Réglementation et jurisprudence : les limites du possible pour une surveillance médicale individuelle ou collective

Réglementation et jurisprudence : les limites du possible pour une surveillance médicale individuelle ou collective

passées, mais aussi par une capacité à les archiver de façon fiable et pérenne. Volonté affichée de protéger les générations futures, avec une éthique...

81KB Sizes 0 Downloads 35 Views

passées, mais aussi par une capacité à les archiver de façon fiable et pérenne. Volonté affichée de protéger les générations futures, avec une éthique sans faille : c’est en particulier sensible pour les populations mobiles, dont on peut logiquement craindre, vu l’appréhension encore partielle des effets différés en leur sein, l’ignorance de ceux-ci dans leur descendance. Volonté tout aussi affichée de protéger les plus faibles, quand cela est raisonnablement possible, par une intégration dans un monde du travail non pathogène, ce qui n’ est pas contradictoire avec la réalisation soigneusement protocolée et bornée sur un plan éthique de tests de susceptibilité génétiques. Connaissance préalable à la prescription d’examens complémentaires du détriment qui leur est associé (irradiation, complications septiques, stigmatisation par refus de don d’organes ultérieur…), de leur compliance individuelle (caractère indolore, rapidité d’exécution, qualité du rendu de résultat, en particulier pour les examens « sensibles » et ceux dont l’interprétation relève plus du collectif que de l’individu), compliance sociétale (coût, disponibilité matérielle, disponibilité en témoins…). Prescription réfléchie dans le cadre d’un arbre décisionnel : vérification d’une exposition, quantification de celle-ci, positionnement sur une courbe doseeffet, utilisation des examens situés le plus en amont de l’affection recherchée, ayant le meilleur rapport qualité prédictive (appréciée par la connaissance de leur valeur prédictive positive, issue de l’ E B M)/détriment/compliance.

Réglementation et jurisprudence : les limites du possible pour une surveillance médicale individuelle ou collective P.Y. VERKINDT Institut des Sciences du Travail, Lille.

Le suivi des expositions des salariés mobiles aux risques chimiques pose la question de la possible conciliation du droit à la santé des salariés avec leur droit au travail et au respect de leur liberté individuelle. En effet, même si les médecins étaient actuellement en mesure de répertorier les expositions auxquelles ont été soumis les salariés qu’ils suivent le plus précisément possible, se poseraient les questions de l’accès à ces données, des risques de gestion de l’emploi par les doses reçues, voire de trafics d’identité et/ou de dosimètres, de choix pour le médecin du travail entre le Arch Mal Prof Env 2006

droit à l’emploi et le droit à la santé… Mais au-delà, il ouvre le débat sur une question fondamentale : Est-ce que le médecin du travail est l’acteur de la prévention individuelle ou plutôt collective ? La finalité du suivi des expositions est ici soulevée. En première hypothèse, ce suivi a pour objectif la prévention individuelle. Il doit alors intégrer, les paramètres tels que, marqueurs biologiques, susceptibilité individuelle autres données du dossier médical pour permettre au médecin du travail d’argumenter le mieux possible un avis d’(in)aptitude éclairé. Car le seul suivi des paramètres d’exposition ne suffirait pas à cette prévention individuelle qui doit tenir compte de l’individu et de sa susceptibilité. Cependant, on perçoit immédiatement les obstacles juridiques et éthiques déjà soulevés par ailleurs (sélection, discrimination, atteinte aux libertés individuelles…) à une telle finalité du suivi des expositions qui ne peut donc servir à la prévention individuelle puisqu’elle ne serait qu’un élément parmi un faisceau d’autres arguments par ailleurs non disponibles pour le médecin du travail (interdiction d’accès au dossier médical notamment). Dès lors, l’arbitraire gouvernerait la gestion des (in)aptitudes par le biais de ce recueil des expositions aux risques professionnels… (en fonction d’autres informations obtenues par le médecin du travail directement ou non par des confrères, collègues, connaissances, moyens à disposition…). Il semble donc, au regard de ces paramètres, que les choix politiques ne se soient pas orientés dans cette direction ni ne pourront l’être. C’est donc vers une deuxième hypothèse qu’il s’agit de s’orienter, celle d’un suivi des expositions qui aurait une autre et double finalité : d’une part celle d’être un moyen de preuve d’exposition en cas d’éventuelle lésion professionnelle, lors de l’instruction du dossier (dont le salarié pourrait se prévaloir au moment de l’instruction du dossier par l’organisme assureur). D’autre part, de constituer un élément permettant, après anonymisation et transmission à une banque de donnée, l’élaboration de matrices emploi – exposition où seraient croisés profils de poste et nuisances associées. Dans une telle perspective, ce suivi des expositions aurait alors pour finalité la prévention collective (vers laquelle a d’ailleurs tendance à pointer le système de santé au travail). Dans cette optique, le suivi des expositions passe par un livret de suivi des expositions qui ne serait ni plus ni moins que la compilation d’attestations d’exposition aux risques (conjointement remplies par l’employeur et le médecin du travail à l’issue de chaque emploi), sans aucune données biologiques ni médicales, que le salarié devrait garder par devers lui, 153

MERCREDI 31 MAI

Devenir de la surveillance des risques chimiques dans le contexte de la mobilité professionnelle

29e Congrès national de médecine et santé au travail

sans obligation ni faculté de le produire sauf en cas de maladie professionnelle. Dans cette dernière hypothèse, les éléments colligés constitueront un élément parmi d’autres soumis au débat contradictoire de la procédure d’instruction d’une éventuelle maladie professionnelle. Ce livret ne servirait donc l’individu que dans l’hypothèse d’une lésion et pas du tout dans une perspective de prévention individuelle pour laquelle d’ailleurs, le médecin du travail n’a pas tous les moyens d’agir. Néanmoins, sur le plan collectif, le fait de remplir l’attestation d’exposition doit permettre au médecin du travail d’avoir un regard différent sur les nuisances auxquelles les salariés sont exposés et constitue donc pour lui un bras de levier de la prévention collective. S’agissant des libertés individuelles, à partir du moment où ce document est rempli à la sortie d’emploi et qu’il n’existe ni obligation ni faculté pour le salarié de le produire lors des entretiens ou visites d’embauche, il ne semble pas qu’elles puissent être en danger. Mais parce que la prévention collective est déterminante, il est nécessaire de trouver les moyens de faire circuler l’information qui aura nourri ces livrets d’exposition afin d’alimenter les banques de données destinées à une meilleure prévention des risques professionnels. Enfin, et parallèlement, parce qu’il est nécessaire que chaque salarié ait, dès aujourd’hui les mêmes informations à disposition avant que ce système ne soit en place pour les nouvelles générations, il devrait être ouvert un droit (et non une obligation) pour tout salarié de bénéficier (à un âge qu’il conviendrait de définir, comme on l’a fait pour le récapitulatif des carrières par la CRAM dans les derniers mois d’activité) d’un entretien pour récapituler sa carrière en matière d’expositions professionnelles. Celui-ci devrait bien entendu être distinct de la visite d’aptitude et conduit par une personne différente que le médecin du travail habituel du salarié, afin d’éviter les amalgames ; il pourrait être intéressant de donner à la personne chargée de conduire cet entretien récapitulatif d’avoir un droit d’accès au fichier CRAM des emplois successifs occupés par le salarié

Les apports de l’Evidence Based Medicine dans les pratiques de surveillance du médecin du travail C. PARIS, J.F. GEHANNO 1. Consultation de Pathologie Professionnelle, Hôpital Fournier, Nancy 2. Consultation de Pathologie Professionnelle, Hôpital Charles Nicolle, Rouen.

Apparu au début des années 1990 [1], le concept d’Evidence Based Medicine -EBM- traduit en Français par 154

« médecine factuelle » ou « médecine par les faits » s’est étendu progressivement de la pratique clinique à l’enseignement, dans l’ensemble des spécialités médicales. Le développement parallèle de l’Internet et de l’interrogation en ligne de bases bibliographiques telles que MEDLINE a permis à ce concept de se diffuser. Le principe de l’EBM repose sur la conceptualisation d’un processus de résolution d’une interrogation clinique en quatre étapes comportant les définitions : (i) du problème ou du patient d’intérêt (P), (ii) de l’intervention (I) et des déterminants pertinents, (iii) des comparaisons (C) des interventions et finalement (iv) des conséquences (outcome (O) . Ce processus répond ainsi à l’acronyme PICO souvent utilisé dans la littérature anglo-saxonne. Le choix des déterminants s’effectue selon un classement par « niveaux de preuve » qui introduit une échelle de valeur dans les conclusions de la littérature médicale allant du niveau maximum de preuve (représentée par les résultats d’essais cliniques randomisés bien conduits) au niveau inférieur représenté par l’avis d’experts basé sur la pratique clinique. Cette stratégie clinique trouve son application maximale dans la pratique clinique et plus particulièrement dans le diagnostic, le traitement et le pronostic des pathologies prises en charge par les cliniciens. La mise en place d’un nouveau traitement sans démonstration d’une efficacité accrue par rapport aux traitements antérieurs par un essai clinique randomisé serait aujourd’hui inconcevable. L’application de la démarche d’EBM à la discipline de santé au travail a été envisagée plus récemment et différents cadres peuvent être définis [2]. Une approche selon l’échelon individuel ou collectif de l’action du médecin du travail a été proposée [3]. Une autre approche consiste à aborder la question selon les spécificités de la médecine du travail. Celles-ci s’organisent schématiquement autour d’une part des aspects médicaux (dépistage des affections en relation avec le travail et adéquation de la décision d’aptitude entre les déficiences et ses incapacités du salarié et son poste de travail (définition du handicap professionnel) et d’autre part sur les aspects plus généraux de prévention, incluant la démarche d’évaluation et de gestion des risques professionnels. Une application particulière de l’EBM a également était développée dans la recherche documentaire en santé au travail [4]. Cette mise en œuvre d’une procédure d’EBM en médecine du travail s’inscrit par ailleurs dans un contexte amenant à poser et à définir les priorités respectives des missions de prévention en santé au travail et en santé publique, ce qui reste un champ ouvert de réflexion. Arch Mal Prof Env 2006