/kg/day, concurrent or past ophthalmological diseases, hepatic or renal insufficiency, age older than 65 years, and chloroquine intake. Retinopathy can occur in the absence of risk factors. The risk/benefit ratio favors therapy despite the time and expense of screening. Vigabatrin (VGB) is an effective drug for treatment of epilepsy and has been used in the treatment of West syndrome and epilepsy resistant to other drugs. VGB treatment improves quality of life, but it can induce characteristic bilateral nasal visual field defects and changes in retinal electrophysiology. Currently, the recommended procedure is to screen these patients before treatment, if possible, with a complete ophthalmological exam including perimetry and retinal electrophysiology every 6 months. It may be necessary to rely on retinal electrophysiology since some patients may not be able to undergo perimetry. The risk/benefit ratio sill clearly favors VGB treatment. Patients whose seizure incidence is reduced and have only minimal visual changes could continue VGB with strict monitoring. The others must discontinue VGB. © 2009 Published by Elsevier Masson SAS.

Protocole de surveillance ophtalmologique des patients sous antipaludéens de synthèse au long cours Les antipaludéens de synthèse sont largement prescrits depuis les années 1950 dans un certain nombre de pathologies inflammatoires et/ou auto-immunes (la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux disséminé, le syndrome de Gougerot-Sjögren, la sarcoïdose, le syndrome des anticorps anti-phospholipides, etc.), mais la rétinopathie aux antipaludéens de synthèse au long cours est exceptionnelle : elle est iatrogène, bilatérale, irréversible, sans possibilité thérapeutique et peut entraîner la cécité légale. Depuis 1957, tous les auteurs s’accordent sur le fait qu’il faut surveiller les patients sous antipaludéens de synthèse au long cours du point de vue ophtalmologique et les publications internationales sur ce sujet sont toujours aussi nombreuses puisqu’on en dénombre au moins cinq pour la seule année 2007 [1—6]. Il apparaît actuellement que l’électrorétinogramme multifocal (ERGmf) représente l’examen le plus sensible de dépistage précoce [4,7—11]. Afin de mieux comprendre le protocole de surveillance ophtalmologique actuel de ces patients, il est nécessaire de rappeler deux définitions :

• On appelle « intoxication rétinienne aux antipaludéens de synthèse » une atteinte clinique de la rétine, visible directement au fond d’œil, à l’angiographie rétinienne ou bien sur les clichés en auto-fluorescence, avec une image caractéristique en cocarde dite en « œil de bœuf ». Cette atteinte entraîne une baisse d’acuité visuelle sévère pouvant conduire à la cécité. • On appelle « intoxication rétinienne préclinique aux antipaludéens de synthèse » une altération des paramètres de surveillance sans atteinte clinique visible au fond d’œil, au cliché en auto-fluorescence ou à l’angiographie. Cette intoxication préclinique est généralement réversible à la diminution ou à l’arrêt des antipaludéens de synthèse ; en revanche, si le traitement est poursuivi, elle évolue vers l’intoxication irréversible. Le dépistage des intoxications rétiniennes aux antipaludéens de synthèse à leur stade préclinique est donc indispensable. En France, deux antipaludéens de synthèse sont commercialisés : • l’hydroxychloroquine (HCQ) sous la forme du Plaquénil® , chaque comprimé étant dosé à 200 mg, la dose maximale recommandée pour éviter la toxicité oculaire étant de 6,5 mg/kg IMC/jour (ce qui correspond à 2 cp/jour pour un patient de 60 kg et de 1m60) ;

Protocole de surveillance ophtalmologique des patients traités par APS ou vigabatrin • la chloroquine (CQ) sous la forme de la Nivaquine® , chaque comprimé étant dosé à 100 mg et la dose maximale recommandée étant de 3 mg/kg IMC/jour (ce qui correspond à 1 cp/jour pour un patient de 60 kg et de 1m60). Actuellement, en France, environ 30 000 patients sont sous antipaludéens de synthèse au long cours, plus de 95 % d’entre eux sous hydroxychloroquine et moins de 5 % sous chloroquine [12]. Le prix du Plaquénil® étant faible (0,18 euro le comprimé de 200 mg) et ces effets secondaires, mise à part la toxicité rétinienne, minimes, il représente une thérapeutique de 1er choix dans les pathologies inflammatoires et/ou auto-immunes. Pour décider du protocole de surveillance ophtalmologique le plus adéquat, il serait également souhaitable de comprendre au mieux la physiopathologie de cette atteinte rétinienne très particulière et de connaître la pharmacologie exacte de ces molécules. La physiopathologie de l’atteinte rétinienne n’est actuellement pas totalement élucidée et la raison de cette atteinte en « œil de bœuf » avec au champ visuel central un scotome annulaire sur les 8 à 10 degrés centraux préservant, tout du moins au début, la fovéola et la rétine périphérique, reste en partie mystérieuse. Il est connu que la chloroquine et l’hydroxychloroquine ont une affinité importante pour la mélanine et que ces molécules provoquent une altération des lysosomes en particulier ceux de l’épithélium pigmentaire et des photorécepteurs. Ce processus dégénératif débute au niveau des cellules ganglionnaires mais ce sont les photorécepteurs qui sont le plus sévèrement atteints [13]. Les travaux en tomographie par cohérence optique (OCT) [3] ont montré un amincissement de la couche nucléaire externe et une perte de la jonction entre le segment externe et le segment interne des photorécepteurs débutant dans la région périfovéolaire. D’autre part, les clichés du fond d’œil en auto-fluorescence des patients sous antipaludéens de synthèse au long cours [11] ont permis de détecter des altérations précoces de l’épithélium pigmenté avec une perte en mottes de l’auto-fluorescence péricentrale et une augmentation de l’auto-fluorescence de la rétine adjacente, et plus tardivement une perte de cette auto-fluorescence péricentrale. D’après Kellner et al. [11], ces résultats de l’imagerie par auto-fluorescence correspondent aux caractéristiques du pigment de lipofuscine dans l’épithélium pigmenté, toute augmentation de l’auto-fluorescence indiquant une accumulation de lipofuscine par altération des processus de phagocytose des articles externes des photorécepteurs par les cellules de l’épithélium pigmenté. Demeure la question de savoir pourquoi c’est cette région des 8 à 10 degrés centraux qui est la plus vulnérable aux dommages toxiques des antipaludéens de synthèse. La réponse résiderait très vraisemblablement dans la différence anatomo-physiologique entre les cônes fovéolaires et les cônes péricentraux puisque la 1re anomalie détectée est la perte de fonction de ces cônes péricentraux [11]. La pharmacologie des antipaludéens de synthèse est complexe puisqu’il existe une très grande variabilité interindividuelle de leur absorption intestinale (d’environ 75 %) ce qui explique que le taux d’hydroxychloroquinémie pré-

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sente également une grande variabilité interindividuelle. Cinquante pour cent de l’hydroxychloroquine absorbée se fixe sur des protéines sanguines, principalement sur l’albumine et sur l’␣1-glycoprotéine. La synthèse de ces protéines étant déterminée génétiquement, ceci pourrait expliquer que certains patients peuvent ingérer plus de 4 kg d’hydroxychloroquine (plus de 20 ans de traitement continu) sans survenue d’intoxication rétinienne et que d’autres présentent une toxicité rétinienne avant cinq années de traitement [5]. Le volume de distribution de l’hydroxychloroquine est très important : accumulation au niveau des tissus contenant de la mélanine et au niveau des lysosomes. La demi-vie d’élimination terminale de l’hydroxychloroquine est supérieure à 40 jours. Ces différents éléments ont motivé l’étude de Costedoat-Chalumeau et al. [14] qui a confirmé la grande variabilité interindividuelle des taux d’hydroxychloroquinémie, mais qui a également montré que cette hydroxychloroquinémie n’est corrélée ni au poids corporel, ni à l’indice de masse corporelle. Compte tenu de ces connaissances actuelles, le protocole de surveillance ophtalmologique préconisé est à ce jour le suivant : 1. Information du patient : Le médecin prescripteur d’antipaludéens de synthèse au long cours doit informer son patient des risques visuels et de la nécessité d’une surveillance ophtalmologique régulière. Cette délivrance d’information doit être clairement notée dans le dossier médical. Il doit informer le patient que cette surveillance a pour but, autant que faire se peut, d’éviter l’intoxication rétinienne irréversible. 2. Avant la mise sous traitement ou au plus tard dans les 6 premiers mois de la prise : (i) un examen ophtalmologique clinique complet avec un examen très précis de la macula afin de détecter toute maculopathie pré-existante à la prise d’antipaludéens de synthèse (foyer toxoplasmique ou dégénérescence maculaire liée à l’âge, par exemple). Cet examen peut être réalisé par le médecin ophtalmologiste habituel du patient ; (ii) un champ visuel sur les 10 ou les 20◦ centraux à réaliser également par le médecin ophtalmologiste habituel ou l’orthoptiste travaillant avec ce médecin ; (iii) et un bilan électrophysiologique initial réalisé dans un centre spécialisé. 3. Pendant le traitement : (i) un bilan ophtalmologique clinique complet ; (ii) un champ visuel sur les 10◦ ou les 20◦ centraux comparatif ; (iii) et un bilan électrophysiologique comparatif. Le rythme des examens de contrôle ophtalmologiques est déterminé par l’existence ou non de facteurs de risque. En l’absence de facteur de risque, ce contrôle sera effectué une fois par an. S’il existe un ou plusieurs facteurs de risque, ce contrôle sera effectué 2 fois par an. Les facteurs de risque sont au nombre de 6 : • une dose ingérée cumulée importante (supérieure à 1,8 kg, environ 12 ans de traitement continu à 2 cp/jour) ;

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I. Ingster-Moati, C. Orssaud Cette déclaration est très simple, tout à fait anonyme (autant pour le patient que pour le médecin prescripteur) et très rapide en remplissant le formulaire Cerfa n◦ 1011*01. Ceci permettra de recenser exactement le nombre de rétinopathies aux antipaludéens de synthèse. Malgré la contrainte réelle que représente le suivi ophtalmologique des patients sous antipaludéens de synthèse, le rapport bénéfice/risque reste tout de même très en faveur de l’usage des antipaludéens de synthèse pour ces patients atteints de pathologies inflammatoires et/ou autoimmunes chroniques invalidantes. Il faut donc surveiller tous les patients sous antipaludéens de synthèse 1 à 2 fois/an par un examen clinique complet (acuité visuelle, fond d’œil) couplé à un champ visuel central sur les 10 à 20◦ centraux, associé à un bilan électrophysiologique comprenant dans la mesure du possible un ERG multifocal. Il est également de la responsabilité des médecins ophtalmologistes de convaincre les médecins prescripteurs qu’il s’agit d’une rétinopathie iatrogène sans possibilité thérapeutique. L’avenir réside sur une connaissance plus approfondie du mécanisme de cette intoxication et sur la détermination exacte des sujets à risque d’intoxication rétinienne.

Protocole de surveillance ophtalmologique des patients sous vigabatrin au long cours Le vigabatrin (ou Sabril® ) est un antiépileptique remarquable, parfois le seul efficace.Son utilisation est actuellement limitée et réservée aux cas suivants : en première intention dans les syndromes de West du nourrisson, dans les épilepsies associées à la sclérose tubéreuse de Bourneville, et dans les épilepsies partielles après échec des autres anticomitiaux. Le vigabatrin est un co-inhibiteur de la GABAtransaminase, enzyme responsable de la dégradation d’acide gamma-amino-butyrique ou GABA. Le GABA est le principal neuro-transmetteur inhibiteur du système nerveux central. Le vigabatrin a donc comme action d’augmenter le taux de GABA dans la rétine. Le vigabatrin a été mis sur le marché en 1991 mais c’est seulement en 1997 [17] qu’a été décrite l’altération du champ visuel. Cette atteinte est caractéristique. Le relevé du champ visuel sur les 30◦ centraux montre un déficit nasal bilatéral qui augmente vers la ligne médiane avec une épargne relative du champ temporal. Cette atteinte sur les 30◦ d’excentricité sous la forme d’un déficit binasal est particulièrement caractéristique car les autres causes de déficits bi-nasaux sont très rares. Dans certains cas, ce déficit est localisé soit en supéro-nasal soit le plus souvent en inféro-nasal. Le vigabatrin peut finalement entraîner des rétrécissements concentriques irréversibles du champ visuel. D’après Kalviainen et al. [18], en 2001, 31 % des patients sous vigabatrin ont une altération du champ visuel. Le vigabatrin entraîne également des altérations électrophysiologiques rétiniennes, avec une altération très importante de l’électro-oculogramme (EOG « plat ») et des modifications de l’électrorétinogramme global (ERG) (diminution de l’amplitude de l’onde « b » et de l’ERG flicker et des altérations des potentiels oscillatoires), indiquant un

Protocole de surveillance ophtalmologique des patients traités par APS ou vigabatrin effet du vigabatrin sur les couches internes de la rétine et sur les cellules de Müller. L’altération de l’EOG est réversible alors que l’altération du CV est irréversible, sauf exception chez les jeunes patients [19]. Le protocole de surveillance ophtalmologique des patients sous vigabatrin (Sabril® ) au long cours préconisé actuellement est le suivant, si possible avant mise sous traitement, puis tous les 6 mois pendant le traitement : 1. examen ophtalmologique clinique complet, 2. relevé du champ visuel par périmétrie automatisé ou Goldmann, 3. bilan électrophysiologique avec si possible EOG et ERG (sinon ERG, PEV). Seule l’équipe de Wild et al. [20] a préconisé l’OCT. Mais la difficulté de cette surveillance tient au fait que ces patients, la plupart des enfants, ne sont pas en mesure de réaliser un champ visuel Goldmann, a fortiori un champ visuel automatisé, examen qui nécessite la compréhension d’une tâche et une certaine participation. Parfois, seul l’examen électrophysiologique est possible, en sachant qu’un EOG ne peut être effectué qu’à partir de l’âge de 4-5 ans chez des enfants au développement psychomoteur normal, ce qui n’est souvent pas le cas des enfants sous vigabatrin. Restent l’ERG et les PEV comparatifs pour surveiller ces enfants car ce sont des examens qui ne nécessitent pas de compréhension, ni de participation active. En conclusion, les indications du vigabatrin (Sabril®) sont maintenant très limitées. C’est un anti-épileptique puissant et bien toléré, qui améliore la qualité de vie de certains patients [21] ; le rapport bénéfice/risque dans les spasmes infantiles est nettement en sa faveur [22]. Il doit donc être prescrit avec une surveillance ophtalmologique stricte. En pratique, les patients qui ont une diminution significative de la fréquence de leurs crises comitiales et qui n’ont que des changements minimes de leur fonction visuelle peuvent continuer leur traitement par vigabatrin avec un suivi ophtalmologique rigoureux. En revanche, les patients qui n’ont pas de diminution significative de du nombre de crises comitiales ou bien qui ont une altération visuelle importante doivent arrêter le vigabatrin [22].

Conclusion La surveillance ophtalmologique des patients qui prennent au long cours des traitements potentiellement délétères sur la fonction visuelle est difficile car il faut dépister à temps, au stade pré-clinique, ces effets iatrogènes. Cette surveillance présente également un caractère médico-légal et un aspect économique (ce coût étant relativement minime dans le cas des antipaludéens DE synthèse compte tenu du prix du Plaquénil® comparé au coût des thérapeutiques alternatives et au coût de prise en charge en cas d’aggravation de Lupus ou de la survenue d’une cécité). Enfin, dans un certain nombre de cas, la discussion de maintenir ou d’arrêter un traitement efficace sur la pathologie en cours, compte tenu des effets ophtalmologiques détectés, doit être prise de manière collégiale en concertation entre le médecin prescripteur,

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l’ophtalmologiste et le patient (ou ses parents dans le cas des enfants).

Remerciements Nous remercions le Dr Claude Douche pour ses remarques pertinentes et Joseph Harrison pour sa relecture du résumé en anglais.

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