Restructuration d’un hôpital de jour — hôpital de nuit en unité de soins ambulatoires. Vers une institution virtuelle ?

Restructuration d’un hôpital de jour — hôpital de nuit en unité de soins ambulatoires. Vers une institution virtuelle ?

Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 212-5 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448701000282/SSU COMMUNICATION ...

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Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 212-5 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448701000282/SSU

COMMUNICATION

Restructuration d’un hôpital de jour — hôpital de nuit en unité de soins ambulatoires. Vers une institution virtuelle ? M. Girard*, T. Sanchez, F. Massat, P. Bourjac, E. Le Toullec Unité de soins ambulatoires (Dr. M. Girard), service de psychiatrie, psychothérapie et art-thérapie (Pr. M. Escande), CHU Purpan-Casselardit, 31059 Toulouse cedex, France

Résumé – Les auteurs présentent dans ses grandes lignes le bilan d’activité et la stratégie thérapeutique de l’unité de soins ambulatoires mise en place depuis six ans par restructuration d’un hôpital de jour-hôpital de nuit pour psychotiques adultes. La pertinence de la dimension collective et pluri-référenciée du soin institutionnel au long cours – excluant toute suppléance directe à la vie quotidienne – y est envisagée sous l’angle de sa capacité : à construire au cas par cas, de manière souple et diversifiée, un cadre thérapeutique adapté à chaque patient et à son évolution dans le temps ; à moduler au cas par cas des relations avec des partenaires multiples (psychiatre traitant, structure d’hébergement, PMI…), relations sans filière préétablie et initiée par le patient qui en reste le centre à travers la singularité de sa problématique. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS environnement psychiatrique extérieur / malléabilité du cadre / psychoses au long cours / réseau potentiel / soins ambulatoires

Summary – Restructuring programme of a day-hospital/night-hospital into an outpatients’care Unit. Toward a virtual institution? The authors report the restructuring programme of a Day-Hospital/Night-Hospital and the new care strategy of an Outpatients’Care Unit for the last six years. For each patient: setting flexibility and its progressive adaptation; external psychiatric and social background are specially taken into account. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS chronic psychosis / external psychiatric and social background / outpatients’care unit / potential network / setting flexibility

« Nouveaux dispositifs et nouvelles stratégies de soin en psychiatrie », tel est le thème de notre rencontre. Derrière le titre apparemment dans l’air du temps de notre propos, nous entendrons la notion de virtuel au sens le plus classique : « potentiel, qui n’existe qu’en puissance par opposition à actuel. » Et nous nous attacherons autant à présenter la stratégie thérapeutique qui est à ce

*Correspondance et tirés à part.

jour la nôtre en unité de soins ambulatoires qu’à interroger la notion même de nouveau. Nous présenterons donc comment, à partir d’un dispositif existant depuis une quinzaine d’années – dispositif traditionnel dans sa dénomination et dans certains aspects généraux de son fonctionnement (hôpital de jour-hôpital de nuit) – nous avons été amenés à une restructuration centrée sur la suppression de toute forme de suppléance directe à la vie quotidienne, en particulier dans sa dimension hôtelière (qu’il s’agisse de

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l’hébergement de nuit ou du repas de midi) et sur la dimension psychique du soin à travers une mise en latence de l’accompagnement direct, du « faire-avec », au profit d’une mise en parole. Cette « nouvelle » orientation ne correspond donc pas à une création ex nihilo mais bien à l’évolution historique d’une équipe et à la mise en question de la pertinence de certaines évidences antérieures de fonctionnement. Nous ne reprendrons aujourd’hui qu’un aspect succinct de l’historique de cette restructuration, avant de présenter dans ses grandes lignes le fonctionnement général de cette unité de soins ambulatoires, à partir des données épidémiologiques dont nous disposons depuis six ans (septembre 1994), et la conceptualisation du soin qui sous-tend notre pratique. UN ASPECT HISTORIQUE DE LA RESTRUCTURATION : LA SUPPRESSION DU REPAS DE MIDI EN HÔPITAL DE JOUR Ce repas, « compris » dans les prestations et le mode d’emploi initial des hôpitaux de jour, allait de soi depuis plusieurs années et, comme tel, était ininterrogeable. Il avait certainement sa pertinence pour ceux qui avaient pensé ce modèle de dispositif, nouveau en son temps. À l’usage, pour nous, il s’avérait plutôt favoriser la confusion entre le soin et une pseudo intégration sociale : la majorité des fonctionnaires ne mangent-ils pas sur leur lieu de travail quand ils font la journée continue ? Et puis, nous étions sûrs de donner au moins ça de bon aux patients, eux qui n’ont le plus souvent comme seule ressource qu’une allocation adulte handicapé. À l’usage, pour nous, il s’avérait vraiment un « temps mort » et nos tentatives de repas thérapeutiques étaient restées peu convaincantes. Pourtant il fallut bien deux ans de préparation pour que cette idée fasse son chemin. Une patiente avait tout particulièrement été désignée comme la victime emblématique de ce projet : comment allaitelle manger, elle à qui nous avions tenu la main pendant de longues séances chez le dentiste, que nous avions accompagnée dans de multiples démarches de la vie quotidienne… ? Elle nous a particulièrement étonnés par le tournant évolutif qui a suivi cette restructuration : si nous continuons à réguler – et notamment au téléphone – ses relations encore très difficiles au monde, nous n’assurons plus aucune suppléance dans le réel. C’est donc au contact de la clinique et de la mise en pensée du faire au quotidien que le nouveau dispositif s’est construit par transformation de l’ancien. Ce qui ne signifie pas, bien évidemment, que cet Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 212–5

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accompagnement dans le réel n’ait pas sa nécessité pour certains patients et dans certaines structures orientées en ce sens, mais il devenait pour nous une indication d’exception, posée et pensée comme telle, et n’allait plus de soi. ORGANISATION FONCTIONNELLE GÉNÉRALE : L’ACTUEL Nous passerons assez vite sur l’organisation fonctionnelle générale : une petite équipe paramédicale et médicale ; des horaires d’ouverture fixes (du lundi au vendredi de 9 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 19 h), des fermetures d’été et de fin d’année ; un certain nombre de groupes thérapeutiques, ouverts ou fermés, dont l’organigramme est établi chaque semestre, et dont certains sont concomitants, ce qui implique des choix incontournables (il s’agit là aussi d’un principe mis en place avec le temps) ; beaucoup de temps informels et aussi de « temps morts » ; pour chaque patient une référence nominative infirmière et médicale ; des réunions de fonctionnement, de cas… Donc rien de très nouveau en termes d’organisation de base. Nous soulignerons surtout l’articulation entre l’engagement à la carte de chaque patient autour d’un dispositif concret minimal et la prise en compte de celui-ci comme précadre, temps de travail et de disponibilité thérapeutique des soignants, conditions imposées aux patients et dont l’entretien d’admission, dispositif solennel d’accueil par toute l’équipe, est emblématique. Prendre soin d’accueillir et tenter de construire avec le patient le cadre partagé d’un possible processus de soin implique avant tout de nommer et poser nos conditions basales en tant qu’elles sont nos conditions et non pas seulement le fruit désintéressé de nos bonnes intentions soignantes. DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES SUR CINQ ANS Durant cette période (septembre 1994 à décembre 1999), la population concernée a été de 161 patients, ce qui correspond à une file active annuelle relativement stable de 63 patients en moyenne, pour une capacité d’accueil journalière de 15 places. La durée du suivi est distribuée de façon hétérogène (en moyenne trois ans), de même que la fréquentation moyenne mensuelle : 75 % des patients viennent pour dix séances mensuelles. L’âge moyen des patients à l’entrée est de 31 ans, celui d’une population d’adultes jeunes, avec 53 % d’hommes et 47 % de femmes. Près de la moitié (47 %)

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vivent seuls en appartement, moyennant parfois un soutien actif indirect (notamment en soirée avec une forte activité de relations téléphoniques de réassurance). Les autres résident toujours chez leurs ascendants (36 %) ou bénéficient d’un soutien conjoint dans des structures d’hébergement thérapeutique (9 %). Les pathologies traitées sont essentiellement des pathologies psychotiques au long cours : schizophrénies, troubles schizotypiques et délirants (74 %). La majorité des patients (67 %) n’exercent aucune activité professionnelle, même en milieu protégé, et tirent leur ressource soit d’une allocation adulte handicapé (58 %) soit d’une pension d’invalidité ou d’un RMI (23 %). Le recrutement des patients est très largement intersectoriel (seulement 17 % des patients résident dans notre secteur), direct et extérieur aux deux services de psychiatrie du CHU (60 %), et notamment depuis le secteur privé (46 %). En ce qui concerne le suivi antérieur immédiat, 61 % des patients sont admis au décours d’une hospitalisation temps plein. Pour 15 % d’entre eux il peut s’agir d’hospitalisation continue de plusieurs années ou d’hospitalisations itératives conduisant à des durées de plus de six mois par an. La fonction de transition vers une autonomie psychique et sociale apparaît donc essentielle. À l’inverse, 39 % des patients sont adressés à partir d’un suivi en consultation qui s’avère insuffisant. ADRESSE Il s’agit en tout cas, pour tous les patients, d’être « adressés » : la non-demande initiale est centrale et rejoint la question du déni de la maladie, plus ou moins marqué, autant du côté du patient que de la famille. D’ailleurs, sur l’ensemble de la population étudiée 35 % des patients ne s’engageront pas au-delà de la période d’essai. L’engagement dans un suivi et a fortiori dans un processus de soin ne va pas de soi 1. C’est peut-être là la première dimension virtuelle de l’institution. C’est dire l’importance de la demande initiée et portée par le psychiatre et/ou l’institution traitants, qui nous permet de modérer notre part de séduction à l’égard du patient ; écart entre l’adresse formulée par les thérapeutes anté-

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Cette dimension, ainsi que les données épidémiologiques précédentes, ont été développées dans la thèse de Doctorat en médecine de T. Sanchez : Unité de soins ambulatoires : l’entrée et la sortie. Étude statistique et clinique, Toulouse III, université Paul-Sabatier, 2000, 1569.

rieurs et l’injonction à « venir » dont nous serions les seuls garants. Progressivement, notre travail consistera à tenter de faire surgir, dans l’après-coup, l’appropriation de la demande de soin par le patient lui-même, travail progressif particulièrement facilité par ce premier appui, tiers réel, préfigurant un écart symbolique. À partir de cette demande d’admission, nous nous efforçons autant que possible de permettre aux patients de maintenir ce lien extérieur et de nous inscrire dans une relation bifocale qui restera extrêmement modulable selon les situations et la singularité du couple patient-psychiatre. Dans notre population, 73 % des patients conservent une relation thérapeutique conjointe avec le psychiatre qui nous les a adressés. Cependant, pour 23 % d’entre eux, ce suivi s’interrompt après l’admission, ce qui rend parfois difficile la gestion des moments de crise, quand une hospitalisation temps plein est nécessaire par exemple. RÉSEAU VIRTUEL, À CONTRE-COURANT DES « NOUVELLES » ORIENTATIONS EN FAVEUR D’UN RÉSEAU FORMALISÉ Nous insisterons donc sur la spécificité d’un multipartenariat diversifié et sans filière préétablie, impossible à fixer à travers des conventions interinstitutionnelles par exemple, dispositif initié par le patient qui en reste le centre. En contrepartie, la gestion au long cours de relations avec des partenaires multiples peut absorber une part importante de la charge de travail. Dans les « nouvelles » orientations de santé mentale, la notion de réseau de soins formalisé entre plusieurs partenaires est actuellement valorisée et ciblée en termes d’évaluation ; elle a certainement sa pertinence mais aussi ses limites, parmi lesquelles le risque de tenter d’adapter le patient au réseau. Comme beaucoup de nos collègues nous pratiquons plutôt le réseau sans le nommer, au cas par cas. Ainsi, en fonction des coordonnées psychosociales, familiales et thérapeutiques de tel ou tel patient, nous pourrons accepter ou refuser, susciter ponctuellement ou entretenir régulièrement des relations ou des rencontres. Selon ce qu’il nous semblera opportun de préserver, quant à un espace thérapeutique propre au patient, ou de signifier, quant à une position par rapport à lui, nous pourrons avoir des attitudes diamétralement opposées. En ce qui concerne, par exemple, les relations avec les dispositifs de protection de l’enfance, pour les mères psychotiques de jeunes enfants, nous ne serons jamais garants, auprès de nos partenaires, de la fiabilité et de la Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 212–5

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« réparation » de leur fonction maternelle au détriment de la personne totale, comme beaucoup de patientes tendraient à nous y engager. À l’inverse nous pourrons être amenés à poser comme conditions du suivi dans l’Unité l’obligation de confier l’enfant aux services susceptibles de le surveiller : permettre à la patiente de vivre sa psychose sans être, dans le même temps, trop préoccupée quant à ses relations avec son enfant. De même, dans nos relations avec les structures d’hébergement, nous ne nous engageons pas à garantir une circulation contrôlée du patient entre l’institution de nuit et notre unité. Ce qui est parfois difficile quand la condition d’obtention d’un hébergement thérapeutique est liée à l’admission dans une unité de jour, et que le patient est peu présent dans cette unité de jour. ENTRE ACTUEL ET VIRTUEL La co-présence physique, la rencontre au sens le plus basal de prise de contact dans l’actuel, est bien évidemment le présupposé minimal de toute relation thérapeutique. Néanmoins, il nous semble important avec les patients psychotiques de ne pas confondre cet ancrage, matérialisé par exemple par sa participation à des ateliers thérapeutiques, avec la rencontre psychique, l’engagement dans un processus thérapeutique et l’appropriation d’une demande. L’engagement minimal autour d’un dispositif concret et personnalisé reste simplement un outil, un moyen dont chaque patient singulier fera ou non usage pour développer ses capacités de vie et d’autonomie. Il s’agit bien d’un dispositif virtuel, en puissance, non systématiquement applicable à chaque patient, pré-cadre organisationnel modulable à la carte. En d’autres termes, notre objectif n’est pas que les patients viennent, « participent » et soient présents, mais qu’ils aillent bien, dans leur vie qui, elle, de toute façon est ailleurs. En d’autres termes, le patient qui se saisit du téléphone, celui qui nous dit au décours d’un moment difficile qu’il a pensé à nous, celui dont la présence s’effiloche, sont souvent les plus engagés dans

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un processus de soin subjectif et capables d’user différemment du dispositif au fur et à mesure de leur évolution. D’ailleurs ce ne sont pas toujours les patients les plus présents, en termes de séances hebdomadaires, qui mobilisent le plus notre énergie ou nos investissements thérapeutiques, ce qui est bien sûr difficile à faire passer en termes administratifs d’évaluation quantifiée. En conclusion, rien de bien nouveau au fond, et le plus nouveau peut-être reste le patient, chaque nouveau patient, chaque entrant. De même que Winnicott nous rappelle que c’est au contact de l’enfant que les parents se découvrent et se transforment d’une façon qui jusque-là était restée potentielle, c’est bien au contact de chaque nouveau patient que les soignants individuellement et dans leur organisation collective se découvrent et se transforment. Il ne s’agit donc pas seulement d’essayer d’adapter le collectif soignant à chaque cas, mais encore de profiter de chaque nouveau patient pour découvrir nos propres ressources thérapeutiques, insoupçonnées et virtuelles. DISCUSSION Pr Escande – Le changement dans le dispositif de soins coïncide-t-il avec l’enrichissement de la fonctionnalité de pensée des patients pris en charge depuis ce changement ? Dr Maurel – La belle locution « institution virtuelle » formulée par Martine Girard doit nous rappeler le véritable sens du mot institution. Ce mot ne signifie pas exclusivement l’hôpital, mais « ce qui est organisé et établi par les hommes », selon la définition de Littré. L’homme est institué dès l’origine. Et l’institution que nous décrit Martine Girard n’est pas du tout virtuelle, mais consistante, organisée, réfléchie, exercée à son autocritique et son auto-analyse. Réponse du Rapporteur – au Pr Schmitt – Effectivement, la majorité de nos patients sont admis au décours d’un contact plus ou moins ancien avec l’hospitalisation temps plein et nous accueillons rarement des patients « neufs ». Cela nous renvoie, d’une part à l’absence d’alternative par rapport à l’hospitalisation temps plein, d’autre part à la durée parfois très longue des hospitalisations antérieures. – au Pr Escande – En effet, il nous semble que les patients pensent particulièrement « bien » et que nous sommes régulièrement renvoyés à la qualité et à la finesse de leurs échanges par exemple. Par rapport à il y a dix ans, l’allègement du dispositif a certainement contribué à nous désengluer d’une vision déficitaire, mais il faudrait l’évaluer.